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L'enfant et la violence ou quand le lien est en souffrance


PRESENTATION

Il y a, à évoquer la violence, et l'associer à l'enfance, quelque chose qui nous heurte. Attachés que nous sommes à une image idéale, notre premier mouvement d'adulte nous pousse à d'abord considérer la violence chez l'enfant sous l'angle de celle qu'il subit, ou qu'il pourrait subir. C'est bien sûr, pour nous soignants, quelque chose d'essentiel, que de vouloir soulager la souffrance ! Mais s'en tenir là, c'est risquer de se leurrer, c'est risquer de méconnaître, lorsqu'elle émerge, la violence que l'enfant porte en lui. Car ici, reconnaître la violence, c'est aussi reconnaître celle que l'enfant déploie, jusque dans l'espace de soin où il est accueilli.

Violence subie, violence agie. Violence de l'enfant, violence de l'adulte. Violence du soin, violence de l'institution. L'une de nos premières interrogations fut de chercher comment définir la violence. Il semble en effet qu'on puisse multiplier les définitions sur une large palette depuis le sens restrictif et négatif qui la limiterait à l'expression destructrice de la violence agie, jusqu'au sens plus large que certains lui accordent, et qui la fait considérer comme inhérente à la vie de tous, sous la forme d'un substrat constitutif de l'énergie vitale.

Trancher ce débat, d'emblée, nous a paru peu fécond, et nous avons préféré porter notre questionnement sur la manière dont à l'hôpital de jour, l'expression manifeste de la violence nous interpellait. Ces comportements violents, témoignages de l'impuissance de l'enfant à reconnaître ou exprimer sa souffrance, mettent en péril la relation soignante. Ils nous questionnent, nous déstabilisent, nous font douter.
Nous vous proposerons quelques pistes, jalons, repères, qui ont nourri notre réflexion, et livrerons à l'appui de ceux-ci quelques exemples. Voici celui de D, qui a eu dans l'unité une résonance particulière, et constitue une bonne illustration de ce qu'il advient lorsque " le lien est en souffrance ", et de ce qui est mis en œuvre, dans notre pratique, pour le préserver.

L'enfant D.

Nous vous proposons la présentation d'une situation de violence qui nous est apparue particulièrement intéressante dans la mesure où il y a eu impact physique ou moral sur les individus, sur l'équipe, sur l'institution. Cette violence a pris la forme d'une spirale venant atteindre l'enveloppe protectrice de chacun et de tous à la fois.

Ø L'acteur et la victime à la fois de cette situation, un petit garçon alors âgé de 7 ans.
Ø Quelques mots sur lui :
Ø Il est arrivé à l'hôpital de jour à l'âge de 5 ans. Il présente de gros troubles du comportement, tels que l'institutrice de moyenne section de maternelle qui l'a en charge à l'époque, dit en avoir peur. A la même époque, lors d'une consultation chez un psychologue, il fera une crise telle qu'il y aura intervention et hospitalisation immédiate, d'abord à Debrousse puis à neuro où il sera hospitalisé plusieurs mois et mis sous traitement (Tercian).

Notons pour le contraste que cet enfant est petit et chétif ; il se nourrit peu et très mal. Ses caractéristiques : il ne supporte aucune frustration, se veut tout puissant et en même temps est très angoissé de l'être. Il peut plusieurs fois par jour, en proie à son impuissance face à diverses situations, renverser tables et chaises, injurier, taper, griffer, cracher sur l'adulte qu'il atteint toujours. Les mots alors ne passent plus, au contraire ils font redoubler la violence de l'enfant. La contention physique semble la seule possibilité et nécessité immédiate. Nous contenons les débordements mais sommes conscients que cette action-réponse, pourtant indispensable sur le moment, ne résout rien. Il nous faut essayer de comprendre.

Cet enfant, nous l'appellerons D première lettre de son prénom. D comme despote, destruction, démon mais aussi D comme détresse, désespérance et pourquoi pas D comme discerner, dénouer, dialoguer pour tenter de retrouver ensemble D comme dignité.

