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La bibliographie

La recherche bibliographique (suite)

Un collègue infirmier m'a raconté l'histoire d'une patiente qui différencie ses infirmiers en les appelant ses référents, ses déférents, ses préférents, ses indifférents. Cette anecdote minuscule, relative à une patiente que je ne connais pas mais que je peux imaginer " caractérielle " comme on le disait autrefois ou abandonnique me semble poser la question du " référent " d'une façon intéressante en ce qu'elle décompose ce que l'ON nomme habituellement l'infirmier référent. Il y aurait d'un côté l'institutionnel : le " référent ", d'un autre celui qui est investi par la patiente " le déférent ", le " bon objet ", le " préférent " et enfin celui qu'elle s'autorise à rejeter, " le mauvais objet ", " l'indifférent ". Selon les situations et les contextes le déférent peut devenir l'indifférent et réciproquement.

Cette façon de penser le " référent " peut-elle nous permettre de mieux comprendre ce qui est en jeu dans la " référence " ? Cela pourrait être une piste de recherche.

Lorsque j'écoute le mot " référent " que je n'ai pas encore défini, sinon par le lien qui unit ou sépare une patiente à un soignant au sein d'une institution de soin, j'entends en écho le mot " transfert ". Il y aurait quelque chose à porter, dans le sens de la fonction phorique chère à P. Delion.

Je vais d'abord tenter d'oublier ce que je sais à propos du " référent ".

Avant même d'effectuer une recherche bibliographique, je vais donc, première étape, ouvrir le dictionnaire. Je choisis le Petit Robert car les étymologies y sont sommairement présentées.

Je trouve donc le mot " référent ". Il apparaît au milieu du 20ème siècle et vient tout droit de l'anglais referent. C'est un terme de linguistique. Le référent, c'est ce à quoi renvoie un signe linguistique. C'est l'objet réel que nomme un énoncé particulier.

Le dictionnaire nous renvoie au mot " référence " qui apparaît vers 1820, et vient lui aussi de l'anglais reference. Nous arrivons à une notion plus précise. C'est vers 1960 que le mot arrive dans la langue. Il est donc très récent. La référence, c'est alors la fonction par laquelle un signe renvoie à ce dont il parle, à ce qu'il désigne.

J'imagine alors un patient/signe qui renverrait à l'infirmier/référent dont il est question dans le discours institutionnel. Aussitôt me reviennent quelques échanges avec mes anciens collègues du CMP Saint-Eloi. A l'hôpital de jour où j'exerçais, j'étais " référent " de Joseph, un patient atteint d'une schizophrénie dont les aspects déficitaires, résiduels étaient au premier plan. Mes collègues qui passaient le voir à son domicile régulièrement, m'appelaient, par " jeu ", " Joseph ", chaque fois que je les rencontrais pour parler de lui. Il était bien question, pour eux, d'un référent linguistique. Le signe " Joseph " renvoyait à l'infirmier " Aymé ". Et non pas le contraire comme on aurait pu s'y attendre.

Je détestais cela. Joseph, c'était le prénom de mon père, et le prénom du premier né dans ma famille depuis des générations. Le titulaire du prénom était décédé à la naissance. Et donc, je ne pouvais être nommé " Joseph ". Cela aurait été comme une captation d'héritage, comme une imposture.

Si nous suivons l'idée que la référence est la fonction par laquelle " Joseph " renvoie à Aymé, nous faisons là un pas de côté tout à fait passionnant. Nous serions carrément du côté du contre-transfert.

Si nous laissons de côté la linguistique, nous lisons que la référence, c'est :
· L'action ou le moyen de se référer, de situer par rapport à. Ainsi parle-t-on de système de référence. En géométrie, c'est un système d'axes et de points par rapport auquel on définit la position d'un point (grâce à ses cordonnées).

· Action de se référer ou de renvoyer le lecteur à un texte, à une autorité.

· Au pluriel, attestation de personnes auxquelles on peut s'en rapporter pour avoir des renseignements sur quelqu'un (qui cherche un emploi, propose une affaire, etc.).

Le référent pourrait être l'infirmier qui permet de situer le patient dans l'institution, dans un système de relations qui vont permettre de définir sa position. Il pourrait également être le texte, le discours, l'autorité auquel on se réfère pour connaître ce patient.

Dans la même famille, le dictionnaire propose les mots :
· " référentiel " : système de référence ; ensemble d'éléments jouant un tel rôle.

· " référer " : verbe qui apparaît vers 1559 et qui vient du latin referre qui signifie " rapporter ". Se référer à est un verbe pronominal qui signifie s'en rapporter à, recourir à, comme à une autorité. En référer à est un verbe intransitif utilisé dans le sens de faire rapport, d'en appeler à. En référer à son chef, c'est lui rapporter le cas, en lui laissant le soin de décider.

L'infirmier référent serait alors celui auquel ON s'en rapporte, auquel ON a recours, celui qui fait autorité pour tel patient. Ce parcours dans le dictionnaire classique n'a pas été nul. Nous en ramenons quelques éléments intéressants même si nous n'avons pas pu définir réellement ce qu'est un infirmier référent.

Poursuivons notre recherche en ouvrant le dictionnaire étymologique du français de J. Picoche.

Nous partons donc d'offrir qui provient d'une racine indo-européenne bher porter.

En grec pherein " porter ", phoros qui porte, phora action de porter. Sans entrer dans le détail, nous avons confirmation de notre hypothèse quant à un lien entre le fonction phorique développée par Delion et la notion de référent.

En latin, ferre " porter, supporter ", " rapporter, raconter " et anciennement " porter dans son ventre ". Nous rencontrons alors une série de verbe préfixés parmi lesquels sufferre " porter sous " " supporter ", transferre " transporter " et referre " porter en arrière ", " renvoyer ", " rapporter ".

Le Gaffiot insiste sur la notion de porter en arrière, de reporter, de rapporter quelque chose au point d'où l'on est parti, de détourner de soi sur un autre, de reporter la responsabilité sur un autre, de rejeter l'accusation sur un autre, de rapporter, de raconter, etc.

Il y aurait dans " referre " une idée de déplacement, de retour à une situation antérieure, de détournement sur ou vers un autre. Ce serait une façon de ne pas ou de ne plus avoir à porter quelque d'insupportable.

Le référent serait-il l'instrument qui permet ce déplacement, ce retour, ce détournement ? La référence serait-elle la fonction qui le permet ?

Autant de questions que nous pouvons déjà nous poser.

Le mois prochain, nous poursuivrons notre interrogation en allant chercher du côté de dictionnaires plus spécialisés.

(A suivre)

Aymé Todot.

Fichier créé en 1998 - dernière modification 2008


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