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Université de Paris 8

U.F.R. de Psychologie

Pratiques Cliniques et Sociales

 

 

 

 

 

 

MÉMOIRE DE MASTER 1

Ētude de Psychologie Clinique et Pathologique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'Impact du Soin Relationnel sur l'Équipe Soignante d'une Unité Fermée Psychiatrique pour Adultes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Présenté par:

Peter HILL

 

 

 

 
 
 
Sous la direction de

Madame MONTREUIL

 

Session de septembre 2006

PARTIE 1 - THÉORIE

 

INTRODUCTION

 

La relation est centrale en soins généraux comme en psychiatrie dont la cible est, non pas la maladie, mais la personne malade. Ceci est d'autant plus vrai en psychiatrie où le soin est prodigué, non seulement par la médication, mais aussi par la parole et par l'attitude bienveillante du soignant. Dans la relation avec le patient en psychiatrie, le soignant cherche à établir un lien avec lui, un lien qui le situe dans sa dignité d'être humain, en cherchant à connaître son trouble pour mieux le soigner. Un lien qui cherche à le retenir dans la réalité, à le resituer dans son être social, à le rétablir dans la famille et dans la communauté. La relation par elle-même, disait Peplau, est un facteur de guérison.

C'est Pinel en France, inspiré par la pratique de no restraint de l'Anglais Tucke mais aussi par les méthodes humanitaires à Bicêtre du surveillant  Jean-Baptiste Pussin, qui a – dit la légende – libéré les fous de leurs chaînes. Il a imaginé, en tous les cas, à l'époque qui a vu naître la Déclaration des Droits de l'Homme, que le fou portait en lui un fond de raison par lequel il serait possible de créer un lien avec lui et peut-être le guérir. Pussin,                             l'« épiphénomène », n'a pas survécu à lui-même. Les asiles d'aliénés, voulu par Esquirol et instaurés par la loi de 1838, devaient créer une espace dans laquelle l'imagination des aliénés, source de déraison, devait trouver une sorte de liberté contenue qui faciliterait le retour à la raison et à la guérison. A la fin du 19ème siècle il était devenu apparent que les asiles fabriquaient, plus qu'ils ne guérissaient, la folie.

Il faut attendre la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour que la relation comme élément fondamental du soin soit développée. Par Carl Rogers dans le domaine de la psychologie et par Hildegard Peplau dans celui des soins infirmiers. Mais Freud et les fondateurs des méthodes psychodynamiques avaient découvert qu'il y a un prix à payer dans le soin relationnel. Le transfert et le contretransfert, d'abord perçus comme des entraves aux soins et ensuite, selon l'école, comme outils possibles, se présentent comme un danger potentiel. Il y a un facteur contaminant de la maladie de la psyché.

Il est important de connaître la nature des effets du soin relationnel en psychiatrie, qui peut être un outil de soin. Ces connaissances doivent être prises en compte dans la formation et le travail des soignants en psychiatrie, et le facteur éthique inhérent aux soins reconnu. Elles portent sur la qualité des soins, du bien-être des soignants et des soignés. Elles peuvent servir à garder des soignants plus longtemps dans leur emploi, améliorant leurs qualités professionnelles par l'expérience accumulée, qualités qui profitent aux patients et aux collègues moins expérimentés.

En France, la recherche dans le domaine du soin relationnel en psychiatrie reste à un niveau modeste. Les écoles de médecine ne forment pas les futurs psychiatries dans la pratique de la thérapie relationnelle. Quant aux infirmiers en psychiatrie, ils sont toujours à la recherche de leur identité professionnelle, et leur formation ne favorise pas la recherche infirmière. D'autre part, la notion de l'inconscient, inhérente au concept du contretransfert, peut paraître problématique pour la recherche expérimentale qui fonctionne avec le quantifiable et le vérifiable.

Néanmoins, et notamment dans la littérature anglophone, des tentatives sont faites pour transposer le concept du contretransfert dans le cadre psychiatrique afin d'étudier ses effets et sa nature. Si l'on ne peut pas étudier l'inconscient, par définition inconnaissable, ses manifestations peuvent être objet de recherche. Le contretransfert se manifeste au soignant, par l'émotion ressentie, par un effet somatique, par son propre comportement perçu comme inapproprié.

Inspiré par des études effectuées sur la mesure d'émotions ressenties par des soignants dans leur contact médical avec des patients, nous avons adapté une Liste de Contrôle d'Émotions en vue de notre recherche. Nous avons cherché à étudier les effets du soin relationnel sur l'équipe soignante dans une unité de secteur psychiatrique pour adultes. En préparation à cette étude nous avons effectué une série d'interviews avec dix infirmiers, trois aides-soignants et un psychiatre de l'unité. En nous servant des résultats de la pré-étude et sur la base de notre recherche théorique, nous avons étudié les effets de la relation sur les cinq psychiatres du l'unité et cinq infirmiers. Le groupe de contrôle a consisté en cinq membres de l'équipe de l'unité non-soignants.

Bien qu'il ne soit pas possible de valider nos résultats statistiquement, ils semblent indiquer que le soin relationnel est producteur d'émotions chez les soignants et que les soignants plus avancés par leur formation et leur expérience dans le soin relationnel ressentent davantage d'émotions que leurs collègues. D'autres résultats indiquent que les soignants plus avancés en formation et en expérience professionnelle peuvent ressentir des émotions plus diverses que leurs collègues. Les résultats dans l'ensemble encouragent à poursuivre cette ligne de recherche sur une échelle plus grande.

 

 

 

 

 

I. LE SOIN RELATIONNEL DANS SON CONTEXTE HISTORIQUE

 

 

L'objet des soins psychiatriques est la personne malade mais le médecin et l'infirmier(e) n'ont pas le même travail (Jeandenans, 2005) et, depuis Pinel et Pussin, l'évolution de leurs rôles et statuts respectifs ne s'est pas déroulée en parallèle. L'évolution du psychiatre doit se comprendre dans le contexte des représentations sociales de ceux qu'on appela les "fous" et puis les "aliénés" avant de les nommer "malades mentaux". Il s'agit de l'histoire de l'identité du malade et de sa maladie. L'évolution de la profession infirmière, par contre, est l'histoire de la recherche de son identité.

 

 

L'Évolution de la Place du Malade en Soins Psychiatriques en France

 

La situation du fou avant la Révolution

D'après Foucault (1972), le fou du Moyen Age est associé au mal et à la possession par le Diable, et par conséquent, chassé des villes. A partir du 17ème siècle, Descartes établit la raison sur la base du doute et différencié raison et déraison. Avec l'instauration de l'Hôpital Général en 1656, le fou, sans raison et donc sans moralité, est enfermé avec des vagabonds, des infirmes et des prostituées dans le but de les faire travailler (Ibid., 1972). Au 18ème siècle, on différencie entre le social et le naturel. Le fou, faisant partie du domaine du naturel, est considéré sans humanité. Perçu comme une bête dangereuse il est enchaîné (Ibid., 1972).

 

Autour de la Révolution

Sur fond de l'esprit de la Déclaration des Droits de l'Homme, on commence à libérer des détenus mais on garde les fous, à la fois pour protéger la société de leur dangerosité et pour leur propre protection dans la mesure où ils sont incapables d'autonomie (Ibid., 1972). Mais avec Tenon et Cabanis, l'internement du fou commence à être vue comme un moyen de guérison

 

Pinel et le "traitement moral"

En 1793, Pinel prend la direction médicale de l'hospice à Bicêtre. En Angleterre, William Tuke a mis en place la politique de no restraint, destinée à accorder davantage de liberté aux patients. Inspiré par cette idée mais aussi par sa rencontre avec Jean-Baptiste Pussin à Bicêtre (Swain, 1977), Pinel développe sa thèse de "traitement moral" (Hochmann, 2004, p.7-10). Cette notion est basée sur la prémisse que le malade possède un fond de raison par lequel on peut communiquer avec lui et l'influencer. Le malade acquiert ainsi le statut de sujet.

 

Naissance de la psychiatrie

La loi de 1838, voulue par Esquirol, instaure les asiles qui prendront en charge les      « aliénés » jusqu'à l'application de la sectorisation dans les années 1970 (Durand, 2006).

A partir du début du 19ème siècle, deux tendances d'explication de l'aliénation commencent à se dessiner, une qui associe la maladie mentale à des atteintes du système nerveux (organicisme), l'autre, inspiré par les psychistes allemands, qui conçoit la folie comme erreur (Hochmann, 2004, p. 19-26). Les organicistes comme Griesenger et Jean-Paul Falret s'intéressent à la guérison de la maladie et commencent à mettre au point la classification de maladies mentales différenciées (Ibid., p. 31). Falret œuvre pour la reconnaissance de la spécialité psychiatrique (Ibid., p. 31).

 

Guérir la maladie mentale

Le positivisme du 19ème siècle est né, selon Foucault, de la découverte que la folie peut être connue et maîtrisée (1972, op. cit., p. 481). Là où jadis la folie était déraison, elle acquiert sa propre vérité, objet de la promesse de la connaissance (Ibid., p. 481; p. 496).

Minkowski, suivant Karl Jaspers, développe l'approche phénoménologique qui insiste sur l'aspect relationnel entre le médecin et le patient et qu'on nommera empathie à partir de 1950 (Ibid., p. 82). Par cette approche, le malade mental est considéré comme une personne dans sa globalité.

 

La fin des asiles d'aliénés : la psychothérapie institutionnelle

La deuxième guerre mondiale, l'occupation, les camps de concentration et de mort donnent un autre relief sur l'asile psychiatrique (Ibid., p. 94). Après la guerre, quelques psychiatres entreprennent de réformer le système asilaire, se basant sur l'expérience à Saint Alban en Lozère (Ibid., p. 92). Ils attaquent l'approche organogenététique de la maladie mentale, source de « suraliénation » des malades et proposent une approche mettant en cause des facteurs environnementaux (Ibid., p. 93). C'est Georges Daumezon qui propose l'expression     « psychothérapie institutionnelle » pour décrire un renouveau, après la guerre, du traitement moral dont l'institution est le cadre (Ibid., p. 93). Ce mouvement aboutit à travers la publication d'une circulaire ministérielle en 1960 à la mise en place de la psychiatrie de secteur (Ibid., p. 106).

Organogenèse et psychogenèse

Deux mouvements à la fois contradictoires et complémentaires se mettent en place à cette période. La découverte de médicaments psychotropes à partir des années 50 permettent la stabilisation des malades mentales et, ce faisant, le raccourcissement de leur séjour en hôpital. Les médicaments étant pris en charge par la Sécurité Sociale, les malades se trouvent un statut de malades comme tous les autres (Ibid., p. 97-100).

Après la guerre, la psychiatrie se tourne vers la psychanalyse pour trouver des explications des troubles mentaux, et Jacques Lacan sera une influence importante en France (Ibid., p. 100-101). On découvre que, au contraire de ce qu'avait pensé Freud, les psychotiques ont une forte capacité de transfert que les psychiatres doivent affronter (Ibid., p. 103).

Hochmann (Ibid.) situe au début des années 1980 le déclin de l'approche psychanalytique en faveur de la neurobiologie, la génétique et l'épidémiologie (p. 119).

 

 

L'Évolution du rôle et du statut de l'infirmier(e) en psychiatrie

 

La profession infirmière de nos jours, lorsque le professionnel est une femme, évoque tout un spectre d'images dans les représentations collectives. Sur un pôle, les aspects religieux de ses origines et le dévouement. À l'autre pôle, un éternel féminin qui oscille entre l'image de la mère, tendre et généreuse, et celle de la femme, source de désir et de sexualité (Courtois et al., 2005). Mais qu'en est-il de la réalité de la profession infirmière ?

L'étymologie du mot "infirmier", qui date de 1398, vient d' "infirme", "infirmité" et du latin infirmus, "le malade" ou "l'invalide". Il est surtout utilisé à partir du quinzième siècle pour désigner celui ou celle qui travaille dans les infirmeries (Girault & Bellon, 2005). Cependant, il a fallu attendre le vingtième siècle pour que les infirmier(e)s (appelé(e)s aussi « gardes-malades ») obtiennent une reconnaissance et un statut professionnels (Ibid, 2005). En ce qui concerne les infirmier(e)s en psychiatrie, l'évolution vers un statut professionnel a été plutôt ardue en raison notamment des résistances de la part du corps médical à ce que ces auxiliaires sortent de leur rôle ancillaire et acquièrent des connaissances médicales (Jaeger, 1990).

 

L'état des lieux au début de la Révolution française

Les premiers soignants en Antiquité sont les représentants, hommes et femmes, des ordres religieux (Durand, 2006). A la fin du dix-huitième siècle en France, ces « auxiliaires du médecin » se sont en grande partie laïcisés devant la pénurie en religieuses et l'accroissement des institutions, mais aussi devant la méfiance avec laquelle La Révolution perçoit l'influence de l'Église (Jaeger, op. cit.).

Les « gardiens de fous » à la Révolution française - laïcs ou religieux - partagent leur rôle entre la surveillance (contenir la violence des malades) et le travail de domestiques, et n'appartiennent pas à la médecine (Ibid.). Parfois issus des rangs des anciens aliénés ou recrutés parmi d'anciens militaires ou de garçons de ferme, ils vivent avec les malades et sont souvent perçus comme aussi misérables et dépravés que la population dont ils ont la charge (Ibid.).

 

L'exemple de Pussin

La légende veut que Pussin soit le premier infirmier en psychiatrie (Ibid.). Selon Jaeger, c'est Swain (1977) la première qui montre que ce n'est pas Pinel qui a libéré les fous de leurs chaînes, comme son fils Scipion Pinel et Esquirol l'ont maintenu, mais bien Pussin qui a eu une influence considérable sur Philippe Pinel (Jaeger, 1990; Friard, 2006a). Ce que nous savons de Pussin a été rapporté par Pinel dans son ouvrage sur le traitement moral[1]. Y est décrit la philanthropie de Pussin mais aussi son savoir et son savoir-faire non-médical qui relève d'une véritable démarche de soins (Jaeger, op. cit.). Ceci notamment par l'utilisation de la parole comme outil de soin dans la relation. Pussin s'en sert pour consoler le malade, pour le maîtriser à la place de la force physique, pour l'influencer, voire pour le manipuler (Ibid.). Pussin a également écrit. Le Traité de Pinel fait allusion à un manuscrit de Pussin dans lequel celui-ci a écrit ses observations sur les malades et expliqué les raisons pour lesquelles il a supprimé les chaînes. Ce manuscrit a été trouvé et publié dans un article de Weiner (1980).

A la mort de Pussin en 1811, Pinel décide que c'est Esquirol qui prendra sa place en tant que « médecin-surveillant » (Jaeger, op. cit.). Pussin ne servira pas de modèle pour les futurs gardiens de fous. Cette décision, qui semble difficile à comprendre aujourd'hui, serait due à l'attitude de ce dernier. Ayant une forte personnalité, Pussin avait tendance à ne pas respecter à la lettre la hiérarchie institutionnelle établie et prenait souvent des initiatives qui n'était pas toujours appréciée (Ibid.). La médecine depuis toujours et jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle appartient aux médecins et, s'ils reconnaissent le besoin d'être secondés par les auxiliaires, ceux-ci doivent gérer le fonctionnement quotidien des institutions mais d'aucune manière accéder à des connaissances et à des pratiques médicales (Ibid.).

L'après Pussin

Le système asilaire instauré par Esquirol survivra jusqu'à la mise en place de la sectorisation dans les années 1960 et 1970. Selon Jaeger (op. cit., 1990), les auxiliaires, appelés indistinctement, « gardiens », « infirmier(e)s », « surveillants »[2], sont appelés à vivre avec les aliénés afin d'acquérir des connaissances sur l'état de ceux-ci, nécessaires pour accomplir leur travail. Avec le système de « service permanent » le temps de repos n'est pas réglementé et dépend du bon vouloir des supérieurs hiérarchiques. Ils sont soumis à une discipline quasi militaire avec port d'un uniforme et l'interdiction de sortie sans autorisation spéciale. De plus, le célibat est encouragé et ils ne reçoivent que des « gages », comme les domestiques (Ibid.).

Selon l'esprit à la base de la conception de l'asile, le gardiennage est associé à l'idée de la protection des malades dans un univers clos, cadre thérapeutique qui garantit en même temps une protection de la société (Ibid.). Il devient de plus en plus évident au début du vingtième siècle que, sans un personnel compétent, ayant acquis une formation adéquate et travaillant dans des conditions décentes, les idéaux de l'asile resteront lettre morte (Ibid.).

 

Vers la mise en place d'une profession infirmière

À partir de la fin du dix-neuvième siècle et le début du vingtième, va se mettre en place un mouvement qui part de la perception des « auxiliaires du médecin » comme un corps de domestiques vers celle d'une profession infirmière dont les sujets, formés et compétents, font partie intégrante du corps médical. Mais encore faudrait-il que la formation infirmière s'appuie sur des bases solides théoriques qui définissent clairement le rôle et la fonction du personnel infirmier.

Friard (2006b), dans un texte critiquant la politique générale de la formation des infirmiers en France, déplore l'ignorance manifestée généralement par ceux-ci en ce qui concerne l'histoire de leur profession. Selon lui, il y a tendance à enseigner aux infirmiers des actes techniques sans se référer aux écrits théoriques qui, depuis Hildegarde Peplau en particulier dans les années 1950 aux États-Unis, mettent l'accent sur l'aspect relationnel des soins. Selon Friard (op cit., 2006b), aucune théorie des soins infirmiers, généraux ou psychiatriques, n'a été élaborée en France. Il faut se tourner vers des auteurs anglophones pour découvrir le développement d'une théorie de la profession infirmière.

 

Paradigmes de pensée et théories de la discipline infirmière

Kérouac (1994), s'appuyant sur les écrits de nombreux auteurs, situe le développement de la théorie du rôle et du travail des infirmiers dans le contexte de l'évolution des grands courants de la pensée (ou paradigmes) depuis le milieu du dix-neuvième siècle. A l'intérieur de ces grands courants se dessinent des orientations spécifiques à la profession infirmière. Ces orientations ont servi de base pour la création d'un certain nombre d'écoles de pensée.

La première infirmière qui propose une théorie de la profession est Florence Nightingale à partir des années 1850 (Ibid., p. 4). Nightingale fut appelée par les autorités britanniques à organiser les soins infirmiers dans les hôpitaux militaires lors de la guerre de Crimée. Nightingale introduit les concepts de   « soin », de « personne », de « santé » et        d'« environnement » qui vont continuer à apparaître dans les écrits de nombreuses infirmières théoriciennes (Ibid., p. 2).

Pendant cent ans, Nightingale reste la seule référence de la théorie de la discipline infirmière (Ibid., p. 27). Vers le milieu du siècle dernier, les paradigmes de la pensée évoluent vers l'orientation spécifique des soins sur la personne (Ibid., p. 9). La plupart des écoles de pensée infirmière sont issues de cette orientation (Ibid., p. 10). Après les souffrances de la Grande Dépression économique des années trente et la Seconde Guerre mondiale, des penseurs comme Carl Rogers dans le domaine de la psychologie, indiquent une orientation vers une reconnaissance de l'importance de l'être humain dans la société (Ibid., p. 9). La personne soignée est perçue dans sa globalité de personne physique, mentale et sociale (Ibid., p. 11).

A partir des années 1950 et après Nightingale, d'autres infirmières théoriciennes proposent des conceptions de la discipline infirmière que Kérouac regroupe en six écoles. Parmi celles-ci, l'École de l'Interaction fondée par Hildegard Peplau  à la fin des années 1950 est la seule à s'être occupée à la fois des infirmier(e)s en soins généraux et en psychiatrie (Ibid., 1994). C'est Peplau qui donna une expression formelle aux pratiques déjà existantes, issues de Pinel et Pussin en France et de Tucke en Angleterre (A.J. O'Brian, 2001).

 

Hildegarde E. Peplau

Le concept du soin selon Peplau (1952/1995) est inspiré de la théorie psychanalytique et perçu comme humanitaire et non mécanique. Il appelle à un engagement de la part du soignant. La relation interactive entre le soigné ayant besoin d'aide et le soignant capable d'apporter cette aide a une valeur thérapeutique (Kérouac, 1994). Cette approche appelle à des connaissances et une autonomie accrues de la part des infirmier(e)s. Le soin relationnel doit contribuer, non seulement à la guérison espérée, mais à amener le patient à des compétences intellectuelles et interpersonnelles plus développées qu'avant la maladie (Gastmans, 1998). Cent ans après Florence Nightingale, Peplau a contribué au développement d'un sens d'identité de la profession infirmière (Ibid.).