D se rend à la bibliothèque de la Duchère comme tous les vendredis avec deux autres enfants et deux infirmières. C'est une activité qu'il apprécie et qui, à l'ordinaire, se passe très bien.

Sur le trajet, il peut dire qu'il est venu, quelques jours auparavant, à la bibliothèque avec sa maman qui l'a inscrit. Notons que D refuse toujours de parler des différents lieux de son univers. Il veut en garder la maîtrise et ne supporte pas les interférences.

Ce lieu qui pouvait être investi comme un havre possible, est-il tout à coup menacé parce qu'intrusé, percé par la démarche de sa mère ? !…

Toujours est-il que D est tendu, son comportement est limite dès le début de la séance. Il passe derrière les présentoirs des livres, la tension monte et très vite c'est le " clash ". Les 2 infirmières n'ont pas le choix, l'urgence est de le contenir physiquement et de le sortir de la bibliothèque tout en ayant le souci des deux autres enfants. L'agitation, les injures, les cris de D ne permettent plus de penser, il faut arriver à le ramener vers la voiture.

Les regards des gens se font pesants particulièrement pour l'une des 2 infirmières qui intervient sur ce quartier dans le cadre de la P.M.I.. Lui traverse l'esprit qu'elle peut donner l'image d'un rapt d'enfant. Qu'est-ce que cette scène violente peut raviver, voire répéter d'un vécu traumatique ? On pense alors à l'intervention faite dans le bureau du psychologue. On pense aussi aux premières relations de cet enfant. Peu de choses ont été livrées. D est le fils unique d'un jeune couple vivant sous la coupe des parents paternels. Grand-père et père (qui ne travaillait pas) se seraient occupés exclusivement de l'enfant. La maman, jeune femme revendicative et persécutée, ne dit rien de sa relation à son bébé. Nous avons nous-mêmes souvent le fantasme du rapt. A-t-elle eu accès à son enfant ?…

Le retour est éprouvant. Les infirmières pleines de contusions, ont le terrible sentiment d'impuissance, de défaillance, d'incapacité. Pour elles deux comme pour D, le contenant a fait défaut. Cette impuissance ressentie de part et d'autre, annihile toute reconnaissance possible de l'autre.

De retour au service, D sera puni et mis en chambre d'isolement. Chacun devient mauvais, la violence chez cet enfant renvoie les uns et les autres à leur propre violence.

Au retour du week-end, les 2 infirmières subissant les conséquences des coups reçus, sont en arrêt de travail. D est renforcé dans son fantasme de toute puissance ; il répète sans cesse qu'il va tuer tous les adultes, il est très agité, les crises de violence se succèdent.

L'équipe qui a l'enfant sur son groupe, se retrouve à prendre la suite d'une situation qu'elle n'a pas vécue, dont elle connaît que peu d'éléments, mais elle doit cependant parer à la violence de D qui engendre la violence chez les autres enfants les plus agités. De cette équipe, à effectif réduit, fusent des questions, des réflexions, voire même plus tard une certaine amertume.

Ø Qu'est-ce qui a bien pu se passer pour mettre l'enfant dans cet état ? ! !
Ø Comment à 2, n'ont-elles pu maîtriser ce petit garçon ?

On peut à peine reconnaître que dans le service nous sommes toujours plusieurs pour le contenir, que nous avons souvent recours à la chambre d'isolement qui deviendra pendant quelque temps le seul contenant fiable pour D. Entre ces 4 murs, il peut hurler, taper, déposer sa rage, pour enfin retrouver le calme. L'équipe se mure dans une espèce d'incapacité à dire ce qui l'envahit. L'enveloppe de l'équipe est attaquée, percée. Il suffirait de téléphoner à l'infirmière du groupe qui a subi les coups pour mieux comprendre, pour dédramatiser, pour discerner… ce n'est pas possible !

On lui en veut de ne pas réapparaître, de nous laisser gérer les suites de cette situation. Le dialogue, la communication sont difficiles. Isolement et inquiétude se font sentir chez les enfants et chez les adultes. Le groupe devient de plus en plus difficile à gérer. Nous tentons de maintenir les limites entre le tolérable et l'intolérable mais l'équilibre est précaire.

