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Expérience de Pédopsychiatrie de Liaison


Les unités de pédopsychiatrie de liaison, sont des créations plutôt récentes, apparues sur le réseau de soins. C'est sans doute ce qui explique que ces équipes, ne sont pour l'heure, pas encore standardisées, tant dans leurs compositions, que dans les missions qui leur sont dévolues. Les équipes de liaison en pédopsychiatrie se sont inspirées dans leur installation, de l'expérience plus ancienne des équipes mobiles de soins palliatifs, mais se sont surtout adaptées au contexte du réseau psychiatrique, pour se déterminer des identités. Certaines équipes comblent des manques repérés sur un secteur de soin défini et remplissent à ce titre de multiples fonctions. D'autres ont pour rôle essentiel, d'entretenir des liens entre les unités d'hospitalisation et les services socio/éducatifs, voir judiciaires. D'autres encore, interviennent prioritairement dans le champ sanitaire, au sein des services de soins somatiques. La composition variable des équipes n'est pas sans orienter leurs missions. On peut penser, compte-tenu du contexte global et actuel du milieu hospitalier, de la généralisation de l'analyse de l'activité, que les unités de liaison seront-elles aussi à terme, standardisées.

Intervention en service de soins somatiques
Tisser des liens entre soma et psyché, c'est aussi parvenir à une collaboration satisfaisante entre les intervenants du soin somatique et ceux du soin psychique. C'est sans cesse tenter de passer outre les clivages entre des équipes de soins, aux priorités différentes et parfois opposées. C'est être en capacité de prendre en compte la culture d'une autre spécialité, sans renier la sienne propre. C'est trouver les terrains d'une réflexion commune, dans une recherche continuelle de complémentarité. C'est faire preuve de bon sens mais aussi de diplomatie. C'est toujours aller dans le sens d'une meilleure prise en charge du patient. C'est savoir mettre en place, une coordination satisfaisante dans le déroulement des soins. C'est régulièrement se concerter pour être en capacité de transmettre aux patients et à leurs familles des messages clairs et non contradictoires. C'est, pour les équipes de pédopsychiatrie, être suffisamment souple pour intervenir à la demande et en même temps, prendre le temps du cheminement psychique. C'est entendre les difficultés de fonctionnement des services de soins somatiques, sans oublier la part de souffrance du patient.

Exigence de Temporalité
Les unités de chirurgie et médecine pédiatriques ont l'obligation, de raccourcir autant que possible, les durées d'hospitalisation. Dès que les équipes ont initié les remèdes adaptés à la pathologie somatique repérée, la sortie est immédiatement envisagée. Ce type d'exigences posent quelques difficultés, lorsqu'à la pathologie d'ordre somatique, se rajoutent des problèmes d'ordre psychique suffisamment importants pour devoir être pris en compte, avant d'envisager une sortie du patient, dans des conditions satisfaisantes. Il arrive ainsi que les durées d'hospitalisation se prolongent au-delà de la nécessité somatique, ce qui n'est pas sans faire réagir parfois négativement, les pédiatres responsables de ces unités de soins. Les équipes de liaison intervenant dans ce type de structures sont ainsi régulièrement confrontées à des exigences contradictoires, qui nécessitent souvent de négocier et de répétitivement rappeler l'importance du temps psychique, Pour que la prise en charge du patient se déroule de manière satisfaisante, les partenaires se doivent d'avoir à minima, une philosophie de soins commune, dans laquelle s'inscrit la globalité de la prise en charge du patient. Ce n'est malheureusement, en fonction des personnalités en présence, pas toujours le cas et la tentation est parfois grande, d'orienter l'ensemble des patients en souffrance morale, dès que possible, parfois dans l'urgence, vers les services de psychiatrie, qui sont par ailleurs à saturation. Il y a pourtant que la grande majorité des patients qui arrivent dans les services de pédiatrie, ne souffrent pas de pathologies mentales avérées mais sont plutôt, notamment chez les adolescents, dans une certaine souffrance morale, qui nécessite tout de même, de prendre le temps de l'écoute. Autant dire que dans ce type de situations, la place du jeune patient en souffrance psychique, sans être psychiatriquement malade, mais nécessitant un temps d'hospitalisation, pose quelques difficultés et suscite les questionnements, sur fond d'exigences comptables et administratives.