 

 

II. LE SOIN RELATIONNEL

 

L'héritage de Carl R. Rogers au soin relationnel

Le postulat central à la méthode de Rogers, la Thérapie Centrée sur le Client (Client Centred Therapy – CCT), est que l'individu à tendance à se développer naturellement en harmonie avec lui-même et avec son environnement (Merkling, 2004). Allant à l'encontre de la théorie freudienne qui conçoit la source du conflit intérieur dans le passé de l'individu, Rogers met l'accent sur sa situation actuelle (Merkling, 2004). Dans un papier qui expose l'essentiel de ses idées en matière de psychothérapie (Zimring, 1994), Rogers énonce six conditions              « nécessaires et suffisants » pour permettre un changement psychothérapeutique (Rogers, 1957). Ces conditions devraient être mesurables scientifiquement, par la méthode Q-sort[3] ou par d'autres méthodes à venir (Rogers, 1957).

L'essentiel de ces conditions est le suivant : Le thérapeute et le client sont en contact psychologique dans une relation, sans quoi un changement significatif et positif de la personnalité est impossible. Le client est dans un état d' « incongruence » ou manque d'harmonie avec lui-même. Le thérapeute, au contraire, est en « congruence » avec lui-même, c'est-à-dire, il est sincère, intègre, conscient de lui-même, profondément et librement lui-même. Le thérapeute a des dispositions « inconditionnellement positives » envers le client. Il est en empathie avec lui, ce qui le permet de différencier ses propres sentiments de ceux du client. Le client a une perception de l'empathie du thérapeute et se sent accepté par lui (Rogers, 1957).

 
Les tendances de la recherche

Peplau souligne l'importance de la recherche pour avancer la discipline infirmière en tant que profession autonome (Gastmans, 1998). La recherche infirmière est liée à un niveau de formation adéquate. Elle permettra de recueillir des connaissances sur le rôle et la fonction de la discipline infirmière, renforçant son identité professionnelle.

En France, la recherche n'est sans doute pas favorisée par le niveau de formation des infirmier(e)s qui, pour le moment - au contraire d'autres pays de l'Europe - n'est pas assurée en troisième cycle (Friard, 2003). Cependant, l'importance dans laquelle la relation soignant-soigné est tenue en France est apparente dans la quantité d'articles consacrés à ce sujet dans la presse spécialisée pour infirmier(e)s. Ces articles prennent souvent la forme de conseils visant à améliorer la qualité des soins ou cherchent à donner un aperçu de ce qui est la « bonne distance » soignant-soigné entre une intimité jugée nuisible, car elle encourage la dépendance du patient, et une position professionnelle trop distante où la relation est inexistante.

En ce qui concerne la profession du médecin, la recherche sur sa relation avec le patient est rare. Cela est dû peut-être du fait que le médecin est perçu comme celui dont l'identité professionnelle et la fonction semblent claires. Les moyens à sa disposition évoluent au gré des découvertes scientifiques et des tendances philosophiques, mais sa fonction de base n'évolue guère. C'est celui qui, fort de son autorité et de ses connaissances accumulées sur des années d'études et de formation, mène l'entretien médical et pose le diagnostic.

 

 

La recherche sur les psychiatres

 

Dans une thèse de doctorat, Gouin (2001) affirme l'importance en psychiatrie de la relation médecin-patient, en parallèle à la prescription de médicaments. Illustrant ces propos de trois vignettes, l'auteur décrit cette relation qui est possible grâce à la sectorisation. Y sont impliqués le médecin, le patient et sa famille dont la parole lors d'entretiens permet de symboliser les relations, ce qui peut aider à dénouer des conflits inter et intrapersonnels. Toutefois, l'impact de la relation sur le médecin n'est pas abordé dans cette thèse.

Jeandenans (2005) étudient deux cas de professionnels de la santé mentale souffrant de troubles psychiatriques, l'un est pédopsychiatre l'autre infirmier psychiatrique. Il soulève la difficulté qu'ont ces patients d'admettre des soins mais aussi d'accepter leur place de patients et d'y être acceptés par l'équipe soignante, vu leur statut professionnel. Constatant la carence en connaissances de soins relationnels et ces conséquences dans la formation des médecins, il appelle à l'inclusion de « psychologie médicale » dans leur formation.

 

 

La recherche sur les infirmier(e)s

 

La recherche infirmière est abondante, notamment en langue anglaise. Une partie de la recherche est consacrée aux aspects particuliers du soin relationnel. Une autre cherche à déterminer l'identité de la profession à travers le rôle et la nature des soins infirmiers. L'espace nous manquant pour rendre compte de ses aspects, nous allons nous concentrer sur la recherche infirmière s'intéressant aux effets des soins relationnels.

 

 

III. ASPECTS des EFFETS du SOIN RELATIONNEL

 

La relation comme facteur commun à divers types de psychothérapie

Dans un ouvrage de recherche sur les méthodes de la psychothérapie comportementale, Schaap et al. (1996) ont cherché le facteur commun liant diverses formes de psychothérapies. Ce facteur est la relation thérapeutique. Plusieurs études comparatives indiquent que même dans le cadre de thérapies comportementales, considérées généralement comme étant plus « techniques », les thérapeutes avaient un contact plus intense avec des clients que des psychanalystes et montraient davantage d'empathie et d'harmonie que ces derniers. Mais ils étaient aussi plus directifs que les psychanalystes (Ibid.).

 

Revue des théories sur les effets de la relation soignant-soigné

Il ne semble pas avoir de la recherche ayant étudié des effets de la relation chez les psychiatres. Chez les infirmier(e)s, la littérature indique quatre types d'effets de la relation : le burnout, la détresse morale, le trauma et le contretransfert.

Le concept de « burnout » (épuisement moral et physique), utilisé pour la première fois par Freudenberger en 1974, a été développé par Maslach (Iacovides, 1997; Maslach, 1982) et a été l'objet de nombreuses études francophones et anglophones. Le syndrome de burnout est associé à l'épuisement émotionnel dû à un travail stressant qui amène le sujet à fonctionner en dessous de ses capacités professionnelles (Maslach, 1982).

Selon une étude canadienne (Austin, 2003), le manque de ressources à la disposition des infirmier(e)s en psychiatrie (le temps et les effectifs) est une source de détresse morale qui a pour effet de diminuer de façon significative la capacité des infirmier(e)s de fournir des soins de qualité. Austin la définit comme la réaction aux choix moraux qui sont contrariés par des contraintes externes.

Une autre étude canadienne (Morrissette, 2004) a examiné la réaction d'étudiant(e)s infirmier(e)s aux aspects de la clinique psychiatrique qu'ils rencontrent lors de stages. Selon cet auteur, des études récentes ont introduit des concepts proches de celui de l'État de Stress Post-traumatique qui peuvent expliquer la souffrance de ces étudiants au contact clinique de certains patients. Parmi les facteurs permettant le diagnostic d'un état de stress post-traumatique présenté par le DSM IV (American Psychiatric Association 1994), est une réaction par le sujet à un événement qui se traduit « par une peur intense, un sentiment d'impuissance ou     d'horreur ».

Ces effets de la relation, tous associés à l'émotion du soignant, ont en commun une réaction par celui-ci à un phénomène externe ou conçu comme tel. Par contre, le concept du contretransfert semble décrire un lien plus direct entre le soignant et le soigné dans leur relation. Bien que les symptômes des effets ne permettent pas toujours la différenciation claire des modèles, nous allons tenter de présenter les spécificités du phénomène du contretransfert.

 

 

Aspects psychodynamiques des effets du soin relationnel

 

De manière générale, la recherche sur le contretransfert indique en préalable l'appartenance de ce concept aux théories psychodynamiques, s'appuyant sur des concepts       d' « inconscient » de « projection » et de « transfert ». Dans ce chapitre, nous allons examiner ces concepts, indispensables pour bien saisir celui de « contretransfert ». Notre but ici est de déterminer en quel mesure il est possible de transposer le concept de contretransfert du contexte psychodynamique afin de l'utiliser dans nos questionnements dans le cadre psychiatrique.

 

Possibilités et limites des concepts psychodynamiques

Les concepts psychodynamiques sont peu abordés dans la littérature sur la discipline infirmière et la recherche (O'Kelly, 1998). De plus, des concepts comme « transfert » et           « contretransfert » sont difficiles à vérifier et posent donc la question de leur utilisation en dehors du cadre psychanalytique (Jones, 2004). O'Kelly (1998) remarque que la théorie psychanalytique demande l'acceptation du concept de l'inconscient. Cependant, celui-ci permet d'introduire des notions de profondeur et de complexité dans la compréhension du comportement humain. Elle ajoute que, si l'inconscient ne peut pas être observé empiriquement, ses effets peuvent être observés. Selon Jones (2004), les concepts psychodynamiques, étant utilisés par certains auteurs dans la littérature sur la discipline infirmière, il convient d'en avoir connaissance. Comprendre les concepts peuvent permettre de donner un sens aux événements complexes même si leur signification ne sera jamais totalement connue. Peplau a cherché à relier l'observation de la pratique infirmière aux théories des sciences naturelles et sociales (Gastmans, 1998). Rogers (1957) maintient que les conditions de sa psychothérapie centrée sur le client sont mesurables scientifiquement. Selon lui, la connaissance des dynamiques n'est pas essentielle pour tester des hypothèses. Betan et al. (2005) ont montré que le contretransfert est un phénomène qui n'est pas unique aux méthodes psychodynamiques de la thérapie.

 

Peut-on mesurer l'inconscient ?

Freud n'a pas découvert l'inconscient mais redécouvert son importance thérapeutique et la « voie royale » vers celui-ci que sont les rêves (Freud, 1900/1999). L'utilisation thérapeutique de l'inconscient existe depuis la nuit des temps (Ellenberger, 1994). Ainsi, des guérisseurs et chamans ont de tout temps utilisés des techniques diverses, se servant aussi bien de leurs propres forces psychiques inconscientes que celles de leurs malades pour libérer ceux-ci d'un mal (Ibid.).

D'après Ellenberger (Ibid.), la notion d'inconscient voit le jour avec Mesmer en 1775. Celui-ci a tenté le premier de donner une explication rationnelle à l'action de sa thérapie qu'il appelle le « magnétisme animal ». Ce concept est le précurseur, via l'hypnotisme que Charcot fait reconnaître par l'Académie des sciences en 1882, de la psychanalyse développée par Freud mais aussi d'autres formes psychodynamiques développés par Pierre Janet, Alfred Adler et Carl Gustav Jung (Ibid.).

L'inconscient pour Freud désigne un système constitué de contenus refoulés qui ne sont pas présent dans le champ actuel de la conscience (Laplanche & Pontalis, 1998). Pour C. G. Jung (1974), le concept de l'inconscient, à la fois de nature personnelle et collective, couvre tous les contenus et les processus de la psyché qui ne sont pas accessibles au Moi. Rogers (1957) utilise souvent dans son article le terme aware, « conscient » ou « porté à l'attention » et non pas « conscient » ou « inconscient ». Cependant, Rogers différencie entre les sentiments du thérapeute qui sont reconnus par celui-ci, lui permettant d'être en « congruence » avec le client, et ceux qui ne sont pas reconnus et donc nuisibles à la thérapie (Ibid.). Pour Jung (1974), dès le moment que l'existence de l'inconscient est acceptée, il s'ensuit que la connaissance doit être perçue comme incomplète car, la réserve de la connaissance étant la psyché, elle n'est que partiellement accessible à la conscience (Jung, 1974).

Pour les besoins de notre étude et sans déconsidérer les diverses théories de l'inconscient, nous allons postuler le concept de l'inconscient comme l'expression des limites de la connaissance, y compris la connaissance de soi-même et de ses états psychologiques.

 

La projection

Ce concept n'est pas toujours abordé de manière distincte dans la littérature mais il est nécessaire, nous semble-t-il, de le différencier du concept de transfert. Si le transfert réfère à un mécanisme de projection, il désigne spécifiquement un aspect de la thérapie psychodynamique. Freud a suggéré que des sentiments et des pensées peuvent se « transférer » inconsciemment d'une personne à une autre (Jones, 2004). La projection pour lui est une réaction causale qui consiste à attribuer à des perceptions externes la cause des affects (Gibeault, 2000). Jung, s'inspirant de la notion de participation mystique de Lévy-Bruhl, fait un parallèle entre l'homme primitif qui ne différencie pas entre « sujet » et « objet » et l'homme civilisé qui projette inconsciemment parents, affects et préjugés sur certaines personnes (Jung, 1984). Melanie Klein (1995 ) décrit la projection comme une défense contre l'angoisse dont la première forme est de nature persécutrice. Chez le nourrisson à la position paranoïde-schizoïde, les sentiments d'amour et de haine, d'origine intérieurs, sont clivés et dirigés contre le premier objet, la figure maternelle, perçu comme le mauvais sein ou le bon sein. Désormais, pour le nourrisson, ses contenus projetés appartiennent à l' « objet » (l'autre). Bion (1959) souligne l'aspect fonctionnel du lien qui est ainsi créé entre le monde intérieur et le monde extérieur. Selon lui, ce processus, nommé « identification projective » par Klein, peut dans certaines conditions devenir excessif, détériorant des processus normaux de développement du sujet.

Selon Jung (1977, par. 519), la projection n'est pas un fait du hasard : Pour qu'il y ait projection, il faut un "crochet" sur lequel la "suspendre". L'objet de la projection doit posséder une qualité inhérente qui est "reconnue". Brenman Pick (1985) utilise la métaphore de              « l'accouplement » (to mate) pour décrire ce phénomène. Dans une vignette clinique, elle décrit la projection d'un patient sur l'analyste, perçu et désiré comme un personnage maternel et compréhensif. La projection du patient s'est "accouplée" ou "accrochée" à un désire inconscient chez l'analyste d'être maternant avec ce patient.

 

Le transfert

Freud parle pour la première fois du transfert dans son œuvre sur l'hystérie écrit avec Breuer (Freud, 1895/1956). Il le décrit comme un aspect de la résistance du patient et donc un obstacle à l'analyse. Mais en 1905, en décrivant les deux rêves de Dora, il remarque que l'analyste peut prendre la place d'un participant du rêve, ce qui rend le transfert un instrument thérapeutique puissant (Freud, 1954). C'est cette dernière approche qui a prévalu au fil du temps (Betan, 2005). Il est généralement reconnu que, hors du cadre pathologique, le phénomène de « transfert » (dans le sens de la projection) est aussi la fondation de toute relation, qu'elle soit sociale, amicale ou amoureuse (Klein, 1995; O'Kelly, 1998; Jones, 2004; Cameron et al., 2005).

Le transfert dans le cadre psychodynamique est une forme de projection par laquelle un analysant déplace sur l'analyste des sentiments, des pensées et des comportements vécus dans le passé avec des personnes signifiantes (O'Kelly, 1998). Les éléments projetés peuvent être positifs (admiration, amour, désir érotique) ou négatifs (aversion, colère, rage) (Jones, 2005).

 

Le danger potentiel du transfert

Le transfert n'est pas sans danger potentiel pour l'analyste. Jung (1970, par. 163) compare la relation analyste-analysand avec la réaction de deux substances chimiques : s'il y a combinaison, les deux substances sont transformées. Or, selon la vieille idée du démon de la maladie, la personne souffrante peut transmettre sa maladie à une personne saine qui a la capacité de soumettre le démon – mais non sans que son propre bien-être ne soit affaibli. Winnicott (1949) décrit d'une autre manière ce qu'on pourrait appeler la contamination du soignant. Soulignant le danger du soin relationnel avec le psychotique, il dit l'importance qu'il y aurait d'étudier de quelles manières l'anxiété psychotique, mais aussi la haine, sont produites au sein de ceux qui travaillent avec des patients psychotiques. Bion (1957) fait l'analogie de la relation mère-enfant dans la relation psychanalyste-patient. Quand tout se passe bien, la mère est capable de recevoir ou d'introjecter les émotions intolérables projetées par le nourrisson, de les transformer et de les lui restituer en une forme digestible. Dans le cas contraire, les projections du nourrisson se transforment en attaques, via le mauvais sein, contre le lien avec la mère. Le patient psychotique, par le même processus d'identification projective, cherche à faire recevoir par l'analyste ses émotions intolérables, les dites émotions devant être contenues par ce dernier.

 

Le contretransfert

Tandis que le concept du transfert semble bénéficier d'un consensus général quant à son sens, le contretransfert est controversé chez les psychanalystes (O'Kelly, 1998; MacCulloch, 1999). Ce concept est difficile à définir et à incorporer dans la communication claire qui serait nécessaire pour l'information des infirmier(e)s (Ens, 1998).

Le terme « contretransfert » est utilisé pour la première fois par Freud dans une lettre du 7 juin 1909 adressée à Jung (Freud-Jung, 1975). Il s'agit d'une réponse aux difficultés exprimées par celui-ci au sujet de son ancienne patiente, Sabina Spielrein[4] avec laquelle il partage une passion réciproque après l'avoir guérie d'une « hystérie psychotique ». Freud a sans doute utilisé cette forme réactive pour décrire ce qui semblait être, en sens inverse, le transfert de l'analyste sur l'analysante. Cette définition est à la base de ce qu'on appelle aujourd'hui le point de vue « classique » par rapport au point de vue « holistique » (Ens, 1998) ou                  « totalistique » (O'Kelly, 1998; MacCulloch, 1999) qui en est le développement. La classification « classique-totalistique » est attribuée à Kernberg (1965) (O'Kelly, 1998, MacCulloch, 1999).

Le point de vue classique reste proche du sens donné par Freud et décrit les réactions inconscientes de l'analyste à son patient. Ces réactions sont le reflet de conflits non-résolus chez l'analyste qui doivent être surmontés par celui-ci avant de pouvoir travailler efficacement avec le patient (O'Kelly, 1998, MacCulloch, 1999). Cette approche a été modifiée par la suite pour incorporer la réaction de l'analyste au transfert du patient (Ens, 1998). L'interprétation classique est limitée, ne permettant pas à l'analyste d'utiliser les émotions créées en lui dans un but thérapeutique (Ens, 1998).

Le point de vue totalistique élargit le concept pour intégrer la réaction totale de l'analyste, consciente et inconsciente. Cette réaction totale est considérée comme un outil permettant une meilleure compréhension du patient (O'Kelly, 1998, MacCulloch, 1999). Bien que ces deux approches soient en désaccord l'une avec l'autre, il est généralement accepté que le contretransfert est un caractéristique important de la relation soignant-soigné et doit être reconnu et pris en charge (MacCulloch, 1999).

 

Les conséquences du contretransfert

Le contretransfert est difficile à reconnaître en soi du fait de sa nature inconsciente (O'Kelly, 1998). Quelle que soit la position du soignant – classique ou totalistique – dans sa rencontre  avec  le soigné,  le soignant  doit  néanmoins  faire face à ses émotions, sans quoi les

 

effets peuvent en être nuisibles pour le patient, pour lui-même ou pour les soins du patient. Winnicott (op cit., 1949) avance que le soignant doit pouvoir accepter la haine qu'il lui arrive d'éprouver pour ses patients psychotiques, et en être parfaitement conscient, afin d'éviter que ce soit sa haine ou sa peur qui dicte ses actions envers eux. Ceci est aussi vrai, dit-il, pour le psychiatre et l'infirmier(e) psychiatrique que pour le psychanalyste.

Dans un souci de clarté, Ens (1998) liste en détail les effets possibles du contretransfert en se servant de termes de substitut souvent utilisés dans la recherche infirmière. Parmi les effets, elle cite « empathie » qui permet au soignant de ressentir l'état psychologique de son patient. La « transgression » (over involvement) décrit la surprotection par le soignant, nuisible pour le patient. « Retrait mutuel » (mutual withdrawal) décrit le retrait par le soignant de son sentiment pour le patient qui provoque le repli du patient sur lui-même.

 

Le contretransfert dans le contexte psychiatrique

Si le contretransfert est sujet à controverse quant à la définition de sa nature, chez des auteurs infirmiers il y a un consensus général sur son utilité dans le soin infirmier(e)-patient (O'Kelly, 1998). Le concept du contretransfert peut être étendu en dehors du domaine de la psychodynamique et servir dans d'autres cadres de soin (Ens, 1998). La théorie psychanalytique peut être reformulée afin d'accroître les connaissances infirmières mais il faut tenir en compte que le contexte infirmier diffère du contexte psychanalytique (O'Kelly, 1998). Dans un cadre comme l'unité psychiatrique, les transferts et contretransferts sont multiples (Boubil & Mangenot, 2004). Il ne s'agit pas, dans le cadre institutionnel, de l'investissement d'un patient sur un thérapeute mais c'est le milieu concret de vie qui est l'objet d'investissements de plusieurs patients : le contretransfert institutionnel n'y opère pas avec les mêmes mécanismes que dans le cabinet du thérapeute (Ibid.).

Bien que le contretransfert dans la relation soignant-soigné soit sujet d'examen dans la littérature infirmière, le concept est rarement évoqué dans les journaux médicaux ou chirurgicaux (O'Kelly, 1998). Cependant, les articles de journaux infirmiers qui traitent du sujet se limitent à des descriptions de contretransfert chez des infirmier(e)s dans différents contextes. Selon O'Kelly (1998) il semble avoir une absence de recherche infirmière sur le contretransfert.

