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A la vie à la mort

 

A propos du lien Mère/Enfant

 

Renaud est un jeune homme de 14 ans passionné et dans l’ensemble plutôt bien équilibré, issu d’une famille plutôt attentive. Il marche bien à l’école, adore passer du temps avec ses copains, a l’esprit vif et une nature optimiste. Il y a encore oui et heureusement, des adolescents qui vont bien dans notre société, ce dont nous pourrions parfois douter, en notre regard spécialisé de la psychiatrie.

Arnaud pratique à ses heures le rugby, fait parti d’un club et participe de temps à autres à des rencontres sportives, de part un talent certain dont il fait preuve dans cette activité. Il faut dire que le jeune homme est physiquement taillé pour et qu’il doit assurément en impressionner plus d’un, lors des matchs.

 

C’est au cours de l’un de ces matchs que malheureusement, sa vie et celle de sa famille bascule. Un choc sans doute plus violent que les autres fait, qu’il perd connaissance, associé à une hémorragie intracrânienne, immédiatement traitée à l’hôpital. Les séquelles post opératoires se présentent sous la forme d’une paralysie partielle qui n’est pas irrémédiable, mais nécessite un temps de rééducation en unité spécialisée. Il paraît que ce type d’incident est courant dans le milieu du rugby et peut-être un peu trop banalisé, mais c’est un autre sujet.

 

Arnaud semble pouvoir récupérer ses capacités de mobilité, cependant qu’un mal de tête persistant lui gâche péniblement la vie au quotidien. Quelques examens pratiqués ne révèlent rien de suspect jusqu’à ce que, quelques semaines plus tard, Arnaud fasse une dramatique rupture d’anévrisme, dont il est difficile de dire, si elle a lien plus ou moins direct avec le choc initial. Toujours est-il qu’il faut l’opérer et le réopérer à nouveau, jusqu’à intervenir chirurgicalement au moins une douzaine de fois, auxquelles se sur ajoutent bientôt de sérieuses complications, notamment pulmonaires.

Arnaud se retrouve au cours de plusieurs mois, en état quasi végétatif et paraplégique, assorti de l’impérieuse nécessité de maintenir une trachéotomie en place. Autant dire que les liens avec lui sont limités, se bornant la plupart du temps, aux soins d’ordre physique. Les chirurgiens ne souhaitent pas pratiquer d’examens complémentaires et aucune autre intervention n’est plus, de leur point de vue, souhaitable. Les médecins de réanimation, dans lequel Arnaud se maintient en état végétatif au cours de plusieurs mois, sont particulièrement pessimistes quant à l’évolution. Ils pensent et disent, avec une marge aléatoire toujours possible, qu’il ne récupérera sans doute pas, même partiellement, ses facultés. Compte-tenu de son état, il est considéré qu’Arnaud n’a plus sa place dans une unité de réanimation mais dans le même temps, face à la gravité de sa situation, les unités de rééducation ne se sentent pas non plus, aptes à le recevoir. C’est ainsi que la présence d’Arnaud en réanimation devient petit à petit, relativement insupportable pour l’équipe de soin et que l’agressivité ambiante est parfois adressée à la maman, qui se fait de leur point de vue trop présente aux côtés de son fils.

Nous sommes dans ce contexte, appelés à intervenir en tant qu’unité de pédopsychiatrie de liaison, parce que l’équipe de réanimation craint un effondrement de la maman, parce que celle-ci leur paraît beaucoup trop nourrir un espoir de guérison, à leurs yeux hypothétique, jusqu’à la déraison peut-être. Ils ont aussi l’impression que le patient a cessé de lutter, dans une attitude interprétée comme étant possiblement une envie de mourir. La communication entre la maman et l’équipe est devenue tendue et le regard quotidien et permanent de celle-ci sur la qualité des soins prodigués, est vécu comme étant envahissant.

 

En règle générale, les séjours en service de réanimation, dans le cadre de soins intensifs, qui ont pour vocation à sauver des vies,  sont de courts termes. Les personnels qui y travaillent ont généralement choisi cette spécialité pour ces raisons, qui psychiquement leur conviennent, dans la représentation qu’ils ont de leur rôle, en tant que soignants. Il est donc plutôt rare en tout cela, qu’une hospitalisation dans ce type de service se prolonge au-delà de quelques semaines et Arnaud vient depuis sept longs mois, faire exception à la règle, avec en plus et de leur point de vue, la probabilité d’une stagnation de son état ou la perspective d’une aggravation. Des phrases malheureuses commencent à être prononcer comme : « il prend la place d’un autre …». Les chirurgiens sont confrontés à leur impuissance et doivent dans le même temps, faire face à l’espoir constant de la maman qui les observe.

