Retour à l'accueil

Retour à enfance




 

Les maux de l’ombre

                                     

 

Qui es-tu papa ?

Qui étais-tu, lorsqu’après avoir bu un verre de trop avec tes copains, tu te mettais à nous insulter et à nous traiter comme des moins que de rien.

Qui étais-tu lorsqu’énervé, contrarié peut-être, tu giflais notre maman sous nos regards affolés. Qui étais-tu, lorsque maman et toi avez décidé de divorcer, pour venir au milieu de la nuit, camper dans ta voiture devant la maison et ainsi nous faire peur.

Qui es-tu, lorsque tu n’as de cesse de téléphoner et téléphoner encore, de menacer et d’insulter maman.  Qui es-tu toi,  qui réclames à présent nos visites chez toi, sans jamais auparavant avoir cherché à t’occuper de nous. Qui es-tu toi, qui tergiverse à verser une pension alimentaire, pour nous permettre de vivre décemment. Qui es-tu et que veux-tu, toi qui cherche sans cesse à régler des comptes qui n’ont pas lieu d’être.

 Qui étais-tu, pour pénétrer sans prévenir ma chambre, alors qu’adolescente je me changeais. Qui es-tu, pour avoir en notre demeure semer la crainte, trop souvent la peur. Qui étais-tu, lorsque tu refusais quand mon frère te demandait de lui apprendre. Pourquoi interdisais-tu à maman, d’évoquer avec notre médecin de famille, le fait que j’avais souvent mal au ventre et que j’étais toujours constipée. Que pensais-tu, lorsque chaque fois que nous demandions ton aide, tu te disais fatigué. Qui es-tu, pour nous avoir parfois donné des coups de ceinture, sans jamais laisser de traces et que tu nous menaçais pour que nous ne le disions pas à l’extérieur. Qui es-tu, pour avoir exigé de nous de bons résultats scolaires sans que toi pendant ce temps, tu ne fasses un effort. Qui es-tu, pour avoir exigé de la politesse, en même temps que nous donnait toute sorte de noms d’oiseaux. Qui es-tu, pour t’être permis de dire que je suis nulle, moche et que j’aurais mieux fait de ne pas naître. Qui es-tu, pour nous avoir punis à maintes reprises de manière outrancière et quelquefois injustifiées. Qui es-tu, pour avoir ainsi refusé notre amour ? Qui es-tu pour  nous avoir reconnus officiellement, alors que tu disais trop souvent que nous n’étions pas tes enfants. Qui es-tu et que voulais-tu, lorsque tu m’as conseillé de me jeter par la fenêtre. Qu’avais-tu en tête, le jour où tu as jeté le plat chaud posé sur la table, au visage de maman, sous prétexte que ce n’était pas bon.  Comment as-tu fait, pour toujours faire belle figure devant les gens qui passaient à la maison et être tellement apprécié des voisins. Pourquoi de temps en temps, nous faisais-tu de somptueux cadeaux ? Pourquoi est-ce que partir en vacances tous ensembles en famille, était devenu pour toi, insupportable. Pourquoi est-ce qu’un jour, tu as détruit tous les jouets de mon frère. Pourquoi sous la menace, ne permettais-tu pas à maman d’inviter à la maison ses copines. Pourquoi regardais-tu à la télévision des films sanglants, que nous obligeais à regarder avec toi. Pourquoi ne nous as-tu jamais, raconté de belles histoires avant que nous nous endormions. Pourquoi as-tu épuisé maman de tes remarques négatives incessantes, au point où elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. Pourquoi tes pensées ont-elles toujours été aussi rigides. Mais pourquoi très tôt, trop tôt, nous as-tu permis de traîner tard dans la rue, comme si c’était ça, être un bon père compréhensif. Pourquoi ce que nous faisions, n’était jamais bien et pourquoi dans le même temps, lorsque tu parlais à tes copains de nous, nous étions des perles de l’univers à tes yeux. Pourquoi te montrais-tu si compréhensif envers les enfants des autres et si durs avec nous. Pourquoi étais-tu toujours dans le paraître, plutôt que dans l’être ?

S’agit-il de votre voisin, de votre cousin, de votre oncle ou de votre père ?

 

Qui es-tu maman ?