 

 


Revue de la littérature sur le contretransfert en psychiatrie

 

 Huit ans plus tard, la situation semble n'avoir guère évolué. La littérature sur la relation et de ses effets en médecine psychiatrique reste quasi-inexistente. Pour ce qui concerne les infirmier(e)s, on trouve des articles sur le contretransfert, consistant en descriptions et en définitions. De manière générale, les auteurs prônent sa prise en compte dans la profession infirmière. Quant à la recherche aujourd'hui, si elle n'est pas inexistante, elle reste très maigre.

   La littérature que nous avons trouvée sur le contretransfert en psychiatrie peut être cataloguée de la manière suivante. Premièrement, des articles qui cherchent à présenter le concept et à informer la profession infirmière de son utilité. Nous en avons déjà présenté précédemment. Deuxièmement, des études qui examinent le contretransfert chez les infirmier(e)s en psychiatrie. Troisièmement, des études qui cherchent à mesurer le contretransfert des infirmier(e)s et autres soignants en psychiatrie.

 

Études examinant l'expérience du contretransfert par les infirmier(e)s

Ens (1999) a recueilli le témoignage de cinq infirmiers (deux hommes et trois femmes) sur leur expérience du contretransfert. Elle a trouvé que cette expérience constitue un processus continu de la prise de connaissance de soi (self-awareness). En outre, l'expérience vécue de l'émotion chez le soignant semble former la base du soin thérapeutique. Dans le cadre pédopsychiatrique, une étude française comportant trois cas cliniques (Boublil & Mangenot, op cit., 2004) a conclue que le contretransfert constitue un instrument thérapeutique qu'il faut rendre opérant à travers son évaluation, son analyse et sa métabolisation. Pour ce faire, les auteurs suggèrent le « travail personnel » ou l' « analyse groupale ».

 

Études statistiques sur le contretransfert chez des soignants en psychiatrie

Deux études, Holmqvist & Armelius (1994) et Røssberg et al. ( 2003), ont utilisé une méthode que nous avons adoptée pour notre étude. Nous les présentons plus en détail dans la deuxième partie sur la Méthodologie. Les deux études ont utilisé une liste de contrôle d'émotions. Les chercheurs ont demandé aux soignants en psychiatrie de choisir celles qu'ils avaient éprouvées dans leur contact avec les patients. Les résultats se présentent sous la forme d'émotions « négatives » et « positives ». Il est estimé que le test adapté et utilisé est un moyen simple et efficace pour mesurer le contretransfert.

.Nous avons écarté de notre examen des études de contretransfert effectuées auprès de psychothérapeutes, cette catégorie de soignants n'entrant pas dans l'objet de cette étude. Cependant, une recherche, que nous avons déjà citée, nous semble digne d'intérêt pour les résultats qu'elle fournit, qui ont une conséquence sur notre étude. Betan et al. (op cit. 2005) ont mesuré des réponses cognitives, affectives et comportementales de 181 psychiatres et psychologues cliniciens. Les soignants, d'orientations théoriques diverses, ont été soumis au Questionnaire de Contretransfert[5] avec des patients présentant des symptômes de l'Axe II du DSM IV (American Psychiatric Association, 1994). Deux résultats principaux ont été obtenus dont le premier nous intéresse particulièrement. Premièrement, les réactions relevées semblent indépendantes des orientations théoriques des thérapeutes, comme nous l'avons déjà mentionné. Cela semble indiquer que le contretransfert n'est pas unique aux méthodes psychodynamiques. L'autre résultat semble indiquer que le type de réaction du soignant est associé à un type de symptôme du patient. Ce dernier résultat encourage les auteurs de poursuivre leur recherche sur cette voie afin de déterminer s'il serait possible d'utiliser les réactions du soignant comme une aide au diagnostic.

Un certain nombre de points est soulevé dans ces trois études concernant la définition du contretransfert, réputée problématique. Nous allons considérer ces points avant d'avancer plus loin.

 

 Émotions et attitudes comme facteurs d'expression du contretransfert

Les résultats de Holmqvist & Armelius (op cit., 1994) et de Røssberg et al. (op cit., 2003) amènent les auteurs de ces deux études à différencier les émotions en positives et négatives. Ainsi, « Détendu » serait une émotion positive et « Déçu » une émotion négative. Les auteurs ne maintiennent pas que ces termes doivent être pris dans un sens de valeur. Néanmoins, ce type de catégorisation dans le contexte du contretransfert risque de créer la confusion dans les esprits. Faut-il, pour être un bon soignant, n'éprouver que des émotions       « positives » pour les patients ? Comme le souligne Ens (op cit., 1998), par exemple, l'empathie du soignant lui permet de ressentir la déception qui vient du patient. Or, la déception ressentie par le soignant n'est pas la sienne. Et la haine de Winnicott (op cit., 1949), dont il a pris conscience, lui évite le passage à l'acte nuisible pour le patient.

Le questionnaire de Betan et al. (op cit., 2005) comporte des énoncés comme, « Je me sens anxieux avec le/la patient(e) » ou « Je regarde davantage l'heure avec ce(tte) patient(e) qu'avec d'autres ». S'agit-il d'émotions ou d'attitudes ?  Certaines études qui ont examiné le contretransfert d'infirmier(e)s en psychiatrie ont évoqué l'aspect péjoratif du terme (O'Kelly, 1998; Ens, 1999). Il semble que l'aspect péjoratif du contretransfert soit associé à des attitudes envers des patients qui ne sont pas considérées comme professionnelles. Le problème qui est soulevé ici et qui a déjà été évoqué (O'Kelly, 1998; Ens, 1998) est celui de la définition du contretransfert. Nous maintenons qu'une émotion n'est pas une attitude, quand bien même une attitude peut être associée à une émotion. Nous allons insister, dans le chapitre sur l'éthique, sur l'aspect amoral de l'émotion par rapport à sa manifestation en acte qui, elle, relève bien de l'éthique.

 

 

 

IV. FACTEURS FAISANT RÉSISTANCE À LA PRISE EN COMPTE DES EFFETS DE LA RELATION

 

Le phénomène du contretransfert semble être un facteur important à prendre en compte pour les soins psychiatriques afin de sauvegarder le bien-être du patient, le bien-être du soignant et, éventuellement, d'améliorer la qualité du soin. Or, en vue de la littérature, ce n'est pas un aspect de soins psychiatriques généralement pris en considération en France. Nous allons examiner les facteurs qui peuvent expliquer cet état de fait.

 

La formation des psychiatres

Le soin relationnel ne fait pas partie actuellement de la formation des psychiatres en France (Piel & Roelandt, 2001). D'autre part, pour les internes en psychiatrie la supervision prend peu de place, au contraire de certains pays (Basquin, 2000). Quelques psychiatres regrettent l'absence de la psychothérapie dans la formation et appellent à son intégration dans le programme médical (Jeandenans op cit., 2005; Basquin, 2000). Il semble que l'approche organogénétique l'ait emporté sur l'approche psychogénétique dans les préoccupations de la formation psychiatrique depuis la Deuxième Guerre. Déjà à la fin des années 1980, Michel Sapir (1989), qui défendait le principe d'analyse personnelle au sein de la formation à la relation, notait la méfiance de nombreux psychiatres pour les notions psychanalytiques. A peu près à la même époque, Backmann (1990), remarquait le déclin, surtout en France, des Groupes Balint. Balint (1957/1996) a développé des groupes de formation à la relation, dans le cadre psychodynamique, destinés à aider les professionnels de soins. Ces groupes, conçus surtout pour des médecins, avaient pour but de les aider à prendre en charge les aspects relationnels des soins. Au sujet des Groupes Balint, Schneider (1989) remarquait la difficulté qu'ils avaient à se faire accepter dans le monde de la psychiatrie pour les raisons suivantes : méfiance pour les institutions psychanalytiques, résistances des médecins et l'absence d'enseignement de la psychanalyse dans les Facultés de Médecine.

 

La formation des infirmier(e)s

En 1938 est créé le diplôme d'état d'infirmier (DEA). Un décret du 3 février 1949 interdit aux infirmiers en psychiatrie d'exercer en soins généraux (Législation infirmière). Par contre, les DEA pouvaient exercer en soins généraux comme en psychiatrie. Tout se passe comme si la stigmatisation du gardien des fous perdurait encore ((Silverstein, 2006). L'arrêté du 12 mai 1969 crée le diplôme d'infirmier de secteur psychiatrique (ISP). Mais, le décret n°92-264 du 23 mars 1992 a mis fin à la spécialisation psychiatrique et regroupé tous les infirmiers sous un seul diplôme, infirmier diplômé d'état (IDE) (Législation infirmière). La raison officielle avancée pour ce changement fut la nécessité de mettre la France en règle avec le reste de l'Europe. Cependant, la mise en place d'une spécialisation en psychiatrie pour les infirmiers – qui existe dans d'autres pays de la Communauté Européenne – ne vit pas le jour. Aujourd'hui, le gouvernement réfléchit avec les syndicats et les associations concernés pour trouver une nouvelle disposition adéquate concernant la formation des infirmiers en psychiatrie.

Un rapport commandé par le gouvernement en 2000 sur l'état de la santé mentale en France (Piel & Roelandt, 2001) témoigne des difficultés actuelles de la profession infirmière. Parmi d'autres observations, les auteurs affirment, concernant la formation, que depuis 1993 les cours de psychiatrie ont diminué à 400 heures, pour 4715 heures en tout. De plus, on prévoit une diminution de stages en psychiatrie pendant la formation initiale. Dans ces conditions, une formation en soins relationnels et sur leur impact en psychiatrie ne semble pas à l'ordre du jour.

 

Facteurs politico-économiques

Après le développement économique des « Trente Glorieuses » et la période de forte natalité depuis la Deuxième Guerre, l'hôpital public aujourd'hui doit faire face aux conséquences du vieillissement démographique, du chômage et de l'évolution des dépenses de santé par rapport à la richesse nationale (Robin, 2003). Selon cet auteur, cette évolution a aboutit à une politique de rationalisation qui cherche à transformer l'hôpital en une sorte d'entreprise marchande, fonctionnant sur une logique gestionnaire et axée sur des critères de productivité et de rentabilité. De plus, le rapport de Piel & Roelandt (op cit., 2001) montre une tendance générale en France comme en Europe de pénurie d'infirmiers, ce qui augmente des demandes faites à ceux-ci. Il devient de plus en plus difficiles pour eux de remplir ces demandes avec la qualité requise. Ajoutée à cela est la diminution progressive des "anciens" (dont certains sont les anciens ISP), privant leurs collègues de compagnonnage et de tutorat (Ibid.). La conséquence de ces tendances est un volume de travail accru, dans des conditions de moins en moins favorables, et avec moins de temps pour l'effectuer. Moins de temps, notamment, consacré pour le soin relationnel.

 

Le facteur temps

Une étude en Ireland du Nord (Whittington & McLaughlin, 2000) a mesuré le temps consacré aux diverses tâches des infirmiers dans une unité pour patients adultes en crise aiguë. Les auteurs ont trouvé que les tâches peuvent se diviser en quatre fonctions : surveillance, soins techniques, administration et soins thérapeutiques. Parmi les résultats, les auteurs ont trouvé que les infirmiers passaient 42,7% de leur temps avec les patients et seulement 6,75% de leur temps en interaction psychothérapeutique.

 

 

V. LA SUPERVISION COMME UN MOYEN DE FAIRE FACE AUX EFFETS DE LA RELATION

 

Pour décrire les moyens de faire face aux effets du soin relationnel de type contretransférentiel, des auteurs anglophones utilisent le terme self-awareness. Il s'agit de la connaissance de soi, la capacité de prendre conscience de ses affects et de ses états psychologiques. Selon O'Kelly (1998), il y a des signes du contretransfert qui peuvent servir de signes d'alerte. Par exemple, une émotion forte chez le soignant qui diffère des émotions                   « habituelles » ou des actes qui ne peuvent être justifiés sur le plan thérapeutique. Ens (1999) maintien que, grâce à l'équipe, l'infirmier(e) novice découvrira que les sentiments négatifs, source d'anxiété, sont quelque chose de normal. Cet éveil de connaissance de soi (self-awareness) se développera avec l'expérience. L'infirmier(e) averti et réfléchi, agissant dans un cadre contenant et compréhensif, sera amené au fil du temps à pouvoir transformer des expériences intolérables en paroles et non pas en passages à l'acte (Cameron et al., 2005).

Les prises de position rapportées ici semblent témoigner d'une pensée idéalisée des capacités humaines à faire face à des émotions intenses, provoquant l'anxiété ou la honte intolérables. MacCulloch (1999) a une approche plus prudente. Pour cet auteur, il semble difficile aussi bien de déterminer comment les soignants peuvent prendre connaissance et accepter des émotions générées par le contact avec les patients que de concevoir un instrument de mesure permettant de quantifier le contretransfert. Boublil & Mangenot (2004) estiment qu'il est important de ne pas laisser les soignants souffrir de leurs relations avec les malades. Ils préconisent un « travail personnel » pour lequel chaque soignant serait responsable ou, mieux, l'utilisation d'une analyse groupale, organisée régulièrement au sein de l'institution. L'une ou l'autre des méthodes – qui ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients - aiderait les soignants à prendre conscience de leurs affects et des désirs inconscients des patients, les apportant un profond soulagement. Jones (2004) allant dans le même sens, suggère la mise en place de groupes de supervision cliniques et de groupes de sensibilisation (sensitivity groups). De tels groupes permettent aux soignants de prendre conscience des émotions, négatives et positives, qui peuvent influencer une relation. Les soignants peuvent également comprendre dans ces groupes la nature des liens qui se forment à leur insu.

Bien que la supervision pour les soignants semble une chose positive et utile comme outil de soutien et pour le développement de la conscience de soi, la peur de la critique et de l'introspection rebutent de nombreux infirmier(e)s (Farkas-Cameron, 1995). De plus, ils s'estiment à l'abri de développer des relations non-thérapeutiques avec les patients, ce qui a un effet directement opposé à leur croyance. Winship & Hardy (1999) vont plus loin en recommandant non seulement la supervision pour les questions de relations avec les patients, mais aussi des groupes de soutien pour les questions de relations inter-collègues. Les auteurs remarquent que la participation aux groupes peut être quelque chose de difficile du fait des conflits qui doivent y être confrontés. Néanmoins, il leur semble mal comprendre la nature du travail de soins en psychiatrie que de ne pas avoir recours aux ressources que la supervision peut fournir.

Une étude (Severinsson & Hummelvoll, 2001) a cherché à connaître les facteurs que les 22 infirmier(e)s d'une unité psychiatrique perçoivent comme contribuant à la satisfaction du travail. Les auteurs ont trouvé que les facteurs qui contribuent à la satisfaction ou à la non-satisfaction du travail sont liés aux valeurs des infirmier(e)s. Les infirmier(e)s qui participaient à la supervision avaient une meilleure perception de leurs valeurs et des questions éthiques confrontées dans leur travail avec les patients. Ils étaient aussi plus susceptibles au stress et plus conscients de leurs points faibles. Ces infirmier(e)s estimaient, néanmoins, que la supervision permet d'accroître leurs compétences professionnelles et leur permet une meilleure perception des besoins des patients.

L'étude d'Akerjordet & Severinsson (2004) montre l'importance de la supervision pour les infirmières. Selon celles-ci, la supervision offre les possibilités suivantes : échanger leurs expériences, la créativité professionnelle, accroître leur conscience de soi et leur compétence professionnelle. Au cœur de la supervision sont la réflexion et le dialogue qui permettent la transformation de soi.


VI. LES ASPECTS ÉTHIQUES DES SOINS RELATIONNELS

 

Dans toute maison où je serai appelé, je n'entrerai que pour le bien des malades. Je m'interdirai d'être volontairement une cause de tort ou de corruption, ainsi que tout entreprise voluptueuse à l'égard des femmes ou des hommes, libres ou esclaves.

            (Extrait du Serment d'Hippocrate, trad. de Littré,  www.chu-rouen.fr/documed/serment.html)

 

Cet extrait du Serment d'Hippocrate résume bien l'essentiel de l'attitude éthique intrinsèque aux soins relationnels : faire le bien et ne pas faire du mal, ne pas abuser des patients en se servant de sa position d'autorité et de confiance. Or, s'il semble aisé pour le soignant de mobiliser son intention éthique, une conscience de soi insuffisamment développée peut être nuisible pour le patient, mais aussi pour le soignant lui-même et pour la qualité des soins. Il s'ensuit que la qualité éthique du soignant dépend non seulement d'une attitude générale mais surtout d'une intention consciente de développer en continue ses capacités à faire face à ses propres affects et motivations inconscientes.

 

Faire le bien

Beaucoup d'infirmières consultées dans l'étude d'Akerjordet & Severinsson (op cit., 2004) sur l'intelligence émotionnelle ont souligné l'aspect éthique du concept. Trois points sont mis en avant par elles. Premièrement, la capacité d'acquérir l'accès à ses émotions, ce qui s'obtient par la réflexion. Ce lien linguistique avec le monde permet au soignant de prendre ses responsabilités de façon professionnelle et morale dans le contexte clinique. Deuxièmement, l'apprentissage qui permet de développer l'accès à ses émotions afin d'être le plus performant possible dans le contexte de l'intelligence émotionnelle. Enfin, toutes les infirmières consultées ont exprimé leur besoin d'échanges constructifs, de soutien et d'aide qui sont autant d'encouragements à prendre leurs responsabilités dans le cadre clinique.

 

Ne pas faire le mal

Hellzen et al. (1999) ont mené une étude par entretiens auprès de 15 infirmiers (7 hommes et 8 femmes) exerçant dans une unité psychiatrique spécialisée pour patients adultes particulièrement perturbés. Ils ont cherché à connaître les réactions des soignants à ces patients. Un de ceux-ci, un homme psychotique de 50 ans, avait un comportement encore plus difficile à assumer que celui des autres patients. Il mangeait tout (des excréments, des lunettes, des textiles), faisaient des avances sexuelles aux femmes comme aux hommes, détruisaient tout (meubles, fenêtres, murs) et agressaient physiquement les soignants et les autres patients. Par intermittence pendant des périodes allant de quelques minutes à plusieurs heures, le patient retrouvait une certaine lucidité durant laquelle il exprimait ses regrets pour ce qu'il avait fait. A ces moments, le patient manifestait une grande souffrance à ce propos. Parmi les réactions des infirmiers face à ce cas - l'impression de perdre le contrôle de la situation, d'être devenus des victimes et que la position de pouvoir s'était inversée - ils ont pris connaissance de leur propre côté « ombragé ». Ces infirmiers, pour qui la déontologie veut qu'ils aient une attitude de bienveillance dans les soins (caring), avaient des sentiments ambivalents d'amour et de haine envers le patient. De plus, ils ont découvert avec effroi, non seulement des envies de lui faire des « choses terribles », mais aussi qu'ils pouvaient passer à l'acte. Autrement dit, comme l'expliquent les auteurs, les infirmiers ont découvert en eux-mêmes le Mal qui semblait appartenir au patient. Cette prise de conscience a été directement provoquée par l'étude menée par des chercheurs. Leur aveuglement antérieur s'explique, selon les auteurs, par la stratégie qu'ils avaient mise en place pour se protéger contre leurs sentiments de désespoir : le repli sur eux-mêmes comme groupe par rapport aux autres collègues et par rapport au patient. Les auteurs posent la question suivante : « Est-il possible d'établir le bien quand le mal   prévaut ? » Leur réponse est affirmative, il faut au moins essayer. Mais pour réussir, disent-ils, il est nécessaire de pouvoir regarder le Mal en face.

 

Éviter l'abus du pouvoir

L'abus du pouvoir est créé par le déséquilibre dans les relations de pouvoir inhérentes à la relation soignant-soigné. La transgression sexuelle est une forme parmi d'autres d'abus du pouvoir (Ross, 1995).

Une étude canadienne (Campell et al. 2005) affirme être la première recherche dans le pays pour explorer la transgression sexuelle entre infirmier(e)s  en psychiatrie et leurs patients. 923 infirmier(e)s ont rempli un questionnaire, répondant aux questions sur leur attirance sexuelle pour des patients, et leurs tendances comportementales sexuelles avec les patients. Les résultats indiquent que très peu d'infirmier(e)s avaient entretenu des relations sociales ou sexuelles avec les patients à leur sortie d'hôpital. La majorité de ceux qui l'avaient faite était des jeunes mâles possédant un diplôme d'infirmier psychiatrique de base. Un nombre restreint d'infirmier(e)s (4 sur les 923) estimaient que les rapports sexuels avec des patients hospitalisés sont tout à fait admissibles, mais aucune activité sexuelle courante avec des patients n'étaient rapportée. Six infirmier(e)s ont admis avoir eu des rapports sexuels avec un patient dans le passé. Les auteures affirment que la transgression sexuelle est quelque chose de très grave qui a des conséquences psychiatriques sérieuses et dangereuses pour les patients. Avoir une attirance érotique pour un(e) patient(e) fait partie des choses normales mais le passage à l'acte n'est pas admissible et il est impératif d'éduquer les infirmier(e)s dans ce domaine.