Dans les semaines qui suivent, l'institution se fragilise. D'autres arrêts maladie ou accident surviennent. Les gens se cassent !…

Des réflexions, des propositions à la fois diverses et individuelles sont lancées. On peut parler d'exclusion de l'enfant, de traitement, piqûres, etc… Dans ce contexte de violence (pour ne pas dire un peu fou) comment D pourrait-il retrouver du calme, de l'apaisement, si plus personne ne tient à lui ? !… Si plus personne ne sait à quoi il tient ? Que sommes-nous en train de répéter dans son histoire ? Nous avons vu, à plusieurs reprises, D lâcher la main de sa mère pour traverser les rues presque sous les roues des voitures, sans que cette maman ne puisse manifester le moindre geste de peur ni de tentative de protection de son enfant. A cette époque, D répète souvent qu'il veut mourir. Il semble qu'il attende qu'on lui dise, plutôt qu'on lui prouve, que l'on tient à lui, que l'on tient le cadre.

Entre les " rescapés " de l'institution une certaine solidarité s'instaure mais unité et lien sont rendus impossibles. Chacun fait face à la situation en apportant une série de réponses isolées. Il semble bien alors que la violence de l'enfant représente ici une ultime tentative de porter un message, un appel à la cohérence de l'institution, le besoin de provoquer un contact, de combattre l'impuissance à se faire entendre.

D se sent coupable vis à vis de l'infirmière qui sera en arrêt plusieurs mois. Fantasme et réalité sont confondus : il voulait la détruire (ou se détruire), son absence le plonge dans l'angoisse de l'avoir tuée. Malgré les éléments que nous pourrons lui apporter, D ne sera réellement soulagé et apaisé qu'au retour de l'infirmière.

Une réunion au niveau de l'institution a permis de prendre en compte les émotions, les ressentis, les inquiétudes des uns et des autres. Chacun redevient plus tranquille à l'intérieur de soi. Le dialogue se réamorce dans l'institution, dans l'équipe, avec D et avec les autres enfants.

Il semble que l'on puisse dire ici que l'impuissance, le sentiment d'être jugé, dévalorisé, nié, ont été une véritable violence pour les adultes. Le langage de la non-violence, c'est à dire l'écoute, le respect, la reconnaissance, ont permis d'identifier et partager des émotions ainsi que d'éviter tout jugement. L'institution a pu alors retrouver sa cohérence.

Pour traiter la violence, on ne peut en négliger les causes. Les racines de la violence de D sont à rechercher loin dans son histoire. On peut, par exemple, émettre l'hypothèse que tout petit, face à ses propres actes agressifs, D n'a pu être accompagné de manière suffisamment rassurante dans sa reconnaissance de l'existence de l'autre, différent de lui. Cette approche n'a pu être que menaçante ou menacée par l'indifférence, l'incapacité à mettre des limites, l'impuissance, voire la violence.

D réclame des limites à sa toute puissance, mais aussi de l'écoute, de la reconnaissance, de la protection et surtout de l'accompagnement pour mieux identifier ses émotions et sentiments.
Cette situation que nous venons de vous décrire a permis de se questionner, de chercher à donner du sens, de regarder la problématique de l'enfant avec un autre regard. Les liens se sont tissés et actuellement, si D a toujours de la violence en lui, c'est un enfant qui peut dire de plus en plus de choses, peut plus facilement négocier, différer, entendre ce qui lui est adressé, sans rentrer dans des rages systématiques.
Cette connaissance nous permet d'accueillir la souffrance de D différemment. Le seul fait qu'il puisse se sentir parfois accepté dans ses émotions, le calme bien plus efficacement. On peut dire aussi que ce besoin de destruction, cette violence chez D lui servent de défenses. Le désir de vengeance, de violence qui l'anime souvent lui évite de sentir sa propre douleur. Nous constations, en effet, que parfois, lorsque nous tentons de reformuler ce que nous percevons de son ressenti, D peut pleurer, comme si la violence lui avait évité jusqu'ici de s'effondrer.

L'adolescent P.

La violence est au quotidien dans l'hôpital de jour, je vous en propose un exemple.

