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Ecole Supérieure Montsouris
Université Paris XII Val de Marne

Diplôme Universitaire
" Ingénierie des Organisations de Santé et des Pratiques de Soins "

Option
Audit Expertise Soins

Enseignants : Mme M.A. Vigil-Ripoche Mme M. Beloqui

BERTHOIS Thierry
Année 2006


Introduction :

 

 

Quelques soient les cultures, les religions, les nations, la façon dont il est appréhendé, le fait psychiatrique a ceci de particulier qu’il est universel en ce qu’il regarde l’esprit. Et parce qu’il est universel et qu’il regarde l’esprit, le soin qui y est afférent est complexe. En effet, s’il repose en partie sur l’éventail de la pharmacopée il repose autant sinon plus sur la relation entre le soignant et le patient. Cet aspect du soin revêt un grand intérêt et soulève un grand nombre de  questionnements pour nous autres soignants, plus précisément pour les infirmiers exerçants en psychiatrie. C’est donc dans le cadre d’un rapport d’étude exploratoire sur le thème d’une pratique avancée que nous avons entrepris  de tenter d’en dégager la dimension dans un type particulier d’entretien infirmier que nous appellerons « l’entretien infirmier de suivi thérapeutique ».

Auparavant, il semblera intéressant d’aborder l’aspect sémantique  de ces termes et de quelques autres concomitants et d’explorer les différents niveaux de lecture possibles.

Le déroulement de ce rapport s’attachera ensuite à déterminer le cadre auquel il semble nécessaire de faire référence afin d’identifier la pratique professionnelle qui caractérise notre objet d’étude.

Enfin, l’explicitation de la méthodologie employée et la définition du contexte de l’étude permettront d’aider à la mise en perspective des résultats, de leur analyse et de leur interprétation.

 

 

 

 

I-Il était une fois dans la sémantique…

 

  

      1-La notion de compétence

 

 

Le modèle de la compétence est apparu aux Etats-Unis dans les années 60-70, période où on a posé la question de l’autonomie de l’individu et des équipes. La compétence est alors la manière de remplir cette zone d’autonomie sans prescription.  

Sur le plan juridique, en France, la compétence est la reconnaissance par le biais d’un statut d’une possibilité d’exercer un acte. En effet, la compétence d’un professionnel repose sur l’obtention d’un diplôme initial, la mise en œuvre d’une formation continue, d’une activité professionnelle, et d’un mécanisme de mise en œuvre de revue par les pairs. Pour le juriste la compétence est « l’ensemble des pouvoirs et devoirs attribués et  imposés à un agent pour lui permettre de remplir sa fonction ou encore l’aptitude à agir dans un certain domaine ». Elle correspond à la capacité donnée à un individu de remplir une fonction, d’accomplir sa profession. Elle peut donc être transférée d’une personne à une autre.

L’obtention du diplôme d’état infirmier, par exemple permet d’exercer la profession d’infirmier (ère). C’est donc un niveau de compétences acquises reconnu légalement. La qualification professionnelle en France est attestée par l’obtention d’un diplôme qui garantit la compétence de celui qui le détient. Les paramédicaux sont limités par des décrets de compétences listant les actes et les tâches qu’ils sont autorisés à accomplir.

 C’est avec la loi 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale que la notion de « transfert de compétence » a pris son essor en France. En effet, nous apprend Pierre HEBRARD[1], de cette loi est issue la possibilité d’acquérir un diplôme par la démonstration « des compétences et des connaissances acquises par l’expérience ». 

Mais si un ensemble de compétences est transférable sur le plan juridique seulement, il faut insister sur le fait que les compétences sont avant tout construites. Il semble donc nécessaire de déterminer un autre niveau de lecture et de compréhension, de définir un cadre conceptuel.

La compétence est le résultat d’un processus d’apprentissage plutôt que d’un enseignement reçu. Elle n’existe que si elle est reconnue par autrui et il ne peut y avoir compétence sans reconnaissance sociale.

Philippe ZARIFIAN[2], auteur du livre « Objectif compétence » définit la notion de compétence par une nouvelle approche de la qualification professionnelle. Il affirme que le travail est une compétence mise en œuvre avec succès dans une situation donnée. Pour P. ZARIFIAN, « L’essentiel de la compétence est l’initiative réussie face à des évènements ». L’auteur ajoute que dans la compétence, il y a une dimension d’interdépendance, de collectif.

L’auteur aborde également la notion d’expérience et en développe plusieurs facettes : « l’expérience du métier » qui se transmet et s’acquiert par la pratique du savoir-faire du métier, « la routine » qui est équivalente aux expériences dans leur nécessaire durée d’acquisition, « la capacité à faire retour sur son initiative »  qui se déroule à travers un certain nombre d’échecs et de réussites.

De plus, P. ZARIFIAN estime qu’être compétent ne consiste pas seulement à appliquer des savoirs parce qu’un savoir est toujours général. Si celui-ci est indispensable pour appréhender une situation, il faut en plus avoir la capacité de le mobiliser. En d’autres termes, d’un côté, on se fonde sur le pilier du savoir et on le mobilise, et de l’autre on fait appel à l’expérience qu’on a des situations pour juger de la bonne initiative à prendre.

P. ZARIFIAN définit également la notion de réflexivité en précisant qu’elle consiste à « faire retour et dresser un bilan de ce que l’on a fait ».

Patricia BENNER[3] écrit dans l’ouvrage « de novice à experte » que c’est le passage du « savoir quoi » au « savoir comment ». La compétence est une transition intermédiaire entre le novice et l’expert (l’auteur décrit cinq étapes : novice, débutante, compétente, performante et experte). Cette évolution s’articule entre un savoir procédural formalisé théorique et un savoir-faire tacite pratique. L’auteur met en relation le niveau d’expertise avec la notion de pratiques avancées. Lorsque P. BENNER parle de l’expertise, elle y associe également une part « d’intuition » sans définir  ce dont il s’agit. Guy LE BOTERF[4] précise que ce sont des automatismes acquis et que l’on peut combiner ces assimilations pour faire face à une situation nouvelle.

 A la différence de P. ZARIFIAN, G. LE BOTERF pense que la compétence, loin d’être une qualification relève de l’appartenance intrinsèque de l’individu, qu’elle dépend d’un contexte. C’est avant tout à son modèle que nous choisirons de faire référence au cour de notre étude dans la mesure où c’est lui qui introduit la notion de transfert de compétence qui semble le plus en adéquation avec le domaine de la santé.

«  L’apprentissage expérientiel »[5] décrit par G. LE BOTERF comporte quatre phases : l’expérience vécue, l’explicitation, la conceptualisation et modélisation, le transfert ou la transposition.