A notre connaissance, aucune statistique existe en France sur la transgression sexuelle perpétuée par des infirmier(e)s en psychiatrie ou par des psychiatres. Dans le cadre psychodynamique, Irvine (1995) rapporte, sans chiffres, l'existence extensive d'abus sexuel de patients par des psychanalystes aux Etats-Unis. Selon elle, de tels abus sont inadmissibles à cause de la souffrance créée pour le patient. Cette souffrance accentue des blessures existantes, renforce des défenses et diminue le potentiel de développement. Elle ressemble à la souffrance des victimes d'abus sexuel pendant leur enfance qui se manifeste par un fardeau de méfiance, de honte, de culpabilité, de dépression et d'une terrible ambivalence en ce qui concerne le sombre secret qu'elles portent en elles (Ibid.).

 

 

 

VI. SYNTHÈSE

 

L'évolution des théories psychodynamiques ont montré l'existence de l'impact de la relation thérapeutique sur les patients et sur les soignants, impact qui est décrit par les concepts de transfert et de contretransfert. Les effets du soin thérapeutique, rencontrés dans le cabinet du psychanalyste, existent sous d'autres formes dans les relations de la vie de tous les jours mais aussi dans le cadre de soins psychiatriques.

Cependant, peu d'études existent sur le contretransfert dans la relation thérapeutique en psychiatrie, notamment en France. Les quelques études dans ce domaine que nous avons examinées indiquent qu'il est possible de quantifier le contretransfert à travers l'existence de l'émotion ressentie par le soignant qui la décrit. S'inspirant de certaines de ces études, notre but est d'établir l'existence d'un impact émotionnel chez les psychiatres et chez les infirmier(e)s du fait de leur relation avec les patients dans le cadre des soins.


PARTIE 2 - MÉTHODOLOGIE

 

La démarche

Nous avons divisé le travail méthodologique en deux parties séparées. La première partie consiste en une pré-étude qui nous a permis d'élucider et de différencier les divers aspects à la base de notre questionnement afin de déterminer la direction précise qu'il nous semblait intéressante de poursuivre. Les résultats de la pré-étude débordant du sujet de notre étude proprement dite, nous avons reproduit in extenso son analyse en Annexe, page 65. Nous nous contenterons dans ce chapitre d'en indiquer l'essentiel.

Les résultats de la pré-étude renforcés par la recherche que nous avons menée, nous ont permis l'élaboration d'un questionnaire qui constitue la deuxième partie de notre étude.

 

La population concernée

Notre étude a pris pour objet l'équipe soignante d'une unité de secteur d'un hôpital psychiatrique à Paris. Il s'agit d'un Pavillon fermé accueillant vingt-huit patients adultes en crise aiguë, hommes et femmes[6]. Nous avons distingué trois populations distinctes de l'équipe soignante : des psychiatres, des infirmiers de jour et l'équipe non-soignant. Cette dernière est composée de membres de l'équipe indispensables aux soins mais qui ne sont pas directement concernés par les soins proprement dits. Nous considérons pour cette raison qu'elle peut servir de population normale de contrôle. Elle est composée d'une secrétaire, d'un assistant social et cinq ASH (Agent des Services Hospitaliers s'occupant des repas et du ménage). Parmi les psychiatres se trouvent un praticien hospitalier, responsable du Pavillon, un praticien hospitalier à mi-temps, trois médecins assistants et un interne. L'équipe infirmier de jour est composée d'une infirmière cadre, de onze infirmiers (trois hommes et huit femmes) et de trois aides-soignants (un homme et deux femmes), dont une AMP (Aide Médicale Psychologique). Parmi les infirmiers, trois (deux hommes et une femme) ont été formés comme ISP (Infirmier Spécialisé en Psychiatrie) avant la réforme de 1992.

 

La démarche éthique

L'autorisation  pour mener l'étude dans l'unité fut demandée aux personnes suivantes qui ont donné leur accord : le médecin chef du secteur, le médecin responsable de l'unité, le cadre infirmier supérieur du secteur et l'infirmière cadre de l'unité. Une feuille d'explication fut distribuée à ces personnes et une copie accrochée dans le bureau des infirmiers. Tous ceux qui ont participé à la pré-étude et au questionnaire – les psychiatres, les infirmiers, les aides-soignants et les membre de l'équipe non-soignante – ont donné leur accord.

 

 

I. LA PRÉ-ÉTUDE

 

Les buts

Afin de déterminer les représentations et les sentiments de l'équipe soignante par rapport à leur travail et à leur relation avec les patients, nous avons effectué une pré-étude sous la forme d'entretiens de témoignage. Les résultats de la pré-étude ont servi de base pour la conception des modalités de l'étude proprement dite. Notre but précis était de recueillir des thèmes afin de les regrouper et de les comparer dans une analyse thématique.

 

Les participants de la pré-étude

Au départ, il avait été décidé de choisir quatre ou six infirmiers ayant une expérience professionnelle variée, représentatifs de leur groupe, plus un psychiatre. Or, notre démarche a suscité un certain intérêt parmi les infirmiers et aides-soignants et une grande partie en a exprimé le désir d'y participer. Nous avons donc interviewé tous ceux qui souhaitaient témoigner. Deux personnes parmi les infirmiers ont préféré ne pas participer. Quatorze personnes ont donc participé aux entretiens : l'infirmière cadre, neuf infirmiers (deux hommes et sept femmes), les trois aides-soignants (un homme et deux femmes) et une personne choisie parmi les psychiatres.

 

Répartition par durée d'expérience professionnelle de l'équipe

La population étudiée est de tendance jeune. Au moment des entretiens, une personne sur les treize infirmiers avait moins d'un an d'expérience professionnelle et 8 personnes ont une expérience de moins de quatre ans. Parmi celles-ci, cinq ont moins de deux ans d'expérience. Parmi les six participants restants (y compris le psychiatre), quatre ont entre dix et vingt ans d'expérience professionnelle et deux en ont plus de vingt ans.

 

Précautions pour préserver l'anonymat des participants

La population étudiée étant restreinte et limitée à une seule unité de travail, le risque est grand que, malgré les précautions prises pour protéger l'anonymat de chaque participant, leur identité soit reconnue par ses collègues. Pour cette raison nous avons estimé nécessaire de prendre quelques précautions supplémentaires lors de l'analyse de la pré-étude. Il s'avère qu'il y a un déséquilibre significatif dans le répartition par genre des participants chez les infirmiers (trois hommes pour dix femmes). Vu l'échelle restreinte de la population, aucune tendance spécifique au genre peut en être dégagée. Pour cette raison, nous n'avons pas différencié les participants par genre.

 

         La méthode d'analyse de la pré-étude

           

Les entretiens[7], de type sémi-directif, ont eu lieu tout au long du mois de février 2006. Avec l'autorisation de l'infirmière cadre, ils ont eu lieu aux heures de service et dans un bureau libre du Pavillon. La durée des entretiens varie de 23,34 minutes à 1 heure 2,29 minutes avec une durée moyenne de 39,82 minutes. Sept questions principales étaient posées, les entretiens ont été enregistrés sur magnétophone et transcrits textuellement sur une totale d'un peu plus de cent pages. Les questions portaient sur les représentations et les sentiments de chacun sur leur travail et sur leurs relations dans l'équipe et avec les patients.

 

Description de l'analyse thématique

Le résultat des entretiens fut analysé utilisant la méthode d'analyse thématique. Selon cette méthode (Jacobi, Wuillemin-Sales, 1994), les différents thèmes sont repérés dans le texte à partir de mots clefs, donnant lieu à des thèmes secondaires. Ceux-ci sont ensuite classés en catégories plus générales ou thèmes principaux. Cette  recherche de thèmes se fait sur la base d'une grille d'analyse souple, découlant d'hypothèses d'ordre psychosociologique qui peuvent être adaptées en fonction des données. Ainsi, les catégories issues de l'analyse ne sont définies ni a priori ni à posteriori. Elles sont élaborées à partir d'idées conductrices qui s'adaptent aux résultats obtenus.


RÉSULTATS de la PRÉ-ÉTUDE

 

Les thèmes principaux

Nous avons regroupé les mots clefs des entretiens en six catégories correspondant à la structure de l'entretien : "La motivation déterminant le choix de la profession", "Les représentations du travail", "Améliorer le travail", "Le soin idéal", "La bonne distance soignant-soigné" et "Les stratégies de préservation de soi". A l'intérieur de chaque catégorie nous avons reparti les mots clefs sous des thèmes principaux. Une septième catégorie, la synthèse des six autres, est apparu lors du dépouillement des données. Nous l'avons appelé "Effets de la relation". Il s'agit de l'attitude avec laquelle les membres de l'équipe font face aux exigences professionnelles liées à la relation avec les patients.

L'analyse des thèmes se trouve dans la version in extenso dans l'annexe. Nous présentons ici le dernier thème.

 

Effets de la relation  

Dix-huit mots clefs ont été proposés. Quatorze d'entre eux portent sur des réactions émotives comme l'agressivité ou la pitié. Parmi les quatre autres, trois se situent dans la catégorie du stress ("Fatigue nerveuse", "Angoisse", "Peur de la violence"), une seule a une apparente absence de réactivité ("Pas de problème").

Il est intéressant de noter que les mots clefs, "Satisfaction" et "Déception" sont proposés à égalité par quatre personnes. Trois proposent " Fatigue nerveuse " et "Peur de la violence".

Dans le tableau 7a., nous voyons les effets de la relation par mots clefs. Pour affiner ces résultats nous avons analysé les effets par participant (voir Tableau 7b). Notons que pour deux personnes, E et G, aucun aspect de leur discours permet de les situer, ni dans un effet de la relation ("Émotion" ou "Stress"), ni même dans une affirmation négative déclarant que la relation ne poserait pas de problème particulier, comme c'est le cas pour B, I et K. Pourtant, E et G expriment toutes les deux le besoin d'échanger et de communiquer comme facteur important motivant leur choix de profession.

Sur les 14 participants, six se situent sans ambiguïté sous le thème, "Émotion". Six autres personnes se partagent deux ou trois thèmes. Quatre d'entre elles expriment des mots clefs qui relèvent à la fois d'effets d'émotions aussi bien que de stress. Paradoxalement, trois personnes expriment des effets d'émotion et de stress tout en affirmant qu'il n'y a pas d'effet de la relation.


Tableau 7a. – Effets de la Relation par mots clefs

 

Émotion                                                                Stress                                                       Rien

Satisfaction                                        4                Fatigue nerveuse                     3             Pas de problème                   3

Déception                                           4                Angoisse                                  2            

Manque de maîtrise                          3                Peur de la violence                  3            

Agressivité                                        2               

Fascination                                        2

Pitié                                                     2

Frustration                                         2

Toute puissance                               2

Culpabilité                                          1

Agacement                                         1

Envies de malveillance                     1

Colère                                                  1

Danger du bon sentiment                1

Rejet collectif de patient                  1

 

Total:                                                27                Total:                                         8             Total:                                     3

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Tableau 7b. – Effets de la Relation par participant

 

Émotion                                          Stress                                             Rien                                          Hors catégorie

A (4)

B (1)                                                B (2)                                                B (1)                                          E

C (1)                                                C (1)                                                                                                   G

D (4)

                                                                                                                            

F (2)

                                                                                                                

H (1)

I (3)                                                  I (1)                                                  I (1)

J (2)                                                 J (1)

K (1)                                                K (2)                                                K (1)

L (6)

M (1)

N (1)                                                N (1)

 

Total:                27                         Total:                   8                         Total:                   3

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Résumé de la pré-étude

 

Nous voyons dégager ici trois types d'effets face à la relation avec les patients. Une seule se détache des deux autres, celle que nous avons appelée, "Émotion". Il y a aussi le thème, "Stress". Le thème, "Rien" montre des aspects ambivalents, étant partagé avec les deux autres. Nous avons pris la décision compte tenu du peu de recherche existant dans le domaine, d'examiner plus en profondeur le thème relevé ici d' "Émotion".

II. LE QUESTIONNAIRE

 

 

DÉFINITIONS

 

Inconscient

Nous reprenons ici la définition que nous avons déjà proposée (page 13). Nous ne la considérons pas comme une description complète – qui est proposée par diverses théories - mais comme une mise au point qui doit servir les besoins de notre recherche.

 

Ø      L'inconscient est l'expression de ce qui n'est pas connu ou porté à l'attention consciente, et marque ainsi les limites de la connaissance.

 

Émotion

Étymologiquement, « émotion » est un composite formé de deux mots latins, ex,         « hors de » et motio, « mouvement ». Il s'agit d'un état mental – de nature positive ou négative – qui se produit spontanément et non par une sollicitation consciente, comme un mouvement qui sort de l'intérieur. En ce sens, l'émotion est amorale, l'éthique n'est concernée que lorsque l'émotion est exprimée en acte. L'émotion est associée à la sensibilité et souvent opposée à la raison depuis Descartes. Mais selon Damasio (op cit., 2000), l'homme a besoin des deux fonctions pour agir. La raison permet de comprendre ce qui est possible, l'émotion de savoir ce qui je veux.

Du point de vue de la neurobiologie, les émotions ont leur source dans le système limbique qui a évolué depuis les premiers mammifères. Selon Ekman (1999), les émotions de base ne sont pas déterminées par l'environnement uniquement mais sont universelles et partagées par tous les mammifères. Elles sont les signes intérieurs qui ont évolué pour faire face à des tâches fondamentales de la vie et sont associées aux états physiologiques. Par exemple, la colère associée au besoin de se battre s'accompagne du sang qui afflue dans les mains, tandis que la peur qui incite à fuir s'accompagne de sang qui afflue dans les jambes. En tant que signe, l'émotion informe d'un état intérieur, reliant par la mémoire des événements antérieurs avec des événements futurs possibles (Ibid.). Chez l'homme, être pensant et moral, l'acte ne doit pas se réduire à la réaction à un état intérieur, mais c'est la pensée qui doit traiter l'information fournie par l'émotion pour déterminer l'action possible. Enfin, l'émotion ressentie – comme agréable ou désagréable – n'est reconnue que lorsque sa nature est formulée par la pensée.

Nous définissons donc l'émotion comme suit :

 

Ø      L'émotion est un état mental sensible de type agréable ou désagréable qui se produit en dehors de la volonté du sujet comme un signe de son état intérieur. Il peut être associé à des manifestations physiologiques comme les palpitations du cœur. L'émotion, source motivant des actes, est d'abord ressentie avant de pouvoir être pensée. L'homme, être pensant, est responsable de ses actes quelle que soit l'origine interne ou externe.

 

 

III. PROBLÉMATIQUE

 

La relation est un facteur central des soins généraux et psychiatriques depuis le milieu du siècle dernier. Cependant, l'entrée en relation avec le patient psychiatrique engage le soignant d'une manière qui peut le déborder s'il n'est pas suffisamment préparé et formé. Les difficultés en jeu ont été comprises d'abord par les fondateurs des méthodes psychodynamiques. Le concept du contretransfert permet de rendre compte de ces difficultés. Nous en avons fait référence en utilisant le terme, « effets de la relation » afin de bien marquer que sa nature en psychiatrie n'est pas identique à celle en psychanalyse. Malgré des écueils intrinsèques au concept qui se base sur la notion difficile à manier qui est l'inconscient, des chercheurs infirmiers, notamment, ont tenté de le transposer dans le contexte de la psychiatrie. Deux attitudes sur les effets de la relation se constatent : pour l'un, il peut être un danger pour le patient, pour le soignant et pour la qualité du soin; pour l'autre, il peut être un outil du soignant lui permettant de percevoir les aspects de sa propre psyché, ainsi que celle du patient et de ce qui les relie dans la relation. Les deux attitudes divergentes se rencontrent dans cette reconnaissance générale que le soignant doit faire face aux manifestations de son contretransfert, pour le bien-être du patient et pour le sien.

Le phénomène par lequel le contretransfert se laisse percevoir est l'émotion ressentie par le soignant. Le soignant bien au faîte des effets de la relation et les ayant confronté en lui-même à travers la réflexion et le dialogue, a une qualité d'accès à ses émotions que le novice n'a pas encore. L'accès aux émotions et la facilité d'accepter et de contenir un certain nombre d'émotions, y compris et surtout celles qui sont "désagréables", est fonction de l'expérience et de la qualité professionnelles du soignant. Chez le soignant moins expérimenté, les émotions "désagréables" ressenties peuvent être perçues comme une source d'angoisse et comme dévalorisantes professionnellement. Un(e) infirmier(e) dit lors des entretiens de la pré-étude :

 

Et moi, la manière dont ça surgit, souvent – ça m'est arrivé plusieurs fois – c'est en rêves. Où je rêve de trucs horribles, les patients me font du mal, c'est un truc affreux. Et le lendemain, il me faut du temps pour prendre de la distance.

 

Ces émotions peuvent de ce fait être reniée. Elles peuvent également amener le soignant à se protéger en se repliant sur lui-même au détriment du soin relationnel avec le patient. Un(e) autre infirmier(e) témoigne :

 

Le problème c'est que je suis encore très jeune dans le boulot. Je suis beaucoup trop naturel[le]. Je ne suis pas encore assez réfléchi[e] par rapport à tout ce que je dis et tout ce que je fais. Par rapport à ces situations-là, je me mets en distance pour arrêter d'être dans le naturel. Pour réfléchir avant de parler, quoi.

 

Et un(e) troisième témoigne ainsi :

 

Mais, ça m'est arrivé de plus en pouvoir d'un patient qui, pourtant, n'a rien fait de plus ou de moins que d'habitude, qui ne m'a rien fait, de ne plus pouvoir le supporter. De ressentir une sorte de – haine c'est un peu fort – une sorte de rejet, d'avoir envie de le rejeter, comme ça, un truc un peu agressif.

 

Les émotions "agréables" ou perçues comme valorisantes seront, de manière générale, plus facilement acceptées en soi par le soignant.

C'est la raison pour laquelle nous affirmons que l'étude des phénomènes du contretransfert ou des effets de la relation, peuvent se réaliser en examinant l'émotion exprimée par les soignants.


IV. HYPOTHÈSES

 

Les psychiatres et les infirmier(e)s, selon leur rôle et leur fonction distincts, proposent des soins aux patients, y compris des soins relationnels. Les psychiatres ont la responsabilité du diagnostic et du bon déroulement des soins. Ils reçoivent régulièrement les patients en entretien médical. Deux des psychiatres de l'unité que nous étudions ont une formation de psychanalyste. Nous supposons que, dans l'ensemble, les psychiatres de notre étude sont assez bien armés pour contenir les effets des soins relationnels.

Les résultats de la pré-étude montrent que les infirmiers dans l'unité examinée sont en leur grande majorité jeunes et formés depuis la réforme de 1992. Les résultats indiquent que la combinaison de la jeunesse et de la spécificité de la formation infirmière actuelle, dont les soins psychiatriques ne sont pas favorisés, ne contribue pas à soutenir ceux-ci dans la tâche difficile qui est le soin relationnel avec les patients. Un(e) infirmier(e) dit :

 

On arrive en psychiatrie, en arrive pour travailler en psychiatrie, on ne connaît rien de rien. On a vu vaguement ce que c'est qu'une schizophrène, un paranoïaque, une PMD, enfin, toutes les différentes pathologies, on les a passé vite fait comme ça. Mais, c'est rien ! On n'a pas de théorie du tout, c'est vraiment… ce n'est pas du tout satisfaisant.

 

Et un(e) autre :

 

Personnellement, dans mon école, on m'a rabâché[e] à ce que c'était la distance thérapeutique mais tant qu'on n'est pas en fonction d'infirmier[e] on ne sait pas ce que c'est.

 

La tendance par conséquent peut être, soit de mal juger les dangers de la relation, soit de se préserver dans un replie sur soi, voire un replie collectif, potentiellement nuisible pour l'issue des soins des patients. Nous supposons donc que l'équipe infirmière, prise dans l'ensemble, a une expérience et une formation thérapeutique moins importante que les psychiatres.

Le personnel qui s'occupe de l'administration et du fonctionnement de l'unité, tout en ayant un contact quotidien avec les patients, ne sont pas directement concernés par les soins.

Sur la base de ces réflexions, nous cherchons à savoir si le soin relationnel avec des patients est une source de la production d'émotions chez le soignant. Nous cherchons également à savoir si la formation en soins relationnels et l'expérience de ceux-ci permettent au soignant un accès facilité à ses émotions diverses dans son contact avec les patients. Nous formulons les hypothèses suivantes :


Hypothèse principale

 

Ø      Le soin relationnel avec les patients en psychiatrie est un facteur producteur d'émotions chez le soignant.