P. a 12 ans, c'est sa dernière année sur l'hôpital de jour. Nous sommes à table. Il provoque les autres enfants. Nous lui demandons de s'arrêter. Il y a 7 enfants et 3 adultes.

Il s'agite de plus en plus dans son corps, se lève, fait des mouvements de danse comme une danseuse du ventre. Il s'excite, il excite le groupe d'enfants. Il commence à énerver les adultes. On lui demande de s'arrêter à plusieurs reprises. Rien n'y fait. Un adulte lui dit " va dehors te rafraîchir les idées ". Il se lève, jette sa chaise, dit " non, j'irai pas dehors " d'une voix sans appel. Les adultes deviennent de plus en plus excédés. Les enfants rient. Sans bouger de nos places on lui demande de sortir ou d'aller dans sa chambre. Il continue, la tension monte, les insultes arrivent. Un des adultes se lève, se dirige vers lui, il court, fait le tour et sort dehors. On ferme la porte à clé. Il vient sans cesse taper dans la porte. Il pousse des hurlements très aigus. Un adulte lui dit " avec nous t'es pas bien, sans nous non plus ".

Le bruit qu'il fait est infernal, ses propos irrecevables. Deux adultes sortent le chercher et le mettent dans sa chambre. Il continue à insulter derrière la porte, à interpeller les autres enfants. Il provoque en nous des mouvements de colère, d'agressivité. La tension monte. Un des adultes se lève avec une expression de colère évidente. P. se cache sous son lit. Il refuse de sortir pour aller en chambre d'isolement. C'est un rapport de force important. Chacun ne veut pas céder. L'adulte finit par renverser le lit. Les lattes tombent avec fracas sur le sol. P. est terrorisé, en boule par terre, dit qu'il ne recommencera plus, qu'il arrête, se protège comme si l'adulte allait lui envoyer des coups. Il accepte d'aller en chambre. Durée de la scène 30 minutes.

Les adultes et P. se retrouvent ensemble dans un mouvement d'emprise mutuelle sans accès à une quelconque satisfaction. P. dans ce mouvement d'emprise recherche dans l'ensemble des adultes toute leur attention. Chacun se trouve dans l'obligation d'intervenir auprès de lui. Le reste du groupe est mis à mal et chacun est envahi par les insultes, les coups dans les portes et ses hurlements.

On a l'impression que P. veut récupérer un ou plusieurs adultes pour permettre qu'une satisfaction puisse se constituer. Or les adultes ne sont plus en état de recevoir toute la rage de P. ni d'apporter de satisfaction. La violence agie par P. fige les fonctions mentales alors qu'on en aurait le plus besoin pour contenir ce qui se passe.

P. est en grande difficulté intérieure et a du mal à croire à la relation qui persiste malgré sa violence qui le déborde. De sorte qu'il voudrait ressentir un éprouvé physique dur pour s'en convaincre. Il recherche un passage à l'acte de l'adulte.

Il finit par l'obtenir non sur lui, mais sur l'un de ses objets. Cette intervention impressionnante mais sans danger lui suffit pour qu'en face de l'adulte se trouve un tout petit enfant replié sur lui-même. L'adulte lui a renvoyé en miroir ce débordement d'émotions qu'il n'arrivait pas à contenir.

Le psychisme de l'adulte ne pouvant plus contenir, c'est le corps qui s'est mis en jeu. L'enjeu de la recherche du lien pour P. est tel qu'il préfère une telle relation que d'être hors lien. Ces passages à l'acte violents à répétition épuisent l'équipe et envahissent la pensée des adultes. Est-ce qu'il veut obtenir ?

Réflexions :

Mme Lacroix dit " Ces enfants sont perpétuellement et frénétiquement en quête d'une relation, d'un lien lumineux vectorisé qui leur permette de franchir le précipice de la séparation. Mais ils s'agrippent aux qualités de surface et de brillance, les saisissant à la place de ce qu'ils cherchent réellement, c'est à dire les qualités relationnelles, d'ambiance admirative, amusante, légère, inventive ".

Et pourtant Winnicott précise que : " Recevoir les attaques, en être affecté, résister, c'est à dire rester psychiquement présent sans exercer de rétorsions ou de représailles est déjà thérapeutique ".