« Le moment de l’expérience vécue »[6] est l’étape du savoir faire concret et de l’action ; c’est le socle sur lequel se construit l’apprentissage.                 Le professionnel, en l’occurrence l’infirmier (ère), agit suivant des schémas établis (des protocoles,…), ce qui peut être suffisant pour une bonne exécution de tâche. Il n’est pas nécessaire d’en connaître la raison. Cela relève alors du conditionnement.

« Le moment de l’explicitation »[7] est le premier temps de la réflexivité, c’est la mise en récit de l’expérience vécue mais ce n’en est pas seulement une description. Faire le récit de l’expérience, c’est prendre appui sur un contexte, un historique et une dynamique de soin. En fait c’est mettre l’expérience en perspective pour lui donner du sens. L’auteur ajoute que cette mise à distance suppose aussi de décrire la façon dont on s’y est pris pour agir.

« Le moment de la conceptualisation et de la modélisation »[8] : cette étape consiste pour G. Le Boterf à construire des modèles théoriques sur des bases « pragmatiques » car issues du terrain. Il s’agit tout d’abord de pouvoir reposer les points de repères mis en exergue précédemment en les sortant de leur contexte, pour en voir l’armature, et ensuite de regrouper les différentes situations sous tendues par les mêmes schèmes opératoires. C’est la mise en évidence de dénominateurs communs.

« Le moment du transfert ou de la transposition »[9].A ce stade, il convient de tirer profit des apports des phases antérieures afin de pouvoir transposer ces concepts à de nouvelles situations. La confrontation des uns avec les autres doit alors permettre de procéder aux réajustements nécessaires. C’est en combinant ses ressources pour faire face à une nouvelle situation que le sujet pourra éventuellement de nouveau s’adapter et recommencer ce cycle.

 

 

2-Le transfert de compétences 

 

 

Le transfert de compétences des professions médicales aux professions paramédicales devrait signifier que le médecin cède aux auxiliaires médicaux des compétences qui leur appartenaient et qui seraient désormais du ressort de ces derniers. Les échocardiographistes par exemple acquerraient le droit de pratiquer une échographie cardiaque non pas parce que le cardiologue leur aurait donné  le pouvoir de le faire (ce qui serait une délégation de tâche) mais parce que la loi leur aurait attribué cette compétence.

Le groupement d’intérêt professionnel en soins infirmiers (Gipsi) considère que dans le rapport Berland (que nous aborderons dans le troisième chapitre), il s’agit plus de délégations d’actes que de délégations de compétences avec le risque pour les professionnels de n’exécuter que des tâches sous responsabilité médicale ; pour certaines dispositions, cela revient à entériner et encadrer juridiquement et réglementairement des pratiques existantes.

En matière de droit, le transfert est un acte par lequel une personne acquiert un droit d’une autre personne qui le lui transmet. Celui qui acquiert ce droit agit comme un intermédiaire. Nous avons vus précédemment que la compétence était transférable sur le plan juridique. Mais là encore, il est nécessaire d’éclairer la perspective sémantique. Pour G. LE BOTERF, la notion de transférabilité est la clef de l’expertise. « La transférabilité n’est pas à rechercher dans les compétences, les savoir-faire ou les connaissances du professionnel mais dans sa faculté à établir des liens, à tisser des fils, à construire des connexions entre deux situations. » L’auteur met ici en exergue la capacité de réflexion du sujet à partir d’une expertise liée à un contexte très précis et qui aboutit à la capacité à transférer.

 

 

3-Existe-t-il un modèle des pratiques avancées ? 

 

      

Les « pratiques avancées » qu’est ce que c’est aujourd’hui ? Il n’y a pas de définition établie ni de réponse universelle. D’une part, il semble que les domaines de compétences soient à rattacher aux différents contextes nationaux. En effet, suivant le lieu de pratique, la profession infirmière s’est développée soit au service du patient, soit au service du médecin. Dans le premier cas, il y a eu une dimension autonome dans la construction de cette pratique. Elle est donc de ce fait envisagée dans une dimension de complémentarité et de collaboration[10]. Dans le deuxième cas, c’est sur une base d’auxiliaire médicale que la pratique infirmière s’est développée. Il n’y a donc pas eu cette dimension d’autonomie dans la construction de cette pratique. De ce fait, le domaine des pratiques avancées sera davantage centré autour de la délégation, tout au plus d’une coopération[11]. C’est au cours des entretiens menés pour notre rapport d’étude que nous allons essayer de mettre en évidence les éléments qui, dans le contexte particulier que nous avons choisi d’aborder, semblent déterminer une pratique avancée.

 

 

II-Géopolitique et légitimité des pratiques avancées :

 

 

1-Le développement international des pratiques                                avancées.

 

 

Il faut chercher dans la paupérisation de la démographie médicale une des réalités qui soutendent le principe du transfert de compétences. Une autre réalité réside dans le coût de la santé et dans la qualité du service rendu aux patients. Si le premier élément reste à démontrer, les études qualitatives menées en Grande Bretagne et aux Etats Unis notamment montrent une qualité de service rendu aux patients au moins équivalente à celle délivrée par les médecins.

Aux Etats-Unis, des infirmiers spécialisés pratiquent des endoscopies digestives depuis le début des années 1970. L’infirmière en pratique avancée est connue sous quatre appellations différentes : infirmière sage-femme, infirmière anesthésiste, infirmière clinicienne (elle va développer uniquement le domaine des soins infirmiers), infirmière praticienne (elle peut prescrire ; à l’origine, c’est elle qui fait de la recherche). La plupart de ces titres fait l’objet d’une réglementation mais seul le titre d’infirmière praticienne est reconnu dans la totalité des états.

Le Canada a initié récemment une formation spécifique pour des infirmières praticiennes spécialisées en néphrologie et aux Etats-Unis, les « nephrology nurse practitioners » existent déjà et accomplissent de nombreuses tâches en dialyses.

 En Australie, il existe des « infirmières praticiennes » depuis 1998 et on est en train d'étudier la possibilité de leur permettre de prescrire certains médicaments.

Les manipulateurs radio peuvent réaliser des examens d'échographie au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Grèce, en Norvège, aux Etat-Unis et au Canada.

Au Royaume-Uni, une partie de l’activité ophtalmologique a été déléguée à des auxiliaires médicaux (en l'occurrence, des optométristes).

En Allemagne également, les ophtalmologues ne réalisent qu’une partie des examens oculaires.

En France, le monde de la santé a beaucoup évolué dans les 40 dernières années mais les professionnels de la santé n’ont eux quasiment pas changé. En d’autres termes, le contenu a changé mais pas les frontières entre les métiers.

