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LA DISTANCE THERAPEUTIQUE




Dans la vie de tous les jours, les relations interpersonnelles sont modulées par nombre de séparations virtuelles, à travers le vouvoiement, la position hiérarchique, la tenue vestimentaire, le niveau socioprofessionnel, etc.
A l’intérieur de la relation qui s’établit entre l’infirmier et le patient, il s’instaure également un système de distanciation, se révélant non seulement par le vouvoiement de convenance, mais aussi et surtout par le port de la blouse blanche, l’accès a priori interdit au poste de soin, la prise des repas séparée entre soignants et patients (sauf repas thérapeutiques), etc.
Pour l’infirmier en psychiatrie, que représente la distance ? A partir de quoi cette distance peut elle être qualifiée de thérapeutique? Peut-on parler de «distance » ?
Pour cela, se base-t-on sur ce que veut le soignant, ou le patient ?


Mais d’abord, qu’est ce que la distance ?
C’est un «qui sépare deux lieux, deux choses. Espace qui sépare deux personnes »
.

En soins psychiatriques, il existe une particularité, et non des moindres : le patient est supposé atteint dans son fonctionnement psychique, ce qui constitue d’emblée une distance avec le soignant, supposé « » et en «santé mentale ». La distance avec le patient aurait donc pour fonction première de bien asseoir la place de chacun : d’un côté les soignants, de l’autre les patients.
Comme nous le dit Claude Duménieu, « l’un a une étiquette de soignant, l’autre de malade. Il y a gros à parier que chacun s’adressera à son interlocuteur en tenant compte de ces statuts respectifs. »
La distance revêt alors une connotation négative, n’encourageant pas d’emblée à la qualifier de «érapeutique ». Elle ne doit pas signifier négligence, ignorance ou mépris. Elle doit être considérée dans un sens positif, en tant qu’outil pour la continuité et la stabilité de la relation, en ce sens qu’elle «épare », tout en gardant une approche suffisante pour que le patientne se sente pas «de côté ».
Revenons à la définition de L.M. Morfaux de la relation, précisant que son but est de « diminuer la distance sociale ». Nous avions vu que cela relevait d’un travail d’approche progressif de la personne malade, de mise en confiance, résumé sous le terme d’apprivoisement. La distance n’est donc pas a priori quelque chose de figé, elle évolue en parallèle avec la relation : lorsque nous accueillons la personne malade, qui plus est si c’est la première fois, nous choisirons d’emblée de maintenir une distance. Ne serait-ce déjà que par simple convenance, comme le souligne Dominique Friard en parlant de « la relation de civilité », synonyme de « courtoisie, politesse, affabilité, amabilité, sociabilité »
 . La distance suscitée par la politesse offrira une touche positive, appréciable pour le patient, pouvant l’aider à diminuer son hostilité éventuelle face à ce premier contact avec la structure de soins psychiatrique.
Effectivement, au début, le patient ne nous connaît pas, et nous non plus. Ce climat pourrait générer tension, méfiance, voire mépris. Un accueil digne de ce nom aura pour but de modifier ce climat en le rendant moins lourd, plus rassurant, faisant appel à la confiance. C’est ainsi une première occasion d’amorcer une relation et la distance de départ pourra alors subir des modifications. En effet, au fil de la prise en charge, la relation infirmier-patient connaîtra une évolution, selon la progression de la personne malade et le degré de confiance qu’il aura accordé au soignant.
L’exemple typique de cette modification de la distance est le passage du vouvoiement au tutoiement, qui suscite d’ailleurs maints débats chez les soignants : entre penser que le vouvoiement évite toute incursion d’affectivité dans la relation ou que le tutoiement est un moyen d’approcher plus facilement un malade en retrait... Ce seront aussi certains patients qui solliciteront un contact plus proche avec le tutoiement, dans une recherche d’affection, de réassurance, d’aisance dans la construction de la relation     .