C'est dans sa manifestation la plus brutale, la plus crue, que la violence nous interpelle, d'abord. Il s'agit, comme D, de l'enfant qui insulte, qui frappe, qui s'en prend aux meubles, qui fait tout ce qu appelle impérativement une réponse de l'adulte, pour marquer la limite ainsi franchie, pour protéger l'enfant de sa violence, et en préserver le groupe.

En amont de ces crises, on trouve souvent de l'excitation, sans doute mal gérée, mal contrôlée. Sans préjuger même des aspects pathologiques, on peut noter que l'intensité et la richesse de la vie pulsionnelle de l'enfant, en tant qu'être qui croît, favorisent une certaine fragilité, une certaine instabilité. Pour les enfants que nous accueillons, la question de la maîtrise des émotions et le contrôle de l'excitation apparaît comme un point important de leur problématique.

Excitation psychomotrice, excitation verbale, qui témoignent déjà de quelque chose qui serait difficile à contenir. Mais il convient aussi de resituer ces aspects dans le contexte du groupe. La situation de groupe, en effet, pose douloureusement la question de l'altérité. Le groupe, c'est d'abord l'autre, avec ce qu'il implique d'enjeux de rivalité, de place à défendre, d'envie, et avec l'envie, de frustration.
De plus, bien qu'étant dans un milieu protégé, les contraintes sociales, éducatives, associées à la vie de groupe, demeurent présentes. Elles s'imposent à l'enfant, mais se soumettre à ce principe de réalité reste pour certains d'entre eux difficile, car il s'oppose à des buts plus profonds.

Je pense à cet enfant, décrit comme un éternel insatisfait, et dont aussi, il faut souvent tempérer l'excitation psychomotrice, voire l'agitation. Ce que son comportement nous donne à lire, c'est toute sa difficulté à garder le bon objet, et toute son angoisse de le perdre, ou de ne pas l'obtenir. Il paraît toujours en quête de l'objet, de manière impérieuse, objet qui serait en mesure de combler une faille ancienne. Parfois, la crise violente serait la tentative de parer à l'échec de cette quête, de défendre l'objet interne qu'il serait si difficile de conserver.

Ainsi, pour cet enfant (et pour d'autres aussi) les multiples interactions, avec les enfants et avec les adultes, sont sources de vécus de frustration. La recherche importante de la satisfaction, se double d'une volonté d'emprise. Cette volonté d'emprise, susceptible de générer des conflits, le débordement de l'excitation, l'intolérance à la frustration, participent grandement à l'émergence des conduites violentes.

Envisager l'acte de violence comme une tentative de se protéger de l'angoisse, angoisse de perte d'objet, de séparation, le reconnaître comme un message, un aveu d'impuissance, un moyen de dernier recours, c'est dire qu'il y aurait un langage de la violence, qui n'est pas directement intelligible, et qu'il faut entendre et décoder. C'est donc tendre vers une quête du sens, c'est mettre en mots ce qu'on a pu percevoir de la détresse de l'enfant. Celle-ci s'inscrit dans son histoire. L'acte violent, souvent, a précédé l'admission en unité de soin, parfois l'a motivée. Et la répétition dans l'institution de ce mode de comportement, de ce mode de réponse aux tensions, consacre le caractère aliénant de ce qui a été inauguré ailleurs.

C'est donc dans l'espace institutionnel que viennent s'inscrire ces conduites violentes, et marquer le champ de la relation soignante. C'est le lien adulte-enfant soignant-soigné, qu'elles viennent altérer. Entre le soignant mandaté pour un soin, et le soigné, objet de ce soin, il peut exister un certain décalage. Entre l'enfant, pour qui la confiance en l'adulte a pu être trahie, et l'adulte enclin à voir son autorité opérer et sa bienveillance apaiser, la rencontre ne va pas de soi ! Et on l'a vu, la vie des groupes rime avec tension, opposition, confrontation. Il faut donc parfois contenir l'enfant.