2-Le « rapport BERLAND » assoit la légitimité du transfert de compétences.

 

 

Le rapport d’étape du Professeur Yvon BERLAND[12] sur « la coopération des professions de santé : le transfert de tâches et de compétences » présenté en octobre 2003 est une mission d’études et de propositions touchant à l’organisation des soins et notamment aux coopérations qu’il semble possible de développer entre les différents professionnels de santé.

Il s'agit, dans la perspective d'un risque de pénurie de médecins généralistes et spécialistes, de mieux définir ce qui relève à proprement parler du rôle du médecin et ce qui, dans ses activités, pourrait être réalisé par un autre professionnel, médical ou paramédical.

Si le contexte de la mission s’inscrit dans le cadre des évolutions démographiques importantes qui suscitent les inquiétudes, la proposition de délégation de compétences n’a pas pour seul objectif de résoudre à terme des problèmes de densité médicale. Elle est également sous tendue, d’une part par le souci de conserver une bonne qualité de soins par une plus grande disponibilité des médecins pour les tâches et activités qui le nécessitent et, d’autre part, par la volonté d’assurer une meilleure adéquation entre formation et exercice professionnel.

Le rapport intermédiaire comporte une analyse des nombreux transferts et délégations d'actes et de compétences existant déjà dans plusieurs pays, notamment anglo-saxons. Il fait également état de plusieurs expériences françaises au cours des dernières années. L’auteur précise cependant qu’elles sont « très rares » et qu’elles se font souvent « au prix de pratiques non reconnues ». Partant de cette situation, la mission a auditionné plusieurs acteurs médicaux et paramédicaux avec pour objectif de définir, dans quelques champs d’activité médicale, les constructions possibles. Avant de dérouler la liste des tâches et compétences « transférables », l'auteur du rapport insiste sur la nécessité de définir les contours de ce dispositif. Ils concernent en particulier la formation des paramédicaux, la relation entre les médecins et les acteurs paramédicaux et la définition précise du nouveau champ de compétence de ces derniers.

Une fois ces préalables déterminés, Yvon Berland dégage un certain nombre de directions possibles :

• En imagerie médicale, le rapport propose que les manipulateurs radio puissent, d'une part, faire office d'« échographistes » pour certains protocoles et, d'autre part, effectuer l'exploitation informatique des données. Yvon Berland signale que « les médecins radiologues et les manipulateurs en électroradiologie médicale considèrent que le transfert de compétences existe déjà » et que la réglementation est aujourd'hui « en décalage avec les pratiques ».

• En radiothérapie, un métier de « dosimétriste », lui aussi ouvert aux manipulateurs radio, doit être identifié.

• En ophtalmologie, c'est le transfert vers les orthoptistes qui est préconisé. D'après le Professeur Berland, les ophtalmologues eux-mêmes considèrent ces délégations de tâches comme « indispensables », sauf à « assister à une organisation parallèle de la prise en charge des troubles de la vue et, à terme, à de graves conséquences pour la santé de nos concitoyens ».

• En chirurgie, le rapport plaide, pour de nouveaux transferts, libérateurs de « temps médical », entre les chirurgiens et les infirmières de bloc opératoire diplômées d’état (les IBODE).

Yvon BERLAND suggère de créer « de nouveaux métiers de soins » de façon à soulager les médecins d'une partie de leurs charges. Il ébauche ainsi des professions telles que des « diététiciens de soins », des« coordonnateurs du handicap », des« psychologues praticiens », et des« infirmières cliniciennes spécialistes ». Ces dernières « pourraient avoir différentes missions » que le rapport détermine : La participation au suivi en consultation des maladies chroniques (« suivant une procédure parfaitement établie par les médecins et en concertation avec eux »), la coordination des examens de suivi et de reconduction, le suivi de la bonne exécution des traitements et la surveillance de leur tolérance, des interventions dans le domaine de la prévention, de l'éducation et du dépistage.

Le rapport cite la gastro-entérologie où, entre autres, la réalisation des examens d'exploration fonctionnelle digestive pourrait glisser du médical vers le paramédical.

En cardiologie, l'infirmière spécialiste pourrait, en particulier dans le domaine de la prise en charge clinique des pathologies cardio-vasculaires, s'occuper de l'éducation, du pronostic, du dépistage ou de la coordination des réseaux de soins.

En néphrologie, les transferts pourraient concerner une partie du suivi des malades ayant une insuffisance rénale chronique ou certains éléments de surveillance des patients dialysés et des malades transplantés.

En cancérologie, l'exécution pratique de la chimiothérapie pourrait, par exemple, échoir aux infirmières spécialistes.

En diabétologie, c'est une partie du suivi des patients diabétiques (éducation, conseil et surveillance de paramètres simples) qui serait candidate au transfert.

En soins primaires, enfin, des infirmières cliniciennes spécialistes pourraient participer, au sein des cabinets de groupe de médecine générale, à la prise en charge des patients dans le cadre du conseil, de l'éducation, de la prévention, du suivi des traitements.

Tout en annonçant que des expérimentations de transfert de tâches et de compétences commenceraient « au cours du quatrième trimestre 2003 », Y. BERLAND se montre prudent au sujet de ce qui concerne le passage de ses propositions du papier au terrain. Il pose en particulier des « expérimentations régionales ou locorégionales thématisées » comme pré requis à tout changement dans les constructions actuelles.

Dans un second temps et après l’analyse de ces expériences le transfert de compétences pourrait être étendu à d’autres activités médicales et paramédicales. En effet, si l’objectif initial n’est pas d’envisager a priori de manière exhaustive tous les transferts de compétences possibles ou envisageables dans l’ensemble des champs d’activité des médecins, il est, à partir de quelques exemples, de juger de l’efficacité et de l’efficience du transfert de compétences en sachant qu’en s’appuyant sur les résultats obtenus, ces expériences pourraient être étendues à d’autres types d’activités que celles initialement évaluées.

 

Le milieu de la santé mentale est beaucoup plus difficile à appréhender. Bien qu’abordé, le domaine du transfert de compétences des médecins psychiatres vers les infirmiers en psychiatrie ne semble pas retenir l’attention de l’auteur. En revanche, il évoque les possibilités de transfert vers des « psychologues cliniciens »  mais  « si certains professionnels considèrent souhaitable la mise en perspective de collaborations organisées avec les psychologues cliniciens, d’autres la trouvent inutile ou non souhaitable. »

Il pointe cependant l’urgence du travail à accomplir au vu de la baisse des effectifs de psychiatrie d’ici 2020. « L’augmentation exponentielle » de la demande de soin est aussi un facteur important dans la mesure où« un grand nombre de patients sont pris en charge par les psychiatres pour du mal être et non pour une pathologie qui nécessite l ‘intervention d’un psychiatre ». Cela semble être la conséquence probable de la notion de soins qui a évolué de la sphère psychiatrique vers la sphère de la santé mentale.

