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Le toutou

 

Imaginez une rue bordée d’arbres, de l’asphalte à perte de vue, un écureuil furtivement se faufile entre les arbres, il court, il court, il court l… et se penche vers moi et attend une obole, peut-être une peanuts, il s’en pourlèche les babines. Mon pauvre ami point de peanuts à te donner, pas une cacahouète, pas un cent, juste un livre dans ma poche, un baume à l’eucalyptus pour soigner un mauvais rhume. As-tu un petit rhume mon ami écureuil? Fier cet écureuil, le poil roux, touffu, il brille de mille feux au soleil, il est rayonnant, distingué, charmant. Découragé il passe son chemin et retourne sur son arbre, il grimpe, s’accroche, se suspend aux branches, saute d’une branche à l’autre, très agile mon ami écureuil. Sur mon chemin j’en croise d’autres, ils ont investi la ville, le long de la rivière des Prairies, les parcs défilent, l’eau miroite, des reflets d’argent ornent le rivage, j’ai la sensation d’être dans une station balnéaire le long du Balaton, un air de vacances en plein Montréal. Durant ma balade les oiseaux piaillent sur des clôtures en bois, joyeux trilles, douce musique qui égaye mes pérégrinations. Noémie fredonne souvent quand elle dessine, lors de notre dernière rencontre elle a dessiné Tigrou, le célèbre personnage de Walt Disney, à sa suite se traîne Winnie l’ourson, la forêt magique et la voix de Jean Rochefort qui a bercé mon enfance, toute de miel, suave, douce, protectrice. Elle a visité le musée des Beaux- Arts et l’exposition sur Disney avec sa maman, elle a beaucoup aimé. Elle a juste trouvé « plate » que sa maman choisisse un personnage qui est toujours en colère et qui va vite, pressé par le temps. Elle aime que les choses aillent lentement Noémie, il ne faut pas la bousculer,  on parle de son quotidien  avec Noémie. Elle a une petite sœur Camille âgée de huit mois et elle a des « jouets de bébé », quoi de plus normal pour son âge me direz vous! Intriguée par un mot qu’elle employa je l’interroge, il est courant ici que les mots diffèrent de sens. Alors voilà notre sujet de conversation du jour : le toutou. Toutou, intéressant, au début je me suis demandée s’il pouvait s’agir du caniche que la dame d’un certain âge promène sur le trottoir, une dame surannée, coquette, petit jupe en lainage tweed, chemisier blanc impeccablement repassé, quelques fleurs ( rose ou violette à vous de choisir) discrètement brodées sur le plastron, chandail mauve, tricoté main les longs soirs d’hiver, à la Maud Silver, célèbre héroïne d’Agatha Christie qui emporte ses aiguilles partout dans ses enquêtes. On peut lui ajouter à loisir des accessoires tel un chapeau (plutôt une toque à la Air France ou  Air Canada, ne soyons pas chauvin, petit clin d’œil à Pierrette, hôtesse de l’air chevronnée), un parapluie, un imperméable, un sac à main voire à tricot, bref selon le degré de prévoyance de la dame accessoirisez-la (ici on peut aussi imaginer une canadienne pure laine avec un sac à dos, véritable sac à trésor qui siérait tellement bien avec la jupe droite). De toute évidence il ne pouvait s’agir d’un chien, même un chiot me semble difficile à emmener partout avec bébé. Oublions le toutou chéri de la dame exquise assise au salon de thé avec sa valoche, au grenier!

Devant mon air perplexe et désemparé Noémie accepte que je donne ma langue au chat : le toutou est une peluche, un nounours. « Ah oui un doudou » dis-je dans ma grande naïveté. «  Non un toutou, un TOUTOU » me répète Noémie à l’infini ne se laissant pas abattre par l’ignorance de sa thérapeute d’un autre monde. « Ok d’abord » je capitule mais loin d’avoir dit mon dernier mot je lui demande si elle connaît le mot doudou. Je lui explique qu’il s’agit de quelque chose de doux, souple, malléable, que l’enfant emporte partout avec lui, une protection qui peut prendre la forme d’une couverture ou d’un nounours en éponge frottée. Mais la réponse ne tarde pas à venir, cinglante : « Non je t’ai dit un TOUTOU!!! » Si vous avez lu attentivement mon texte quelque part dans une poche traîne un livre, oh non lecteur adoré ne me dites pas que vous avez perdu le fil, car justement au fil de ses pages on apprend que Saffie a elle aussi un morceau de toutou, la patte d’une peluche qu’elle avait reçu de son père, elle en avait été fort mécontente car elle voulait elle un vrai caniche. Ce livre c’est L’empreinte de l’ange de Nancy Huston, une écrivain canadienne qui vit à Paris, son roman est un vrai bijou, une perle dont on ne peut une fois la lecture amorcée se défaire. Son écriture est acérée, précise, claire, tour à tour pleine d’humour, ironique, grinçante…Une belle histoire, des rencontres en dominos, une partie de notre histoire collective, une réflexion sur la vie, le passé, le présent, le futur, ce qu’il faut ou non dévoiler, à quoi peut tenir un amour, les liens fragiles et ténus entre les individus, l’horreur aussi dans toute sa splendeur, une angoisse vous saisit, vous tenaille et en même temps le suspens est insoutenable, jusqu’où peut aller le cauchemar, l’indicible, cette mère va-t-elle se transformer, s’épanouir ou au contraire se ternir toute rabougrie… Et Emil, cet ange, à qui son empreinte devait tout faire oublier avant de venir à la vie que va-t-il lui arriver? Raphaël au doux prénom d’ange pourrait-il virer en démon? Ce livre recèle une foultitude de personnages tantôt attachant tantôt rebutant, parfois un cri voudrait s’échapper de ma gorge qui finit par se serrer sous l’ « empreinte » de l’émotion.

 

Delphine Ohl.

 

Merci de tout cœur à Maurice Brault et tous les bénéficiaires de l’atelier d’art-thérapie, à l’Assistance d’enfants en difficulté, à Sylvie à qui je dois la découverte de ce livre.





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