 

Hypothèse II

 

Ø      Le soin relationnel avec les patients en psychiatrie produit davantage d'émotions chez les soignants mieux formés et plus expérimentés au soin relationnel.

 
Hypothèse III

 

Ø      Le soin relationnel avec les patients en psychiatrie produit une plus grande diversité d'émotions chez les soignants mieux formés et plus expérimentés au soin relationnel.

 

 


V. LA POPULATION

 

L'unité psychiatrique, l'objet de notre recherche, contient cinq médecins. Ce nombre a constitué donc la base de la population étudiée.

Trois groupes à l'intérieur de l'unité ont été comparés (N=15). Deux groupes qui s'occupent des soins (les psychiatres et les infirmiers) et un groupe de contrôle qui, tout en ayant un contact avec les patients au cours de leur travail dans l'unité, ne participent pas aux soins de ceux-ci.

L'unité est composée de cinq psychiatres, âgés de 31 à 41 ans, qui ont accepté tous de participer à cette étude. Outre le praticien hospitalier responsable de l'unité, qui exerce en psychiatrie depuis onze ans, se trouve un praticien hospitalier à mi-temps depuis 10 ans, et trois assistants, une femme dans l'unité depuis trois ans, un homme depuis deux ans et une femme depuis un an. Les deux praticiens hospitalier ont une formation de psychanalyste en plus de leur titre de psychiatre.

Nous avons choisi cinq infirmiers jugés représentatifs de l'équipe infirmière qui ont accepté de participer, âgés de 26 ans à 59 ans : une femme qui exerce en soins généraux depuis de nombreuses années et en psychiatrie depuis cinq ans, un homme dans l'unité depuis 24 ans, une femme depuis 4 ans, un homme depuis trois ans et une femme depuis 18 mois.

Le groupe de contrôle, âgés de 23 ans à 45 ans, consiste en la secrétaire de l'unité qui y travaille depuis 5 ans et de quatre ASH (Agent de Service Hospitalier). Ceux-ci s'occupent de la distribution des repas aux patients et de la propreté des lieux. Les ASH sont composés d'une femme dans l'unité depuis 3 ans, d'une femme depuis 2 ans et d'un homme depuis un an. Le questionnaire a été distribué à un cinquième homme qui avait accepté de participer. Malheureusement, peu après, il est parti en vacances de longue durée en oubliant de rendre le questionnaire. Devant le fait accompli, nous nous sommes résigné à ce déséquilibre dans la distribution de la population. D'autres choix à notre disposition auraient consisté à prendre un ASH du Pavillon sœur du secteur ou de prendre l'assistant social. Or, les premiers travaillent avec des patients moins difficiles que l'unité étudiée et l'assistant social à un contact professionnel constant avec les patients. Cette possibilité aurait faussée davantage les résultats que celle que nous avons choisie.

Un "dossier", consistant en un questionnaire, en une explication de son utilisation, en une précision sur le caractère anonyme du test et les buts de notre recherche, fut distribué aux intéressés avec une enveloppe timbré à notre adresse afin de faciliter les démarches et d'éviter que les questionnaires remplis puissent être lu par des tierces personnes.

VI. LES OUTILS

 

Nous nous sommes inspiré d'une étude qui a utilisé une Liste de Contrôle pour mesurer l'émotion produite chez des membres de l'équipe soignante dans leurs relation avec les patients (Holmqvist & Armelius, 1994). Les auteurs se sont servis d'une liste de contrôle mise au point par Whyte et al. (1982) consistant en 30 mots désignant des sentiments. La liste a été soumise à 242 infirmier(e)s et aide-soignant(e)s dans vingt institutions psychiatriques en Suède. Le test a été renouvelé plusieurs fois avec un total de 150 patients (donnant un total de 2516 questionnaires remplis). Les participants devaient cocher – oui ou non - les sentiments qu'ils avaient ressentis avec un patient dans un contexte précis. L'étude originelle s'était servie d'une technique statistique, Q- analysis, qui permet de manière simple de mettre en évidence les liens entre des sentiments.

Røssberg et al. (2003), lors d'une étude similaire, ont enrichi cette liste de contrôle de 28 mots de sentiments supplémentaires. Cette nouvelle liste utilisait une échelle à cinq points en remplacement de l'échelle oui/non de l'originelle. Ont participé à leur étude, des médecins, des psychologues, des infirmier(e)s et des aides-soignants, dans quatre types d'unités différentes, qui ont retourné un total de 3012 questionnaires remplis.

Notre choix a été porté sur cette méthode pour sa simplicité d'usage et pour son efficacité apparente : comme la population de notre étude est réduite, ce qui nous enlève la possibilité de nous servir de méthodes statistiques, la méthode a l'avantage de pouvoir mesurer quantitativement les émotions éprouvées dans le soin relationnel. Enfin, étant simple d'usage et n'exigeant pas beaucoup de temps à remplir, nous pensions être sûr de récupérer tous les questionnaires une fois remplis.

Les modifications suivantes ont été apportées à la liste de contrôle (voir tableau 8). Nous avons retenu l'échelle à deux points. Nous avons incorporé dans la liste originelle de 30 mots la liste de 28 mots utilisés par Røssberg et al. et avons traduit le tout en français. Le mot N° 58 a été éliminé à cause de l'ambiguïté de sa signification, dû peut-être à une perte de sens lors de sa traduction du suédois en anglais. Le mot en question est overview qui en français veut dire « vue d'ensemble » et avait peut-être eu à l'origine un sens proche du numéro 43, Je maîtrise tout.

L'utilisation du test a été simplifié de la façon suivante. Les tests d'origines s'intègrent dans une recherche plus importante en temps d'élaboration et en population étudiée que le nôtre. Ne pouvant pas comparer les résultats patient par patient, nous avons utilisé le test une seule fois et sur une seule période pour chaque participant. La consigne aux soignants était la suivante :

Lors d'interactions avec les patient(e)s de l'unité depuis les dernières DEUX SEMAINES

Je me suis senti(e), AU MOINS UNE FOIS :

 

Tableau 8. – Liste de contrôle

 


1) Intéressé

2) Bienveillant

3) Détendu

4) Objectif

5) Réceptif

6) Fort

7) Déficient

8) Prudent

9) Efficace

10) Enthousiaste

11) Affectueux

12) Maternel

13) Distant

14) Manipulé

15) En colère

16) Fatigué

17) Embrouillé

18) Méfiant

19) Étonné/surpris

20) Frustré

21) Déçu

22) Triste

23) Anxieux

24) Ennuyé

25) Indifférent

26) Débordé

27) Détesté

28) Heureux

29) Menacé

30) Gêné/embarrassé

31) Lassé

32) En insécurité

33) Important

34) Rejeté

35) Empathique

36) Sur mes gardes

37) Exalté

38) Plein de préjugés

39) Bête/stupide

40) Sûr de moi

41) Attentionné

42) Admiré

43) Je maîtrise tout

44) Pas sage

45) Envahi

46) Doué

47) Vide

48) Insignifiant

49) En détresse

50) Calme

51) Impuissant

52) Coupable

53) Submergé

54) Attentif

55) Dominateur

56) Dénigré

57) Dirigé


___________________________________________________________________________________________

 

 


VII. LES RÉSULTATS

 

Comparaison quantitative

 

 

        Graphique 1.- Nombre total d'émotions           Graphique 2.- Émotions par personne


  

              Psychiatres       Infirmier(e)s       Contrôle                  Psychiatres        Infirmier(e)s     Contrôle

 

 

Afin de vérifier les hypothèses principale et numéro II, nous avons mesuré le nombre d'émotions ressenties par personne sur une période de temps. Les participants devaient cocher les émotions qu'ils avaient ressenties au moins une fois dans leur contact avec les patients depuis deux semaines. Le graphique 1 indique les résultats par groupe et le graphique 2 les résultats par personne. Nous avons ajusté les donnés pour le groupe de contrôle afin de compenser pour le participant manquant. Pour ce faire, nous avons ajouté au chiffre 30 son moyen sur 4 (7,5) et arrondi vers le haut, faisant 38. Le groupe « Psychiatres » a le plus haut score avec 120. Le groupe « Infirmier(e)s », avec un score de 73, a 61% de celui du groupe des psychiatres. Le groupe de contrôle avec un score de 38 ajustés affiche 31,7% du score du groupe des Psychiatres et 52% de celui des Infirmier(e)s. La courbe est presque linéaire dans sa progression et marque une nette différence dans le nombre d'émotions ressenties par groupe.

Nous présentons pour information dans le graphique 2 les résultats décomposés par personne. Elles sont affichés par ordre descendant d'expérience professionnelle. Nous n'avons pas différencié les participants par genre. Vu la petite taille de la population, il n'est pas possible de faire des interprétations interpersonnelles des résultats. Les moyens pour chaque groupe sont affichés. Le groupe psychiatres a la plus grande dispersion autour du moyen. Le groupe de contrôle a la moins grande dispersion.

 

Comparaison par catégories d'émotions

 

La taille réduite de la population ne nous permettant pas une étude statistique factorielle, nous avons procédé de la manière suivante pour générer des résultats. Nous avons regroupé les émotions de la Liste de Contrôle d'Émotions en neuf catégories (voir tableaux 9 à 17). Ce regroupement est arbitraire et d'autres choix de regroupements seraient possibles. Néanmoins, notre choix se justifie, nous semble-t-il, par le fait que les catégories suivent une logique et ont l'avantage de permettre la comparaison des données par individu, par groupe et par type d'émotions. Cependant, le fait que les catégories suivent une certaine logique ne permet pas d'affirmer que le procédé est valide scientifiquement. Cette partie de l'étude ne peut se justifier que comme un examen de tendances possibles qui pourraient, le cas échéant, encourager d'autres études plus rigoureuses à une échelle plus importante et plus maniable statistiquement.

Comme le groupe de contrôle ne consiste qu'en quatre personnes, nous présentons les chiffres en pourcentages afin de permettre des comparaisons. Le nombre d'émotions par catégorie est indiqué entre parenthèses dans les titres de tableaux. Nous avons volontairement utilisé des adjectifs comme « agréables » ou « désagréables » pour qualifier les émotions, plutôt que « positif » ou « négatif », comme c'est le cas dans les études qui ont inspiré notre méthode. Pour marquer le fait que ces termes servent à différencier et à contraster les catégories et non pas à accorder une valeur aux émotions ressenties, nous les avons présentés entre guillemets.

 

Émotions "Agréables" (tableau 9)

C'est la catégorie qui obtient le plus grand score, tout groupe confondu. C'est aussi la catégorie contenant le plus grand nombre d'émotions. Les scores du groupe Psychiatres et du groupe Infirmier(e)s sont proches (58,57% et 54,29% respectivement) et sont plus de deux fois plus grands que celui du groupe de contrôle (23,21%). Celui-ci n'est concerné que par 8 des émotions sur les 14 tandis que les psychiatres et les infirmier(e)s ont ressenti pour chaque groupe 13 émotions. Les psychiatres sont unanimes sur Intéressé, Bienveillant et Réceptif et les infirmier(e)s sur Détendu. Les émotions, Enthousiaste et Heureux n'ont été ressenties q'une fois chacune dans le groupe Psychiatres, Heureux n'ayant reçu qu'un seul choix sur les trois groupes. Chez le groupe de contrôle, l'émotion Attentif reçoit le plus haut score mais trois autres émotions sont choisies par la moitié des effectifs : Intéressé, Objectif et Réceptif. Sur les 14 émotions, cinq reçoivent un score total de 10 (sur un maximum de 14 possible).

 

Tableau 9.- Émotions "Agréables" (14)

                   

 


                                                 Psychiatres           Infirmier(e)s              Contrôle

                                                   58,57%                 54,29%               23,21%         46,94%

 

Émotions "Désagréables" (tableau 10)

Sept émotions figurent dans cette catégorie, la moitié de la précédente. Toutes les émotions de cette catégorie ont été choisies par au moins deux parmi les psychiatres, et trois ou plus de ceux-ci ont choisi quatre parmi les sept émotions, donnant un score total de 22 (62,86%). En comparaison, seules trois émotions sont choisie par les infirmier(e)s dont une, Distant, par trois infirmier(e)s, donnant un score de 5 (14,29%). Le groupe de contrôle obtient un score de 2 (7,14%), c'est-à-dire presque neuf fois moins que les psychiatres et deux fois moins que les infirmier(e)s. Deux des infirmier(e)s n'ont choisi aucune des émotions contre trois des quatre participants du groupe de contrôle. Quatre émotions n'ont pas été choisies par les premier(e)s contre cinq émotion par ces derniers.

Compte tenu du nombre relatif des émotions  par  rapport au tableau 9, le taux global du groupe Psychiatres augmente légèrement ici. Par contre, les groupes Infirmier(e)s et de contrôle tombent dramatiquement, de presque quatre fois pour le premier, et plus de trois fois pour l'autre groupe. Pour le groupe Psychiatres, les émotions Distant et Débordé sont celles qui reçoivent l'unanimité et Distant reçoit le plus haut score dans le groupe Infirmier(e)s. Cet item est le seul qui figure dans les trois groupes et obtient le score total le plus élevé avec 9. Sur les sept émotions, trois figurent dans le groupe des Infirmier(e)s et deux dans le groupe de contrôle. D'une manière générale, le groupe Psychiatres a une variété d'émotions riche, tant par la diversité des émotions que par le nombre de psychiatres qui les ont ressenties, ce qui contraste avec les deux autres groupes.

 

Tableau 10. - Émotions "Désagréables" (7)

 


                                                   Psychiatres              Infirmier(e)s               Contrôle

                                                             62,86%                      14,29%                 7,14%           29,59%

 

Émotions d' "Intentions Désagréables" (tableau 11)

Aucune émotion n'a été ressentie ici par le groupe de contrôle. Le groupe Psychiatres avec 8,89% devance légèrement celui des Infirmier(e)s qui obtient 6,67%. Chez les premiers, les scores sont distribués sur quatre émotions, trois d'entre elles ressenties par la même personne. Chez les infirmier(e)s, deux émotions ont été ressenties. Seules deux personnes sont concernées dans chacun de ces groupes. Cinq émotions (sur trame de fond) n'ont pas été choisi du tout. Manipulé est l'émotion qui est le plus choisie dans cette catégorie qui n'obtient qu'un score global de 7 (5,56%), le plus bas de toutes les catégories.

 

 

Tableau 11. - Émotions d' "Intentions Désagréables" (9)

                    


                                               Psychiatres              Infirmier(e)s             Contrôle

                                                             8,89%                      6,67%                                     5,56%


Émotions de "Puissance" (tableau 12)

Avec un score global de 11 (11,22%), c'est la deuxième catégorie la plus basse sur l'échelle de scores avant la précédente catégorie. Ici encore, le groupe Psychiatres devance légèrement le groupe Infirmier(e)s (avec 14,29% et 11,43%, respectivement). Le premier groupe obtient deux fois plus que le groupe de contrôle (7,14%) et les infirmier(e)s les devancent d'une fois et demie. Seule une personne, 1P avec un score personnel de 3, a choisi plus d'une émotion. Sûr de moi est la seule émotion partagée par les trois groupes. Trois émotions n'ont pas été choisies du tout. L'émotion Efficace reçoit le plus haut score, ayant été ressentie par trois personnes dans les groupes Psychiatres et Infirmer(e)s.

 

 

Tableau 12. - Émotions de "Puissance" (7)

                                            


                                           Psychiatres              Infirmier(e)s               Contrôle

                                                     14,29%                    11,43%                  7,14%            11,22%

 

 
Émotions d' "Impuissance (tableau 13)

Le contraste entre le groupe Psychiatres (avec un score de 45%) et les deux autres groupes est net. Les infirmier(e)s (5%) ont neuf fois moins et le groupe de contrôle (6,25%) sept fois moins. Les pourcentages montrent que le groupe de contrôle devance légèrement les infirmier(e)s. Chez les psychiatres, toutes les émotions de cette catégorie ont été choisies par au moins un(e) d'entre eux et trois psychiatres ont choisi au moins trois émotions. Ceci contraste avec les infirmier(e)s et le groupe de contrôle, chacun de ces groupes ayant choisi deux émotions, une par personne. L'émotion, Impuissant, la seule commune aux trois groupes avec un score de 7 (sur un total possible de 14), a été choisie avec unanimité par les psychiatries et donne son nom à la catégorie.

 


Tableau 13. - Émotions d' "Impuissance" (8)

 

                                               Psychiatres             Infirmier(e)s            Contrôle


                                                                45%                           5%                  6,25%             19,64%

 

Émotions de "Lassitude" (tableau 14)

Sur les cinq émotions de cette catégorie, une seule, Vide, n'a pas été choisie. Les groupes Psychiatres et Infirmier(e)s ont sensiblement les mêmes scores (40% et 36%, respectivement). Le groupe de contrôle a jusqu'à quatre fois moins avec 10%. L'émotion Fatigué reçoit l'unanimité chez les psychiatres et la quasi-unanimité chez les infirmier(e)s. De même, deux personnes du groupe de contrôle – les seules du groupe – ont ressenti cette émotion.

 

Tableau 14. - Émotions de "Lassitude" (5)

 


                                                 Psychiatres               Infirmier(e)s              Contrôle

                                                                40%                           36%                     10%              30%

 
Émotions d' "Anxiété" (tableau 15)

Le groupe Psychiatres reçoit le plus grand score avec 46,67%, mais au contraire des autres catégories, le groupe de contrôle est non seulement près derrière avec 41,67% mais il devance le groupe Infirmier(e)s qui a 20%. Le groupe Infirmier(e)s n'a pas choisi Anxieux au contraire de la quasi-totalité des psychiatres. Ceux-ci n'ont pas choisi Méfiant. Les trois émotions reçoivent un score proche les uns des autres avec Sur mes gardes en tête qui obtient 6.


Tableau 15. - Émotions d' "Anxiété" (3)

                                          


                                           Psychiatres                  Infirmier(e)s               Contrôle

                                                         46,67%                          20%                  41,67%               35,71%

 

 
Émotions de "Réaction" (tableau 16)

Ces deux émotions ont des scores égaux à l'intérieur de chaque groupe, le double dans le groupe Psychiatres (80%) par rapport au groupe Infirmier(e)s (40%), tandis que le groupe de contrôle, avec un score de zéro, n'a pas ressenti ces émotions du tout.

 

 

Tableau 16. - Émotions de "Réaction" (2)

                                          

                                         Psychiatres                 Infirmier(e)s                Contrôle


                                                  80%                         40%                                      42,86%

 

 
Émotions de "Précaution" (tableau 17)

Il s'agit de la seule émotion qui reçoit l'unanimité dans les trois groupes.

 

 

Tableau 17. - Émotions de "Précaution" (1)


                                        Psychiatres                 Infirmier(e)s             Contrôle

                                                       100%                        100%                    100%             100%


PARTIE 3 - DISCUSSION

 

Les graphiques 1 et 2 donnent la tendance générale des résultats. Les catégories 9 à 17 permettent une perception plus fine de ceux-ci. Le graphique 2, par souci d'information, présente les émotions par personne. Les différences à l'intérieur des groupes sont dues à des facteurs individuels mais, vu la taille de la population, elles ne peuvent pas être généralisées en tendances. En plus de ces facteurs, des biais sont possibles. Le constant reliant les trois groupes est une période de deux semaines et ne reflètent pas le contact avec un ou des patients spécifiques. Par exemple, chaque psychiatre a son quota de patients qui peut fluctuer de semaine en semaine. Un(e) des psychiatres travaille à mi-temps et a donc un nombre beaucoup plus petit de patients que les autres. Les difficultés ressenties chez certains patients peuvent aussi fluctuer selon les cas et selon le moment. Aucun de ces facteurs n'a pu être pris en compte dans cette étude. Néanmoins, les résultats présentés permettent de dégager un certain nombre de tendances générales.

Nous avons prédit que le soin relationnel produit des émotions chez les soignants. Le graphique numéro 1 montrent une nette différence entre le nombre d'émotions ressenties par les soignants en comparaison avec le groupe de contrôle n'ayant pas de contact thérapeutique avec les patients. Ce résultat va dans le sens de l'hypothèse principale.

Nous avons posé que les psychiatres de notre étude, de manière générale, ont un accès plus facile à leurs émotions que les infirmiers, par leur formation et leur expérience plus importantes en soins relationnels. De ce fait, nous avons prédit un score par les psychiatres plus élevé que celui des infirmier(e)s. Les résultats présentés dans le graphique 1 montre une quantité d'émotions ressenties par le groupe Psychiatres plus grande que celles du groupe Infirmier(e)s. Ce résultat va dans le sens de l'hypothèse II. 