Dans le cas présent également, la formation de ces nouveaux professionnels devrait être adaptée.

 

Pour conclure cette synthèse, il semble évident d’admettre que cette mission d’étude dirigée par le professeur Berland envisage les transferts de compétences sous l’angle unique d’un approfondissement des connaissances techniques indispensables dans la perspective d’un renforcement du rôle d’auxiliaire médical assuré par les professions paramédicales. Elle donne ici  matière à une existence pour une profession d’infirmière clinicienne avec des compétences dans le domaine des pratiques avancées.  

 

 

 

 

III-Cadres de référence : les décrets de compétence et le référentiel de soins infirmiers en santé mentale.

 

 

1-Les décrets de 2002 et de 2004

 

 

Le décret n°2002-194 du 11 février 2002 relatif aux actes professionnels et à l’exercice de la profession d’infirmier ainsi que le décret n°2004-802 du 29 juillet 2004 relatif aux parties IV et V du code de la santé publique précisent la spécificité du rôle joué par les infirmiers dans les services de santé mentale. Il distingue  en les déclinant les actes de soin qui relèvent du rôle propre infirmier, les actes qu’il est habilité à réaliser de sa propre initiative et ceux qu’il effectue en application d’un protocole écrit ou sur prescription médicale.    

Ces textes, plus qu’une nomenclature d’actes de soins, définissent également une démarche professionnelle dont l’objectif global est de  « protéger, maintenir, restaurer et promouvoir la santé physique et mentale des personnes ou l’autonomie de leurs fonctions physiques et psychiques en vue de favoriser leur insertion ou réinsertion dans leur cadre de vie familial ou social ». Le soin infirmier est donc défini dans ses dimensions préventives, curatives voire palliatives et intègre « qualité technique et qualité de relation avec le malade ».

La complémentarité de compétence avec les médecins est également soulignée, plus spécifiquement dans le champ de la santé mentale, notamment à la fin de l’article 5 « …mise en œuvre des engagements thérapeutiques qui allient le médecin, l’infirmier et le patient ».

La relation soignant-soigné est clairement reconnue comme acte de soin au travers de « l’entretien d’accueil du patient et de son entourage » et de manière moins précise sous les termes « aide et soutien psychologique ». Cet entretien infirmier est ensuite repris dans les actes réalisés en application d’une prescription médicale. Même si l’entretien d’accueil et l’entretien individuel sont cités, ils ne sont ni définis ni décrits. L’entretien d’accueil doit favoriser l’écoute de la personne et peut aboutir à une orientation si nécessaire.

L’article R.4311-7 précise que l’infirmier (ère) est habilité(e) à pratiquer sur prescription médicale ou en application d’un protocole écrit « …Entretien individuel et utilisation au sein d’une équipe pluridisciplinaire de techniques de médiation à visée thérapeutique ou psychothérapeutique ». Les termes de  visée thérapeutique ou psychothérapeutique  indiquent que l’entretien infirmier n’est pas admis comme un soin intrinsèquement psychothérapeutique. De plus, ce soin  fait partie des actes effectués sur prescription médicale ou en application d’un protocole écrit.

Cependant l’entretien pratiqué par l’infirmier est un soin, reconnu comme tel et qui va permettre d’engager le processus de soin à partir d’un échange dont le but est la connaissance de la personne.

 

 

 

 

 

 

2-Le référentiel des soins infirmiers en santé mentale 

 

 

Un référentiel des soins infirmiers en santé mentale (consultable sur le site www.serpsy.org) a été élaboré à l’hôpital Pierre Janet du Havre sur une période de deux années et a abouti en Décembre 2002. Il a successivement été validé par le directeur des soins de la filière santé mentale, les cadres supérieurs de la structure, le collège des psychiatres et ensuite par la Commission des services de soins infirmiers. Les intérêts de ce référentiel sont multiples.

Le premier intérêt de ce travail fut de poser, d’officialiser une pratique professionnelle d’abord historiquement inscrite dans la pratique infirmière depuis l’époque de Pinel (et de Jean Baptiste Pussin). Tout aussi important fut l’intérêt de replacer cette pratique dans un contexte historique et institutionnel local. Le développement de cette institution démarra à partir des années 1960-1970, époque de l’âge d’or de la thérapie institutionnelle.

Il faut donc comprendre la réflexion sur ce référentiel des soins infirmiers en santé mentale en lien avec ce contexte où « tout était soin ». Cela signifie en particulier que toutes les relations entre les patients et le personnel (soignant ou non) servaient de vecteur aux soins.

Logiquement, dans un tel contexte, l’aspect du soin infirmier par l’entretien prend un relief particulier dans la mesure où de cette genèse et dès sa naissance, il va plus loin que le rôle propre infirmier stricto sensu.

C’est ainsi que le référentiel pose les termes de « l’entretien infirmier de suivi thérapeutique[13] » qui n’existent pas dans les décrets évoqués précédemment.

Bien sûr, mesurer l’entretien de suivi  à la seule aune de la psychothérapie institutionnelle n’est pas suffisant et il serait aujourd’hui considéré comme archaïque à juste raison. Il faut ajouter  « …que pour l’infirmier en psychiatrie, il est essentiel de connaître l’existence de cadres conceptuels formalisés ».

Ce travail met en avant que l’empirisme ou l’imprégnation auprès d’autres infirmiers (ères) ne suffit pas et qu’il requiert  en outre des acquisitions techniques et théoriques, une compétence établie et reconnue ainsi qu’une nécessaire collaboration multidisciplinaire.

 Ce référentiel de soins infirmiers en santé mentale dessine les contours de l’entretien de suivi. Enfin, il évoque  ici la substantifique moelle de l’entretien infirmier au travers du prisme de la relation psychothérapeutique.

 

 

IV-la méthodologie de la recherche : la théorisation ancrée

 

 

L’analyse par théorisation ancrée fait partie des formes d’analyse qualitative. Cette expression est issue de la grounded theory approach qui est une approche  de théorisation empirique et inductive développée par Glaser et Strauss à partir de 1967. Nous ne développerons pas ici cette théorie, il semble juste intéressant de savoir qu’elles possèdent des caractéristiques similaires et que la théorisation ancrée en est une adaptation. L’avantage principal de cette méthode consiste dans le fait qu’elle s’appuie sur une « simultanéité de la collecte et de l’analyse ». Cela permet de vérifier de façon continue la cohérence et la correspondance des données avec la théorie que l’on développe. Cela mène aussi parfois dans des directions inattendues, nous le verrons ultérieurement. Cette méthode permet de théoriser un phénomène empirique à travers six étapes successives et progressives :

 

·        La codification : cette première étape consiste à étiqueter les éléments du corpus initial.