Abordons à présent la question de l’apport thérapeutique de la distance : l’adjectif thérapeutique signifie « relatif au traitement, à la guérison des maladies ; propre à guérir ». Cela voudrait il dire que la distance serait un moyen curatif pour guérir la maladie mentale ?
En fait, ce qu’il faut y comprendre, c’est que la distance entre soignants et soignés se place dans le contexte du cadre de soins qu’offre la structure. Cadre des soins médicaux et paramédicaux, régi entre autres par des règlements et des lois. Cette situation se réfère notamment à un rapport de pouvoir entre soignants et patients, ces derniers devant se soumettre à la bonne volonté des premiers.
Là aussi, la distance risque de prendre un aspect négatif, dans le sens où elle confère le pouvoir aux soignants, les protégeant indirectement de la fantasmatique contagion de la folie dont les patients sont atteints. Elle ne sera plus thérapeutique mais plutôt préventive, vis à vis de la santé mentale des soignants.
Nous en déduisons qu’il ne suffit pas de supposer que la distance est thérapeutique uniquement parce qu’elle se place dans le cadre des soins.

D’après sa définition, elle est «espace qui sépare deux personnes », et ici en l’occurrence, l’infirmier et le patient. N’oublions pas le patient.
S’enfermer constamment et pour n’importe quelle personne malade dans des attitudes rigides et froides (en un mot, distante...), ou au contraire se perdre dans une proximité sans limite n’apporteront rien de bien thérapeutique ni à la distance, ni à la relation de soutien psychologique.
Rappelons que la distance n’est pas figée, qu’elle est empreinte d’un aspect dynamique, en lien avec l’évolution clinique de la personne malade, ses propres motivations, les objectifs du projet de soins, pour avancer dans la quête d’un meilleur équilibre psychique.
Les soignants doivent donc adapter leur distance face aux patients (rappelons que chaque être humain est unique), en tenant compte de ces éléments pour ne pas se transformer en « » agissant de façon standard et froide.
La rigidité ne fait que renforcer la position de force du soignant, le patient pouvant le vivre avec angoisse et frustration quant à l’expression de ses envies et de ses motivations pour aller mieux.
La proximité excessive, par contre, peut «éantir »² la distance qui ne permet plus au soignant de garder un minimum de recul pour observer la situation relationnelle dans ce qu’elle peut apporter comme bienfaits au patient. Ce dernier risque alors de ne plus considérer le soignant en tant que tel, voire de perdre les repères des différents soins qu’offre le cadre thérapeutique.

Comment alors situer la «distance » ?
Etant, encore une fois, une notion en perpétuelle évolution dans la relation, la distance ne peut être d’emblée bonne ou mauvaise. Elle est dotée d’une élasticité, d’une malléabilité à moduler et à réajuster au travers de l’état clinique du patient, sa confiance envers l’équipe soignante, les lois explicites et implicites qui régissent la structure, etc. Les critères étant loin d’être exhaustifs, il appartient à chaque soignant, à chaque équipe de s’interroger sur la distance à adopter avec tel patient, si elle s’adapte ou pas à la situation de la personne, dans la recherche d’une réequilibration de sa santé mentale.
C’est en ce sens que la distance peut être dite thérapeutique.



La «distance » s’applique également pour l’infirmier comme étant une lutte constante entre céder totalement à la demande d’affection excessive du patient et rester positionné sur une attitude rigide et « ».
De façon plus précise, elle protégerait le soignant d’un trop-plein d’affection (entre autre), qui pourrait émaner de la personne soignée, afin de maintenir la relation dans le cadre du soin. Elle empêcherait toute déviation inopportune de sentiments.
C’est ainsi que pour aller plus loin sur ce point, nous passerons au chapitre suivant, où nous verrons que ce «d’affection » éprouvé par le patient peut constituer une des manifestations possibles du transfert.
La réaction du soignant face à cette situation, à ce qu’elle lui renvoie dans sa propre vie, fera appel à la notion de contre-transfert.
Ces échanges massifs de sentiments qui, en fait, trouvent leur origine dans le passé de chacun ne seront pas sans susciter de nombreux dilemmes et interrogations, car leur influence à l’intérieur de la relation est décisive et peut conditionner son avancement.



Dorsaf Daunj
Mémoire infirmier : 1999-2001



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