Il faut contenir l'enfant, qui ne se contient pas, ou plus, il faut suppléer à la rupture de son enveloppe psychique, rupture sous la poussée de ce qui n'a pas pu être mis en représentation, qui fait qu'un trop-plein déborde, et que l'auteur même de l'acte est pris dans ce débordement, en devenant objet plutôt que sujet de sa violence. Que la contention physique, les bras, permettent à l'enfant de se calmer, ou qu'il n'accepte un temps d'isolement que contraint par les murs de la chambre, ces moments cristallisent un enjeu important de la relation soignante, celui pour l'adulte, de cet écart entre un idéal soignant dont il est porteur, et la réalité qui le met à mal. Car c'est aussi qu'on se trouve alors à l'acmé de ce qui est mis en jeu de la propre violence de l'adulte, et des représentations qui y sont liées, que la violence de l'enfant a convoquée sur la scène du soin.

Ainsi, s'insinue une crainte. L'adulte est appelé, est sollicité dans sa capacité à contenir, mais l'expression violente de l'enfant le renvoie à son impuissance à soigner, à un échec, et ce qu'il perçoit d'abord, c'est le risque du rejet, de la rupture. Pourtant, l'acte est pour l'enfant un moyen ultime pour tenter de préserver ce lien en souffrance, et une tentative pour combler la distance née de ce paradoxe. Car ce qui se noue dans cette confrontation est destiné à être transformé dans et par le soin.

L'exemple du D nous a paru d'autant plus intéressant qu'il opère à plusieurs niveaux. D'abord, la crise elle-même, comme les crises l'ayant précédé, puis lui ayant succédé, signent son impossibilité à se contenir. L'enveloppe psychique semble rompue, c'est le débordement.

Mais ce qu'on voit, c'est comment la capacité contenante de l'adulte, et de l'institution, a été également mise en défaut. D'abord, à travers l'absence des infirmières, qui cristallise la confusion entre l'imaginaire et les fantasmes de toute puissance de l'enfant d'une part, et la réalité d'autre part. Mais également du fait du malaise qui s'installe chez les soignants. La cohérence institutionnelle est battue en brèche, son enveloppe contenante apparaît rompue, trouée, percée. Les soignants se sentent isolés, pris par le doute quant à la légitimité et la pertinence de leurs attitudes de soin. A la bibliothèque, l'importance accordée au regard des tiers, l'impression de rapt, sont à cet égard évocatrices. La capacité contenante des soignants échoue à restaurer le maillage de la propre enveloppe de D, sa " peau psychique ", mise à mal. Ainsi, est-ce ensuite à travers les failles, à travers les brèches, de plusieurs enveloppes que les débordements violents s'épanchent en se répétant.

La perte des repères des soignants traduit un dysfonctionnement, une défaillance de l'enveloppe groupale, du groupe dans l'institution. Prendre soin de l'enfant, c'est aussi prendre soin de cette enveloppe psychique du groupe soignant. C'est d'elle dont dépend, pour chaque soignant, la capacité à contenir et à transformer ce qu'il reçoit de l'enfant. Et c'est sur ce support que se déploie le matériel projectif de l'enfant, métabolisé et détoxiqué par l'adulte, par l'adulte soignant en tant qu'il est soignant dans le groupe, dans l'équipe, dans l'institution, non pas seul et isolé, mais qu'il y participe et qu'il en est le témoin.

Ainsi, le lien n'est-il pas seulement celui qui unit le soignant au soigné, l'adulte à l'enfant, mais aussi celui qui lie les adultes entre eux, qui permet à chacun de voir renforcée sa capacité à contenir, à transformer, à élaborer. Ce jeu des enveloppes successives fonctionne dans les deux sens, dans un mouvement aller et retour, et la restauration, le raccommodage de l'enveloppe psychique du soigné, alimente la cohérence et la consolidation des enveloppes plus grandes. C'est tout ce qui se tisse, grâce aux échanges positifs, signifiants, grâce à la verbalisation des affects, qui assure ce renforcement mutuel des enveloppes, aux destins liés.

C'est ce qui nous permet de voir dans cette enveloppe contenante un outil de soin. Elle devient pour l'enfant le support où peut venir s'inscrire le tissu des représentations liées entre elles, le lieu où il pourra se reconnaître, en se réappropriant ce qui aura été transformé par le soin.