La catégorisation : on retient et on nomme les principaux aspects de l’objet d’étude. C’est un travail de conceptualisation.

·        La mise en relation : Il s’agit à ce stade de procéder à une mise en relation des catégories.

·        L’intégration : c’est la clarification des contours de l’objet que deviendra l’analyse.

·        La modélisation : consiste à reproduire le plus fidèlement possible l’organisation des relations structurelles et fonctionnelles  sous une forme type.

    La théorisation : c’est l’étape ultime et elle est évidemment « partielle, limitée et relative ». Néanmoins, elle permet de dégager quelque mise en perspective et donne matière à discussion.

 

 

V-Le contexte de l’étude :

 

 

Ce rapport d’étude exploratoire porte sur une période de six mois à partir du mois de novembre 2005 et jusqu’au mois d’avril 2006. Le lieu de la recherche est un centre hospitalier spécialisé (C.H.S.) du secteur public du Nord Ouest de la France dans un bassin industriel important où les problématiques psychiques et sociales autour du risque suicidaire et de l’alcoolisme sont prégnantes.

D’un point de vue historique, ce C.H.S. s’est développé dans les années 1970 grâce à l’action d’un médecin psychiatre dont l’orientation professionnelle centrait son action sur la psychothérapie institutionnelle. L’hôpital est situé au centre de la ville depuis sa création en 1973.

 L’étude a été réalisée auprès de 9 cadres de santé et d’infirmiers (ères) qui exercent en secteur de psychiatrie générale adulte, plus précisément en unité d’hôpital de jour. En ce qui concerne leur formation initiale, ces professionnels sont soit « infirmier (ère) diplômé(e) de secteur psychiatrique », soit « infirmier (ère) diplômé(e) d’état ».

 

 

VI- Identification et synthèse de l’entretien infirmier de suivi thérapeutique:

 

On prête à Camille Claudel ces propos : « La sculpture était là, il suffisait de la dégager de sa gangue ! » Il y a dans cette phrase une notion d’inconnu car si la « sculpture  était là »,  la question est de savoir de quel objet il s’agit. Les entretiens constituent le matériau de base que nous allons utiliser et tenter de travailler tel un sculpteur dégageant son travail d’une matière brute.

Notre rapport d’étude est conçu sur une base pragmatique. Il s’oriente sur une approche d’analyse de pratiques à partir de matériaux de terrain glanés au cours des treize entretiens menés. Il s’agit pour nous de mettre en évidence une pratique de soins qui répond à une demande mais qui n’est pas assumée par l’équipe médicale. Elle est alors initiée par les infirmiers (ères) généralement sous le couvert implicite des médecins. Cette pratique n’est pas légalisée.

Le processus d’identification que nous avons retenu s’inspire du modèle de construction des compétences proposé par G. LE BOTERF.

 

 

1-La situation de soins :

 

 

La population concernée par la pratique étudiée est composée d’hommes et de femmes âgés de seize ans et plus. Ces personnes souffrent en grande majorité de pathologies psychiques de type psychotique (plus de 90%). Il est nécessaire de souligner que l’état psychopathologique de ces personnes est relativement stabilisé, et que leur hospitalisation dans les unités d’hôpital de jour s’envisage dans la durée.

L’accueil des personnes dans ce type d’unité est assuré pendant les jours ouvrables de 9 heures à 17 heures et il est contractualisé. Les professionnels assurent l’accueil, administrent les traitements et travaillent avec les patients autour de leurs possibilités d’autonomie. Ils rencontrent aussi les familles et travaillent en réseau avec d’autres intervenants du champ sanitaire et social. Les infirmiers (ères) sont également présents pour évaluer et réagir aux variations de l’état psychopathologique des personnes accueillies en lieu et place de l’équipe médicale qui n’est pas obligatoirement disponible. Toutes ces situations rencontrées réclament de la part des professionnels  un investissement qui va au-delà de leur rôle propre

 

2-La pratique de soins :

 

 

Les personnels qui assurent l’entretien de suivi sont des infirmiers (ères) âgés (ées) d’une quarantaine d’années en moyenne ; ils sont titulaires soit du diplôme d’état infirmier, soit du diplôme d’infirmier (ère) de secteur psychiatrique, et ont tous plus de huit années de diplôme. Les professionnels concernés ont entre deux et neuf années d’ancienneté dans l’unité. Ils ont également tous suivi des formations continues en relation directe avec la spécificité du milieu psychiatrique. Certains réalisent un travail d’ordre psychanalytique, d’autres bénéficient d’apports théoriques divers.

Sans revenir sur le contexte historique, social et institutionnel, il est nécessaire de préciser que l’établissement comporte quatre secteurs de psychiatrie générale et qu’ils bénéficient chacun d’une unité d’hospitalisation complète, d’une unité d’hospitalisation de jour, d’une unité d’extra-hospitalier, d’un centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (C.A.T.T.P.) et d’un centre médico-psychologique. Une des quatre unités d’hospitalisation de jour est située dans le centre ville, les trois autres sont à l’intérieur de l’institution. L’une de ces trois unités fonctionne  avec trois infirmiers, une autre avec quatre, la troisième avec quatre infirmiers et une aide soignante. Cette dernière unité assure aussi d’autres missions qui concernent la réinsertion psychosociale.[14]

Le processus de l’entretien de suivi n’est pas identifié à partir de protocoles, de procédures ou de modèles existants. Tout au plus est-il nommé dans « le référentiel de soins infirmiers en santé mentale » sans pour autant être défini précisément. C’est donc à partir de l’expérience de l’auteur de ce rapport et d’entretiens auprès d’infirmiers (ères) qui utilisent cette pratique qu’il faut essayer de décrire le processus de ce type d’entretien.

La littérature existante du domaine des pratiques professionnelles en psychiatrie ne semble pas disposer de données sur l’entretien infirmier de suivi thérapeutique.

Les entretiens infirmiers de suivi thérapeutique effectués par les infirmiers (ères) auditionné (ées) dans les trois unités d’hospitalisation de jour sont formalisés par une structure et un contenu.

Tout d’abord, l’entretien de suivi est formalisé dans la durée.

Parmi les professionnels auditionnés, les entretiens de suivi ont une durée moyenne de vingt à trente minutes, le maximum évoqué étant une heure. L’explication avancée par les infirmiers consiste à affirmer que ce temps moyen permet d’éviter les redites et la dispersion de la parole. De plus l’entretien de suivi est effectué soit sur rendez vous, soit en fonction de la nécessité liée au contexte.

