Dominique BONNETAIN

Centre hospitalier spécialisé

05300 LARAGNE


CAS CONCRET

 

ETUDE CLINIQUE ET CONCEPTUELLE

 

 

Formation spécialisante en psychiatrie

Montfavet

année 2005





NOTES DE L’AUTEUR

Ce mémoire a bousculé une partie de mes fonctionnements. J’étais certes, habituée à parler de mon vécu soignant avec mes collègues de travail, mais jamais par écrit.

 

Pour faire ce travail, il était donc nécessaire que j’accepte d’évoquer mes expériences sans compromis, c’est à dire sans nier les difficultés ni donner une version édulcorée des faits. En cela je prenais un risque auquel j’étais peu habituée. Mais une certaine honnêteté intellectuelle me poussait dans ce sens. Il me semblait qu’au plus je serais proche de la réalité, au plus je pourrais progresser dans mon travail thérapeutique.

De plus, la liberté donnée par l’absence d’enjeu social, pas de nouveau diplôme, ni grade supérieur m’a permis de me dégager en partie des consignes et de faire le travail que j’avais envie. Mon but principal, outre la tentative de faire un travail correct fut donc de me procurer un contentement certain.

 

J’espère que vous aurez autant de plaisir à lire que j’ai eu à écrire ces quelques pages.

 

Je vous remercie d’avance de votre indulgence et vous souhaite une agréable lecture.




PRESENTATION

POURQUOI CETTE PATIENTE ?

 

 

« Le secteur est à la fois précurseur et modèle en matière de démocratie sanitaire ou plutôt d’espace démocratique et éthique ».

Georges JOVELET [1]

 

 

Je crois, que ce qui m’a le plus interpellée dans cette expérience, c’était la liberté. Pour moi, la maladie ne peut pas être synonyme d’enfermement ni d’isolement et encore moins favoriser une toute puissance alléguée par le désir de soigner. Le patient est toujours au centre de toute prise en charge et il a donc son mot à dire pour tout changement dans sa vie.

 

Je trouvais formidable l’idée de sortir une patiente (que j’appellerai Nina) de son pavillon de chroniques et de l’insérer dans la ville. Et je n’étais certes pas la seule. Encore fallait-il être sûr que c’était là son désir.

 

De plus, je vivais dans le même temps, le même mouvement que Nina. Je quittais un pavillon d’entrée au centre hospitalier spécialisé pour intégrer un centre médico-psychologique.

 

J’ai appris par la suite, par un psychologue qui a bien suivi le chemin de Nina, que c’était une habitude de cette dernière d’avoir comme infirmier référent une personne qui était en marge des équipes.

 

Etais-je dans ce cas ? En partie oui. J’arrivais dans une nouvelle structure et je devais m’adapter à un fonctionnement différent et ceci n’est jamais très facile.

 

Bref, tout s’est mis en place pour que j’accompagne cette patiente un bout de chemin. Je remercie donc Nina qui m’a permis de m’interroger notamment sur l’accompagnement à domicile mais surtout pour sa spontanéité et ses confidences, sans oublier ses moments d’humeur et de tristesse qui m’ont appris à me positionner en tant que soignant et à approfondir sa pathologie.

 

 

 

INTRODUCTION

 

 

« l’expérience du secteur, c’est à la fois la somme des connaissances issue de la clinique, les savoirs et les aptitudes à travailler à plusieurs, les enseignements mobilisés depuis plus de 30 ans au service de la population desservie, mais aussi un espace clinique d’observation et de recherche, un lieu de l’éthique du soin, toujours à élaborer et à préserver ».

Georges JOVELET [2]

 

 

A l’heure, où la presse s’évertue à afficher la dangerosité de certains hôpitaux et notamment les hôpitaux psychiatriques, à l’heure où nos gouvernants tentent de refermer les portes des asiles pour des raisons le plus souvent économiques, il me paraissait important de parler d’une expérience d’insertion dans la ville d’une patiente qui, bien qu’elle n’ait pas à ce jour porté tous les fruits escomptés par l’équipe initiatrice, reste une expérience positive. Elle est un bon exemple de collaboration entre les services c'est-à-dire pour ce cas précis, un service de chronique, un service de post-cure et un centre médico-psychologique.

 

Ce travail repose sur un entretien qui avait pour but de faire participer la patiente aux décisions concernant son avenir en lui reformulant les données qui allaient changer et celles pour lesquelles il faudrait prendre de nouvelles dispositions.

 

Dans le souci du respect de la malade, les noms des personnes et des lieux ont été modifiés.

 

Il est présenté avec mes commentaires de soignant entre les lignes.

J’ai longtemps hésité pour savoir s’il était intéressant ou non pour une meilleure compréhension de Nina de laisser la réponse de l’aide à domicile (que j’ai appelé Nounou). Après réflexion : rester quatre jours à temps plein en cohabitation pouvait donner un autre éclairage.

Dans une deuxième partie, l’étude du comportement de Nina s’appuie sur un regard psychanalytique avec les différents concepts qui peuvent en découler. J’ai développé de façon plus approfondie les deux points qui m’ont semblé particulièrement déterminant c’est à dire le fonctionnement obsessionnel et le deuil traumatique.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE CAS CLINIQUE

 

Ils ont dit : « tu es devenu fou à cause de Celui que tu aimes. »

J’ai dit : « la saveur de la vie n’est que pour les fous .»

Yaäfi’l, Raoukhal rayâhin

 

 


I - Préliminaires

 

A peine arrivée au centre médico-psychologique, son aide à domicile (que j’appellerai « Nounou ») installe Nina sur un siège pliant devant la porte pour qu’elle puisse fumer une cigarette.

Elle vient, ensuite, me voir et après les formules de politesse d’usage me dit :

 

Nounou : « je vous la laisse, j’ai beaucoup de choses à faire, 17 h 00, ça va ? »

Je vous rappelle qu’elle boit du café avec des sucrettes, elles sont dans sa poche, vous seriez gentille de faire attention ».

 

Cette entrée en matière, si elle est socialement correcte, est d’une froideur notable. Je ne commente pas, je fais juste un signe de tête et je réponds :

 

Moi : « A tout à l’heure, passez une bonne après-midi ».

 

Ma réponse est distante malgré une petite amabilité. Etait-ce l’effet miroir ?

 

Sa cigarette finie, Nina entre avec le sourire. Habillée d’un long manteau blanc, en imitation fourrure, avec son foulard et sa capuche sur la tête. A ce moment là, elle a vraiment une allure de malade psychiatrique (très repliée sur elle-même, marchant tête basse, traînant les pieds).

Elle ôte son manteau et son foulard puis s’assied devant moi.

Là, le tableau change. Elle sort visiblement de chez le coiffeur. Elle sait être très coquette, elle est bien maquillée (au début de sa maladie elle se maquillait « comme un clown », avec de la couleur posée n’importe comment). Elle me sourit.

 

Puis viennent les phrases rituelles qu’elle est capable de répéter des dizaines de fois :

 

Nina : « La date de ma montre est-elle bien réglée, qu’elle heure est-il ?

Tu n’as pas de café ?

 

Elle fixe avec obsession sa montre et me redemande au moins 10 fois si la date est bonne. Puis au café de nouveau le même leitmotiv avec insistance :

« regarde bien ».

 

Nina : « Mes intestins me font mal ».

Le tout est accompagné de juron : « Merde, con, me casse la gueule… »

 

Pas d’agressivité dans ces propos. Nina est ainsi, elle utilise facilement un vocabulaire vulgaire. Voilà le cadre posé.. Mais avant de continuer, attardons-nous brièvement sur l’histoire de cette patiente.

 

Sans faire une longue biographie, Nina, née en 1946, a vécu seule avec sa mère. Elle fait la connaissance, à l’âge de onze ans, de ses deux demi-frères et de son père qui malgré son divorce avec sa première femme, n’épousera pas sa mère.

 

Elle travaille comme aide soignante dans un bloc opératoire où elle est une employée modèle.

Elle se marie deux fois : un gendarme dont elle divorce, puis un policier qui a de gros problèmes d’alcool.