La maman entend leurs dires, qu’elle ne remet pas en cause et a dans l’ensemble plutôt confiance dans leurs analyses. Mais dans le même temps, elle s’accroche au lien mère/fils et pense que sa présence à son chevet au quotidien est essentielle pour elle, comme pour lui. Elle songe que le lien entre eux et l’espoir entretenu envers et contre tout, est susceptible sans que ce soit une certitude, de permettre à son fils de récupérer une partie au moins de ses capacités à se mobiliser. Ce faisant, elle délaisse dans le même temps le reste de sa famille, qui s’est organisée pour qu’elle puisse continuer d’être dans l’accompagnement de son fils.

L’entretien a lieu à proximité du lit de Renaud, dont personne ne sait réellement ce qu’il perçoit des dires autour de lui. Vêtu de son maillot de rugbyman, il est sans geste aucun, allongé, les yeux grands ouverts mais fixes. Une infirmière du service a souhaité participer à l’entretien, dans l’idée d’appuyer le message qu’on nous demande de transmettre à la maman, quant à l’état sans espoir d’amélioration de son fils. Des mots, des regards, des émotions et des temps de silence sont échangés. Nous échangeons longuement à propos d’Arnaud avant son accident et nous lisons l’admiration pour son fils dans les yeux de la maman.

Nous entendons la fatalité et le mauvais hasard, qui se sont un jour présentés à eux, sans que cette maman en veuille à quiconque de la situation. Il lui paraît inconcevable de ne pas être chaque jour aux côtés d’Arnaud, dont elle prend soin dans les moindres détails, comme si elle s’occupait du bébé qu’il a aussi été. Elle est soucieuse de son confort, s’interroge sur ce qu’il ressent, lui parle en songeant qu’il entend et comprend, est attentive à ses moindres mouvements qui pourraient venir signifier un retour de sa conscience en notre monde. Arnaud est parcouru de temps à autres de soubresauts automatiques et nerveux et un jet de crachats sort de la canule. Aidée de l’infirmière, elle l’essuie sans en être choquée et y voit un signe de vie. Sa présence quotidienne auprès de lui a des conséquences auprès du reste de la famille, dont elle est consciente. Elle délaisse ses deux filles plus jeunes qui auraient aussi besoin d’elle, mais ne peut pour l’heure, faire autrement. L’équipe de soin a tenté, d’abord avec diplomatie, de l’éloigner sur des temps au moins limités puis ont cherché à imposer, mais rien n’y a fait. Elle se montre sourde aux désidératas soignants, tout en cherchant à ne pas les gêner de son regard, mais elle est là. Ce qui est devenu encore plus irritant pour l’équipe, est qu’elle s’accroche à un espoir qui leur paraît démesuré. Nous parvenons pudiquement et ensemble, à parler de l’espoir et de la désespérance, de la valeur de la parole médicale et des limites de la science, des lendemains susceptibles de déchanter et possiblement dramatiques, sans jamais fermer totalement la porte au possible. Sans doute sommes-nous tous dans les moments de silence, à l’écoute de ce qu’Arnaud entend, écoute et nous dit dans son apparente immobilité. Chacun d’entre nous, entend sans doute ce qu’il peut et chacun sans doute, y va de ses projections personnelles et de ses interprétations aléatoires. Il y a cependant que nous partageons au fond de nous finalement et au-delà des dires, le même espoir que la maman, que nous avons-nous aussi envie d’entretenir, comme si quelque part et peut-être un peu magiquement aussi, nous le maintenions ainsi en vie. Sans doute avons tous envie à ce moment, de lui insuffler un peu de nos énergies personnelles, parce que nous sommes convaincus qu’il en ferait assurément bon usage. Mais nous ne pouvons non plus éluder les perspectives d’avenir, au cas où il récupérerait une partie de ses capacités. Nous avons avec la maman besoin de nous projeter, nous avons-nous aussi, besoin de parler tout en tentant au mieux de rester réalistes, tout en tentant de maintenir à minima au moins, l’ombre d’un espoir qui permet à cette maman de tenir. L’infirmière du service qui est présente, témoigne de perspectives à priori inquiétantes mais, sans doute prise par l’intensité des échanges avec la maman et les émotions qui flottent dans l’atmosphère de la pièce, se montre petit à petit moins assurée dans ce qu’elle avance. Il lui arrive un instant de songer et de dire du bout des lèvres, qu’elle est aussi une maman qui commence d’entendre ce dont témoigne la mère d’Arnaud.