Le lieu de l’entretien de suivi est toujours formalisé.

Quelle que soit la personne qui en a pris l’initiative et quel que soit le motif de celui-ci, l’entretien se déroule toujours dans un lieu précis. Suivant les services, l’infirmier (ère) utilise soit un bureau de consultation, soit un bureau infirmier avec alors une signalétique ad hoc.  L’explication avancée se résume au fait que cela permet au soignant et au patient de se mettre dans un état d’esprit favorable au déroulement de cet entretien. Le rituel du lieu, comme d’autres, est nécessaire.

L’entretien de suivi est initié à la demande du patient ou du soignant. Le soignant peut en effet recevoir une personne à sa demande ou bien l’infirmier peut demander à une personne de participer à un entretien. Cela dépend de l’état physique ou psychique du patient ainsi que de l’objet de l’entretien de suivi.

Le nombre de participants est variable.

Il est modulé en fonction de l’objet de l’entretien de suivi ou simplement lié au nombre de professionnels présents dans le service. D’une façon générale, l’infirmier (ère) reçoit seul (e) le patient. Il arrive cependant qu’il y ait deux professionnels présents (jamais plus), le deuxième se plaçant alors dans une position de retrait, dans un rôle de supervision qui aura une place prépondérante lors de l’analyse et de l’évaluation de l’entretien.

L’orientation et le contenu de l’entretien de suivi sont variables.

Ils dépendent effectivement de plusieurs paramètres (objet, initiative, état du patient,…). Néanmoins, l’entretien de suivi repose sur quelques éléments fondamentaux. En effet, l’objet de l’entretien est toujours explicité et ce qui y est développé est toujours reformulé afin que tous les participants soient assurés de l’adéquation de leur compréhension. L’infirmier (ère) procède toujours à une évaluation de l’état psychopathologique de la personne. Cela détermine la nécessité et l’orientation de l’entretien de suivi, éventuellement une orientation du patient vers un autre professionnel (médecin, psychologue, assistante sociale,…), ou bien encore une proposition thérapeutique : cela peut être une proposition psychothérapeutique, une proposition ergothérapeutique voire une proposition chimiothérapeutique. Dans ce domaine, tous les infirmiers (ères) peuvent être amenés (ées) à pratiquer une réévaluation et un réajustement du traitement, ou bien une modification de la posologie. Suivant le couvert implicite du médecin et suivant leur expérience, certains professionnels agissent de la sorte avec tous les psychotropes, d’autres uniquement avec les hypnotiques. Tous adaptent des traitements qui concernent la « bobologie », aucun ne prescrit de neuroleptiques, d’anxiolytique ou d’antidépresseur qui n’a pas été auparavant déjà prescrit par le médecin psychiatre au patient concerné et qui a démontré des effets thérapeutiques et l’absence d’effets secondaires. A partir de ce moment là, le patient est revu tous les jours jusqu’à ce que le médecin avalise ou infirme les décisions prises. La situation est avalisée à posteriori par le médecin soit rapidement (dans les vingt quatre heures), soit à plus long terme (en règle générale dans la semaine qui suit).

L’analyse de l’entretien de suivi est systématique.

L’infirmier (ère) va analyser l’entretien de suivi en fonction de plusieurs éléments tels que le contexte dans lequel il s’est déroulé, la pathologie du patient, ses connaissances théoriques, son expérience, son «intuition» pour certains (es). Lorsqu’il y a une supervision, l’avantage de ce système permet de profiter de l’analyse d’un autre professionnel et de confronter les différents avis.

L’évaluation de l’entretien.

Cette phase de l’entretien de suivi semble la plus aléatoire. En effet, il n’existe pas d’indicateur fiable ou objectif pour mesurer l’efficacité et l’efficience de l’entretien de suivi.  Néanmoins, les professionnels interrogés mettent en avant des indicateurs à cour terme -le comportement du patient et le discours du patient- et des indicateurs d’évaluation à long terme –l’évolution du patient, le développement du lien de confiance- et font appel dans certains cas au retour de la supervision dont ils ont pu bénéficier. Cela permet alors d’envisager la pertinence d’une continuité des entretiens de suivi et de valider leur modus operandi.

 

 

 

VII-Analyse et discussion :

 

 

1-Les limites du rapport

 

 

La mise en évidence des schèmes opératoires est une entreprise complexe dans le milieu du soin infirmier. « Faire dire » ou faire expliciter aux infirmiers (ères) est parfois un calvaire ! C’est peut être parce que notre profession s’articule avant tout autour d’une pratique ; en effet, l’infirmier (ère) se situe souvent sur le plan de l’action. Bien que G. LE BOTERF recommande de « travailler à cerveau et à cœur ouvert », il est difficile de lui faire expliciter la façon dont il (elle) s’y prend pour réaliser une activité, résoudre un problème ou bien encore les ressources qu’il (elle) utilise.

De plus, l’analyse que nous tentons d’effectuer se situe au niveau d’auditions de professionnels et pas au niveau de situations de travail. Nous sommes donc fortement orientés sur une identification d’une pratique. Il semble donc difficile de dépasser le premier stade de l’analyse par la théorisation ancrée même si elle peut nous aider dans une certaine mesure. En outre, cette méthode demande beaucoup de temps, ce dont nous ne disposons qu’avec parcimonie. Dans ce cas précis, il semble alors plus intéressant de l’utiliser comme soubassement ou guide méthodologique que dans une application stricte.

 

 

 

2-quelques éléments d’analyse

 

 

Cette pratique de l’entretien infirmier de suivi thérapeutique répond à certains critères qui apparaissent stables quelque soient les services où il est appliqué :

Sur le plan de la durée de l’entretien par exemple. Nous avons vu que la durée moyenne de vingt à trente minutes permet d’éviter les redites et la dispersion de la parole. L’infirmier (ère) met là en jeu une expérience acquise antérieurement. Lorsque la durée est modulée, ce qui rentre en jeu est de l’ordre de l’évaluation clinique (par rapport à l’état de santé du patient ou au contexte de l’entretien de suivi). La limite de temps fait référence au domaine des connaissances théoriques, en l’occurrence psychanalytique qui précise qu’au-delà de cette limite, la relation soignant-soigné prend une dimension de séduction qui peut altérer le bénéfice thérapeutique recherché pour le patient.

En ce qui concerne le moment déterminé pour effectué l’entretien de suivi, ce qui est mobilisé est l’acquisition d’un apprentissage antérieur mis dans un nouveau contexte et qui permet de réévaluer et de moduler ce moment : décider d’un entretien de suivi, l’avancer, le différer voire l’annuler.