Elle a un fils et maintiendra toujours, des liens avec sa belle-fille.

L’histoire de sa maladie débute, en juillet 1989, avec un accident de la circulation qu’elle a eu avec son fils qui meurt sur le coup à l’âge de 25 ans.

Un mois et demi de coma et plusieurs opérations empêchent Nina d’assister à l’enterrement et au procès du « chauffard ».

Dès lors sa vie bascule d’une autonomie complète à une dépendance importante, d’une vie familiale à une vie asilaire, d’un travail de soignant à un état de soignée.

Elle est hospitalisée une première fois en 1991 pour « démence post-traumatique. »

Malgré un retour à domicile, sa vie sociale se délite, elle coupe les liens avec tous ses amis et perd son travail. De plus son conjoint meurt dans son lit.

Dès le lendemain, elle est de nouveau hospitalisée sous contrainte  et ne quittera plus l’institution hospitalière, excepté un essai de retour à domicile tenté sur une période de trois mois qui se soldera par un échec.

 

Le diagnostic posé quelque temps plus tard, est « état d’agitation aiguë avec troubles du comportement avec éléments dépressifs et abandonniques ».

 

Une tentative de retour à domicile a lieu de février 1996 à janvier 1997. Si dans un premier temps, elle montre une certaine adaptation, très vite il s’avère qu’elle a de gros problème de voisinage (bouche les toilettes avec ses couches). A son retour à l’hôpital elle est dans un mauvais état général et psychologique.

 

Mais reprenons le cours de cet entretien.

 


II – Et demain ?

 

Plus tard, je la rejoins et lui propose de nous isoler pour parler un peu. Elle accepte sans aucune difficulté.

 

Nina : ça me déplaît pas ici, les visages sont agréables.

 

Bonne entrée en matière pensais-je sur le moment, elle est décidée à communiquer. Mais après réflexion, on peut se demander si cette réponse est tout à fait adaptée à la demande.

 

Moi : Nina, vous savez que Nounou arrête son contrat à la fin du mois.

 

Nina : Oui. Sans autre commentaire.

 

Elle semble indifférente à ce changement de programme. Pourquoi ce manque de manifestations ? N’était-elle plus capable d’aucun investissement affectif ou bien était-elle en difficultés avec Nounou ? Probablement un peu des deux.

 

Moi : Pour mieux préparer les mois à venir, nous aimerions que vous nous

parliez de vos journées avec Nounou.

 

Nina : Superbe me gonfle la pastèque, elle n’est pas drôle, (silence)

 

Même si la maladie a affaibli certaines de ses capacités, elle garde un certain sens de la répartie et de l’image. « Superbe » est pratiquement un surnom.  Il me renvoie au côté irréprochable de son assistante de vie : repas impeccable, appartement où rien ne traîne, même pas un grain de poussière, journées parfaitement organisées, mais ceci s’oppose au résultat obtenu « me gonfle la pastèque ». Toute cette perfection ne fait qu’irriter Nina.

 

Nina : Elle n’est pas méchante, elle est très différente de moi, (silence)

         elle cuisine très bien.

 

Elle a envie de parler de ses difficultés avec Nounou, mais a peur d’être trop dure. D’ailleurs, elle dit souvent de façon récurrente :

«Je ne suis pas méchante tu sais, mais on m’a tué mon fils».

Quel rapport fait-elle entre le fait d’être « méchante » et la mort de son fils ?

Je ne la laisse pas repartir sur la colère envers le chauffard qui est un leitmotiv. Par contre, j’essaie de comprendre ses difficultés de cohabitation.

 

Moi : Ce qui serait bien c’est que vous me parliez de vos journées avec Nounou,

en commençant par le début de la journée.

Nina : Le matin je me réveille seule.

 

En fait, elle se réveille, déambule dans l’appartement, allume partout, fait couler les robinets et tire la chasse d’eau plusieurs fois dans la nuit. C’est très inquiétant pour Nounou,  elle a déjà bouché les toilettes avec des couches, obstrué délibérément les lavabos et inondé l’appartement.

 

Nina : Quand nounou est réveillée, elle prépare mon petit déjeuner, et je mange

seule, jusque là je n’ai pas de problème.

         Puis, c’est le début des emmerdes.

         J’essaie de faire ma toilette, à l’hôpital je la fais seule.

         Elle me lave le dos. Pour la toilette intime,  je me débrouille seule

        

Nounou dit le contraire et il est vrai qu’en service, les infirmières doivent négocier beaucoup pour qu’elle ait un minimum d’hygiène. La difficulté, pour Nounou, qui a été formée dans une structure de soins somatiques est de comprendre qu’en psychiatrie, la toilette n’est pas une priorité. De plus, la résistance à la toilette, est un moyen de dire non à l’autorité, de se révolter, elle peut se sentir ainsi exister encore un peu. Ceci se retrouve dans les lenteurs à se préparer pour sortir ou dans ses cigarettes qu’elle fume en excès dans sa chambre malgré les désapprobations bien marquées.

J’ai l’impression d’avoir en face de moi deux réalités différentes. Celle de Nounou qui veut montrer ses capacités et vivre avec des exigences de santé, d’hygiène et d’écologie et Nina qui est dans l’instant présent et dans l’assouvissement instinctif de ses besoins.

 

Nina : Elle m’aide à prendre le bain un jour sur trois, j’ai peur de le faire seule.

 

Puis, comme si elle renouait avec ce qu’elle ressent lorsqu’elle est chez elle, d’un coup elle rajoute.

        

Nina : Je ne veux plus rester dans cet appartement.

         Je veux garder mes meubles.

         J’ai toujours mal au ventre

 

Et ce mal au ventre qui revient souvent lorsqu’elle évoque le passé et son désir de maintenir les liens. Qu’est ce qui est le plus difficile à vivre ? Rester dans cet appartement ou bien se débarrasser de ses affaires qui sont les restes de sa vie antérieure qu’elle a tendance à idéaliser ?

Je recentre l’entretien.

 

Moi : que faites-vous après ?

 

Nina : Je fume sur le balcon pour ne pas l’emmerder. Puis, elle veut que je

fasse la poussière. ça ne me gène pas, mais avec elle ce n’est jamais bien fait. Avant, j’aimais le faire mais maintenant je m’en fous royalement.

 

Le changement dû à la maladie s’est porté aussi sur les habitudes de vie. Même si son domicile n’était pas toujours très investi et donc pas toujours très propre, elle, maniaque du ménage au bloc opératoire de l’hôpital, est aujourd’hui, assez insensible à son environnement.

J’imagine Nina dépoussiérant avec une irritante lenteur les quatre meubles de l’appartement.

Nounou ne peut être que perturbée par cette femme qui ne recherche plus que la jouissance du moment présent et qui se laisse porter en grande partie.

 

Nina : Puis je fume une cigarette en attendant midi

 

Dérangée par la fumée ou dans le désir de recherche d’un meilleur état de santé, Nounou a du mal à accepter les cigarettes. Ces dernières deviennent des objets de chantage, et donc forcément source de conflit.

 

Nina : Nous mangeons ensemble, le repas est toujours bon, mais elle m’oblige à

 manger alors que je n’ai pas faim. Alors je mange quand même.

 

Nounou a le sens du travail bien fait. Elle cuisine des repas équilibrés qui lui prennent beaucoup de temps. Manger équilibré n’est pas forcément ce dont Nina a le plus besoin, d’ailleurs, à l’hôpital, elle ne mange pas souvent à midi et l’équipe le tolère.

 

Moi : Et à l’hôpital que faîtes-vous de plus.

 

Nina : Là-bas, je me sens plus chez moi, j’en fais plus qu’ici. J’écris à ma mère.

Je lave du linge, je fume volontiers mes clopes.

 

Nina ose enfin dire qu’elle ne se sent pas chez elle dans son propre appartement. A l’hôpital, le règlement est plus souple et personne ne l’empêche de fumer. Par contre elle n’y est pas plus active mais c’est probablement une façon de dire qu’elle est mieux là-bas.

 

Moi : Comment se passe le reste de la journée.