 

L'Analyse des Catégories

 

Émotions "agréables" et "désagréables"

Afin d'affiner l'analyse des résultats, nous avons décomposé les données en une série de neuf catégories. Nous avons prédit que chez des soignants moins formés et moins expérimentés, les émotions ressenties qui sont conçues comme "agréables" seront plus faciles à accepter car ils semblent renvoyer une image valorisante de soignant bienveillant et compétent. Par contre, les émotions ressenties comme "désagréables", qui peuvent être confondues avec une image d'incompétence, seront plus facilement rejetés ou reniés. La catégorie 9-"agréables" est celle qui récolte le plus grand nombre d'émotions ressenties, tout groupe confondu (46,94%) (à l'exception de 17-"précautions qui ne contient qu'un seul item).

 

§         9-"agréables"

Comme nous l'avons suggéré, des émotions "agréables" sont d'une accessibilité relativement facile, ce qui peut expliquer les scores proches des soignants de la catégorie 9-"agréables". Pour cette catégorie, dans le groupe Psychiatres, les items Intéressé, Bienveillant et Réceptif ont été choisi par tout le monde. Les items comme Détendu et Empathique ont été choisi par quatre personnes sur les cinq. Toutes ces émotions semblent appropriées aux circonstances de l'entretien médical qui exigent une écoute spécifique et attentive devant un patient considéré dans sa totalité d'individu et dans son contexte social et familial (Pélicier, 1999). L'item Empathique, souvent associé à la relation thérapeutique, n'a pas l'unanimité des psychiatres et des infirmier(e)s, bien qu'ayant un score important. Cela est peut-être dû au type de patients de l'unité dont l'état de crise aiguë à leur arrivée peut rendre leur perception plus difficile. De même, les items Enthousiaste et Heureux, n'ayant été choisis qu'une fois par les psychiatres, reflètent peut-être aussi le type de patients de l'unité pour lesquels la stabilité est plus facilement établie que la guérison. Par contre, Enthousiaste reçoit 3 points chez les infirmier(e)s qui est peut-être le reflet optimiste de la jeunesse générale de l'équipe. Un(e) infirmier(e)e résume bien le sentiment général :

 

Et puis j'ai rencontré la psychiatrie en tout début de deuxième année à l'école d'infirmière quand j'ai fait mon premier stage en psychiatrie […] ça m'a passionné[e]. Parce que, je crois que j'ai vraiment été touché[e] par la détresse des patients, par ce qu'ils pouvaient me renvoyer de leur souffrance […] en psychiatrie on nous demande, même quand on est infirmier[e], de vraiment réfléchir sur ce qu'on fait, on nous demande d'avoir des connaissances… je trouvais que c'était quand même plus approfondis, qu'on n'était pas que des exécutants, au fait. Et que, vraiment, on avait… j'avais l'impression qu'on avait plus d'importance dans l'équipe, qu'on avait vraiment un rôle à jouer, qu'on réfléchissait à ce qu'on on faisait, qu'on posait plus de questions, qu'on se mettait plus en cause nous-mêmes par rapport à nos faiblesses, à notre travail. Enfin, je trouvais que c'était beaucoup plus intéressant, quoi. Ca me satisfaisait beaucoup plus, et puis je crois que la maladie mentale est quelque chose qui m'a beaucoup touchée. J'ai trouvé que c'était, oui, l'endroit où je voulais travailler, quoi.

 

L'item, Détendu dans le groupe Infirmier(e)s obtient l'unanimité. Cela renvoie peut-être à l'ambiance de l'unité. Bienveillant, Attentionné, Calme et Attentif obtiennent des scores élevés. Ce sont des émotions facilement identifiables aux soins infirmiers.

Le groupe de contrôle obtient leur plus haut score de la catégorie avec Attentif. Il est possible de se demander si le terme a la même signification pour ce groupe que pour les soignants. Les émotions qui ne figurent pas pour ce groupe sont celles plus associées au soin relationnel. Les items ayant des plus hauts scores ici comme Intéressé, Objectif, Réceptif, indiquent une acceptation bienveillant des patients.

 

§         10-"désagréables"

Les psychiatres ont obtenu un score en émotions "désagréables" de 4,29 points de pourcentage plus élevés qu'en émotions "agréables". Mais les infirmier(e)s ont chuté de 40 points de pourcentage et le groupe de contrôle de 16.07 points de pourcentage. Les psychiatres, en obtenant davantage de points de pourcentage en émotions "désagréables", semblent avoir accès à davantage d'émotions et de pouvoir mieux contenir des émotions désagréables que les infirmier(e)s et le groupe de contrôle. Ces résultats vont dans le sens de l'hypothèse III.

Dans la catégorie 10-"désagréables", l'item, Distant récolte le plus grand score avec Débordé en deuxième place. Pour les soignants, le choix de Distant peut s'expliquer par le fait qu'il est plus difficile d'entrer en relation avec les patients en crise aiguë. Par exemple, un(e) infirmier(e)e dit :

 

Quand même, ça reste un malade. Même si, dès fois, je voudrais bien qu'il ne soit pas malade et pouvoir discuter avec lui comme avec quelqu'un d'autre.

 

Il pourrait aussi être l'effet d'une prise de distance par le soignant dans un réflexe de préservation de soi. Débordé concorde bien avec une quantité importante de demandes par les patients et reçoit l'unanimité des psychiatres. Seul(e) un(e) infirmier(e) l'a choisie, ce qui va à l'encontre des résultats de la pré-étude. Un(e) infirmier(e)e a dit lors de la pré-étude :

 

Par moments, le sentiment qu'ils peuvent être trop intrusifs, trop agrippants, trop… Des demandes, des demandes, des demandes. Alors, il y a certains patients qui sont vraiment toujours, toujours présents où j'ai l'impression presque qu'eux, c'est mon espace. C'est trop envahi. Même physiquement ici.

 

Comparaison des catégories – soignants et groupe de contrôle

La tendance d'une plus grande quantité d'émotions ressenties chez les soignants que chez le groupe de contrôle, qui se voit dans le graphique 1, se reproduit dans sept des neuf catégories. Cette tendance va dans le sens de l'hypothèse principale. C'est le cas pour les catégories d'émotions 9-"agréables", 10-"désagréables", 11-"intentions désagréables", 12-"puissance", 13-"impuissance", 14-"lassitude" et 16-"réaction".

Cette tendance n'est pas suivi par deux catégories, 15-"anxiété" et 17-"précaution".

§         15-"anxiété"

De manière générale, cette catégorie n'obtient pas un score global élevé (37,71% pour seulement trois items). Non seulement le score du groupe de contrôle (41,67%) est à peine plus bas que celui des psychiatres (46,67%) mais il est largement au-dessus de celui des infirmier(e)s (20%). Ce score relativement élevé va à l'encontre de l'hypothèse principale. Mais les scores relatifs des psychiatres et des infirmier(e)s (46,67% et 20%) vont dans le sens de l'hypothèse II.

Le score du groupe Infirmier(e), le plus bas dans cette catégorie, indique une certaine sérénité par rapport aux résultats de la pré-étude. Un(e) infirmier(e)e a dit à propos de la violence :

 

Ca provoque beaucoup de stress, puis moi, personnellement, je m'en refais toute la scène en me demandant, à quel moment… qui aurait pu faire quoi, enfin, comment on est en arrivé là tout simplement. On essaie tout le temps de mettre en question et on arrive souvent à la conclusion que ça n'aurait pas pu se passer autrement.

 

Et un(e) autre sur le stress provoqué par une patiente :

 

Oh ! c'est une patiente qui va très, très mal et qui désigne des objets de persécution, donc ça tourne. Il se trouve que le week-end dernier, c'était moi. Donc, tout le week-end, tout le week-end, elle n'a pas arrêté d'être derrière moi, d'essayer - enfin bon - c'est des remarques. Elle était tout le temps, tout le temps là […] et ça, c'était compliqué parce que, à un moment donné, je ne savais plus quoi lui dire et il faut rester professionnel […] A un moment donné, ça a été court, mais je pense que j'ai senti que ça commençait un petit peu à m'angoisser…

 

Un(e) infirmier(e) témoigne sur le stress provoqué par le surplus du travail :

 

A partir du moment qu'on est vraiment débordé, débordé de travail, on ne sait plus du tout où donner de la tête. Forcément, ça stresse parce qu'on n'arrive plus à s'organiser convenablement. En plus, c'est forcément dans ces moments-là que le patient va vous demander plus de choses, donc il faut sans arrêt repousser les demandes, pousser les entretiens avec les gens qui veulent parler. On dit aux gens qu'on ne peut pas, qu'on ne peut pas à ce moment-là. Ca c'est pas terrible ! En plus de ça il faut savoir se maîtriser parce que le fait qu'on soit stressé, on leur répond d'une certaine manière qui les stresse encore plus. Donc je pense que, eux, ça leur fait monter des situations qui pourrait…

 

La sérénité apparente peut être due à la période testée qui a pu être plus calme que d'habitude. De même, un biais de désirabilité ne peut pas être exclu, ce qui pourrait, le cas échéant, indiquer une certaine fragilité, s'exprimant par le besoin de se montrer "professionnel", quoi qu'il advienne.

Le score relativement élevé du groupe de contrôle semble indiquer une préoccupation par les participants du danger potentiel qu'ils encourent à travailler dans une unité de patients en crise aiguë. Il n'est pas possible de déterminer, par contre, s'il s'agit d'une attitude sage de précaution générale ou d'un certain malaise lié à un sentiment d'insécurité.

 

§         17-"précaution"

La catégorie 16-"précaution" ne contient qu'un item. Il s'agit de la seule émotion qui obtient des scores de 100% dans les trois groupes. D'une certaine manière, cet item est "hors catégorie". Il est très proche des items, Méfiant et Sur mes gardes de la catégorie 15-"anxiété", avec cette nuance que c'est peut-être une émotion plus "réfléchie". C'est-à-dire, qu'il s'agit sans doute d'une émotion qui est moins l'effet d'une réaction que la préparation générale et plus ou moins instinctuelle à un contexte où tout peut arriver sans avertissement, y compris la violence. C'est ce qui a inspiré le nom de cette catégorie.

 

Comparaison des catégories – psychiatres et infirmier(e)s

Cinq catégories montrent une différence faible dans les scores des soignants, 9-"agréables", 11-"intention désagréables", 12-"puissance", 14-"lassitude" et 17-"précaution". Néanmoins, le score des infirmier(e)s ne dépasse jamais celui des psychiatres. De ce fait, l'hypothèse II n'est pas invalidée dans ces catégories. En dehors de 17-"précaution", les quatre autres catégories vont dans le sens de l'hypothèse principale. Nous présentons des commentaires ci-après sur ces catégories, à l'exception de 17-"précaution" que nous avons déjà commenté et 12-"puissance" que nous allons reprendre plus loin.

 

§         11-"intention désagréables"

Le rejet massif des émotions de cette catégorie pourrait s'expliquer par l'ambiance générale de l'unité lors de la période étudiée. Notre expérience d'une année de stage dans l'unité témoigne d'une ambiance générale cordiale, voire chaleureuse entre soignants et patients. Trois des items de cette catégorie ont été ressentis par un(e) psychiatre. Seule un item se dégage des autres : Manipulé. Un élément de la pré-étude peut apporter un éclaircissement à ce fait. L'unité reçoit des patients toxicomanes. Deux des infirmier(e)s interviewé(e)s pour la pré-étude ont fait état de ce qu'ils appellent la tendance manipulatrice de ce type de patients. Un(e) témoigne de la manière suivante :

 

C'est des gens qui m'énervent. C'est comme si, ce que je dis, c'est comme si je ne disais rien du tout. Parce que c'est des manipulateurs… Tu es souvent déçu parce qu'il y en a où ils apparaissent très gentils et tout. Ca m'est arrivé dernièrement avec B. Tu avais l'impression quand il parlait qu'il était décidé d'arrêter, de faire attention et tout. Il sort et ramène du shit à tout le monde, enfin tu vois ! D'abord, ça me déçoit et puis ça finit… c'est un peu décevant, quoi. Je ne me montre pas complètement indifférent[e] avec ces gens-là. Il y a moins d'empathie on va dire, ça c'est clair. J'aime bien les patients en souffrance.

 

Un(e) autre infirmier(e) dit ceci :

 

Après, quand je me suis rendu[e] compte, un, je me suis fait[e] avoir sur la prise de toxiques, deux, j'étais dans cette situation où j'avais surinvesti le patient, sans me rendre compte. C'est un peu pour ça qu'on est là. C'est fascinant la psychose, c'est fascinant la folie. Ils te racontent des histoires, même pas délirantes […] j'y trouve mon intérêt. Sauf que, ben ! Il y a un revers de la médaille, quoi. Je me suis fait avoir […] Moi, j'ai pris vachement de distance après. J'ai vraiment mis de la distance après. Je n'étais pas du tout dans l'empathie.

 

Personne du groupe de contrôle n'a choisi d'item dans cette catégorie, ce qui semble compatible avec le type de contact qu'ils ont avec les patients.

 

§         14-"lassitude"

Cette catégorie récolte un score assez bas avec 30% du score global pour cinq items. Un seul, Fatigué, se dégage pour les trois groupes avec un score total de 11. Les entretiens de la pré-étude ont montré la part que joue la fatigue dans l'unité. La personne de l'équipe des psychiatres a témoigné à ce propos, en le situant dans le cadre du manque d'effectifs :

 

…c'est très fatiguant en fait – contrairement à ce que les idéologies à l'heure actuelle prétendent, qu'on peut découper le temps des gens en tranches et en cases – en fait, c'est très fatigant. Et pour parler avec des cas, surtout les psychotiques, il faut avoir un temps de récupération ou un temps d'élaboration, ou un temps à penser à autre chose ou un temps à penser la chose qu'on vient d'entendre. Et si on est dans un processus à travailler trop à la chaîne, disons qu'on coupe au plus court et on ne laisse pas tellement au loisir à ce qui est vraiment subjectif de s'exprimer, quoi. Donc, il y a vraiment un problème de temps des équipes.

 

Et un(e) infirmier(e), parlant de ses débuts :

 

je suis resté[e] dès fois toute la journée à écouter les patients, et c'était beaucoup trop. Parce que j'avais du mal, peut-être, à un moment donné à fixer une limite, ou à dire, bon, maintenant, ça suffit ! Parce qu'il y a des gens qui se dispersent aussi beaucoup, pour qui trop parler tout le temps peut finalement les angoisser plus que les rassurer. Et je suis sorti[e] dès fois après huit heures de délire plein la tête, vraiment fatigué[e].

 

§         16-"réaction

Cette catégorie a deux items, qui n'ont pas été choisis par le groupe de contrôle, ce qui correspond à nos expectations. De ce fait, elle va dans le sens de l'hypothèse principale. De même, les psychiatres ayant presque choisi les deux émotions à l'unanimité et ayant obtenu de ce fait un score double de celui des infirmier(e)s, la catégorie va dans le sens de l'hypothèse II.

 

"Puissance" et "impuissance"

Dans la pré-étude, nous avons rapporté les propos de la personne interviewée de l'équipe des psychiatres qui a dit ceci au sujet de l'impression de puissance :

 

On est beaucoup moins dangereux quand on est dans la toute puissance en sachant qu'on est dans la toute puissance, que quand on est dans la toute puissance en ne sachant même pas qu'on est dans la toute puissance. Parce qu'au moins, quand on sait qu'on est dans la toute puissance, on peut décider d'arrêter de temps en temps.

 

A ce propos, un(e) infirmier(e) dit ceci :

 

Mais je suis moins dans la toute puissance. Je pense moins que… je pense que si je ne suis pas là, ça se fera quand même. Alors qu'avant, quand j'ai commencé, il fallait que je fasse tout.

 

§         12-"puissance"

Ces propos, qui semblent témoigner d'une prise de conscience sur un aspect des soins traité dans le chapitre sur l'éthique, ne sont pas reflétés dans la catégorie 12-"puissance". Les items potentiellement les plus nuisibles de cette catégories n'ont pas été choisis.

Avec sept items pour 12-"puissance" et huit pour 13-"impuissance", les deux catégories sont proches par la quantité d'items. Mais ils sont en contraste par d'autres éléments. La première, malgré un score global bas (11,22%), va dans le sens de l'hypothèse principale. Un item, Efficace se dégage de tous les autres avec un score identique chez les deux groupes de soignants. Cette émotion reflète sans doute une certaine satisfaction pour les soins proposés aux patients dont chacun s'estime capable.

 

§         13-"impuissance"

La catégorie, 13-"impuissance" va contre la tendance générale de l'hypothèse principale par le fait que le score des infirmier(e)s ne la suit pas. Ici en effet, le groupe de contrôle, par son nombre inégal, dépasse légèrement les infirmier(e)s (6,25% contre 5%). En laissant les psychiatres de côté pour le moment dans cette catégorie, les scores comparés des infirmier(e)s et du groupe de contrôle appelle à un commentaire. Il est frappant, dans une unité de crise aiguë qui voit souvent les mêmes patients revenir régulièrement sans espoir apparent de guérison, que les scores des infirmier(e)s dans cette catégorie soit si bas. Il est tout aussi frappant que celui du groupe de contrôle soit relativement élevé. Les participants de ce dernier ne sont pas concernés par l'issue des soins. Des entretiens supplémentaires pourraient fournir un moyen d'éclaircir ce type de question. Pour ce qui concerne le score des infirmiers, le score va à l'encontre des résultats de la pré-étude qui indiquaient, entre autres, des émotions comme  « déception » et « frustration » dans le contexte de la relation avec les patients. Lors des entretiens, un(e) infirmier(e) a dit :

 

Parce que, là, ça te renvoie quand même un échec des soins, un échec de la prise en charge qui pour moi est difficile à gérer. Tu sais, quand on n'a pas réussi à faire quelque chose pour un patient, ou qui vient une semaine après qu'il soit sorti. Et là tu te dis, "ben merde ! on a tout loupé parce qu'il revient une semaine après. Moi, c'est ça que je trouve difficile dans ce métier-là.

 

Et un(e) autre :

 

On a l'impression que les patients, ils arrivent ici en crise. On les soigne, on les écoute, on essaie de discerner le problème, ils sortent. Puis après, on n'a qu'à attendre la rechute pour qu'ils reviennent […] il y a une part de frustration.

 

Le score des infirmier(e)s pourrait s'expliquer par une implication de leur part moins forte avec les patients que par les psychiatres (qui ont obtenu un score de 45%). De ce point de vue, il faudrait tenir en compte l'investissement plus important possible des psychiatres qui ont la responsabilité directe pour les soins. Une autre explication du score des infirmier(e)s pourrait être un biais de désirabilité associée à un désir de se montrer compétent.

Le groupe Psychiatres, en choisissant tous les items de cette catégorie et par leur score comparé au groupe Infirmier(e)s (45% et 5%, respectivement), montre leur capacité d'accepter des émotions diverses. Les scores de cette catégorie vont dans le sens des hypothèses II et III.

Les résultats du groupe de contrôle – une personne a choisi Impuissant et une autre Submergé – posent question, sachant que les participants de ce groupe n'ont pas un rôle d'autorité particulier sur les patients.

 

Comparaison des catégories – diversité d'émotions entre psychiatres et infirmier(e)s

Pour valider l'hypothèse III, il serait nécessaire de montrer que les psychiatres et les infirmiers sont proches dans le nombre d'items choisis dans les catégories plus faciles à accepter. Et en même temps, il serait nécessaire de montrer que le nombre d'items choisi par les psychiatres est plus grand que celui des infirmier(e)s dans les catégories d'émotions plus difficiles à accepter. Pour la première partie de l'énoncé, 9-"agréables" et 17-"précaution" vont dans ce sens. Cette tendance est renforcé pour la deuxième partie de l'énoncé avec les catégories, 10-"désagréables" et 13-"impuissance".

Cependant, nous sommes conscient de manier des concepts, comme "agréables" ou "désagréables" pour décrire des émotions, qui n'ont pas été validés préablement.

 

En résumé, l'examen des résultats montre qu'ils vont dans le sens de l'hypothèse principale et de l'hypothèse II. Les résultats montrent une tendance moins marquée dans le sens de l'hypothèse III, tout en n'allant pas à l'encontre de celle-ci. Cependant, les résultats généraux obtenus permettent de penser que des études dans cette ligne de recherche pourraient fournir des résultats d'intérêt certain.

 

 


I. LIMITES de L'ÉTUDE

 

La petite taille de l'échantillon n'a pas permis de valider les résultats statistiquement. De même, des tendances perçues dans le graphique 2 sont le fait de traits individuels et ne permettent pas d'y voir des tendances générales. Par exemple, dans le groupe Psychiatres, la personne ayant le moins d'expérience professionnelle a le score le plus élevé, brisant de ce fait ce qui semble être une tendance du groupe d'un score descendant avec l'expérience. Dans le groupe Infirmier(e)s, une personne de grande expérience récolte un score plus bas que ces collègues – qui ont des scores presque égaux – et même  plus bas que deux personnes du groupe de contrôle. Ces deux exemples, s'ils s'avéraient être une tendance sur une grande échelle, rendraient nulles nos hypothèses.