Le lieu :

La formalisation du lieu de l’entretien de suivi tient avant tout à la structure même du soin (qu’il soit d’ordre psychique ou physique !). Il semble important pour tout soignant, qu’il soit médecin, psychologue ou infirmier de respecter l’intimité de la personne et le secret professionnel. Cela dit il faut rapidement distinguer deux lieux : le bureau de consultation qui va concerner le médecin ou le psychologue et le bureau infirmier qui va être l’endroit ou le soignant va exercer une partie de son activité (tâches administratives, travail d’écriture, réunions, consignes,…). Il n’existe pas de bureau de consultation pour les infirmiers (ères). Le professionnel va donc établir une signalétique pour garantir la confidentialité du lieu et son caractère « consultatoire ». Le professionnel mobilise à ce niveau des apprentissages antérieurs multidisciplinaires et des connaissances théoriques.

L’initiative de l’entretien de suivi :

Lorsqu’un (e) infirmier (ère) propose un entretien de suivi ou quand un patient le demande, le professionnel combine plusieurs types de ressources pour pouvoir répondre de façon adaptée. En effet, il évalue la situation en fonction du contexte temporo-spatial (heure, moment de la semaine, si l’entretien était prévu), il fait aussi appel à son expérience vécue dans une situation similaire. Il mobilise ses connaissances cliniques et pharmacologiques en particulier au niveau de la pathologie du patient. Il mobilise enfin ses connaissances théoriques (notion de frustration, de mise à distance, de limites,…).

Le nombre de participants à l’entretien de suivi :

Lorsque l’infirmier (ère) a le choix d’être seul ou bien à deux, ce sont l’évaluation du contexte et l’évaluation de l’état clinique du patient qui sont prépondérants. A ce stade, le professionnel mobilise ses connaissances cliniques. La présence éventuelle d’un superviseur montre que le soignant met en jeu des compétences théoriques. En l’occurrence, il utilise l’outil systémique.

Lorsque l’on aborde l’étape de l’orientation et du contenu de l’entretien de suivi, on découvre que cette phase est la plus riche au niveau de la mobilisation des ressources de l’infirmier (ère). Pour adapter le contenu et l’orientation de l’entretien à la situation rencontrée, le professionnel doit combiner l’ensemble de ses connaissances : des connaissances techniques pour la conduite de l’entretien ou la reformulation, des connaissances cliniques pour évaluer l’état psychopathologique du patient, des connaissances théoriques pour faire des propositions thérapeutiques. Il faut aussi employer le terme de connaissances médicales pour formuler des propositions ergothérapeutiques ou chimiothérapeutiques. Enfin, il faut avoir une capacité de rapidité d’analyse de tous les paramètres pour évaluer la situation pendant toute la durée de l’entretien de suivi. Ces compétences sont acquises et développées à partir d’une longue expérience de terrain et au contact du médecin. C’est l’assimilation, la métabolisation de toutes ces connaissances, ces expériences et ces compétences, à chaque fois requestionnées dans une situation nouvelle, qui permet d’atteindre le niveau d’expertise requis.

L’analyse de l’entretien de suivi requiert de la part de l’infirmier l’exploitation de connaissances théoriques et cliniques. Ces connaissances doivent être combinées avec des expériences antérieures pour tirer la quintessence de l’entretien de suivi, toujours avec l’objectif du bénéfice thérapeutique pour le patient.

L’évaluation de l’entretien se fait à partir des éléments renvoyés à l’infirmier (ère) par le patient. Cette étape demande donc une bonne connaissance clinique ainsi qu’une expérience de situations similaires vécues auparavant. La mesure de l’efficience de l’entretien de suivi demande également la mobilisation de connaissances théoriques.

La pratique de soin identifiée et analysée, il semble possible de tenter de construire quelques indicateurs. Leur validité et leur pertinence devront cependant être démontrées ultérieurement et c’est à ces conditions qu’il sera  éventuellement envisageable d’établir par la suite un protocole de référence, ou bien un tableau de bord de suivi et d’engager une démarche d’évaluation.

3-Proposition d’un tableau  de critères et d’indicateurs

 

 

Critères

Indicateurs

Processus

Schèmes opératoires

Lieu de l’entretien

Existence d’un lieu spécifique

Mise en place d’une signalétique

Apprentissage.

Connaissances théoriques

Durée et moment de l’entretien

Durée et moment adaptés

Evaluation du contexte

Expérience.

Connaissances cliniques, théoriques

Initiative de l’entretien

Tenue de l’entretien

Evaluation et modification de l’entretien

Connaissance du patient. Connaissances cliniques, théoriques. Expériences antérieures

Nombre de participants

Le nombre de personnes est adapté

Evaluation du contexte et de la demande du patient

Connaissances théoriques. Expériences antérieures

Contenu de l’entretien

Changement de l’état du patient.

Ancienneté dans le poste

Evaluation clinique.

Evaluation du contexte

Mobilisation et combinaison de l’ensemble des ressources.

Analyse de l’entretien

Existence de connaissances  théoriques

Evaluation du contexte

Mobilisation des connaissances théoriques et de l’expérience

Evaluation de l’entretien

Discours du patient.

Comportement du patient.

Evolution.

Développement du lien de confiance

Mesure des éléments donnés par le patient

Utilisation d’une combinaison de connaissances cliniques, théoriques, et d’expériences antérieures

 

4-Discussion autour de quelques éléments

 

 

Le schéma de LE BOTERF nous montre par quel processus nous pouvons appréhender le travail d’élaboration des compétences par les infirmiers (ères) : le phénomène combinatoire avec des références théoriques, des apprentissages et des expériences antérieures. Nous pourrions poursuivre plus loin le raisonnement de G. LE BOTERF en ce qui concerne la notion de transférabilité. IL semble que si la compétence est du domaine propre de l’individu, et si deux personnes agissent de façon différente dans une même situation parce qu’elles ont eu des acquisitions différentes et donc une combinatoire différente, une infirmière va pouvoir agir en situation  d’une certaine façon et transférer sa compétence dans certaines circonstances. Il faut imaginer la présence d’une autre infirmière. Celle ci va pouvoir intégrer cette expérience qu’elle adaptera ensuite peut être dans une autre situation. Les deux infirmières vivent la même situation dans le même contexte et l’une apporte à l’autre une expérience qu’elle n’avait pas. Elle enrichit donc la compétence de sa collègue. C’est parce que la première infirmière aura apporté une compétence précise dans un contexte précis qu’elle aura en quelque sorte enrichi la compétence de ses pairs. Il y a donc bien là un transfert de compétence par contact direct, par « métabolisation des compétences ».