 

Nina : Elle m’oblige à faire la sieste : « Repose-toi un moment » me dit-elle.

 

En général, elle ne fait pas de vraie sieste. Tout au plus elle s’endort dans un fauteuil dans la salle commune. Mais peut-être que Nounou a besoin de repos. Passer quatre jours complets sans quitter Nina demande une telle énergie qu’il n’est pas difficile de comprendre ce besoin de souffler un peu en milieu de journée.

 

Moi : Et puis ?

 

Nina : Nous sortons.

 

Elles ont le choix.  Soit elles viennent nous voir au centre médico-psychologique où Nounou laisse Nina, soit elles vont à la maison de retraite, soit au cimetière.

Se promener en voiture pour retrouver les coins qu’elle a connus, mais aussi à pied dans la rue piétonne sans oublier le petit café et la cigarette au bar sont les petits plaisirs de Nina.

 

Nina : Nous retournons à la maison vers 17 h 30 et là je m’emmerde, je fume.

Nounou prépare le repas. Je vais me coucher de bonne heure car de toute façon ce n’est pas    moi qui choisis le programme de télévision.

        

Selon Nounou, son plaisir est de regarder Star-Academy. Etonnant, cette différence de version  sur le programme télé, presque comme un vieux couple. Le rapport entre les deux n’est manifestement pas un rapport soignant / soigné.                      

Moi : Nina vous savez que nounou arrête son travail à la fin du mois.

         Comment voyez-vous l’avenir ?

 

 Nina : Après Nounou, il faut quelqu’un d’autre.

Je resterai toujours ici, mais je ne sais pas où j’en suis en fric.

 

Elle ne montre aucune émotion vis à vis de ce changement de vie.

Etait-ce par manque d’investissement affectif ou au contraire un soulagement ou bien les deux ? En fait, Nina est redevenue enfant, (ou peut être l’a-t-elle toujours été) elle est très centrée sur elle-même et sa problématique.

Je suis étonnée qu’elle se souvienne parfaitement du souci économique que nous avons évoqué avec la tutrice.

 

Moi : Pensez-vous que nous pouvons vous laisser seule par moment,

la nuit par exemple ?

 

Nina : La nuit, si on me laisse j’ai peur. J’ai peur de faire des bêtises.

Je me sens plus chez moi à l’hôpital. Mais je me plais ici car je peux aller voir ma mère et aller sur la tombe de Ken (son fils).

 

Elle l’appelle toujours son fils par son prénom. Il est toujours bien vivant dans sa mémoire. Un peu comme, après l’ablation de son membre, l’amputé le ressent encore présent, voire douloureux.

 

Nina : Je voudrai un autre lieu avec un jardin, même merdique pour avoir un

Walsh terrier. C’est un chien, j’en ai déjà eu un et il s’est laissé mourir peu de temps après mon fils.

 

Cette évocation du chien me laisse perplexe. Après avoir consulté des soignants qui l’ont connue en d’autres temps, il s’avère qu’un lien pourrait être fait avec son fils. Souvent, elle traitait son fils de « belle bête ». Il est vrai que je ne connais Ken que par son physique. Elle me l’a toujours décrit comme un beau gosse comme si rien n’existait d’autre que son corps. Penser qu’un lien de l’ordre de la jouissance existait entre eux n’est alors pas exagéré.

 

Moi : Vous savez que nous réfléchissons en équipe, pour votre devenir, mais

nous ne voulons rien décider sans votre accord,  d’où l’intérêt de notre conversation.

 

Nina : Pendant quelque temps, je ne veux pas rester seule. J’ai peur de faire

des conneries, de me tuer.  Quand je pense à l’homme qui a tué mon fils, ça me poignarde. Des fois, je pense à payer quelqu’un pour tuer le gars qui a tué mon fils.

         Deux ans et demi de prison c’est insuffisant.

 

Evoquer le désir de détruire l’assassin de son fils est fréquent chez elle. Mais c’est la première fois, qu’elle évoque la peur de se tuer. Cette idée est-elle ancrée ou était-ce un moyen de nous interpeller, nous les soignants.

Malgré tout, je ne relève pas, je suis embarrassée. Depuis, c’est une phrase qu’elle n’a plus répétée, mais qui reste énigmatique dans le sens où elle n’a jamais vraiment fait d’appel au secours de cet ordre, ni de tentative de suicide.

 

Moi : Pour le projet, nous essaierons de rester au plus près de votre demande.

         Mais vous savez, nous avons des contraintes économiques.

 

Nina : ça me fait rien qu’on vende mon ancien appartement pour acheter

quelque chose ici avec un jardin.

 

Moi : Vu le contexte immobilier, ce ne sera pas une mince affaire.

         Si vous voulez bien nous reparlerons de tout ça mardi avec mes collègues

des autres équipes.

         Voulez-vous boire quelque chose ?

 

Nina : Vous reste t-il du café ?

 

Nina part s’asseoir dans le salon. Je lui sers son café puis elle reste là une bonne heure sans avoir la moindre demande ni échanger la moindre parole.

 

III - Nounou réagit

 

Vers dix sept heures, arrive Nounou. Cette dernière s’installe dans un fauteuil, elle a visiblement envie d’être écoutée.

Alors je m’assoie en face d’elle et j’attends.

Il s’en suit alors une vague de reproches (qui ne veulent pas l’être) sur l’équipe.

 

Nounou : je ne suis pas écoutée.

Personne n’a pris en compte la difficulté de vivre avec Nina.

Au début, je n’ai jamais été informée de sa pathologie.

 

Ceci est tout à fait exact. Elle s’est retrouvée à prendre en charge une patiente avec très peu d’informations à son sujet. L’équipe était tiraillée entre le secret médical et l’information à donner. Bien sûr, le médecin l’a rencontrée plusieurs fois, mais sa formation peu adaptée et son inexpérience pour ce genre de pathologie ont compliqué la situation.

 

Nounou : Vous savez, Nina ne fait que ce qu’elle veut. Elle ne percute pas.

Si je veux être écoutée, je lui supprime ses cigarettes et alors elle m’écoute car elle veut récupérer son paquet de cigarettes.

 

Ceci est un exemple de manque de professionnalité Elle considère Nina comme une enfant à qui l’on propose une récompense si elle est bien sage.

 

Moi : êtes-vous sûre que c’est la bonne méthode ?

 

Nounou : vous ne vous rendez pas compte du travail que cela représente d’être

 en tête-à-tête avec Nina.

 

Et voilà. Ce que j’avais déjà perçu, c'est-à-dire une sorte de méfiance voire de colère contre l’équipe commence à sortir. J’entends derrière ces mots tout le désarroi de Nounou.

Je voudrai faire avancer la situation, mais elle est sur la défensive et je ne sais pas comment m’y prendre.

 

 

Moi : j’ai essayé de comprendre et j’ai demandé à Nina de me raconter ses

journées ici.

 

Maladresse ou honnêteté de ma part ? En tout cas, je vois Nina se recroqueviller, s’enfoncer dans le fauteuil, elle n’ose plus regarder Nounou. De temps en temps, elle esquisse un sourire.

 

Nounou : que vous a-t-elle dit ?

 

Moi : Elle m’a raconté comment se déroulait une journée.

 Mes collègues et moi avons besoin de comprendre aujourd’hui pour mieux préparer demain.

 

Je regarde Nina et tente de lui demander ce qu’elle pense de tout ça, mais je sens vite que je la mets mal à l’aise, alors je n’insiste pas.

 

Nounou : Nina devrait avoir des massages.

Le soin par le corps est aussi important que par la parole.

 

Ma petite voix intérieure me dit qu’elle ne fait pas confiance à l’équipe. Elle a envie de nous dire comment il faut travailler, mais tente d’être diplomate.

 

Moi : quand vous l’aidez à prendre le bain, vous arrive-t-il de lui masser le dos.

 

Nouvelle erreur de ma part, car j’obtiens le résultat inverse de celui escompté, je déclenche d’autres reproches.

 

Nounou : ce n’est pas mon travail, j’en fais assez comme ça. (silence)

         Je ne suis pas soutenue.

