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Quand la psychanalyse flirte avec les soins infirmiers

Approche de la relation transférentielle entre l'infirmier et le patient


Notre profession infirmière et les soins qui la jalonnent nous entraîne à la rencontre des patients, ce qui souvent se déroule sans qu'il y ait une réelle implication affective particulière de la part du patient ou de nous-mêmes.

Cependant, il arrive que certaines relations s'imprègnent de sentiments profonds et intenses, tendres ou haineux, pouvant alors générer un climat particulier dans la prise en charge de la personne malade.

Ces sentiments en question ne sont pas là par hasard car même si nous avons "nos raisons" pour préférer ou détester une personne, il se cache d'autres motivations qui ne nous apparaissent pas immédiatement à la conscience. C'est ainsi que ces sentiments se révèleront être les fruits du "transfert" et du "contre transfert", qui reproduisent des schémas affectifs de notre enfance.

Si cela peut paraître "pompeux" et donc "dérangeant" d'utiliser des termes issus de la clinique psychanalytique, ce sont néanmoins les plus exacts pour définir ces puissants déplacements d'affects entre le soignant et le soigné, même lorsque nous nous plaçons dans le contexte du soin infirmier.

Mon travail de fin d'étude m'a donné une excellente occasion de me pencher plus profondément sur l'influence du transfert et du contre-transfert sur le devenir de la relation infirmier-patient (1). La psychanalyse m'a donc permis d'aller plus loin dans l'approche et la compréhension de l'origine de ces mouvements affectifs.

Je me suis centrée sur le milieu psychiatrique, où le travail sur la relation est le support et l'objectif essentiel des soins infirmiers. La maladie mentale, quelle qu'elle soit, résulte d'une décompensation psychique sévère associé à des problèmes relationnels et affectifs très importants. C'est dire alors si l'apparition du transfert joue un rôle primordial dans l'évolution de la relation thérapeutique, d'autant plus qu'en psychiatrie, les hospitalisation ne sont pas toujours consenties et que les prises en charge sont parfois longues et chaotiques.

Mon étude s'est portée sur la situation où l'infirmier fait l'objet d'un transfert positif (composé de sentiments tendres, amicaux, voir amoureux) de la part du patient. La problèmatique se posait comme suit : comment l'infirmier peut-il adapter ses réactions face au transfert sans mettre en danger la continuité de la relation soignant-soigné ?

Mais revoyons en premier lieu ce que Sigmund Freud a défini par transfert :
"Chaque fois que nous traitons psychanalytiquement un nerveux, ce dernier subit l'étonnant phénomène que nous appelons tranfert. Cela signifie qu'il déverse sur le médecin un trop plein d'excitations affectueuses souvent mêlées d'hostilité, qui n'ont leur source ou leur raison d'être dans aucune expérience réellle : la façon dont elles apparaissent et leurs particularités montrent qu'elles dérivent d'anciens désirs du malade devenus inconscients" (2)
"(...) L'analysé considère son analyste comme la reproduction, la réincarnation d'un personnage important de son passé et c'est pourquoi il lui voue des sentiments et manifeste des réactions certainement destinées au modèle primitif. (...) Ce transfert est ambivalent et comporte à la fois des sentiments tendres, positifs et hostiles, négatifs à l'égard de l'analyste qui est généralement mis par le patient à la place de l'un de ses parents, soit le père, soit la mère."(3)

Le transfert constitue donc une rémanence intense de sentiments éprouvés par le patient qui se réfléchissent en la personne de l'analyste, vécus dans un contexte d'actualité, sachant qu'il s'agit en fait d'un déplacement d'affects issus du passé infantile.

Mais le transfert, s'il a été "découvert" et défini dans le climat particulier de la cure analytique, ne constitue pas une exclusivité de la psychanalyse : c'est un phénomène qui touche tout un chacun, à partir du moment où la relation à l'autre éveille et réactualise des sentiments qui se rapporte à ce que l'on a éprouvé dans l'enfance, pour ses propres parents ou toute personne ayant eu une place affective prépondérante. Comme Freud le dit lui-même :" Il ne faut pas croire que l'analyse crée le transfert et que celui-ci ne se produise que dans l'analyse. Le transfert est un phénomène humain général, il décide du succès dans tout traitement où agit l'ascendant médical ; bien plus, il donne toutes les relations d'une personne donnée avec son entourage humain".(4)

Le transfert intervient dans toute relation et c'est shématiquement ce qui nous poussera à aimer ou à détester une personne, à se dire que "ça passe" ou pas.