Au départ de l’étude de notre objet de recherche, nous pensions que ce type d’entretien infirmier de suivi thérapeutique n’était pas réellement formalisé. Il nous semblait que les professionnels utilisaient cet outil mais que dans la mesure où il n’était pas formellement identifié et en conséquence mal définit, les pratiques ne l’étaient pas davantage. Nous pensions également que les différents apports cliniques et théoriques réapparaissaient de manière diffuse, au décours de tel ou tel aspect d’un soin.

 La réalité apparaît aujourd’hui bien différente. La pratique de l’entretien infirmier de suivi thérapeutique est formalisée, et cela dans les différents services étudiés, avec comme dénominateurs communs une durée, un lieu, des intervenants, un contenu, une analyse et une évaluation.

Les infirmiers (ères) ont développé de façon autonome une compétence propre, qui relève de l’expertise par l’assimilation et la mobilisation d’une grande diversité d’apports. De plus cet entretien infirmier de suivi thérapeutique se situe juste en aval de l’expertise médicale. Il apparaît donc que cette pratique serait bien du domaine des pratiques avancées.

Tous ces professionnels exercent leur activité au-delà du rôle propre infirmier tel que définit par la loi. Suivant leur expérience, ils évoluent tous plus ou moins régulièrement dans le domaine médical. Cette pratique est implicitement reconnue et acceptée par les médecins. Elle apparaît nécessaire, vitale pour la qualité des soins au  quotidien. Nous pouvons également affirmer qu’elle est institutionnelle. Se pose alors le problème de la responsabilité. L’infirmier (ère) est pris dans un système de double contrainte avec d’un côté une nécessité de soins et d’un autre côté l’impossibilité légale d’assurer ces soins.

Quelques paramètres sont à prendre en considération pour se replacer dans un contexte plus général et essayer de comprendre les raisons de l’existence de cette pratique.

Sans revenir sur les origines historiques, il est important  de préciser que nous avons vu évoluer la demande de soins depuis  une vingtaine d’années. En effet, on note  un développement de la prise en charge de patients qui souffrent de pathologies chroniques stabilisées. Il s’agit donc là d’établir un suivi de soin qui s’inscrit dans la durée. Cette notion de temporalité intéresse  aussi l’activité médicale en ce que le psychiatre est de plus en plus centré sur son expertise. Les consultations avec ces patients sont très espacées (un à deux mois) et le temps de consultation est en diminution. Cela amène une nouvelle organisation de soins pour répondre à la demande de soins des patients.

Nous sommes également confrontés au problème de la géographie médicale en général et de la spécialité psychiatrique en particulier. De plus, il faut se replacer dans le contexte de la démographie médicale pour souligner les enjeux : notre pays n’a jamais eu autant de médecins qu’actuellement. Cela dit, la courbe démographique qui concerne les médecins psychiatres va décroître jusqu’en 2025, enregistrant une baisse de 36% du nombre de ces spécialistes[15].

Au cours de ce travail, une réflexion s’est fait jour : nous avons vu qu’il n’existait pas de bureau de consultation pour l’équipe infirmière. Nous ne parlons pas de consultation infirmière mais d’entretien. La structure des professions médicale et paramédicales fait de l’accès au corps (évoqué par Y. Bourgueil dans le cour du 31 mai 2006 à l’Ecole Supérieure Montsouris) le domaine réservé du médecin : l’évaluation et l’examen clinique avec auscultation palpation percussion…. L’infirmier (ère) ne le fait que par délégation médicale selon une nomenclature très précise. C’est en partie pour cette raison que notre profession est réglementée. C’est aussi pour cette raison que les médecins ont du mal à reconnaître explicitement la compétence propre infirmière. Alors que dans les pays anglo-saxon l’infirmière est avant tout au service du patient, en France, elle a très clairement un rôle d’auxiliaire médicale et elle est donc au service du médecin.

Ce rapport d’étude exploratoire qui porte sur l’entretien infirmier de suivi thérapeutique  ne doit être envisagé que comme un premier jalon. Le travail d’identification qui a été réalisé ne peut suffire. Certaine données sont encore inexploitables (Le taux de réhospitalisation complète qui se situe entre 34% et 35% par exemple) et nécessiteraient l’aide de professionnels de l’évaluation statistique. Cela permettrait en particulier d’évaluer l’efficience de cette pratique.


Pour ne pas conclure… :

 

En se plaçant dans la perspective  de G. LE BOTERF et en utilisant l’outil de la théorisation ancrée, il est apparu envisageable de se doter de repères.

La pratique de l’entretien infirmier de suivi thérapeutique est donc formalisée. Elle est dorénavant identifiée et elle peut s’entendre comme une pratique avancée. Cependant, cette pratique pose la question de la responsabilité.

C’est maintenant au législateur de décider si un tel outil pourrait intégrer le champ des transferts de compétences évoqués par Y. BERLAND. Dans cette éventualité, il devra aussi déterminer le niveau de collaboration ou de coopération adéquat en tenant compte des différents paramètres évoqués. Nous ne pouvons faire l’économie de mener une réflexion sur la redéfinition de la profession d’infirmier (ère). Il serait peut être à l’avenir judicieux de la définir par ses domaines de compétences plutôt que par une liste d’actes dans un décret. Le développement se fera par l’évaluation des pratiques soignantes, ce qui permettra de contourner les pratiques corporatistes parfois vivaces des professionnels.

 

 



[1] Maître de conférences-HDR en sciences de l’éducation Université Paul Valéry-Montpellier3

[2] Professeur de sociologie Université de Marne-la-Vallée, chercheur à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées

[3] Formatrice en soins infirmiers à l’Université de San Francisco et théoricienne

[4] Docteur en lettres et sciences humaines, Docteur en sociologie

[5] LE BOTERF (G.). Construire les compétences individuelles et collectives. Paris : Les Editions d’Organisation, 2000, 2001p. 87

[6] LE BOTERF (G.), op. cit. p. 87

[7] LE BOTERF (G.), op. cit. p. 88

[8] LE BOTERF (G.), op. cit. p. 90

[9] LE BOTERF (G.), op. cit. p. 93   

[10] Dans ce contexte, le mot « collaboration » est entendu dans le sens « élaboration ensemble ».

[11] Ce terme de « coopération » est à envisager ici comme « faire ensemble ».

[12] Doyen de la faculté de médecine de Marseille

[13] Nous le nommerons  également  «  l’entretien de suivi » dans un soucis de concision.

[14] Sujet défini et abordé par l’auteur de ce rapport, consultable à l’Ecole Supérieure Montsouris, sous la forme d’un travail de fin d’étude intitulé « Etude des mécanismes de la réinsertion psychosociale au Havre ».

[15] Données du docteur Y. BOURGUEIL



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