         L’équipe ne m’écoute pas. (silence)

         Nina aurait besoin de massages, de quelqu’un qui s’occupe d’elle

autrement.

 

Moi : j’ai entendu, ne vous inquiétez pas je parlerais de vos suggestions au reste de l’équipe.

 

J’essaie d’interrompre l’entretien car je suis dans une impasse. Mais Nounou ne peut en rester là. S’en suit alors une diatribe verbale concernant les soignants, les difficultés à prendre des décisions, la lenteur de réaction, le manque d’écoute.

Je tente vainement de lui expliquer que nous ne décidons jamais seul, que nous faisons un travail d’équipe, que nous pratiquons une thérapie institutionnelle et que nous devons prendre en compte divers paramètres comme notamment les prescriptions médicales, les contingences matérielles, sociales et économiques. Elle ne m’écoute absolument pas. Je la sens persécutée. (Une de mes collègues qui ne participe pas à la conversation mais qui entend tout d’une autre pièce a le même ressenti). J’essaie de la rassurer sur la qualité de son travail afin de pouvoir réfléchir ensemble sur l’avenir, mais mes efforts sont vains. Elle se sent jugée, incomprise. Depuis le début de cette prise en charge, nous ne sommes pas parvenues à travailler en équipe avec elle et du coup, elle se sent exclut.

Cela nous donnera d’ailleurs, par la suite, l’occasion de réfléchir sur l’accompagnement des personnes qui interviennent à domicile pour nos patients.

 

Nous nous quittons sur ces paroles d’incompréhensions mutuelles non sans prendre rendez-vous pour la prochaine fois.

 

 

 

 

 

 

 

 



I- Notions de concept

 

Pour commencer cette étude, il me semble important de comprendre ce que signifie le terme : concept.

 

Si je m’en tiens à la conception du « Grand dictionnaire de la Psychologie »[3] : « Unité cognitive, liée en mémoire à un mot ou à une expression et sous laquelle peut être regroupée une classe d’objets, d’évènements, de relations etc., qui possèdent des éléments ou des propriétés en commun. »

 

Cette définition étant encore trop imprécise, j’ai poussé plus loin ma lecture et trouvé une extension pour la psychologie cognitive qui me semblait éclaircir un peu plus, le sujet [4] :

« un concept est d’abord une représentation individuelle, une unité cognitive présente dans l’intellect, c’est à dire, en principe dans la mémoire cognitive d’un sujet particulier. Mais comme le support en est normalement un mot ou une expression, le contenu d’un concept est toujours, pour un sujet donné, « partagé », au moins partiellement avec les autres, parlant la même langue et susceptibles de communiquer avec lui. »

 

En fait, un concept est un mot ou un ensemble de mots qui ont un lien entre eux, qui peut ou peuvent être regroupés en système et en partie discutés avec d’autres. Il repose donc sur la communication orale et donc l’expression d’une idée. En général, une table ou tout autre objet palpable ne peuvent être considérés comme un concept il faut donc rajouter la notion d’« abstraction » à notre définition.

 

Mais comme rien n’est simple, dans l’art conceptuel les artistes font apparaître des objets usuels et les sortent de leur contexte pour en faire ressortir leur coté abstrait, soit en les insérant dans des sites inhabituels (une télévision en plein milieu d’un désert) soit en les associant avec d’autres objets avec lesquels ils sont rarement associés (une bouée et un couteau). Dès lors ces objets deviennent des concepts car ils facilitent la réflexion au niveau du sens.

 

Mais arrêtons notre définition des notions plus usuelles. Le concept nous permet de poser les bases du discours et être ainsi certain qu’on parle tous du même sujet. C’est un outil de pensée qui aide à relier et à discerner. Il peut être soit fédérateur soit diviseur mais dans tous les cas il donne un sens à ce qui est dit.

 

Prenons comme exemple ce cas clinique et nous trouverons entre autres : la relation d’emprise, la cigarette et le soin, l’effet miroir, le contre-transfert, l’institution.

 

Toutes ces notions, certes importantes, ne prédominent pas chez Nina. Le deuil non fait, étudié dans les paragraphes suivants est certainement une des clés de sa pathologie.

 

 

II - Le deuil

 

Avant de parler de toutes les formes de disfonctionnement il est intéressant de comprendre dans quelles conditions le deuil est dit « normal. »

 

1.     Le deuil normal

 

a. Définition

 

Pour S. Freud dans Deuil et mélancolie 1915-1917 :

« Le deuil est régulièrement la réaction à la perte d’une personne aimée ou d’une abstraction mise à sa place, la patrie, la liberté, un idéal etc. (…)

Il est aussi très remarquable qu’il ne nous vient jamais à l’idée de considérer le deuil comme un état pathologique et d’en confier le traitement à un médecin, bien qu’il s’écarte sérieusement du comportement normal. Nous comptons bien qu’il sera surmonté après un certain laps de temps et nous considérons qu’il est inopportun et même nuisible de le perturber. »[5]

 

Cette définition qui a servi largement comme référence dans de nombreux ouvrages parle de la notion de « perte » c’est à dire qu’elle concerne non seulement la disparition de quelque être cher, mais aussi aborde un sens plus large et se réfère à une idée ou un concept dont l’individu peut avoir à se soustraire. Ainsi le prisonnier doit-il faire le deuil de sa liberté. Freud précise que cette notion de perte est le plus souvent vécu sans déclenchement d’aucune manifestation maladive, le temps étant le plus souvent le meilleur remède.

 

A ce sens très large du deuil, le Docteur Marc Louis Bourgeois dans Neuropsy[6], ajoute une précision « c’est un comportement et une réaction consécutifs à la perte d’un « autre significatif », tel qu’un conjoint, un parent, un enfant, un proche, un être aimé ». Il écarte tout sens figuré du deuil et prend uniquement la notion de perte d’un être cher.


Mélanie Klein[7], dans « Le deuil et ses rapports avec les états maniaco-dépressif » présente « la mort en un persécuteur qui ébranle aussi la foi du sujet dans ses bons objets intérieurs ».

 

A la notion de disparition, évoquée plus haut elle ajoute, une modification momentanée de la personnalité qui est secoué par l’épreuve et qui met à mal les fondements profonds de l’individu qui a perdu l’être aimé. Ce dernier devra alors passer par une période d’agitation pour retrouver notamment des qualités cités par le même hauteur comme « la bonté, la solidité et la sécurité ».

 

Dans « l’encyclopédie du savoir absolu »[8], Bernard Werber, fait remonter la première angoisse de deuil à l’âge de huit mois. A cet âge, le bébé souffre de l’absence de sa mère qui s’accompagne de la peur de ne plus la voir revenir. Le tout est accompagné de la prise de conscience difficile que le monde lui échappe mais dans le même temps il découvre le plaisir que peut engendrer l’autonomie.

 

La mort, c’est donc la question du manque. Mais paradoxe de ce dernier, c’est justement lui qui nous fait avancer.

 

Cette expérience de perte universelle peut affecter les proches et engendrer des conséquences sociales, économiques et financières. Ce qui explique le stress important voire majeur et les manifestations physiques et psychiques qui en découlent.

 

b. Les  signes cliniques

 

Les études de Clayton[9] listent les symptômes les plus fréquents liés à la perte d’un conjoint : « les pleurs, les troubles du sommeil, la baisse de l’humeur, la perte d’appétit, la fatigue, la perte de mémoire, la perte d’intérêt, les difficultés de concentration, l’amaigrissement, la culpabilité, l’agitation, l’inquiétude, l’irritabilité, les désirs de mort, le désespoir, les hallucinations, les idées suicidaires, la peur de perdre la raison, les idées d’inutilité. »

 

A ces signes il ajoute un critère indissociable celui du temps et précise qu’au plus les symptômes sont présents dans le mois qui suit le deuil, au plus ils seront persistants un an après.