La psychanalyse à ce rôle particulier d'utiliser le transfert comme moyen "d'accroche" du patient envers son analyste et comme moyen d'investigation de l'inconscient, dans le fait que l'analysant rejoue sans véritablement s'en apercevoir les rouages affectifs de son passé infantile. Ceci permet alors de travailler sur le sens de ce transfert et donc de pouvoir saisir progressivement les "origines" des problèmes actuels de la personne malade.

Mais qu'est ce que tout cela peut nous apporter lorsque l'on travaille comme infirmier dans un service ?
Eh bien, tout d'abord de se rendre compte que par nos soins, notre attention ou encore notre indifférence et notre mépris nous pouvons générer ce fameux déplacement de sentiments chez le patient, qui s'avouera plus ou moins explicitement que nos attitudes lui rappelle une figure parentale ou toute personne qui a été chère et déterminante pour lui dans l'enfance.

C'est aussi prendre conscience que cela ne peut nous laisser indifférent, même lorsque l'on travaille en équipe. La relation avec le patient, voire l'ensemble de la prise en charge peut se retrouver perturbée ou même "en danger", dans la mesure où l'intensité des sentiments, qu'ils soient positifs ou négatifs, prend le pas sur l'objectivité professionnelle et thérapeutique de la relation.

C'est d'ailleurs ce qui rend le transfert délicat à "manipuler" lors de la cure analytique car il "bloque" le travail d'investigation psychique, le patient étant trop accaparé par ses reflux de sentiments pour son analyste. Il constitue donc une cause importante de résistance au traitement analytique. L'une des difficultés pour l'analyste sera d'arriver à canaliser ce transfert pour qu'il devienne une source d'information psychopathologique et d'avancement pour les effets thérapeutiques de la cure.

C'est donc à ce moment là, être attentifs aux réactions que ce transfert suscite en nous, ces dernières étants guidées par nos propres vécus affectifs, en lien avec notre propre vie infantile.

Ainsi intervient la notion du contre-transfert, terme également issu du contexte de la clinique psychanalytique et qui revêt une importance capitale : l'analyste manifeste une réaction au transfert de son patient et cela peut donc le conduire à remettre en question l'évolution de la relation thérapeutique établie avec l'analysant, voir même de la "résolution" de ses propres problèmes (d'où la nécessité pour les analystes de reprendre eux-mêmes une analyse).

Ce qui se passe dans l'analyse peut donc se retrouver par analogie au sein de la relation infirmier-patient, ce qui n'est pas forcément plus évident à "gérer".

Devant un patient qui multiplie des allusions ou des déclarations amoureuses envers tel(le) infirmier(e) ou qui à l'inverse le bombarde de jurons et d'insanités, il est clair que la situation peut vite prendre des proportions intenables, voir insupportables. Si l'équipe infirmière n'a aucun moyen de "souffler", de mettre des mots sur leurs difficultés relationnelles, de mieux se "répartir" la prise en charge soignante, là survient le danger de réagir de façon excessive pour se décharger du patient. Selon les circonstances, des réactions contre-transférentielles massives de "rejet" du patient pourront alors survenir, jusqu'à en oublier les objectifs de soins pour la personne malade.

Ceci pointe donc la délicate problèmatique de la "distance" à obtenir et à entretenir afin d'optimiser l'avancée de la relation vers le mieux être du patient, demandant de rester souple tout en gardant ses limites. Car lorsque le transfert s'en mêle, la distance se retrouve rapidement perturbée, surtout si les soignants se retrouvent "embrigadés" dans ce "magma" affectif qui les dépassent et finalement les épuisent.

Mais jusqu'où l'infirmier et le patient peuvent-ils s'engager sur le plan affectif ? Qu'est ce que cela peut impliquer dans l'évolution de la relation ?