L'étude a été effectuée dans une seule unité. De ce fait, il est possible que les résultats reflètent davantage une tendance spécifique de l'unité qu'une tendance nationale. Par contre, nous avons cherché à démontrer un écart général entre la formation et l'expérience relatives des psychiatres et les infirmières. Cet écart, peut-être spécifique à l'unité, nous a permis de tester l'hypothèse II.

Les deux études qui ont inspiré la nôtre ont testé des soignants avec des patients spécifiques. Cette possibilité rend leur recherche plus rigoureuse que la nôtre. Vu la taille de l'échantillon et le temps à notre disposition, nous avons été contraint d'utiliser un facteur commun (une période de deux semaines) susceptibles de biais multiples. Ces biais comprennent un nombre inégal possible de patients traités par soignant ou des patients de difficultés diverses selon le soignant. Le facteur de la mémoire entre en jeu aussi, certains patients pouvant laisser une trace plus importante dans la mémoire après plusieurs jours que d'autres.

Enfin, l'impossibilité d'étudier les résultats statistiquement nous a amené à monter un système de catégories dans une tentative d'affiner l'exploitation des résultats. Ces catégories, choisies arbitrairement, se basent sur la notion d'émotions "agréables" et "désagréables". Notre but déclaré était de démontrer que ces dernières sont rapportées moins que les premières et devait permettre la validation de l'hypothèse III. Pour poursuivre cette ligne de recherche, il serait nécessaire de valider auparavant ce qui est généralement accepté comme "agréable" ou "désagréable" etc.

Malgré l'impossibilité de valider statistiquement nos résultats, nous maintenons que ces résultats indiquent de façon appuyée que les hypothèses principales et II sont validées. Quant à l'hypothèse III, les résultats semblent se conformer à celle-ci et encouragent une poursuite de la recherche. Il serait nécessaire de reprendre la recherche sur une échelle plus grande, en utilisant des méthodes plus rigoureuses que celles que nous avons pu mettre en œuvre, afin de vérifier les tendances que nous avons trouvées dans nos résultats. Par exemple, la suivie du questionnaire par des entretiens semi-directifs avec les participants sur leurs réponses permettrait de les approfondir. Nous pensons notamment à quelques réponses des participants du groupe de contrôle qui soulévaient des questionnements. Mais, il serait aussi possible de déterminer avec davantage d'affinement les capacités d'accès aux émotions des sujets par cette procédé supplémentaire.

 

 

 

II. CONCLUSION

 

La relation est un facteur fondamental des soins en psychiatrie. Pinel et Pussin d'abord, et plus tard Carl Rogers ou Hildegard Peplau, ont découvert que le soignant devient un outil thérapeutique par la relation qu'il met en place avec le patient. L'expérience de Pinel et Pussin n'a pas été poursuivie pour des raisons propres à l'organisation hiérarchique des soins à l'époque. Pour d'autres raisons, les tentatives de Balint d'introduire l'aspect relationnel dans l'approche des médecins ou les travaux de Peplau visant à développer l'identité professionnelle des infirmiers à travers le soin relationnel, ont connu des entraves. Ces raisons comprennent les facteurs de croyance (de ce qui constitue la maladie mentale et l'atténuation de la souffrance) mais aussi des facteurs politiques et économiques qui ne favorisent pas le développement de la discipline infirmière psychiatrique par la recherche et la formation. Or, le soin relationnel, ses atouts et ses dangers, n'entre pas dans le domaine de l'intuition. Il doit être l'objet d'une solide formation. Nous avons cherché à démontrer que les effets de la relation avec les patients, qui peuvent se manifester par l'émotion ressentie du soignant, existent bien chez les psychiatres et les infirmier(e)s en psychiatrie. La thérapie psychodynamique nous apprend que ces effets, lorsqu'ils ne sont pas pris en compte à bon échéant par les intéressés peuvent être nuisibles pour eux-mêmes, pour le patient et pour le soin de celui-ci. Il est dans l'intérêt des professionnels du soin, comme des patients, d'intégrer la connaissance des effets du soin relationnel dans la formation à partir de la recherche soutenue sur sa nature et ses mécanismes.

Notre étude montre que les effets du soin relationnel sur les soignants peuvent être mesurés et encourage à développer cette ligne de recherche.

 


III. BIBLIOGRAPHIE

 

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IV. ANNEXES

 

 

ANNEXE 1

 

 

Questions de base de la Pré-étude

 

1.      Donnez-moi un bref aperçu de votre formation et de votre expérience professionnelle.

 

2.      En quoi consiste votre travail ?

 

3.      Pour quelles raisons avez-vous choisi votre métier ?

 

4.      Peut-on parler de "soin idéal" ?  

 

5.      Comment se passe la relation avec les patients ?

 

6.      Vous arrive-t-il de vous trouver préoccupé par des éléments du travail ou par tel ou tel patient en dehors des heures de travail ?

 

7.      Comment voyez-vous la bonne distance dans la relation avec les patients ?



[1] Philippe Pinel, Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale ou la manie, Paris, 1800.

 

[2] Ce n'est qu'en 1901 lors du congrès des aliénistes français à Limoges que la question de l'appellation « gardien » ou « infirmier » est abordé mais il faut attendre 1938 pour que le terme « gardien » disparaisse définitivement (Jaeger, 1990).

[3] Pour des informations très complètes sur cette méthode, voir www.qmethod.org

 

[4] Sabina Spielrein (1885-1942), injustement oubliée, fut la première patiente que Jung soigna entre 1904 et 1905 selon la nouvelle méthode de Freud lorsqu'il était jeune psychiatre assistant sous Bleuler au Burghölzi à Zurich. Une fois guérie, Spielrein fit des études de médecine à Zurich et puis, dans le but de mettre fin à sa relation avec Jung devenue douloureuse pour tous deux, lança un appel au secours à Freud et s'installa en 1911 à Vienne où elle fut admise à la Société psychanalytique. Spielrein et Jung continuèrent à correspondre jusqu'en 1919. Parmi les écrits de Spielrein, un essai a certainement influencé le texte de Freud, Au-Delà du Principe de Plaisir, comme Freud semble le reconnaître dans une note de bas de page du chapitre VI. Il s'agit de La Destruction Comme Cause du Devenir, paru en 1912. En 1923, Spielrein retourna dans son pays natal, la Russie, avec son mari et leurs deux filles où elle ouvrit un hôpital psychiatrique pour enfants à Rostov sur le Don et enseigna à l'université. Elle fut assassinée avec ses filles dans la synagogue de Rostov sur le Don par les Nazis en 1942.

Pour des informations sur Spielrein, sur ses écrits et sur son influence sur Jung et sur Freud, voir Sabina Spielrein entre Freud et Jung, Édition française de Guibal & Nobécourt, Auber, 1981; A Most Dangerous Method: The Story of Jung, Freud and Sabina Spielrein, de John Kerr, Reed, 1993; un dossier d'articles et les notes médicales de Jung sur sa patiente, Spielrein dans The Journal of Analytical Psychology, 2001, Vol. 46, N° 1; et le film Ich Hieß Sabina Spielrein, réalisé par Elizabeth Márton, producteur exécutif, Helgi Felixson/Idé Felixson AB, 2002.

[5] Pour la version anglaise du questionnaire à télécharger, voir www.psychsystems.net/lab

[6] Ce nombre a été réduit à vingt-trois lits lors de travaux de modernisation du Pavillon en 2006.

[7] Voir annexe, page 64, pour les questions de base

ANNEXE 2

 

Analyse in extenso de la Pré-Étude

 

Les buts

Afin de déterminer les représentations et les sentiments de l'équipe soignante par rapport à leur travail et à leur relation avec les patients, nous avons effectué une pré-étude sous la forme d'entretiens de témoignage. Les résultats de la pré-étude ont servi de base pour la conception des modalités de l'étude proprement dite. Notre but précis était de recueillir des thèmes afin de les regrouper et de les comparer dans une analyse thématique.

 

Les participants de la pré-étude

Au départ, il avait été décidé de choisir quatre ou six infirmiers, ayant une expérience professionnelle variée, et représentatifs de leur groupe, plus un psychiatre. Or, notre démarche a suscité un certain intérêt parmi les infirmiers et aides-soignants et une grande partie en ont exprimé le désir d'y participer. Nous avons donc interviewé tous ceux qui souhaitaient témoigner. Deux personnes parmi les infirmiers ont préféré ne pas participer. Quatorze personnes ont donc participé aux entretiens : l'infirmière cadre, neuf infirmiers (deux hommes et sept femmes), les trois aides-soignants (un homme et deux femmes) et une personne choisie parmi les psychiatres.

 

Répartition par durée d'expérience professionnelle de l'équipe

La population étudiée est de tendance jeune. Au moment des entretiens, une personne sur les treize infirmiers avait moins d'un an d'expérience professionnelle et 8 personnes ont une expérience de moins de quatre ans. Parmi celles-ci, cinq ont moins de deux ans d'expérience. Parmi les six participants restants (y compris le psychiatre), quatre ont entre dix et vingt ans d'expérience professionnelle et deux en ont plus de vingt ans.

 

Précautions pour préserver l'anonymat des participants

La population étudiée étant restreinte et limitée à une seule unité de travail, le risque est grand que, malgré les précautions prises pour protéger l'anonymat de chaque participant, leur identité soit reconnue par ses collègues. Pour cette raison nous avons estimé nécessaire de prendre quelques précautions supplémentaires lors de l'analyse de la pré-étude. Il s'avère qu'il y a un déséquilibre significatif dans la répartition par genre des participants chez les infirmiers (trois hommes pour dix femmes). Vu l'échelle restreinte de la population, aucune tendance spécifique au genre peut en être dégagée. Pour cette raison, nous n'avons pas différencié les participants par genre.

 

         La méthode d'analyse de la pré-étude

           

Les entretiens[1], de type sémi-directif, ont eu lieu tout au long du mois de février 2006. Avec l'autorisation de l'infirmière cadre, ils ont eu lieu aux heures de service et dans un bureau libre du Pavillon. La durée des entretiens varie de 23,34 minutes à 1 heure 2,29 minutes avec une durée moyenne de 39,82 minutes. Sur les quatorze entretiens, seuls quatre ont dépassé quarante minutes. Une durée de trente minutes avait été indiquée aux participants. Sept questions principales étaient posées, les entretiens ont été enregistrés sur magnétophone et transcrits textuellement sur une totale d'un peu plus de cent pages. Les questions portaient sur les représentations et les sentiments de chacun sur leur travail et sur leurs relations dans l'équipe et avec les patients.

 

Description de l'analyse thématique

Le résultat des entretiens fut analysé utilisant la méthode d'analyse thématique. Selon cette méthode (Jacobi, Wuillemin-Sales, 1994), les différents thèmes sont repérés dans le texte à partir de mots clefs, donnant lieu à des thèmes secondaires. Ceux-ci sont ensuite classés en catégories plus générales ou thèmes principaux. Cette  recherche de thèmes se fait sur la base d'une grille d'analyse souple, découlant d'hypothèses d'ordre psychosociologique qui peuvent être adaptées en fonction des données. Ainsi, les catégories issues de l'analyse ne sont définies ni a priori ni à posteriori. Elles sont élaborées à partir d'idées conductrices qui s'adaptent aux résultats obtenus.

La grille d'analyse de base de notre pré-étude fut établie à partir d'une proposition qui a servi de fondement pour l'hypothèse principale : il y a bien un impact du soin relationnel avec les patients sur l'équipe soignante. D'autres éléments comme le "soin idéal" (Champagne et Stromberg, 2004; Cazabat et al., 1997) et la "bonne distance" (Moyle, 2003; Frobert, 2001; Dibie-Racoupeau et al., 2005; Cameron et al., 2005; Hem & Heggen, 2003; Legrand-Septier, 2002; Rioult, 2001; Vandamme, 2004; Chantereau et al., 2005) furent également ajoutés. Tous ces éléments ont contribué aux sept questions des entretiens qui ont formé les sept catégories à la base des thèmes principaux.

 

Limites et avantages de la méthode

D'après Jacobi et Wuillemin-Sales (1994), la méthode thématique, malgré la simplicité apparente de son principe général, reste une technique potentiellement problématique. Ils soulèvent trois difficultés à ce propos.

La première est celle du facteur de la subjectivité du codeur (ou des codeurs). Les critères de choix des mots clefs dépendant de cette subjectivité, des    « glissements sémantiques » sont possibles. Pour éviter des biais possibles, nous avons utilisé pour mots clefs des mots exprimés par les intéressés eux-mêmes.

Le problème se multiplie lorsque plusieurs codeurs (donc plusieurs subjectivités) s'emploient à l'analyse. Ce problème n'est pas le nôtre, le codeur étant seul. Par contre, les auteurs posent aussi la question de la concordance lorsqu'un même codeur analyse un texte à des moments différents : l'analyse à ces deux moments, sera-t-elle du même ordre ?

Deux réponses s'imposent, nous semble-t-il, aux difficultés soulevées. Premièrement, notre pré-étude étant un recueil d'informations, la rigueur scientifique nécessaire à l'étude qui s'ensuit n'est pas du même ordre; une certaine souplesse d'approche est possible et même préférable à ce stade.

Cependant, la troisième objection des auteurs garde toute sa pertinence d'après notre expérience. Il a souvent été le cas qu'un mot clef soulevé dans une transcription d'entretien réfère à un thème possible non encore établi dans l'analyse. Une telle découverte nous obligeait chaque fois à retourner aux textes déjà analysés pour déterminer si les traces du thème en question n'avaient pas échappé à l'attention.

 

Difficultés rencontrées dans l'analyse

Nous avons été confronté à trois difficultés principales lors de l'attribution de mots clefs aux discours.

Un mot clef peut être énoncé dans des contextes variés et se référer à deux, voire trois thèmes différents. C'est le cas du mot clef, "Équipe". Il est utilisé selon le contexte pour désigner le soutient moral et pratique que le groupe apporte lors de moments difficiles avec les patients; mais aussi pour exprimer son utilité pédagogique lors de discussions à la suite d'une crise, par exemple. A ce propos, l'équipe prend une dimension supplémentaire lorsqu'on sait que dix infirmier(e)s se plaignent du manque de formation spécifiquement psychiatrique. Le mot clef prend un sens ambivalent lorsqu'on désigne l'équipe comme un facteur facilitant la "bonne distance" soignant-soigné mais aussi comme moyen de se préserver des effets négatifs de cette relation. De telles nuances dans le discours obligent à une grande vigilance.

Une autre difficulté : repérer des mots clefs qui apparaissent comme réponses à des questions d'apparence non directement liées. N. en répondant à la question n° 3 sur les représentations du travail ne dit pas qu'elle œuvre pour l'autonomie des patients. Mais elle le dira lors de sa réponse à la question n° 5 qui traite de la relation avec les patients.

Troisièmement, la portée d'une analyse thématique est limitée par la grande liberté possible accordée aux participants dans le choix de réponses et le choix de ne pas répondre ou de répondre partiellement. Trois attitudes semblent se dessiner à ce propos. Le participant dit ce qui est important pour lui, ce qui est le plus présent dans son esprit. Par exemple, l'étendu des actes de soin est vaste. Or, à la question « pouvez-vous décrire votre travail » la variété des réponses s'étend de deux à huit actes chacun. Nous retenons de cela que le fait de ne pas faire mention d'un élément dans le travail de soins n'est pas indicative de l'existence ou non de cet élément.

Une deuxième attitude est celle de la préservation de soi. Lorsque nous avons demandé à B. des précisions sur l'influence de sa famille dans son choix professionnel elle répond, « Alors là… c'est une question très, très, très privé », marquant les limites au-delà desquelles elle n'avait pas l'intention de passer.

Enfin, l'impact de la souffrance d'autrui sur soi peut avoir pour conséquence le réveil d'affects douloureux ou d'attitudes difficiles à accepter chez soi. Autant de raisons pour cacher des choses à celui qui cherche des réponses, voire à soi-même. Le résultat est identique : certaines attitudes ne seront jamais comptabilisées. Pourtant, la majorité des participants ont répondu avec candeur et certains ont fait part d'informations que leurs collègues ignorent : I. parle d'un membre de sa famille handicapé dont la souffrance des patients lui envoie sans cesse l'image. L. relate un moment de transgression légère provoquée par la fascination, ce qui lui a laissé un sentiment de honte. Certains, à l'instar de I. commence par affirmer que la souffrance des patients ne les touchent pas, pour ensuite se reprendre. Il est impossible de savoir s'il s'agissait d'une oublie momentanée ou d'une hésitation à s'exprimer sur ce sujet difficile.

La contrepartie de l'évitement à certaines questions s'exprime dans le désir par certains de faire part d'un ressentiment ou d'une expérience vécue douloureusement.

 

 


Résultats de la pré-étude

 

 

Les thèmes principaux

Nous avons regroupé les mots clefs des entretiens en six catégories correspondant à la structure de l'entretien : "La motivation déterminant le choix de la profession", "Les représentations du travail", "Améliorer le travail", "Le soin idéal", "La bonne distance soignant-soigné" et "Les stratégies de préservation de soi". A l'intérieur de chaque catégorie nous avons reparti les mots clefs sous des thèmes principaux. Une septième catégorie, la synthèse des six autres, est apparue lors du dépouillement des données. Nous l'avons appelé "Effets de la relation". Il s'agit de l'attitude avec laquelle les membres de l'équipe font face aux exigences professionnelles liées à la relation avec les patients.

 

Catégorie de la motivation

[PH1] Dix-neuf mots clefs ont été relevés dans cette catégorie, montrant une grande diversité d'attraction pour les soins en psychiatrie. Trois mots clefs se détachent de tous les autres. Le mot "stage" a été choisi sept fois. Ceci indique que le participant a pris la décision de travailler

 

 

Tableau 1. - La motivation déterminant le choix de la profession

 

Apporter des soins                                   Motivation externe                       Motivation interne

Aspect relationnel                      6             Stage                             7             Mieux se connaître                                 3

La réparation (soi/l'autre)          3             Famille                           5             Travailler en équipe                                3

Psychanalyse                              3             Formation payée         1             Orientation lacanienne de l'unité          2

Travail humanitaire                     2                                                                  Éviter soins techniques                         2

Aider les gens                             2                                                                  Couper la routine                                    2

Aspect service public                1                                                                  Autonomie du travail                             1

de l'unité                                                                                                           Aspect global des soins                        1

                                                                                                                           Contact humain                                       1

                                                                                                                           Acquérir de l'expérience                         1

                                                                                                                           Le pouvoir                                                1

 

Total:                                         17             Total:                          13             Total:                                                      17

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avec des patients psychiatriques lors d'un stage pendant leur formation qui a été révélateur. Six personnes pensent que c'est "l'aspect relationnel" qui les a attirées. Cinq  estiment que leur choix est motivé par l'influence de la famille. Parmi ces dernières, la tendance est d'une d'influence de la famille pendant leur enfance, une seule ayant été encouragée à l'âge adulte par la famille de choisir sa profession.

Trois thèmes principaux apparaissent ici. Six mots clefs, totalisant 17 réponses peuvent se regrouper dans le thème de l'aide aux gens que nous appelons "Apporter des soins". Plusieurs infirmier(e)s ont affirmé que leur profession n'est pas une vocation. Néanmoins, ces données – notamment le mot clef, "Aspect relationnel" qui récolte six réponses – semblent indiquer que le désir de soigner autrui, de lui être utile est un facteur important dans le choix de la profession.