 

Il est intéressant de noter, que ces manifestations sont proches de celle de la mélancolie pour laquelle il manquerait principalement l’auto-dépréciation et la perte de l’estime de soi.

c. Les différentes phases

 

Certains auteurs, comme S. C. Jacob[10] classe ces différents signes en stades. Il existerait quatre phases du deuil :

 

- une phase de l’annonce qui s’accompagne souvent d’incrédulité, surtout si la mort est subite et de cauchemars. Elle dure une à deux semaines,

 

- une phase de désespoir avec des manifestations dépressives telles que les pleurs, les angoisses compulsives et les « comportements de recherche », qui va se prolonger pendant deux mois environ,

 

- une phase d’adaptation souvent appelée « phase de deuil proprement dit » pendant laquelle se mélangent souvenirs, culpabilité, regrets et colère,

 

- enfin une phase d’acceptation avec diminution du syndrome anxio-dépressif et  élaboration de projets qui permettront d’appréhender l’avenir autrement.

 

Ces stades peuvent varier selon les individus, et se chevaucher les uns les autres. Les cauchemars, par exemple, peuvent se retrouver dans toutes les phases, ainsi que les pleurs ou la culpabilité, mais l’auteur, parle de traits dominant.

 

Le docteur Elisabeth Kübler-Ross a aussi déterminé des stades mais se sont ceux de l’acceptation de sa propre mort. Il est intéressant de constater qu’il existe une grande similitude entre le deuil de sa propre vie et la perte d’un être cher. Elle distingue ainsi dans « La mort  dernière étape de la croissance »[11] :

 

-         tout d’abord la « dénégation » de la maladie qui peut se rapprocher de la phase d’incrédulité citée plus haut,

 

-         la rage et la colère que l’on retrouve également mais dans la période d’adaptation,

 

-         le marchandage qui n’est pas cité dans la phase après la mort puisque plus rien ne peut être discuté, sauf en cas de délire de résurrection,

 

-         la dépression qui est récurrente et commune aux deux périodes,

 

-         l’acceptation qui finit toujours par prendre le dessus sauf si nous sommes dans un deuil pathologique.

 

 

Bien entendu ces étapes ne sont pas identiques pour tous, que ce soit dans la durée, dans l’intensité ou dans la chronologie, mais il est important de savoir les identifier pour pouvoir, dans la mesure du possible accompagner l’endeuiller. A chaque instant peut aussi apparaître le désir de s’isoler soit par pudeur et désir de ne pas montrer sa peine ; soit par impossibilité de communiquer, c’est le repli sur soi ; soit par fatigue : la perte entraîne des modifications et des excitations internes qui sont consommatrices d’une énorme énergie.

 

Selon John Bowlby[12] « les changements psychologiques qui suivent habituellement la détresse prolongée due à la séparation ne sont autres que le refoulement, le clivage et le déni. » Rappelons que ces trois points sont des mécanismes de défense dont le rôle principal est de permettre au sujet de se protéger de la souffrance issue de ses conflits internes. Par le refoulement, cette dernière est enfouie à l’intérieur de soi, ce qui n’en exclue pas un retour ultérieur en cas de danger ou de fragilité excessive ; par le déni, la perception traumatisante est refusée au profit parfois d’une toute puissance interne ; par le clivage du moi, rarement dissocié du déni, il y a fractionnement du moi qui occasionne un fractionnement de la réalité et donc de l’objet pour permettre une meilleure gestion de l’angoisse.

 

Ces phases de deuil « normal » peuvent se prolonger dans une étape que l’on pourrait qualifier de « compliqué » où le sujet peut sombrer dans une période de dépression profonde où les pensées suicidaires sont fréquentes et les passages à l’acte nombreux. Cette période, demande de la part de l’entourage, une surveillance rapprochée mais qui reste souvent difficile dans la mesure où le sujet n’exprime pas forcément ses idées noires.

 

Tous ces phénomènes sont donc qualifiés de « non pathologiques» quand ils surviennent dans des conditions habituelles. Voyons ce qui se passe dans d’autres cas.

 

2.     Le deuil traumatique

 

Dans le DSM-III il existe un état de stress post-traumatique dénommé : PTSD (post-traumatic stress disorder). Il est défini comme un événement repérable dans le temps et où l’individu a pu voir la mort de près, soit par mort subite, soit par accident, soit par agression physique, soit par catastrophe naturelle qui a pu toucher un inconnu, un proche ou lui-même. Ceci sous-entend qu’est exclu le deuil lié à une mort survenue à la suite d’une longue maladie.

 

Cité dans Neuropsy[13], les signes cliniques du deuil traumatique sont :

« la détresse de séparation avec les pensées intrusives concernant le défunt, le désir intense de sa présence, la recherche de cette personne disparue, et un sentiment immense de solitude… et la détresse traumatique : perte de projet pour l’avenir, et sentiment de futilité concernant le futur ; un sentiment d’obscurcissement, de détachement et d’émoussement des affects ; l’impossibilité d’admettre le décès ; un sentiment de vide et d’absurdité, le sentiment qu’une partie de soi est morte ; un éclatement du monde avec une perte du sentiment de sécurité, de confiance et de contrôle ; des symptômes ou des comportements préjudiciables comparables à ceux que présentait la personne décédée ; une aigreur et une irritabilité excessives ou une colère pour tout ce qui concerne la mort. Ces symptômes vont durer au moins deux mois. »

 

Nous voyons d’ors et déjà que les signes cliniques du deuil « normal » sont majorés et associés à d’autres caractéristiques moins présentes comme la difficulté à admettre la perte et à se projeter dans l’avenir ainsi que la perte de la confiance en la vie tant l’événement est subit et donc traumatisant.

Le stress subit lors de ces évènements est considéré, par les spécialistes comme le « stresseur » le plus important que l’homme ait à subir.

Les répercutions sont considérables sur tous les plans qu’ils soient affectifs, familiaux, sociaux, professionnels et demande une faculté d’adaptation à laquelle l’individu n’a probablement jamais du faire face au préalable, sauf évidemment dans le cas d’un autre deuil.

 

Lors de ces évènements, il existe comme un arrêt sur image, que l’endeuiller devra surmonter pour accéder au dépassement du choc traumatique. Dans le cas contraire, il va doucement basculer dans un état de malade.

Voyons donc ce qui se passe lorsque ces signes sont toujours présents plusieurs mois voir plusieurs années après.

3.     Le deuil pathologique

 

Dans le cas du deuil pathologique, la souffrance occasionnée par la perte d’un être cher, met en œuvre des mécanismes de défense qui sont inappropriés, et la personne va sombrer, avec le temps, dans la maladie mentale. Cette dernière peut prendre plusieurs formes comme, par exemple, une psychose maniaco-dépressive avec une négation marquée de l’événement, un deuil obsessionnel avec une ritualisation accentuée du quotidien ou une hystérie s’accompagnant d’un théâtralisme avec par exemple refus de se séparer des vêtements du défunt et maintient des habitudes de vie communes.

 

Dans Deuil et mélancolie[14], Sigmund Freud fait le parallèle entre la souffrance occasionnée par le deuil et celle de la mélancolie.

Il en résulte une conclusion « Des trois conditions présupposées par la mélancolie : perte de l’objet, ambivalence et régression de la libido dans le moi, nous retrouvons les deux premières dans le cas des reproches obsédants après un décès. »

Les caractéristiques dominantes de la mélancolie et du deuil sont donc l’abattement douloureux lié à la perte ainsi que la perte de l’intérêt du monde extérieur et une inhibition de l’activité à la fois motrice et intellectuelle mais avec une notion particulière à la mélancolie qui est à la fois la perte de l’estime de soi et de la libido. La personne perd en même temps que l’être aimé sa capacité à aimer les autres et soi-même. Elle perd donc une partie d’elle-même.

Il peut même, d’après Freud, exister une « aversion morale du malade à l’égard de son propre moi », le malade renverse les critiques qu’il avait envers le défunt contre lui-même et ses auto-reproches sont en fait des paroles dépréciatives contre un autre. C’est pour cette raison d’ailleurs que le mélancolique n’hésite pas à étaler ses griefs contre lui-même et va jusqu’à exprimer de la colère qui n’est en autre qu’une colère envers le défunt qu’il se permet de manifester puisqu’elle se dirige contre lui-même.