Crise Identitaire
Au regard de l'expérience que j'en ai, la présence régulière de patients en souffrance psychique dans les services de médecine pédiatrique, paraît poser à ces unités, un problème identitaire. Les pédiatres de ces unités paraissent se vivre comme étant un succédané d'une psychiatrie qui ne remplit pas pleinement sa fonction. Il est assez tentant en de telles circonstances, de sortir à nouveau le petit démon de sa boîte et de se laisser aller à penser que les fous se doivent d'être soignés de préférence de manière asilaire, dans des lieux éloignés de ceux que fréquentent les gens dits normaux, qui ne sont atteints que de nobles maladies somatiques. Il est à souhaiter que les autorités de tutelle demeurent vigilantes sur le long terme, pour ne pas tomber dans de vieux travers ancestraux, et qu'une continuelle dynamique de collaboration qui défie les clivages, puisse se poursuivre, pour le bien des patients et une qualité de soins globalisés optimum. J'observe que toutes les spécialités à l'intérieur du domaine de la pédiatrie, ne connaissent pas la même crise identitaire. Toujours de part mon expérience, il est plus aisé d'intervenir à la demande dans le champ de la chirurgie pédiatrique. On peut penser que ces services ont une personnalité peut-être mieux affirmée et contenue dans des limites mieux définies, en termes de pathologies à traiter. Ils sont, moins que les services de médecine pédiatrique, confronter à des problèmes de comportement chez les patients, qui sont parfois perturbants pour la bonne marche du service et demandent une vigilance particulière, nécessitant des moyens souvent insuffisants. Les soignants des équipes de chirurgie, sont sur le plan psychique, la plupart du temps, plutôt confrontés à des angoisses massives associées à des souffrances physiques intenses, qui interpellent à vif, l'émotionnel en chacun. Dans de telles circonstances, les équipes vivent plutôt les interventions des unités de pédopsychiatrie comme un soulagement, surtout lorsqu'ils sont perplexes au sujet d'un patient. La question de la temporalité se pose aussi dans le travail de collaboration avec ces équipes. A l'exception toute de même assez rare, d'un brutal afflux d'entrées qui peut arriver, les équipes de chirurgie sont globalement à l'écoute de la nécessité de temps pour le cheminement psychique. Là aussi, des échanges réguliers en lien avec chaque situation demeurent cependant nécessaires, pour répondre au mieux aux difficultés du patient mais aussi, pour entendre les inquiétudes souvent justifiées, des équipes. Des discussions non officielles et en aparté valent parfois leur pesant d'or, lorsque les soignants ont été choqués par une situation, lorsqu'il leur arrive plus souvent qu'à leur tour, d'être en contact avec le sordide. Le problème identitaire me paraît moindre dans ce type de service dans lequel les patients ont besoin de soins intensifs et où du coup, l'intervention des équipes de pédopsychiatrie, est vécue comme tranquillisante.

Interventions en Réanimation
Des tuyaux, des écrans, des bips, le ronronnement régulier de la climatisation, l'obligation de passer par un sas et d'enfiler des tuniques, la nécessité de demeurer discrets et de s'avancer presque sur la pointe des pieds, la mort et les espoirs qui planent, rendent nos interventions dans la ouate, délicates. Nous arrivons lorsque le patient est sorti d'affaire et que le risque majeur s'est éloigné. Pour autant, le risque suprême est là tout à côté, derrière une autre vitre vers laquelle on ne peut s'empêcher, de se tourner un instant et de songer. Nous attendons qu'on nous autorise à avancer pour aller à la rencontre de quelqu'un d'alité. Nous ressemblons à des robots masqués en tuniques spécialisées qui découvre un visage qui dépasse, posé sur un oreiller. Un bébé tout à côté pleure sa souffrance jusqu'à ce que sa maman, elle aussi habillée de circonstances, le prenne dans ses bras pour le bercer. Les tuyaux et les fils lui interdisent d'aller le promener et peut-être serait-ce trop risqué. Avec la patiente emmitouflée dans le lit d'à côté, il nous faut chuchoter, pout ne pas étaler sa vie privée. Elle est à peine remise de ses émotions qui ont succédé à d'autres et qui l'ont amené à vouloir attenter à sa vie. Elle est fatiguée, comme dans une sorte d'état second, qui nous amène à nous soucier de son état de santé. Elle répond à quelques unes de nos questions lentement et tranquillement posées, semblant détachée et sans émotions, comme prise dans un ailleurs indéfinissable. Il s'agit surtout de se présenter, sans se soucier de recueillir un maximum d'informations ; nous verrons plus tard. Le bébé apaisé s'est arrêté de pleurer et nous nous faisons encore un peu plus discrets. Nous sommes là pour parler avec vous, de ce qui vous fait moralement souffrir, au point d'avoir eu envie de mourir, mais rien ne presse. Il s'agit de rassurer, de prendre en compte, d'être là, de nouer un peu de confiance, de poser les repères de l'après, de rester même si les discussions sont limitées, de questionner le bien-être tout relatif du moment. Il s'agit de tranquillement prendre congé en disant le plaisir que nous aurons à la revoir, avant de se questionner quant aux soins que nous aurons à lui proposer. Quelques échanges avec l'équipe à propos des circonstances de l'hospitalisation, à propos du pronostic, à propos les uns et les autres, de nos observations et impressions. Des mots, des phrases posées sur le dossier qui disent la qualité de la première entrevue, la difficulté de communiquer à ce moment et l'état second, nous nous en allons, nous nous démasquons, en proie à des émotions que nous empressons entre nous de parler, que nous chuchotons en nous éloignant, comme si nous n'avions pas encore passés le sas. Nous avons besoin de parler et de dire aux collègues de notre équipe, la souffrance palpable mais indéfinissable que nous avons ressentie. Prenant le temps de l'écoute silencieuse, ils nous accueillent comme venant d'une autre planète et nous exprimant dans un verbiage fait d'impressions fuyantes, avant de renouer ensemble dans un langage plus commun.