 

Qui es-tu maman, pour t’être pendant des années, laissée battre sous les yeux de tes enfants ? Pourquoi, ne nous as-tu pas mieux protégé des agressions de papa à notre encontre. Pourquoi as-tu organisé le silence autour de ce qui se passait. Pourquoi as-tu toujours cherché à compenser la souffrance qui nous était infligée. Pourquoi, dès que papa n’était pas là, tu nous demandais de dormir avec toi. Pourquoi, cette situation a t’elle duré aussi longtemps. Pourquoi a-t-il fallu que je veuille mourir pour qu’enfin, tu te décides à réagir. Pourquoi, au lieu de faire face et de réagir en adulte, as-tu, à plusieurs reprises, pris des médicaments. Comment as-tu fait pour accepter les comportements régulièrement déviants de notre père, qui semait à la maison la terreur. As-tu pensé parfois que c’était mérité ? T’es tu sentie coupable de l’avoir épouser ? N’étais –tu capable de voir au travers de ses attitudes, que la souffrance d’enfant en lui ? Pourquoi lui trouvais-tu sans cesse des excuses ? Nous n’étions, mon frère et moi, que deux enfants à la maison, mais tu t’es toujours comportée comme si nous étions trois. Tu as toujours cherché à protéger l’enfant/papa de lui même mais ce faisant, tu nous as oubliés. As-tu pensé parfois, à notre détriment, que tu avais beaucoup de mérite à supporter tout cela et passer auprès de tes propres parents et voisins, comme une femme martyre mais courageuse ? Tout en disant nous adorer, tu as trop longtemps fermé les yeux, à se demander parfois si au fond, tu n’y trouvais pas ton compte.

S’agit de votre voisine ou de votre cousine, de votre tante ou de votre mère ?

 

Filigrane sociétal

 

On pourrait se dire ou songer, compte tenu de la politique de prévention à ce sujet et de la médiatisation de quelques moments, que ce type de situation soit devenu rarissime.

Mais lorsque nous sommes amenés en psychiatrie à recevoir des patients en souffrance, l’affolement nous gagne parfois, au regard des histoires familiales, auxquelles nous sommes confrontés. On peut même malheureusement dire, qu’au-delà de la violence physique avérée ou des agressions psychiques insidieuses, des enfants toujours trop nombreux, sont confrontés au sordide. Je me refuse à donner des exemples de cruautés avérées.

Nous écoutons les histoires individuelles de vie qui amènent des parents, à se comporter de manière perverse, et malgré et au-delà de l’empathie nécessaire de nos regards initiés à ne pas porter jugement, nous sommes interloqués, abasourdis parfois. Les récits et les confidences dépassent trop souvent nos capacités humaines de compréhension, peut-être trop empreintes d’une rationalisation, qui fait office de repère. Nous observons et voyons les blessures et les cœurs qui saignent, en espérant chaque fois que cette situation  soit exceptionnelle mais ... Le papa n’a pas mesuré les dégâts collatéraux qu’il a engendrés autour de lui. La maman avait enfilé sa tête et ses pensées dans un casque de protection. Les enfants ont été au première loge et ont en pleine poitrine, pris de plein fouet les éclats d’obus de la colère et de la haine, de règlements de compte individuels inconscients. La guerre règne et se perpétue au cœur même de certaines familles, pendant que les victimes silencieusement, tombent.

Des numéros verts sont à disposition pour entendre et écouter, pour conseiller et aider à résoudre mais, c’est à se demander si la démarche d’appeler n’est pas déjà, un geste trop difficile à faire. C’est à se demander, s’il ne faudrait pas que la société aille vers… C’est à se demander comment le faire au mieux, sans forcer ni obliger, mais en sauvant pourtant l’intégrité psychique des enfants. C’est à se demander s’il n’y a pas, tout de même, un grave déficit en termes d’éducation parentale, qui n’est nulle part ou trop peu, prise en compte. C’est à se demander parfois, si les acteurs médico/sociaux manquent de vigilance, au regard du nombre de familles, qui passent au travers des mailles du filet de la protection infantile. C’est à se demander parfois, si nous savons bien décrypter les signes de souffrance. C’est à se demander, si les institutions ne sont pas déviées de leur mission auprès des familles, par les préoccupations actuelles autour de leur propre existence, ou de réorganisations, de plus en plus au goût du jour. C’est à se demander pourquoi les politiciens et les médias, ne s’intéressent à ce qui se passe silencieusement dans les familles, que de manière épisodique, lorsqu’un drame survient qui fait suite à un autre et nous savons, qu’un autre va survenir, qui va faire l’article, le temps épisodique d’un journal.

Les drames ne représentent assurément que la tête de l’iceberg des souffrances infligées dans notre société aux enfants. Les institutions, de plus en plus remises en cause financièrement et dans leur organisation, particulièrement dans le service public, voient venir à eux de plus en plus de situations qui les débordent, comme un océan qui ramèneraient sur la plage et par vagues ininterrompues, les oiseaux morts ou blessés d’une marée noire insidieuse. Il se pourrait qu’un cancer psychique ronge l’esprit chaleureux et protecteur des familles. On dit parfois que cela a toujours été ainsi et qu’aujourd’hui, ça se parle plus et que l’on est mieux au courant, pour prévenir les destructions physiques et psychiques.