Il est à noter que l’absence de deuil peut être aussi pathologique. Au bout de plusieurs jours, voire plus, l’endeuiller n’a manifesté aucun des signes cités plus hauts. Ce qui ne signifie pas qu’il n’éprouve rien, mais plutôt qu’il a enfoui sa peine au plus profond de lui-même et que celle-ci pourra ressortir au décours d’une autre situation douloureuse ou bien d’une manifestation dépressive tardive.

 

 

III - Neurobiologie de l’état de stress

 

Sans rentrer dans les détails, une étude neuro-biologique post-traumatique a permis de déterminer les conséquences biologiques de l’état de stress. Ainsi, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) a révélé tout d’abord, une diminution de la taille de l’hippocampe ce qui pourrait à lui seul expliquer les troubles de la mémoire, mais ce n’est pas la seule. On a pu constater également une diminution de l’activité du cortex ainsi qu’une baisse des agents chimiques comme le taux de cortisol et une augmentation des catécholamines. D’autres études sont en cours pour montrer s’il en était besoin de l’incidence du psychique sur le physique.

 

Il est donc intéressant d’identifier les différentes excitations cérébrales liées au stress du deuil, que ce soit sur le plan des psychothérapies en place, de la pharmacopée dont on dispose ou des moyens socio-éducatifs et ceci afin de pouvoir mettre en place, des stratégies de soins qui n’ont pas, encore à ce jour, été vraiment élaborées. Souhaitons que suffisamment d’observations et de statistiques puissent nous aider à comprendre la conduite à tenir dans ce genre de pathologie.

 

 

IV - La névrose obsessionnelle

 

1. Le lien

 

Il existe un lien entre la névrose obsessionnelle et le deuil non fait. En effet selon Freud : «  là où la prédisposition à la névrose obsessionnelle est présente, le conflit ambivalentiel confère de ce fait au deuil une forme pathologique et le force à s’exprimer sous la forme d’auto-reproches selon lesquels on est soi-même responsable de la perte de l’objet d’amour, autrement dit qu’on l’a voulu. »[15] Il était donc indispensable pour bien comprendre notre cas clinique de compléter notre étude par ce type de dysfonctionnement.

 

2.     Le caractère obsessionnel

 

Comme toute névrose, les troubles obsessionnels se développent dans l’enfance et dans ce cas précis au stade préœdipien. En effet, la relation œdipienne n’a pu se faire du fait de l’absence du père « symbolique » ou non et l’enfant n’ayant pu trouver de tiers qui l’aide à se distancier de la relation fusionnelle avec sa mère, reste fixé au stade anal. Le père absent est alors idéalisé.

 

Il va alors osciller entre le désir d’offrir une partie de lui-même (ses excréments) en sacrifice à la personne aimé et se retenir par plaisir, par jouissance mais aussi par opposition à la mère. Cette fixation à ce stade, et l’importance non dépassée, donnée aux matières fécales, fixent les notions de passivité et d’activité, de contention et de maîtrise. Ceci va conférer un trait de caractère très présent chez l’obsessionnel c’est à dire l’obstination. L’enfant obsessionnel met en place des défenses excessives du moi et dans le même temps invente des stratèges pour les contourner ce qui l’enferre dans des systèmes de fonctionnement disproportionnés et donc épuisants.

A l’attirance vers la saleté et tout ce qui la caractérise, il oppose une maîtrise de lui-même qui s’étendra vers d’autres centres d’intérêt qui pourront être un ordre sans faille, une attirance pour les comptes et un désir d’économie allant presque jusqu’à l’avarice, enfin une personnalité entêtée qui pourra l’entraîner vers des colères et des disputes sans fin. Ce désir de perfection, peut l’isoler car il a tendance à éliminer toute personne qui ne fonctionne pas comme lui. Le clivage fait partie de la personnalité obsessionnelle. Il est à la fois victime et bourreau.

 

Selon M. FISHMAN-MATHIS[16] il existe deux grands modes d’évolution de ce type de névrose « l’un, lentement, progressif et monotone…avec aggravation de la gêne à l’adaptation sociale, l’autre paroxystique où les crises d’obsessions sont souvent accompagnées de phobies… ». A priori, le premier exemple serait plus grave et « dans les cas les plus défavorables, l’angoisse de l’obsédé devient de plus en plus lancinante. Le martyre qu’il subit et fait subir à l’entourage devient insupportable. »

 

On comprend alors mieux les difficultés de l’obsessionnelle à ne pas sombrer dans la mélancolie. L’énergie qu’il met en place est si importante que lors d’un traumatisme comme la perte d’une personne aimée il n’a plus de ressource pour pouvoir faire face et ses mécanismes de défense s’effondrent.

 

Ces phénomènes ne peuvent être qu’aggravés par un traumatisme crânien et un coma qui, à leur tour, vont augmenter la fissure de la personnalité.

 

Tout ceci concerne tout particulièrement notre cas clinique mais il manque un élément qui fait partie intégrante du « cas Nina », c’est à dire les conséquences somatiques liées à l’accident et les séquelles encore bien présentes à ce jour même si on ignore quel en est véritablement l’origine.

 

 

IV – Le traumatisme crânien

 

 

Complétons donc notre étude sur les conséquences d’un traumatisme crânien sur la personnalité d’un individu afin de déterminer quelle est la part liée à la perte d’un être cher et quelle est la part liée au choc accidentel. L’une étant plus « soignable » que l’autre.

 

Avant d’aller plus loin, commençons par définir le sujet :

 

Il y a habituellement traumatisme crânien lorsque qu’on se trouve en présence d’une atteinte cérébrale caractérisée par une destruction ou une dysfonction du tissu cérébral provoquée par contact brusque.

 

Il peut s’en suivre une période de comas qui peut aller de la confusion légère à l’absence d’éveil ou au coma profond.

 

Les séquelles d’un traumatisme crânien et d’un coma sont variées. Sur le plan somatique elles peuvent aller de l’hémiplégie, aux mouvements involontaires des membres avec des pertes d’équilibre, à la diminution de tous les sens (odorat, goût, vue, ouie et toucher) jusqu’aux crises d’épilepsie.

 

Sur le plan neuropsychologique, le plus notable est la perte mnésique dont la conséquence la plus prégnante est la diminution de la sensibilité aux évènements et aux êtres chers une sorte de stérilisation de l’affectivité avec mise à distance de l’objet de l’amour.

 

L’accident peut en outre engendrer une diminution de la compréhension et de l’expression, avec des lenteurs, des difficultés à organiser ses activités, et à s’orienter dans l’espace, des problèmes d’attention et de concentration, une perte de raisonnement logique. A cela, peuvent s’ajouter des désordres sur le plan affectif avec des variations de l’humeur, une irritabilité, une diminution du contrôle émotif, une agressivité et une impulsivité, des attitudes dépressives et une désinhibition[17] pouvant aller jusqu’à l’encensement de la saleté et  l’obscénité.

A la suite de cette étude, il est difficile, de savoir quels signes cliniques relèvent du deuil et lesquels relèvent du choc accidentel et du coma. Si ceci peut être fort intéressant d’un point de vue épidémiologique, il l’est également sur le plan de la prise en charge même s’il est difficilement envisageable de réparer les cellules détruites.

 

 

V - Le deuil traumatique chez Nina

 

 

L’éclairage donné par l’étude conceptuelle du deuil traumatique nous permet de faire des parallèles avec les symptômes montrés par Nina.

 

Si nous avons de sérieuses difficultés à déterminer précisément sa personnalité antérieure à l’accident, nous avons des signes à ce jour qui révèlent encore des traits de caractère obsessionnels.

 

En premier lieu, l’appartement où elle résidait avant d’être hospitalisé est envahi d’objets en tout genre n’ayant le plus souvent aucune valeur. Cela passe de bibelots en porcelaine et de bouteilles en verres de toutes formes, aux petits parapluies et jeux en papier divers distribués avec les glaces dans les bars, à des crèmes de beauté que nous avons retrouvés en quantité quand nous avons nettoyé son logement et cette liste n’est pas exhaustive…

 

Un autre signe, est donné par ses collègues. En effet,  ils  attestent de la qualité de son travail au bloc opératoire : les tâches répétitives, les multiplications de contrôles, l’ordre, la propreté, le suivi de la réglementation à la lettre, le souci du détail font d’elle une employée modèle.