La mère d’Arnaud tout autant que l’infirmière de ce service qui représente le reste de l’équipe, éprouvent depuis quelques temps le sentiment, que celui-ci s’oppose aux soins, y réagit mal. La maman ne sait interpréter ce ressenti, mais l’infirmière pense qu’Arnaud a possiblement envie qu’on le laisse en paix et plus encore peut-être, qu’on le laisse mourir tranquillement. Elles sont toutes deux en accord pour dire leur impression en tout cas, qu’Arnaud va de moins en moins bien moralement. Mais qu’en est-il alors de son état de conscience puisqu’il semble vouloir faire passer un message, que tout un chacun tente de décoder à sa manière et en fonction de ses projections personnelles. La question se pose d’ajouter à ses traitements en cours un antidépresseur, mais nous allons nous donner du temps, pour tenter auparavant de mieux comprendre, si tant est qu’il en faille un. La question se pose de savoir, qui a en réalité besoin d’un traitement. La maman dit volontiers ne plus dormir, par moment « craquer » et son besoin d’être soutenue. Il ne vient à l’esprit de personne que peut-être aussi, l’équipe de soins a besoin elle aussi, que sa souffrance soit prise en compte, cependant que le moment y participe pourtant. L’équipe est face à ses limites thérapeutiques, à la frustration de l’incessibilité à une toute puissance médicale et scientifique, qui n’est au fond qu’un mythe qui prend pourtant et parfois une place envahissante dans les pensées. La présence prolongée d’Arnaud dans le service est un rappel perpétuel à une réalité, difficile à admettre. Cà en est au point, où les soignants viennent de moins en moins dans cette chambre et l’irritabilité de quelques uns, s’est traduite dans les gestes au moment des soins quotidiens. Dépassés eux aussi sans doute par leurs émotions, des médecins se sont laissés aller à tenir des propos peu réjouissants au chevet du lit d’Arnaud, en songeant sans doute qu’il ne percevait pas l’atmosphère ambiante et ce qui pouvait se dire. Nous comprenons bientôt, en accord avec l’équipe qui s’interroge sur elle-même, que les quelques faibles réactions d’hostilité d’Arnaud, se manifestent plus spécifiquement à l’encontre de certains soignants. La traduction d’une possible hostilité d’Arnaud perçue par l’entourage viendrait semble t’il signifier son envie d’être respecté dans son état et irait plutôt dans le sens d’une envie de vivre, plutôt qu’en son inverse qui était initialement envisagé. Avec la maman et l’infirmière, nous sommes tous plutôt en accord avec l’interprétation, pour une part aléatoire, que nous nous faisons des réactions d’Arnaud, qui est au milieu de nous. Mais au-delà des intenses échanges ensemble, ponctués de mille et unes interrogations partagées et d’interprétations hasardeuses qui se fient aux ressentis communs, la question de son réel état de conscience se pose. Il se pourrait qu’Arnaud soit dans une plus grande vigilance qu’il n’y paraît et qu’en conséquence, une adaptation des attitudes s’impose, en acceptant l’idée que, nous ne parvenons pas bien à situer où il en est, que nous ne savons pas déterminer réellement son état de conscience.

Nous apprenons dans les jours suivants que la maman a mieux été en capacité de s’absenter en faisant confiance à l’équipe, afin de s’occuper aussi d’elle-même et de sa famille.

Nous apprenons que l’équipe du service s’est réunie et qu’elle s’est interrogée sur elle-même.

Nous apprenons qu’Arnaud se fait de plus en plus présent et qu’il parvient même à se redresser dans son lit et à mobiliser quelque peu ses membres supérieurs.