Le même nombre de réponses est récolté sous le thème, "Motivation interne". Les mots clefs les plus choisis ici, "Mieux se connaître" et "Travailler en équipe" indiquent, de plus, une recherche relationnelle. Une autre approche indiquant une recherche d'indépendance et de responsabilité se dessine avec les mots clefs comme "Éviter les soins techniques", Couper la routine" et "Autonomie du travail". Ces réponses-ci semblent exprimer le désir de sortir d'un cadre restrictif et routinier. Les soins en psychiatrie exigeraient des qualités personnelles et un sens d'initiative. Un(e) infirmier(e) résume très bien le sentiment général en parlant de sa découverte de la psychiatrie lors d'un premier stage :

 

« en psychiatrie on nous demande, même quand on est infirmier[e], de vraiment réfléchir sur ce qu'on fait, on nous demande d'avoir des connaissances… je trouvais que c'était quand même plus approfondis, qu'on n'était pas que des exécutants, au fait. Et que, vraiment, on avait… j'avais l'impression qu'on avait plus d'importance dans l'équipe, qu'on avait vraiment un rôle à jouer, qu'on réfléchissait à ce qu'on on faisait, qu'on posait plus de questions, qu'on se mettait plus en cause nous-mêmes par rapport à nos faiblesses, à notre travail. »

 

Catégorie des représentations du travail

Suivant la description du soin infirmier rédigée dans les décrets du 15 mars 1993 et du 11 février 2002, nous avons ordonné les quinze mots clefs concernant les représentations du travail sous les thèmes principaux de soins techniques, soins relationnels et soins éducatifs. Trois mots clefs tombent hors de cette catégorisation. Il est intéressant de noter un de ceux-ci, fourni par le psychiatre : « Limiter la souffrance ». C'est la seule réponse qui exprime un but des soins. Toutes les personnes de l'équipe infirmière ont décrit leur travail en termes d'actes. Lors de l'entretien avec le psychiatre celui-ci a soulevé cette question :

 

 

Tableau 2. – Les représentations du travail

 

Soins relationnels                                  Soins éducatifs                    Soins techniques              (autres)

 

Écoute                                          8         Hygiène                        4      Soins techniques  6      Limiter souffrance       1

Accompagnement                      6         Autonomie patient      2                                               Pouvoir infirmiers        1

Observation                                 4         Le rituel quotidien       2                                               La gestion                    1

Travail avec médecins               3

Gérer les crises                            3

Besoin de réfléchir                      2

Demandes des patients             2

Vérifier son comportement        1

 

Total:                                         29         Total:                            8      Total:                      6      Total:                            3

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« Là, en ce moment, je pense qu'on a un gros problème quand même. C'est que l'équipe infirmière, les infirmiers en général, ils ne s'autorisent pas beaucoup à… c'est vraiment la bascule inverse du phénomène de la relation. Ils sont tellement pris dans les actes et dans les choses tierces, dans ce qu'il y a à faire, dans tout ce qu'il a à faire dans le service du patient, comme on dit, ce qui est un certain nombre d'actes à poser, de trucs extérieurs, qu'on en vient à être obligé presque de ramener un peu de la relation et un peu de, "qu'est-ce que vous en pensez" et "qu'est-ce que vous en ressentez". C'est très difficile à obtenir en ce moment. »

 

Trois mots clefs du thème, "Soins relationnels", se dégagent des autres : "Écoute" avec 8 réponses, "Accompagnement" avec 6 et "Observation" avec quatre réponses. Notons que le mot clef "Accompagnement" a deux sens. Il exprime le travaille quotidien qui consiste à accompagner le patient dans sa vie à l'hôpital, le soutenir, l'écouter, l'aider à trouver une autonomie afin qu'il puisse quitter l'unité au plus vite. Mais le même terme est utilisé dans l'accompagnement du patient à l'extérieur de l'unité pour faire une course ou se rendre à un rendez-vous administratif ou médical. Ce thème principal récolte 29 réponses, un résultat qui reflète l'importance dans laquelle les participants tiennent le rôle de la relation dans les soins des patients. Il est à noter que le mot clef, "Travail en conjonction avec le médecin" n'attire que trois réponses, ce qui semble démontrer une absence de conjonction entre équipes d'infirmiers et de médecins ou alors un sentiment d'isolation des infirmiers par rapport au travail des médecins.

Six participants ont accordé le terme soins techniques sans le qualifier. Si on se rappelle que deux infirmier(e)s avaient donné comme motivation du choix de la profession le désir d'éviter les soins techniques, nous voyons l'importance relative accordée à ce thème. Pour les deux infirmier(e)s, le soin de patients psychiatriques passe plus par la parole que par les actes techniques.

Une contradiction saute aux yeux ici. Les infirmier(e)s décrivent leur travail en termes d'actes. Or, la grande majorité de ses actes (29 mots clefs sur 46) se regroupe sous le thème de la relation, avec une prise en compte de l'importance des soins techniques largement négligée[2]. Nous allons voir dans la catégorie, "La bonne distance soignant-soigné" l'apparition de ce qui semble être une difficulté de la part des infirmier(e)s de déterminer ce qui constitue une relation adéquate dans le cadre des soins.

 

Catégorie: "améliorer le travail"

 

 Douze mots clefs sont proposés ici. Nous les avons partagés entre les deux thèmes, "Formation" et "Conditions du travail". Avec 10 réponses sur les quatorze participants qui réclament une meilleure formation, la politique actuelle en France de la formation des infirmiers en psychiatrie semble particulièrement désavouée. Presque autant de participants – neuf – se plaignent d'une formation continue inadéquate. Trois infirmier(e)s se plaignent de demandes de stage refusées. Deux infirmier(e)s indiquent qu'aucun stage propose une formation en psychiatrie. Un(e) infirmier(e) fait part du stress occasionné par le manque de formation en psychiatrie. Cependant, trois infirmier(e)s ont apprécié l'existence d'un stage sur le comportement à tenir face à la violence.

 

 

Tableau 3. – Améliorer le travail

Formation                                                Conditions du travail                                   Parer au manque de formation

Formation en psychiatrie         10      Davantage d'effectifs                              8      Équipe et anciens                       7

Formation continue                    9      Meilleure relation inter-équipes            2      Expérience                                    6

Possibilité des supervisions     6      Davantage de matériel                            1      Lecture                                         3

Faire une psychanalyse             1      Contacts externes/internes de l'unité   1      Psychanalyse personnelle        2

                                                               Organisation du travail                           1      Médecins                              +2/-3

                                                               Trop d'administration                             1

                                                               Attitude personnelle (humour)          1

                                                               Meilleure utilisation de l'espace            1

 

Total:                             26     Total:                                      16     Total:                             23

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Ce manque est paré par diverses stratégies que nous avons groupé sous le thème, "Parer au manque de formation". L'appuie le plus important avec sept réponses est "Équipe", notamment les "anciens". Or, vu la jeunesse de l'équipe d'infirmiers actuelle, lorsque les anciens partiront à la retraite dans quelques années, il est à craindre que leur expérience soit mise à l'épreuve pour faire face à la formation de base manquante.

Vient ensuite "Expérience" avec six réponses. On parle à ce propos d'apprentissage    « sur le tas ». "Lecture" et "Psychanalyse personnelle" sont aussi évoqués.

Deux personnes s'appuient sur les psychiatres en les observant lors d'entretiens médicaux. Mais trois estiment qu'elles ne peuvent pas compter sur les psychiatres pour les aider professionnellement. Le psychiatre pense que tout soutien personnel doit se chercher à l'extérieur du service pour des raisons de principe mais aussi par manque de moyens en finances et en personnel. Les infirmier(e)s en général, cependant,  ne semblent pas au courant de cette politique. En plus, il semble avoir un malentendu au sein de l'unité sur ce qui constitue une bonne formation. Le psychiatre fait remarquer qu'il y a des séminaires proposés par le secteur qui sont ouvert à tous. Ce sont des séminaires d'orientation lacanienne. Or, comme nous voyons au tableau 3., dix infirmier(e)s se plaignent du manque de formation en psychiatrie. Par ailleurs, quatre infirmier(e)s ont effectué au moins un an d'études en psychologie dans le passé ou alors sont en train de suivre des études en psychologie. La question se pose : de quelle formation faut-il pour des infirmiers exerçant en psychiatrie ?

 

Catégorie du soin idéal

Ce thème est le sujet de la question 4 de l'entretien. En posant cette question, notre but était d'ouvrir les esprits vers leur imaginaire et vers ce qui pourrait manquer actuellement dans le soin.

 

                       Tableau 4. – Le soin idéal

 

N'existe pas                           8      Stabiliser le patient,                       2         On commence                              2

                                                         c'est déjà bien                                            dans cette attitude

Ne suis pas encore arrivé    2      Faire le mieux possible                  2         Davantage de temps                  1

Davantage d'effectifs           1      Moins d'administration                 1         Moins d'agitation                       1

                                                                                                                              dans l'unité

Être le plus profess-             1      Moins de médicaments,                1         Adapter l'idéal                             1

ionel possible                                de contentions                                           aux réalités

Une attitude ouverte            1      Danger de l'illusion                        1

 

Total:                                                                                                                                                                       14

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Ce thème réunit quatorze mots clefs dont aucun ne se distingue des autres. Cette notion a été rejetée comme "non-existante", "impossible" ou "n'ayant pas de sens" par huit participants dans un premier temps lors des entretiens. Un seul, le psychiatre, y voit le danger potentiel qui peut mener à l'illusion de la toute puissance. Sur les treize autres mots clefs, un seul – "Ne suis pas encore arrivé" – choisi par deux personnes, pourrait être source d'inquiétude selon que l'attitude exprimée est celle de doute ou d'une confiance insuffisamment réfléchie. Les douze autres semblent montrer une tendance vers l'adaptation d'un l'idéal au réel rencontré sur le terrain. Cependant, le psychiatre note,

 

 On est beaucoup moins dangereux quand on est dans la toute puissance en sachant qu'on est dans la toute puissance, que quand on est dans la toute puissance en ne sachant même pas qu'on est dans la toute puissance. Parce qu'au moins, quand on sait qu'on est dans la toute puissance, on peut décider d'arrêter de temps en temps.

 

L'adaptation apparente au réel de la part des infirmier(e)s, est-elle la conséquence d'une maturation rassurante ou plutôt l'indication d'une certaine ignorance des dangers qui guette tout soignant en psychiatrie ? La forte demande, relevée plus haut, pour davantage de formation en psychiatrie semble favoriser cette deuxième hypothèse.

 

Catégorie de la bonne distance soignant-soigné

Quatorze mots clefs ont été relevés ici. Loin devant, le mot clef "expérience" a été proposé par huit participants, ce qui renforce de nouveau l'impression d'un manque de formation. La question de la "bonne distance" est abordée dans les écoles infirmières, et des articles de la presse infirmière française traitent du sujet (Mallem, 2005; Rioult, 2001; Frobert, 2001; Vandamme, 2004). Une infirmière résume la situation de la manière suivante : « Le problème c'est que à l'école, à part nous faire les grands discours sur, "il faut respecter une distance thérapeutique", il n'y a rien de concret en fait. Ca reste de l'abstrait. »

Il est difficile d'arriver à des conclusions bien définies dans cette catégorie tant la question de la bonne distance semble problématique pour tout(e)s les infirmier(e)s. Quatre personnes évoquent l'équipe comme étant une aide à trouver cette bonne distance. Or, l'équipe pourrait servir de refuge lorsqu'une situation relationnelle commence à se présenter comme problématique ? "Équipe" devrait, dans ce cas-là, se placer sous le thème "Expressions de difficulté".


Tableau 5. – La bonne distance soignant-soigné

 

Ce qui la favorise                 Expressions de difficulté                                      Autre

Expérience           8            Besoin de se protéger                          3                Le "troisième terme"      1

Équipe                 4            Il faut rester professionnel                  3

L'humour             2            Diff. entre empathie – affect               3

Intuition              1            Selon comportement du patient         2

                                            Les patients collants                            2

                                            La blouse blanche                                1

                                            Une affaire personnelle                       1

                                            L'institution comme cadre                   1

                                            Apprendre la dignité                            1

 

Total:                15            Total:                                                   17                Total:                               1

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Hem & Heggen (2003) s'interrogent sur l'utilité de la notion de "bonne distance" qui provoque des demandes contradictoires sur les infirmiers. Auteures d'une étude effectuée en Norvège, elles estiment que la vulnérabilité de l'infirmier(e) peut être un élément constructif quant aux soins du patient et que, pour l'infirmier(e), reconnaître sa propre vulnérabilité serait une base pour développer ses capacités professionnelles. Les résultats présentés dans le tableau 5., indiquant une certaine ambivalence, semble justifier la charge de demandes contradictoires.

Il convient de noter que la question posait un problème de sens pour le psychiatre. Selon l'approche lacanienne, la notion de relation dans les soins ne tient pas une place d'importance. Le psychiatre s'est exprimé en parlant de « troisième terme ». Il veut dire par là ce par quoi le lien soignant-soigné se tient ou ce qui donne sens à ce lien. Par exemple, la construction qu'on peut faire de la psychopathologie d'un cas ou, pour les infirmiers, la bonne observance du traitement médicamenteux.

 

Catégorie des stratégies de préservation

Nous avons regroupé les seize mots clefs trouvés ici en trois thèmes. Les mots clefs du thème, "Aide personnelle" renvoient à des stratégies pour se "fortifier", soit par des études ou par le recours à l'aide des collègues ou par des instances externes. Le thème "Le recul nécessaire" désigne l'expression de stratégies utilisées pour essayer de voir plus clairement et plus objectivement les situations de travail à fur et à mesure qu'elles ont lieu. Enfin, certaines personnes évoquent le besoin d'évacuer la tension du travail dans une activité extérieure au service ou avec des amis.

 

 

Tableau 6. – Les stratégies de la préservation de soi

 

Aide personnelle                                    Le recul nécessaire                                             Relâcher la tension

Équipe                                       9            Expérience                                             5             Les amis                              2

Les anciens                               4            Équipe                                                    4             Activités extérieures         2

Médecins                            2(-3)            Supérieur hiérarchique                        2

Psychanalyse                           3            Réfléchir sur son comportement        1

Famille/amis                              3

Livres                                         2

Études de psychologie           2

Réunions de travail                 1

Réfléchir                                    1

Sentiment d'isolation               1

 

Total:                                      31            Total:                                                   12             Total:                                  4

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Il est nécessaire d'expliquer la présence du mot clef, "Équipe" sous les deux thèmes, "Aide personnelle" et "Le recul nécessaire". Dans le premier cas, il s'agit de l'appuie immédiat qu'offre l'équipe en la forme de conseils, de montrer l'exemple ou de pouvoir "passer la main". Le recul a lieu lorsque, dans le calme qui suit un moment problématique avec un patient, il est possible, grâce aux conversations avec l'équipe, d'en faire un bilan et de voir les alternatives éventuelles aux décisions prises dans le feu de l'action.

Le thème, "Aide personnelle", récolte 31 réponses et semble témoigner d'une recherche soutenue de diverses formes de soutient face aux difficultés du travail. Encore une fois, le mot clef, "Équipe", avec neuf réponses, exprime l'importance que beaucoup ressentent concernant le besoin d'appuie des collègues. Nous avons distingué "Équipe" et "Les anciens" car cette distinction apparaît dans les entretiens. Toutefois, parmi les neuf réponses à "Équipe" il est possible de penser que les anciens sont aussi compris dedans.

Nous reproduisons ici le résultat d'attitude ambivalente des infirmiers par rapport aux psychiatres que nous avions présenté dans la catégorie, "Améliorer le travail".

Douze personnes ont évoqué le recul nécessaire pour se conserver. Pour cinq d'entre elles, l'expérience permet de prendre le recul. Pour quatre personnes, il s'agit de l'appuie de l'équipe qui les aide à trouver le recul.

 

Effets de la relation  

Cette catégorie est la seule qui ne découle pas directement des questions mais en est une conséquence. Elle est la réponse à l'ensemble des questions. Réponse déjà contenue dans les questions puisqu'il s'agit dès le départ de la forme et des conséquences de la relation avec les patients. Réponse, aussi, inaccessible sans le parcours préalable de l'ensemble des entretiens qui fait émerger trois tendances qui vont servir de la base de notre enquête.

Dix-huit mots clefs ont été proposés. Quatorze d'entre eux portent sur des réactions émotives comme l'agressivité ou la pitié. Parmi les quatre autres, trois se situent dans la catégorie du stress ("Fatigue nerveuse", "Angoisse", "Peur de la violence"), une seule a une apparente absence de réactivité ("Pas de problème").

Il est intéressant de noter que les mots clefs, "Satisfaction" et "Déception" sont proposés à égalité par quatre personnes. Trois proposent " Fatigue nerveuse " et "Peur de la violence".

Dans le tableau 7a., nous voyons les effets de la relation par mots clefs. Pour affiner ces résultats nous avons analysé les effets par participant (voir Tableau 7b). Notons que pour deux personnes, E et G, aucun aspect de leur discours permet de les situer, ni dans un effet de la relation ("Émotion" ou "Stress"), ni même dans une affirmation négative déclarant que la relation ne poserait pas de problème particulier, comme c'est le cas pour B, I et K. Pourtant, E et G expriment toutes les deux le besoin d'échanger et de communiquer comme facteur important motivant leur choix de profession.

 

Tableau 7a. – Effets de la Relation par mots clefs

 

Émotion                                                             Stress                                              Rien

Satisfaction                                     4            Fatigue nerveuse            3            Pas de problème          3

Déception                                        4            Angoisse                         2           

Manque de maîtrise                       3            Peur de la violence         3           

Agressivité                                     2           

Fascination                                     2

Pitié                                                  2

Frustration                                      2

Toute puissance                            2

Culpabilité                                       1

Agacement                                      1

Envies de malveillance                  1

Colère                                               1

Danger du bon sentiment             1

Rejet collectif de patient               1

 

Total:                                             27            Total:                               8            Total:                            3

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Sur les 14 participants, six se situent sans ambiguïté sous le thème, "Émotion". Six autres personnes se partagent deux ou trois thèmes. Quatre d'entre elles expriment des mots clefs qui relèvent à la fois d'effets d'émotions aussi bien que de stress. Paradoxalement, trois personnes expriment des effets d'émotion et de stress tout en affirmant qu'il n'y a pas d'effet de la relation.

 

 

Tableau 7b. – Effets de la Relation par participant

 

Émotion                                          Stress                                             Rien                                 Hors catégorie

A (4)

B (1)                                                B (2)                                                B (1)                                       E

C (1)                                                C (1)                                                                                                G

D (4)

                                                                                                                            

F (2)

                                                                                                                

H (1)

I (3)                                                  I (1)                                                  I (1)

J (2)                                                 J (1)

K (1)                                                K (2)                                                K (1)

L (6)

M (1)

N (1)                                                N (1)

 

Total:          27                               Total:            8                               Total:            3

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La personne B exprime son sentiment d'impuissance, le contrecoup de son espoir initial de pouvoir aider les patients à se transformer. Nous avons rangé cet énoncé sous le thème "Émotion". Sous les thème "Stress", B parle de fatigue nerveuse par rapport à l'organisation du travail et le manque d'effectifs; et elle parle de sa peur de la violence des patients. Pour ce qui concerne son rapport à la souffrance des patients, elle dit ceci : « Disons, que je fais bien la différence entre moi et les autres. Je sais à peu près de quoi je suis fait[e] aussi […] C'est encore des personnes différentes, des situations différentes ».

I parle de la fois où elle a exprimé son agressivité à une patiente difficile (elle lui a présenté ses excuses après), elle parle de sentiments de satisfaction aussi bien que de déception et elle dit avoir des moments de stress. Concernant l'aspect non problématique qui caractérise pour elle la relation avec les patients, elle le résume de la manière suivante : « moi, ça ne pose pas de problème. Je pense que je sais, quand même, rester à ma place. Je sais où sont les limites et que c'est à un patient que j'ai à  faire. Quand même, ça reste un malade. Même si, dès fois, je voudrais bien qu'il ne soit pas malade et pouvoir discuter avec lui comme avec quelqu'un d'autre ».

K avoue des sentiments de pitié pour un jeune patient seul au monde. Elle parle de sa fatigue nerveuse devant des demandes incessantes de certains patients et de la peur de la violence. Trois facteurs entrent en jeu pour elle en ce qui concerne la relation avec les patients. Le cadre qui est l'hôpital, le comportement du patient qui lui permet de jauger la bonne distance et son manque relatif d'expérience qui lui interdit de « prendre des risques ». Quant au cadre, elle dit, « Les personnes qui sont attachantes, il n'y a pas de risque de débordement parce que je sais quand je dois recadrer […] Ca va être surtout le recadrage s'ils sont un peu trop familiers… ». Et pour le comportement du patient, « Le comportement, comment elle va réagir. S'il va m'interpeller, "Oh, copine…!", forcément à un moment ou un autre il va falloir le recadrer. Ou s'il commence à me tutoyer suivant qui c'est, c'est pareil, il va falloir mettre un cadre derrière. Qu'on m'appelle par mon prénom, à la rigueur, il n'y a pas de souci mais le vouvoiement, ou, à la rigueur "vous pouvez me tutoyer mais je ne suis pas votre copine, je suis là en tant qu'infirmier[e]" ».

Ces trois infirmier(e)s partagent la conviction de bien connaître les limites qui les séparent des patients, même si K préfère la prudence pour combler ce qu'elle appelle son manque d'expérience.

 

Résumé de la pré-étude

Nous voyons dégager ici  trois types d'effets face à la relation avec les patients. Une seule se détache des deux autres, celle que nous avons appelée, "Émotion". Il y a aussi le thème, "Stress". Le thème, "Rien" montre des aspects ambivalents, étant partagé avec les deux autres. Nous avons pris la décision compte tenu du peu de recherche existant dans le domaine, d'examiner plus en profondeur le thème relevé ici d' " Émotion".

 



[1] Voir annexe, page 64, pour les questions de base

[2] Ceci ne veut pas dire que l'importance des soins techniques est ignorée ou niée par les infirmier(e)s, mais tombant dans le cadre de la routine, ils prennent une place modeste par rapport à ce qui inspire la passion pour le métier.


 [PH1]