 

Enfin, il est facile de remarquer certains de ses actes ritualisés comme la prise de cigarettes mais ce n’est pas là le plus marquant. Sa tendance à répéter de façon récurrente, les mêmes phrases est très agaçante pour son entourage

 

De plus si l’on considère avec Freud[18] «..l’entêtement tourne au défi auquel se rattache la tendance à l’emportement et l’esprit vindicatif », il est clair que cette aspect de personnalité est très présent chez Nina qui a par moment du mal à retenir ses colères et ses critiques vis à vis de Nounou. Elle sait parfaitement maintenir des positionnements ferme allant jusqu’à l’entêtement lorsqu’elle désire quelque chose même si cela doit s’accompagner de « tu sais je ne suis pas méchante ».

 

C’est donc probablement sur une personnalité obsessionnelle que le drame a du s’ancrer et devenir pathologique. En effet, les mécanismes de défense mis en place dès l’enfance et demandant une énergie importante, n’ont pu résister au choc émotionnel doubler d’un choc traumatique suivi d’un coma. Sa personnalité s’est alors effondrée et il est difficile, en vérité, de savoir quelle part est liée au deuil pathologique et laquelle au choc traumatique.

 

Mais pour mieux comprendre faisons un retour sur le passé avec les données dont on dispose.

 

Parenthèses : la suite, de ce texte mériterait d’être au conditionnel, mais pour plus de légèreté je l’ai laissé au présent, en sachant bien que tout ceci, même si cela semble cohérent, reste des suppositions. Mais elle permet un éclairage sur le passé de Nina qui peut aider à la réflexion.

 

Nous savons que le caractère obsessionnel organise ses défenses à partir d’une régression partielle du conflit œdipien au stade sadique-anal.

 

Nina est élevée par sa mère. Elle ne rencontre son père qu’à onze ans. Cela signifie que la phase œdipienne ne peut se réaliser correctement. En effet, pour qu’un enfant naisse humainement il doit naître de la mère mais aussi du père, au moins symboliquement. On sait, par exemple, que la forclusion du nom du père entraîne les psychoses. Au moment de l’œdipe, le père doit séparer la mère de l’enfant pour instaurer une relation à trois. Or justement, ce foyer est dépourvu de cette présence masculine et symbolique. La séparation de la mère et de l’enfant ne peut pas se produire, les relations restent en grande partie fusionnelles et une faille en découle. La structure névrotique de Nina se fixe au stade pré-œdipien avec donc une régression au stade anal. Rappelons qu’à ce dernier point, l’enfant fait l’apprentissage de la propreté, mais aussi il s’éloigne des aspects masochistes et sadiques de la personnalité.

 

En grandissant, il est indispensable que Nina ait un comportement adapté. Elle se développe sans avoir vraiment intégré les différents stades et les « compromis réalisés s’avèrent particulièrement coûteux et produisent un équilibre précaire en raison de la pression importante des pulsions inconscientes. Des stratégies défensives, de plus en plus contraignantes, entravantes et épuisantes, sont alors nécessaires ». J. Sarrazin[19].

 

En fait, il y a conflit d’intérêt entre le « ça » qui demande l’assouvissement de ses désirs et le « surmoi » qui pose les règles et engendre de la culpabilité s’il n’est pas entendu. L’angoisse, née des conflits intérieurs entre pulsions éroto-anales et adaptation sociale nécessaire, engendre des mécanismes de défense pour éviter que l’intégrité de sa personnalité s’effiloche. Elle est d’autant plus prégnante que s’ajoute la peur de la pulsion et de l’intensité de la pulsion. Nina pour se protéger l’a déplacée sous la forme d’une attention et d’un amour exagérés pour son fils.

 

Sur le plan affectif elle ne s’adapte qu’en partie, sa relation avec Ken est très ambivalente et même si elle refait sa vie deux fois avec des partenaires qui semblent stables elle n’en parle jamais, comme si ces personnes n’avaient jamais compté dans sa vie. Son fils prend beaucoup de place dans son esprit, elle est complètement dépendante de lui, elle a des difficultés à vivre sans lui. On peut même se demander si inconsciemment elle ne le considère pas comme une partie d’elle-même. Rappelons que le cordon ombilical n’a probablement été jamais réellement coupé. Elle parle de lui en tant que « belle bête » comme si seul son corps physique existait.

Mais ces compensations obsessionnelles ne peuvent résister à l’effondrement dépressif engendré par le décès. Ce phénomène est accentué par le fait qu’elle n’a jamais pu voir son fils mort, pas plus qu’elle n’a pu se rendre à son enterrement, du fait de son coma.

 

Son univers relationnel s’écroule comme un château de cartes montrant la fragilité de ses amitiés et donc de ses affects laissant place à l’indécision voire même par moment à la sidération.

 

Elle souffre également de graves troubles mnésiques qui ne contribuent certes pas à la rassurer. Elle désinvestit le monde extérieur jusqu’à ne plus savoir ni se laver, ni se maquiller au profit d’un monde de rancune de haine vis-à-vis du chauffard qui a tué son fils. Sa pensée laisse la place au passage à l’acte agressif, avec un désinvestissement narcissique, et une dépréciation de soi. Le mot avenir a perdu tout son sens. Sa dégradation est telle que certains soignants se sont posés la question de la nature psychotique de ses troubles.

 

Son passage au pavillon de chroniques  est marqué par le clivage des équipes, dans lequel elle excelle. Elle aime jouer sur le côté bon ou mauvais auquel les soignants répondent en écho. Elle met en difficulté une équipe déjà prise dans des problèmes de place dans l’institution.

La gestion des couches en est un autre exemple : soit elles sont distribuées en excès soit elles sont refusées. Ces demandes incessantes de couches renvoient à tout ce qui touche le bas du ventre, et notamment à ses maux d’intestins.

La violence interne qui l’habite lors de ses premières années asilaires, a pour miroir l’agressivité du personnel. L’inverse n’est-il pas également possible ?

 

Avec l’investissement thérapeutique des nouvelles infirmières, la prise en charge va changer radicalement. L’équipe ne va plus focaliser en permanence sur les couches et redonner la parole à Nina : elle commence à parler de son fils et du fait que la tombe la hante. Elle commence à réinvestir le passé : c’est pourquoi aujourd’hui elle tient probablement et de façon insistance à récupérer, à son ancien appartement, des objets dont elle ne servira probablement jamais comme la séparation de la cuisine en marbre que son fils Ken avait fabriqué.

 

Elle a gardé une tendance à vouloir attirer l’attention sur elle (histrionisme), même si pour cela elle doit avoir recours à du maquillage étalé n’importe comment ou à une présentation d’allure psychotique. Elle sait parfaitement présenter plusieurs tableaux, elle sait passer presque sans transition de la malade psychotique déambulant dans les rues avec un foulard serré sur sa tête et traînant les pieds à celle capable de se maquiller, d’aller chez le coiffeur pour aller par exemple, voir sa mère.

 

Elle sait encore par son attitude exacerber les colères, les tensions et les limites qui peuvent exister chez Nounou. Elle a l’art et la manière de se rendre insupportable. On parle souvent d’effet miroir. Le propre de ce dernier est de refléter une image  et de la restituer devant soi.

Elle a pu, quitter son service de chroniques pour vivre dans un pavillon de post-cure et les infirmiers ont tenté une expérience de réinsertion à domicile. Elle passe quatre jours sur dix dans son appartement en compagnie d’une aide familiale, et le reste du temps elle est à l’hôpital. Elle se maquille correctement, se lave à peu près seule, parle de son plaisir de manger au restaurant et de rencontrer sa mère. Bien sûr son anxiété est encore bien présente, elle ne veut pas rester seule la nuit, elle se sent en sécurité à l’hôpital, elle a encore besoin d’être entourée et cadrée.