Enjeux
La surveillance intensive des constantes somatiques ne s'avérant plus nécessaire, la jeune adolescente est rapidement transférée en pédiatrie, où nous l'a rencontrons dans d'autres conditions. Il n'y a plus nécessité à ce qu'elle demeure en hospitalisation au regard de son état physique, cependant que sa sortie est problématique au regard du contexte familial dans lequel elle évolue, qui demande un temps d'évaluation. Les rapports avec ses parents eux-mêmes en difficultés sur différents plans, étaient tendus avant le passage à l'acte. L'équipe de pédopsychiatrie de liaison a un temps limité pour intervenir, pour évaluer, pour proposer des aménagements, pour donner un avis de sortie toujours très attendu et positivement espéré par les pédiatres. Le protocole veut que le temps d'hospitalisation après une tentative de suicide, soit au minimum de 5 jours : le créneau est serré mais peut-être prolongé, notamment lorsqu'existe un risque important de récidive. La durée minimum de 5 jours d'hospitalisation est souvent entendue en fonction des intérêts, comme un maximum au sujet duquel il faut parfois s'affronter. Les rapports se tendent parfois, mais les soignants au chevet de la patiente au jour le jour tentent, tant bien que mal, de laisser de côté les enjeux institutionnels. Mais au-delà des apparences, il y a les ressentis, les perceptions, les émotions, dans des échanges verbaux qui cachent parfois assez mal, l'irritation ambiante. La situation personnelle de la jeune patiente demeure instable, son état psychique et le contexte familial vont à coup sûr, nécessiter un suivi psychothérapeutique au long cours. Mais il y a que les structures de soins du secteur sont à saturation, les files d'attente s'allongent et les délais de prises en charge effectives tendent à s'étirer.

Un Pont
Le risque potentiel d'une récidive n'est pas complètement absent, qui nécessite une présence inscrite dans la continuité. La jeune patiente n'est pas totalement sortie de la situation de crise qu'elle traversait. La famille ne sort pas indemne du passage à l'acte de leur enfant. Une relation de qualité s'est nouée, qui autorise de continuer de se rencontrer, de continuer d'évaluer, d'être présent, si nécessaire d'être réactif, de préparer le relai, de s'adapter parfois au coup par coup, de modifier si nécessité l'indication initiale, de parfois renégocier une hospitalisation, en n'oubliant jamais que nous ne sommes à ses côtés que transitoirement. Il s'agit d'une constante gymnastique, qui dresse un pont entre l'hospitalisation dans l'urgence en situation de crise et un suivi psychothérapeutique au plus long cours, dans d'autres conditions. Mais, il y a que les situations de crise, avec leur inévitable lot d'émotions soulevées, tendent malgré les précautions prises, à nouer des liens intenses souvent teintés d'affectivité, qui rendent ensuite le passage vers une autre structure de soins, difficile. Il arrive que des situations évoluent favorablement dans le sens d'un apaisement général, rendant la poursuite du soin dans le cadre d'un relai, caduque. Ce n'est pas le cas de la grande majorité des situations auxquelles nous sommes confrontés. Mais il arrive aussi que les patients ne se rendent pas aux rendez-vous proposés par les structures de secteur et disparaissent au bout de quelques temps, dans la nature. Parce que ce n'est pas facile de se confier à nouveau à de nouvelles personnes, des patients reprennent à nouveau contact avec nous. Il nous faut à nouveau et sans renoncer, retravailler le relai en tendant à le positiver.

Debout sur le pont
Debout sur le pont à regarder les vies au fil du courant défiler, il faut tendre la main à celui qui se noie, lancer une bouée et parfois se mouiller. Debout sur le pont, il faut surveiller la solidité de la structure qui pourrait être emportée par les émotions. Debout sur le pont, il faut maintenir le lien entre les générations des deux rives, en allant et venant sans fin. Il faut tenir par la main ceux qui, pris de vertige ne peuvent plus mettre un pied devant l'autre. Entre les mains installées en porte voix, il faut traduite et traduire encore les maux et les mots entre les âmes qui d'une rive à l'autre, s'observent et méfiantes, s'épient. En porte voix il faut expliquer les passages d'une rive à l'autre, convaincre. Debout sur le pont au gré des vents institutionnels, il faut parfois s'accrocher à la rampe. Debout sur le pont, il faut comptabiliser les pas, chiffrer le coût de la bouée petit canard, répertorier, numéroter, étiqueter. Debout sur le pont, il faut dire ce que l'on fait et faire ce que l'on dit…

Pédopsychiatriquement Votre J.Héno (infirmier)- Le 05/10/2008





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