Conclusion :

Au début de l'exposé nous avions eu du mal à donner une définition de l'agressivité qui nous apparaît très nuancée par rapport à la violence. Mais au final de ce travail, nous avions envie de dégager tout de même une définition de ces deux termes :

L'agressivité : c'est un mouvement suscité et adressé à un autre, un autre semblable. Elle circule entre un sujet et un autre.

La violence apparaît comme le déchaînement d'une force qui détruit tout sur son passage comme le font les eaux d'un barrage qui vient de se rompre. Si les eaux furieuses blessent et tuent des humains sur leurs passages, ce n'est pas pour autant qu'elles s'adressent à eux.

Il nous est aussi apparu rapidement un questionnement autour du lien et de la violence. A savoir les violences de l'enfants sont-elles portées contre le lien ou pour le lien ?

Si l'on part du postulat que les violences portées par l'enfant sont pour le lien comme nous l'avons vu dans les exemples, alors on peut comprendre que pour eux un détour d'attention, un regard brillant posé sur un autre peuvent avoir valeur de blessure, de dispersion totale, de chute sans fin.

Leurs débordements émotionnels non contenus nous entraînent constamment vers une contention psychique et physique. Or, cette contenance par le corps, par les murs, par les mots, assure à l'enfant le vécu d'un capturé malgré lui. Capturer pour être sûr de captiver, de nous occuper la tête.

Ils demandent de la part des soignants, malgré des moments de découragement, de doute sur la justesse de nos interventions et même de vacillement identitaire comme d'atteinte narcissique, un travail patient d'élaboration des projections, car comme le souligne G. Haag : " Le reconstruction des contenances primitives est à ce prix ".

Notre pratique quotidienne nous amène à penser que ces enfants se vivent comme tout puissants. Mais cette toute puissance a un but précis, celui de les aider à mettre en place un objet spécifique qui assure la cohérence de sa personnalité et de sa pensée. La crise semble déclenchée par la perte de cet objet. L'enfant semble alors se battre contre une multitude d'agresseurs invisibles.
Au travers de notre réflexion, il nous est apparu un point essentiel : c'est le sentiment de sécurité intérieur fort qui empêche l'agressivité normale de dégénérer en violence.

Effectivement, comme le précise M. Klein, c'est la contenance de la peau psychique, ainsi que l'aspect du bon sein intériorisé qui constituent un point central dans le Moi. Il s'appuie sur la cohésion et l'intégration et c'est un instrument de la construction du Moi. Chez les enfants violents, c'est ce soubassement qui leur fait défaut.

Pour nous soignant, offrir un sentiment de sécurité c'est bien sûr contenir au sens de Bion. Mais c'est aussi permettre à l'enfant, par des soins attentifs, de se penser, ce qui est essentiel pour nous la notion " d'être ensemble ".

Etre ensemble : c'est l'accompagner au quotidien dans ses gestes, ses intérêts, ses initiatives, ses émotions. C'est lui accorder une présence attentive pour l'aider à percevoir, à comprendre et prévoir ce qui arrive dans son corps et dans sa tête comme autour de lui. L'adulte parle et pense avec l'enfant. Alors l'enfant peut créer des liens dans sa tête, il est concerné et actif. Il peut organiser sa pensée. Cette riche expérience renforcerait son sentiment d'exister, sa confiance en lui-même et aux autres. L'adulte n'exige plus, il cadre la relation.

Nous avions envie de rappeler au travers de G. Haag que : " Il n'y a pas de violence en dehors d'une relation, aussi minime soit-elle, avec l'autre et que ces enfants aux actes violents, à travers leur acharnement désespéré pour récupérer un lien nous montrent l'extraordinaire violence qui les a meurtris ".


Présentation aux 6èmes Journées Infirmières
DU CENTRE HOSPITALIER DE SAINT CYR AU MONT D'OR
Le 31 mai 2001

Secteur I06 : les Primevères Rdc

Patrick BERGER - Infirmier de Secteur Psychiatrique
Colette BESSON - Educatrice Spécialisée
Délia HIDALGO - Infirmière diplomée d'état