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Le gagnant, c'est le patient...

Etudiante infirmière en 2ème année, j'ai effectué jusqu'à présent deux stages en service de psychiatrie. Le premier s'était déroulé dans une clinique privée et le second au sein d'un hôpital public (c'était des unités d'hospitalisation à temps complet ). A partir de cela, j'ai trouvé intéressant d'établir une sorte de comparaison entre les deux structures, à travers certains points importants, que je développerai. Ceci pouvant susciter par la suite une réflexion plus approfondie.

Le "look" du service

En premier lieu, j'ai choisi de parler de mes impressions immédiates concernant l'apparence des deux services que j'ai côtoyés. Les premières fois que j'ai débarqué sur ces lieux de stage, franchement, je n'avais qu'une seule envie : retourner chez moi ! Ceci aussi bien pour la clinique privée que pour l'hôpital public. Pour l'un, il s'agissait d'un pavillon reclus, vétuste et peu accueillant transpercé par les courants d'air ; pour l'autre c'était un long couloir lugubre et silencieux, parsemé de portes d'un bleu criard et horrible, fermant les chambres des patients encore endormis. Terriblement déçue par cet accueil architectural, et réalisant que j'allai passer quatre semaines dans ces lieux, je me demandais sérieusement comment les gens pouvaient se faire hospitaliser dans des endroits pareils.

Croyez-moi, il y avait de quoi avoir peur ! Heureusement, ces impressions premières disparurent rapidement après la rencontre de l'équipe soignante, qui offrait une présence sympathique et rassurante, ce qui détendait l'atmosphère. Bien évidemment, ces problèmes de " look " ne concernent pas que la psychiatrie, mais étant donné que les patients de ces services sont particulièrement fragilisés psychiquement, il est sûr qu'un accueil dans une structure " pas très jolie à voir " ne doit pas être très réjouissant. Passé le cap du premier jour, je me familiarisais avec le fonctionnement du service, dont je retins particulièrement le deuxième point qui va suivre.

 

Du bétail...

Au sein du pavillon de la clinique privée, la distribution des médicaments se faisait d'une façon assez spéciale. Dès le matin à huit heures, tous les patients étaient ameutés par une sonnerie, comme celle qui annonce la récréation dans les écoles primaires ; cela traduisait à la fois " aux médocs ! ", et " au p'tit déj ! ". Alors le cortège des patients s'approchait de la " salle interdite " (le poste infirmier), où ils y entraient une fraction de seconde pour avaler leurs cachets. Pas de bousculade, tous en file indienne, bien sages, ils tendaient une main et saisissaient de l'autre un gobelet rempli d'eau.

Les infirmiers se postaient derrière le " comptoir " avec devant eux les piluliers rangés soigneusement dans l'ordre des numéros de chambre. Une fois servis, les patients descendaient directement au réfectoire prendre leur repas. Quant à ceux qui n'avaient pas eu la chance de se réveiller à l'heure, ils avaient encore droit à un petit coup de sonnerie. C'était ainsi trois fois par jour, tous les jours. Je me souviens des paroles d'un psychiatre, qui parlait de " bétail " de " troupeau ", " qu'il fallait trouver une façon plus digne de distribuer les médicaments ". Depuis, je ne sais pas si l'équipe a réfléchi sur ce problème et s'ils ont tenté de le résoudre.

A l'hôpital public en revanche, c'était un autre système, plus dans le genre " soins généraux ". Tous les matins il fallait transporter un chariot aussi bruyant qu'un tremblement de terre (ça remplace la sonnerie), qui contenait tous les dossiers de soins, dont les fiches de prescriptions, à cocher après chaque distribution de médicaments. Il fallait parcourir le long couloir lugubre, chambre par chambre ; dés le réveil, les yeux encore bouffis par le sommeil, tous les patients se faisaient prendre le pouls, la tension, la température, avalaient leurs comprimés et leurs gouttes. Mais savaient-ils seulement pourquoi ils devaient subir toutes ces formalités ? Je trouvais assez étonnant de voir comment l'organisation pouvait différer d'une structure à l'autre ; la première avait tendance à infantiliser leurs patients, tandis que la seconde ressemblait étrangement à un service de médecine ou de chirurgie, sauf qu'on ne disait pas avant de quitter le patient : " le brancardier viendra vous chercher à telle heure ! "

Entre secret et spectacle...