Si la relation ne se poursuit plus dans des conditions satisfaisantes, comment arriver à canaliser, porter un regard sur ces phénomènes transférentielles, sans rechercher à les contrecarrer à tout prix ?

Eh bien, c'est là que peuvent intervenir les concertations en équipe autour de la situation posant problème, au mieux en présence d'un psychothérapeute (de formation analytique si possible) qui puisse donner une opinion "extérieure" par rapport à la vision de l'équipe, afin de mieux cerner les choses et de pointer les éléments importants à prendre en compte.

Cela permettra d'ouvrir un espace précieux de parole, de réflexion, dans le but de repenser la situation, mettre des mots sur ce qui est difficile à supporter, avancer dans la compréhension de ce qui a pu générer ces difficultés relationnelles, en somme faire le point sur la forme et le fond de la relation établie avec le patient.

A partir de là seront réfléchies les possibilités de "redistribuer" le poids de la relation sur l'ensemble de l'équipe infirmière, d'éviter trop de dualité entre soi et le patient, afin de ne pas se faire l'unique cible du transfert. Bien sûr, le contexte de la relation exigera une adaptation de la "conduite à tenir" accompagné en parallèle d'une évaluation de la distance à instaurer : il n'est donc pas question d'élaborer un "plan standart" pour tout patient.

Mais ces réunions, si elles sont indispensables, ne doivent pas dispenser les initiatives individuelles pour approfondir le sujet de la relation soignant-soigné (surtout si le service ne permet pas un solide travail de groupe) : lectures, écriture, formation continue, universitaire, consultation des sites internet dédié à la psychiatrie, sont d'excellent moyens d'y parvenir.

Pour ceux (les plus courageux et les plus motivés) qui voudront aller encore plus loin et comprendre la profondeur de leur réaction vis à vis d'une situation de transfert, pour ceux chez qui cela aura éveillé en eux un profond malaise ou une véritable souffrance, pour ceux qui veulent tout simplement "faire le ménage" dans leur tête et s'éclaircir les idées, il est alors bon d'envisager une psychothérapie, si ce n'est une véritable analyse.

Si la situation duelle avec un psychothérapeute vous rebute, il y a également la possibilité de mener des réflexions de groupe, entres soignants de différents services, autour de situations de soins difficiles, le tout "supervisés" par des psychothérapeutes de formation analytique : ce sont les groupes Balint.

S'il n'y a pas de "solutions miracles", ni de protocoles bien tracé, la gestion des phénomènes transférentiels passe par la réflexion sur le déroulement de la relation. Ainsi ce travail permettra aux soignants de prendre du recul, de ne pas se laisser trop vite envahir par l'exaspération et le découragement.

Cela n'aura que plus d'impact chez la personne soignée, qui aura en face d'elle des soignants qui prendront en considération la force des sentiments et accepteront de les intégrer comme un moyen d'avancer dans la prise en charge. C'est ce qui justifie tant l'importance de prendre en compte ce qui semble se rejouer, se réactiver à travers les sentiments, partie intégrante de l'histoire et de la dynamique psychique de chacun.

Débutants ou vétérans, nous sommes tous amenés, en tant que soignant, à remettre en question notre façon de considérer la relation au patient.

Bien sûr l'expérience professionnelle aide beaucoup, car on "prend de la bouteille", "on ne se laisse plus avoir", ceci donnant l'illusion d'être "blindé" contre toute incursion affective inopportune.. Mais n'est ce pas le propre de l'inconscient de nous prendre au dépourvu lorsque l'on croit justement que l'on arrive à tout maîtriser ?

Dorsaf Daunj
Mémoire infirmier : 1999-2001


BIBLIOGRAPHIE

1 - Daunj (D) Le transfert : un danger pour la relation infirmier-patient en milieu psychiatrique Mémoire infirmier, promotion 98 - 01, IFSI Louise Couvé, AUbervillier (93)

2 - Freud (S) Psychanalyse textes choisis par D. Dreyfus, PUF, 1997, 12 ème édition

3 - Ibid 4 - Ibid


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