Nous songeons que cette maman qui avait auparavant mis au monde cet enfant, a été là pour l’accompagner dans une renaissance, ce qu’elle met d’elle-même en mots quelques temps plus tard.

Nous apprenons que les chirurgiens ont décidé de pratiquer des examens complémentaires qui n’étaient plus envisagés, parce que son état évolue.

Nous apprenons que des séances de kinésithérapie sont initiées et que l’intervenant est positivement surpris des efforts que fait son patient.

 

Nul ne sait à terme, jusqu’où ira l’évolution en cours de l’état d’Arnaud, mais il montre en tout cas qu’il a envie de vivre et il est à présent accompagné en cela par l’ensemble de son environnement, qui s’y accroche avec lui. Comme une bonne nouvelle ne vient jamais seule paraît-il, une unité de rééducation peut aussi envisager de le recevoir.

 

Il est évidemment impossible de mesurer quel aura été l’impact de la discussion qui a eu lieu, sur l’évolution de la situation qui bien évidemment, aurait pu tout aussi bien être toute autre. Il n’en demeure pas moins, que tout un chacun aura dans cette situation, du faire face à ses propres interrogations, à des opinions parfois inappropriés, aux limites de la compréhension humaine, et que s’il y avait besoin de le démontrer encore, à la force du lien qui unit une mère aimante à son enfant. En prenant le risque de se retrouver seule en sa foi et son espoir, celle-ci est allée jusqu’à se mettre moralement en danger pour aider envers et contre tout son fils, pour lui transmettre sa force, dans l’idée d’une renaissance toujours possible. Il faut bien admettre que toutes les situations de ce type ne se déroulent pas ainsi et n’évoluent pas aussi favorablement, en n’oubliant non plus pas, que nous ne savons si l’évolution de l’état d’Arnaud suivra une courbe ascendante.

Il y a sans doute, que l’écoute de tout un chacun et même et peut-être surtout les silences, auront quelque peu permis d’identifier les enjeux relationnels, qui n’étaient pas, on peut le penser, sans influences sur le vécu du patient.

Il y aussi dans ce type de situation, que la fonction de la psychiatrie sollicitée, a été de faire tiers et de se positionner en décalage de la demande initiale.

Il y a d’autre part, que la dynamique de l’intervention, qui a dans un 1er temps consisté à se faire une idée avant de se positionner, a du se fier aux ressentis et projections à dimension subjective de l’entourage familial et soignant du patient, qui avaient chacun leur valeur, leur raison d’être, en tant que porteurs de sens groupal et/ou individuel.

Il y a qu’au travers de l’évocation du vécu de chacun, le décodage des ressentis et messages du patient a pris du temps, avec ce que ça peut avoir d’hasardeux, mais a participer d’une réflexion commune et évolutive susceptible d’approcher autant que faire ce peut, la réalité de son vécu du moment.

Il y aussi qu’en tant que tiers nous sommes, nous également, pris dans les entrelas de notre propre subjectivité à laquelle et malgré la pratique d’un regard sur soi qui se voudrait neutre, nous ne pouvons échapper totalement.

Il en résulte que l’interprétation qui a été faite du message du patient exprimé au travers d’attitudes à décoder via le filtre des ressentis individuels, a forcément une dimension aléatoire, cependant que celle-ci a parlé à chacun, cependant qu’il demeure une part non négligeable d’incompréhension, notamment au regard de l’évolution inattendue de l’état du patient.

 

L’important dans cette situation, a peut-être été de se sentir proches, d’être en capacité de s’identifier aux uns et aux autres, de se sentir concernés, tout en conservant une distance autorisant un autre regard.

L’essentiel a peut-être été, d’être aptes à entendre et lire la souffrance chez tout un chacun et l’apaisement demandé au travers d’une simple écoute.

La condition a peut-être été, de prendre conscience du lien indéfectible entre une mère et son  enfant et de la force qu’il représente.

La prise de conscience a été peut-être été, celle de la nécessité de projections individuelles et de scénarios intra psychiques, qui ont notamment permis à cette maman d’accompagner son fils sur plusieurs mois.

Ce qui a fait lien, a peut-être été la nécessité de l’humilité dans le positionnement et l’avis attendu, mais surtout la confiance dans des ressentis et intuitions incontournables, par essence furtifs.

                                                                                 Héno.J (ISP) – Le 11/06/2010

 





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