 

L’entretien décrit à partir de la page 6, s’est déroulé au mois de mars. Depuis, Nounou a terminé son contrat de travail. Nina est restée vivre « à plein temps » au foyer de Post-cure avec quelques « passages » chez sa mère. Même si les équipes essaient de voir quel serait le meilleur projet à mettre en place, elle ne manifeste aucune demande. Elle est retournée voir sa mère à la maison de retraite et son fils au cimetière une seule fois et ceci sur la proposition d’une infirmière. Elle n’est plus dans un régime asilaire, elle dispose d’un appartement avec une permanence infirmière journalière.

 

La prise en charge consiste donc à mettre un cadre soignant souple avec la patiente au centre du soin. Les repas, les activités servent entre autres, à rythmer les journées, se lier avec les autres patients et replacer les notions d’espace et de temps. Le coiffeur, les vêtements, les balades l’accompagnent dans sa renarcissisation. Les entretiens ainsi que les visites à sa mère et au cimetière l’aident à renouer avec sa propre histoire afin qu’elle puisse faire le lien entre le moi et le surmoi. Ils ne servent surtout pas à faire disparaître les symptômes obsessionnels qui lui tiennent lieu d’identité et qui sont probablement de l’ordre de la jouissance. Cette liste n’est certes pas exhaustive, mais ce n’est pas le but ici de faire un traité sur le soin infirmier.

 

Pour conclure, ce chapitre sur cette étude du cas clinique, je poserais la question : quel intérêt Nina a à être malade ?

Il semble que la seule raison d’exister pour elle maintenant c’est vivre l’instant présent, même si cela doit se poser sur une souffrance ancrée et non dépassée.

Ken mort est plus que jamais une partie d’elle-même, elle reste la seule gardienne de sa mémoire. Il lui appartient pour toujours. Elle peut, tout à loisir, l’idéaliser et garder l’emprise sur lui. Il reste « l’objet » dont elle ne se sépare pas même si parfois elle s’énerve contre celui qui a tué son fils.

 

Les « garde-fous » sont posés par l’institution qui joue le rôle de la fonction paternelle qui lui a tant manqué quand elle était jeune. Elle peut enfin jouir du moment présent « à temps plein » sans être dérangée par qui ou quoi que ce soit. Elle peut téter avec frénésie ses cigarettes. Elle n’a plus à batailler pour maintenir une défense obsessionnelle épuisante, le travail ne la motive plus, elle n’a plus besoin d’afficher une hygiène parfaite. Inutile aujourd’hui, de boucher les toilettes avec ses couches pour mobiliser les soignants.

 

Je terminerai sur une note optimiste. Nina a bien évolué pendant toutes ces années de prise en charge et elle a de plus en plus une conduite adaptée. Il est d’ailleurs bien probable qu’elle termine sa vie dans une maison de retraite où elle ne posera pas plus de problèmes que les autres personnes.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CONCLUSION

 

« Votre effroi face à la mort n’est que ce tremblement du berger lorsque le roi lui fait l’honneur de le recevoir et s’apprête à poser la main sur sa tête.

Or, en allant recevoir l’insigne du roi, le berger ne sait-il pas qu’un frisson de joie s’éveille déjà sous sa frayeur ?

Et pourtant n’est-il pas encore plus conscient de sa peur ? »[20]


 

 

Les difficultés soignantes face à cette prise en charge m’ont permis de poser les assertions suivantes : le soin ne peut être une suite d’actes répétitifs et automatiques. Il est à réinventer chaque jour et pour cela il doit être observé, écrit et parlé afin que l’équipe pluridimensionnelle (je préfère à pluridisciplinaire) et complémentaire puisse intervenir et apporter, chacun à sa mesure, ses découvertes. Chaque élément de la vie quotidienne doit devenir un acte pensé et une source d’interrogation sur le sens caché du discours car une demande peut en cacher une autre. Ne pas répondre dans l’immédiateté, repérer toute nouveauté et tout geste inhabituel est un acte soignant.

 

En écrivant les dernières lignes de ce texte, je me rends compte de la richesse de ce cas clinique et bien au-delà, de la complexité de toute prise en charge. Réfléchir sur les comportements de Nina m’a amenée à me pencher sur les fonctionnements de l’institution, sur la psychanalyse puisque j’ai choisi l’étude de ce point de vue, mais aussi et surtout de me rendre compte que tout ce qu’on raconte de l’histoire d’une patiente passe à travers le filtre de notre propre histoire.

 

Ce que je découvre avec étonnement en fin de parcours c’est le choix du thème par rapport à ma propre vie. Facile d’être attiré par le thème de la liberté, mais de là à penser que cela m’amènerait à travailler sur le deuil, il y a une marge. Et pourtant, la fin de vie de ma mère que je vis dans le même temps que l’écriture de ce mémoire ne peut pas ne pas m’interpeller.

 

De la liberté au deuil : tout un programme. Je n’ai pourtant pas eu de difficultés à faire le lien.

La vie telle que je la conçois est une recherche incessante d’une plus grande liberté d’être.

La mort n’est en soi qu’une fin momentanée, une perte qui permettra un nouvel élan vers autre chose. Faire le deuil c’est accepter de se séparer d’une part de nous même pour construire du neuf.

 

Je terminerais sur cette assertion : chaque jour nous sépare de nos petits conforts et ceci nous aide à la longue, à évoluer dans une plus grande qualité d’être.

 

Je ne peux terminer sans dire merci, non seulement au lecteur, mais à toute l’équipe de formateurs qui nous a accompagnés pendant cette année.

 

 


 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

John Bowlby, « Attachement et perte » collection PUF

 

Sigmund Freud dans « Deuil et mélancolie » 1915-1917 ;

Paru sous le titre de « Métapsychologie » collection folio essai page 146

 

Sigmund Freud dans un article de 1908 intitulé « caractère et érotisme anal »

 

Romain Gary « La vie devant soi » ; collection folio

 

Khalil Gibran « Le prophète » collection j’ai lu page 95

 

« Grand dictionnaire de la Psychologie » édité chez Larousse

 

« L’information psychiatrique » volume 79, N°7, septembre 2003

 

Neuropsy, mars 2003, numéro spécial

 

Soins psychiatrie : « les obsessions » nos 110/111 décembre 89 et janvier 90

 

Internet : http://www.traumacranien.org/mieux/mieuxcom1.htm

 

Dessin de première de couverture : « Psy Cause » page 36 Didier Bourgeois

 

Dessin sur les concepts : « Psy Cause » page 10 Didier Bourgeois

 

Dessin sur la sectorisation dernière de couverture

« Soins psychiatriques » N°235 nov et déc 2004

 

Soins psychiatrie : « les obsessions » nos 110/111 décembre 89 et janvier 90

 

Internet : http://www.traumacranien.org/mieux/mieuxcom1.htm

 

 

 



[1] « l’information psychiatrique » volume 79, N°7, septembre 2003 page 574

 

[2] « l’information psychiatrique » volume 79, N°7, septembre 2003 page 576

 

[3] édité chez Larousse page 156 

[4] idem

[5] Métapsychologie collection folio essai page 146

[6] mars 2003, page 78

[7] cité dans le grand dictionnaire de la psychologie page 214,

[8] page 24

[9] cités par Neuropsy, mars 2003,  numéro spécial, page 80

[10] cité dans Neuropsy, mars 2003,  numéro spécial,  page 79,

[11] page 34 et 35

[12] dans le tome I d’attachement et perte page 29

[13] mars 2003, page 81 

[14] paru sous le titre de Métapsychologie, chez Folio Essai,  page 170

[15] paru sous le titre de Métapsychologie, chez Folio Essai,  page 158

[16] dans soins psychiatrie : les obsessions page 6 décembre 89 et janvier 90

 

[17]inspiré par article sur internet : http://www.traumacranien.org/mieux/mieuxcom1.htm

[18] Article de 1908 intitulé « caractère et érotisme anal »

[19] dans la revue « Soins Psychiatrie » n°110/111 décembre1989 et janvier 1980 page13 colonne 1

[20] Khalil Gibran « Le prophète » collection j’ai lu page 95