Le troisième point que j'ai voulu évoquer concerne la relation triangulaire patient-médecin-infirmier, au sein de ces deux services de psychiatrie ; l'approche du patient était complètement différente selon qu'il s'agit de la clinique ou de l'hôpital, et ce avec les avantages et les inconvénients que cela entraîne.

Secret "médical" ?

A mon premier stage dans la clinique privée, j'étais en première année et on ne nous avait enseigné que les névroses et le syndrome dépressif. Les psychoses étaient réservées pour la deuxième année et les cours à leur sujet ne tenaient qu'à une définition (servant d'avant goût). Avec ce bagage intellectuel j'essayais en stage de joindre la théorie à la pratique, en pensant que les psychiatres seraient ouverts vis à vis de leur domaine, les pathologies mentales, et qu'ils expliqueraient le cas d'un tel ainsi que sa prise en charge. Et bien, rien !

En fait, les dossiers médicaux des patients étaient protégés comme de l'or par les psychiatres, et le strict minimum des informations était communiqué aux infirmiers (les prescriptions, des observations cliniques se limitant souvent à " R.A.S. ", patient calme, etc.) et le tout avec une écriture monstrueuse et illisible. Chacun son travail me direz-vous ? Secret médical ? Soit ! Mais qui est présent tout au long de la journée et de la nuit auprès des patients ? Nous, membres du personnel infirmier !

Peut-être ne faut-il pas tomber dans l'extrême de l'étiquetage des patients, mais comment comprendre et surveiller les signes cliniques si on ne sait pas de quoi la personne souffre ? On en viendrait à une surveillance standard : un pour tous et tous pour un ! La surveillante elle-même était frustrée du manque d'information sur les pathologies mentales des patients du pavillon.

Je pense que le véritable effet pervers de ce système est que l'équipe soignante s'amuse à établir son propre diagnostic (ce qui n'est pas dans nos compétences légales ) et de s'en servir pour étiqueter les patients ; et ceci sans même savoir si ce pseudo diagnostic correspond avec les signes, le traitement et le pronostic du médecin. Je me souviens malheureusement qu'une aide-soignante m'avait dit : " Ne parle pas à ces deux là, c'est des schizophrènes ; ils font les gentils, mais quand tu tournes le dos. "

Au fond de moi, j'avais envie de lui demander sur quoi elle se basait pour dire ça, mais je n'avais pas osé rétorquer, tellement elle se sentait convaincue et fière de ce qu'elle avait dit. Il n'y avait que la surveillante qui semblait assez bien connaître les patients du pavillon, surtout parce que certains s'étaient déjà fait hospitaliser plusieurs fois; d'autres lui faisaient confiance et s'entretenaient avec elle. Ainsi pouvait-elle compenser le désert d'information de la part des psychiatres.

Voyons à présent ce qui se passe du côté de l'hôpital public.

Spectacle gratuit !

Etant passée en deuxième année, mon bagage intellectuel s'était enrichi des cours sur les psychoses, et j'en savais donc un peu plus sur les pathologies mentales. En ce qui concerne le lien entre la théorie et la pratique là, par contre, ce n’était pas des broutilles !

Dès le premier jour de stage, un lundi, toute l'équipe se préparait pour la " visite " ; une véritable armada : le chef de service, le chef de clinique, les internes, les infirmiers, les stagiaires sans oublier notre chariot faisant trembler la terre, contenant les dossiers de soins.

