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Retour à enfance




Samovar, troïka et bulbe d‘or.

Je me souviens de cet adolescent, enfin peut-on parler d’un ado quand on a 24 ans? Ca fait rire le pédopsychiatre. Qu’est-ce qu’il y connaît après tout des ados lui!!! C’est un pédopsychiatre. Ah oui j’oubliais, élémentaire mon cher Watson! Pas si évident. Tenez moi par exemple, je vais avoir trente ans dans sept jours et je me sens enfin devenir adulte. Oui je laisse derrière moi l’adolescence, comme une peau de chagrin, tel Peau d’âne. Je lâche l’adolescence mais pas l’enfance. Pas logique ça me direz-vous!!!? Je veux garder cette part d’enfance en moi, encore dessiner des monstres, des arbres, des moutons. Toujours rêver et faire rêver. Le rêve c’est important, c’est primordial.

Vous pensez que j’ai perdu le fil mais non je le tiens comme le petit Poucet sème ses cailloux et retrouve inlassablement son chemin, petit sentier sinueux. Alors le revoilà mon ado. Romantique mon ado, éperdu d’amour, enfin perdu d’amour, il noye son chagrin dans un grand verre d’eau. Sauf que l’eau a un goût d’alcool et les volutes de cannabis ne sont pas loin. La chenille n’est pas très loin non plus avec son « Who are you? » propre à l’adolescence. L’ado aux cheveux bouclés est venu poussé par ses parents, son père l’accompagne, ça ne semble pas le gêner. Il est plutôt apathique, triste, sa copine l’a quitté. Il comprend, il y a des raisons, enfin une raison, mais il regrette. Il n’avait pas mesuré les dégâts mon ado. Pas tout à fait adulte mon ado, immature et mature à la fois. Il a des rêves plein la tête mon ado. Il a un travail, peu satisfaisant selon lui, loin des rêves de son enfance, un peu paresseux mon ado! Se laissant bercer par les doux rêves de l’enfance et ne mesurant pas les difficultés à venir, ne voyant pas plus loin que le bout de son nez.

Je l’imagine pestant contre le discours moralisateur d’une mère trop encombrante. Mon ado souffre, il fait peine à voir, tout ratatiné, recourbé sur lui-même, traînant des savates! C’est le cas de le dire: c’est une histoire de pantoufle qui l’a amené au SAU, quelques heures plus tôt il est allé chez sa grand-mère en pantoufle. Inquiet de le voir traîner en savate, le cœur en vrac ses parents l’ont amené aux urgences. Il n’a plus le cœur à la fête mon ado. Il se morfond chez lui, il mange peu, dort peu, se promène du côté de chez son ancienne amie une pointe de jalousie. En même temps il décide de faire une pause côté boulot, une longue pause: douze mois. Il a des projets, il veut mettre une distance, il veut explorer le monde mon ado. Il va faire ses bagages, il prépare son voyage, repère son chemin sur une carte, trace des plans, potasse des guides. Des plans sur la comète me direz-vous? Que nenni tout ça est réfléchi. Il a de la suite dans les idées mon ado, il est décidé, il y voit une chance à saisir. Il avait des projets d’avenir: un mariage, des enfants, un boulot peinard, des courses le samedi, un petit pavillon en banlieue, un monospace, bon j’arrête là les clichés!

En quelques mois tout s’est écroulé, si jeune est déjà une vie toute tracée, tout était réglé comme du papier à musique, rien n’était laissé à l’improvisation. Tellement différent de l’adolescence, mais malgré cette vie parfaite qui est bouleversée, mon ado a su rebondir. Il va prendre son envol, en retirer le meilleur de cette souffrance. Attachant cet ado, des yeux brillant, pétillant, il parle de trains qui l’emméneront en Sibérie. J’imagine l’Orient Express, Hercule Poirot surgit, costume noir impeccable, tiré à quatre épingles, un monocle au coin de l’œil, une canne suspendue au poignet, en grande conversation avec Hastings, Miss Marple pourrait débouler, son tricot sous le bras, délicieuse dans son gilet mauve, petit chapeau rond posé sur sa minuscule tête, on pourrait imaginer un colloque de détectives privés dans une isba au milieu d’une forêt de bouleau. Sherlok Holmes, dans un fauteuil avec une tasse de thé à la bergamote fumante à portée de main, le samovar trônant sur la table, une icône dans un coin de la pièce. Mais où donc a pu disparaître le capitaine Potemkine? La troïka a laissé des traces dans la neige, les moujiks peuvent l’affirmer. Cela m’a plongé d’un coup dans la Russie de Lesley Blanch*, elle rêvait de la Russie, elle en était amoureuse, du pays mais aussi d’un homme: le Voyageur, mystérieux, originaire de Sibérie, les yeux bridés, la peau jaune. Il débarquait toujours à l’improviste, la couvrait de cadeaux et surtout lui parlait de la Russie. Un doux rêve et là d’un coup devant moi j’avais un adolescent qui évoquait son voyage, la Sibérie, le train… Les odeurs de confiture à la cerise faite maison par la mère de Vladimir, les verres de vodka bus par son père chaque soir rituellement, les tapis suspendus au mur annonciateurs de l’Orient , les vastes étendues blanches, les clochers en bulbe de Saint-Pétersbourg, le soleil se reflétant sur les feuilles d’or se détachant sur un ciel bleu cyan, l’appartement et la statue de Pouchkine, le palais de Gatchina…bref en un instant grâce à mon ado je me suis retrouvée propulsée dans mon passé. Des souvenirs et des réminiscences si belles, alors je remercie mon ado. Quoi de plus beau que de se laisser bercer par ses rêves, ses souvenirs et croire encore en l’avenir. Souhaitons que mon ado trouve sa voie malgré ce passage chaotique qu’est l’adolescence. « Spaciba **»!!!

Delphine Ohl

* Voyage au cœur de l’esprit de Lesley Blanch, éditions Denoël & d’ailleurs, 2003.

** Merci.







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