De chambre en chambre, la troupe demandait à voir le patient seul puis chacun s'installait comme il pouvait pour écouter attentivement ce qui allait se dire. Le but de ces visites était essentiellement de prendre des nouvelles du patient et savoir si le traitement faisait bien son effet ; les médecins jetaient un œil aux constantes, rectifiaient si besoin une prescription, et puis hop, au suivant. Seul le patient et les médecins animaient le spectacle ; les autres écoutaient dans un silence religieux. Etant donné que cela durait toute la matinée, bonjour les désagréments de la station debout prolongée et de l'hypoglycémie de 11 heures.

J'avoue qu'au début du stage, j'appréciais les visites car j'étais libérée de ma frustration de manque de connaissance que j'avais connu à la clinique privée ; mais très vite je me mettais à la place du patient, je me disais : " ça doit être terriblement intimidant d'affronter tout ce monde ! "

Avec du recul, je trouve abusif de venir comme ça le matin, écouter un patient qui n'a peut-être pas envie de parler de ses problèmes à ce moment là, et dans de telles conditions, avec des personnes qu'il connaît à peine. Les patients eux-mêmes après coup confiaient au personnel infirmier qu'ils étaient gênés et que voir autant de monde ne leur donnait pas envie de parler. L'avantage de ces visites serait que, du fait que plusieurs personnes y assistent de nombreux points de vue seront donc mis en parallèle, afin d'enrichir l'anamnèse et la recherche du diagnostic. Certes, mais pourquoi le faire en groupe ? Pourquoi ne pas se limiter aux entretiens individuels entre le patient et le médecin (ceux-ci étaient faits quotidiennement), ainsi qu'avec les infirmiers, ces derniers étant disponibles de jour comme de nuit, le patient peut demander une écoute quasiment à tout moment. A partir de ces entretiens, il sera alors possible d'approfondir l'étude de la situation de tel patient, lors des réunions de synthèse avec toute l'équipe réunie. Quoi qu'il en soit, c'est encore la dignité du patient qui est mise en jeu en faisant de lui un objet à contempler, tel une bête de foire, le tout sous le contrôle des " grands maîtres de la science ".

Pour les infirmiers, c'est pareil : leur travail se retrouve commandité par ces maîtres ; soit on leur en dit le moins possible, soit ils en savent tout un dossier parfois tellement gros qu'ils n'ont même plus le courage d'y jeter un œil. Ils sont tiraillés entre la symbolique suprématie du médecin et la fantasmatique envie de prendre sa place. Le rôle de l'infirmier est, entre autre, de relever des éléments cliniques qui permettront une contribution à l'élaboration du diagnostic ; mais comment doit-il organiser son travail, sa réflexion pour arriver à réaliser cette mission ? Le plus dur, en fait, c'est de pouvoir gagner du terrain sur les psychiatres sans pour autant piétiner leur domaine. Alors au bout du compte, chacun se débrouille comme il peut, sachant qu'à la fin de toutes façons, le patient recevra son quota de neuroleptiques ou d'antidépresseurs, avec en prime une étiquette sur le front, parce qu'il faudra bien le classer quelque part.

Moralité

Je pense qu'en psychiatrie, le gagnant c'est le patient (quel slogan !). Nous sommes dans le subjectif, et la souffrance mentale est très délicate à soulager (le Prodaf’ peut aller se rhabiller) et le patient, fortement influencé par celle-ci, se donne le choix de verbaliser tel problème, telle angoisse, à moins de préférer le chemin du délire plus ou moins halluciné et hallucinant. Au fond, le patient peut dire ce qu'il veut, quand il le veut, sachant que finalement, personne ne peut savoir avec certitude de quoi il est atteint ; entre névroses, états limites, psychoses, perversions et toutes les palettes de gris qui s'ensuivent, l'éventail est plus que large !

De plus, il y aura toujours quelque chose qui échappera, qui restera hors d'atteinte pour ceux qui soignent : c'est l'impossibilité de palper, visualiser concrètement cette souffrance qui est difficile à supporter pour les soignants, et plus particulièrement les psychiatres : à quand la biopsie ou le scanner cérébral pour diagnostiquer une schizophrénie ?

Dorsafe DAWNJ,
étudiante en seconde année,
FSI Louise Couvé,
Aubervilliers.


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