Peut-être est-ce vrai et on peut toujours conciliabuler en se demandant qui de l’œuf ou de la poule, mais il y a que dans le même temps, le phénomène perdure. On peut même se demander, au regard de ce que nous observons, si la gangrène ne gagne pas du terrain. Il n’est pas besoin d’avoir fait de hautes études patentées, pour constater combien globalement, les conditions de travail se dégradent, menant parfois jusqu’à la précarité, dans des endroits où règne là aussi quelquefois, l’insidieux. Quelle influence a une crise subie et déclenchée par d’autres, sur le climat relationnel des familles et sur le psychisme d’individus, qui ne savent pas toujours se protéger.

Qu’en est-il de la transmission familiale en termes d’éducation donnée aux enfants, lorsqu’on constate, toujours avec surprise, que de jeunes parents sont complètement égarés, en se sachant pas comment s’y prendre, en oubliant des repères pourtant simples. Comment se fait-il que des parents d’aujourd’hui, ne sachent pas qu’un enfant ait suffisamment besoin de sommeil, pour conserver une bonne santé physique et psychique. Comment se fait-il que des parents ne sachent pas encore, qu’il est nocif pour les enfants, de regarder n’importe quel film sanglant à la télévision. Comment se fait-il, que des parents ne sachent pas encore, à notre époque, qu’un enfant a besoin d’un espace qui lui est propre. Comment se fait-il, qu’ils ne sachent pas, qu’un enfant a besoin de manger sainement et de manière équilibré. Comment se fait –il, que les bases de l’éducation ne soient plus présentes au sein de certaines familles au point où, les enfants allant de mal en pis, doivent ensuite rencontrer des psychiatres, alors que le phénomène est originellement éducatif.

Comment se fait-il, que notre société se voile les yeux sur ce phénomène rampant, en  faisant comme s’il n’existait pas, en se contentant d’essayer dans l’après coup, de réparer des dégâts psychiques parfois irrémédiables.

Il est possible que le phénomène soit trop insidieux pour être réellement pris en compte. Il est possible que chaque intervenant issu de mondes institutionnels différents, regarde le phénomène par le petit bout de la lorgnette. Il y a eu dans la presse, des campagnes de prévention de tous ordres et notamment pour tenter de prévenir la violence physique faite aux enfants, qui ont été à n’en pas douter utiles, mais qui n’ont pas au fond, résolu le problème, parce qu’il est possible qu’il y ait dans notre société, un déficit grave en termes d’éducation parentale.

Au regard du fait que des adulescents qui sont encore parfois même, un peu des enfants au moment où ils choisissent de procréer, faut-il initier des écoles de parents plus nombreuses et réellement efficientes ?

Est-ce qu’une campagne de prévention médiatisée autour du sujet de la violence physique et psychique faite aux enfants serait à nouveau souhaitable, tant on ne se souvient plus, quand a eu lieu la dernière.

Il est bon de se rappeler qu’il y a aussi et heureusement des familles qui vont bien. Il y a heureusement des enfants heureux qui rêvent d’avenir, parce que leur entourage le leur permet.

Mais il n’empêche qu’une frange de la population in quantifiable, mais sans doute importante, vit des situations de guerre familiales, dont on devrait mieux se préoccuper. La guerre ne se situe pas forcément à l’autre bout du monde, mais nous la croisons trop souvent sur un trottoir et sans le savoir, dans le regard d’un enfant pensif qui ne dit mot. Nombre de soignants pourraient témoigner de la cruauté faite aux enfants, observées dans l’exercice de leur métier, au point de ne plus savoir parfois, comment y faire face, au point de ne plus pouvoir, notamment par manque de moyens. Faut-il sélectionner et ne prendre en compte que les situations les plus graves, celles qui heurtent l’entendement humain, et laisser les autres à leur destin. Les soignants et les travailleurs sociaux sont trop souvent confrontés dans le présent, à ce type de dilemme qui ne devrait pas être, compte tenu notamment de nos sensibilités humanistes, qui nous ont conduits vers les professions que nous exerçons. 

La société entière se devrait d’être concernée par le phénomène rampant de la violence intrafamiliale insidieuse ou non. En tant qu’intervenants de différents types de structures autour des sphères familiales, nous avons grandement besoin, dans nos confrontations avec le sordide de l’envers de notre société, d’être aidés, notamment par les personnes en responsabilité du destin du pays, qui ont pouvoir de décision.

Qu’attendent les statisticiens, pour nous dire si la violence familiale prend de l’ampleur, ou bien si nous nous trompons dans nos impressions. Au moment où on nous rabâche le déficit et la crise, allons-nous devoir baisser les bras, parce que nous coûtons trop cher et abandonner encore plus d’enfants à leur sort.

Les foyers, les services de pédopsychiatrie sont déjà à saturation et c’est plus que trop souvent, la croix et la bannière pour trouver un lieu d’hébergement ou de soin pour protéger un enfant, repéré comme étant en grand danger. Il y a aussi, que lorsqu’un enfant est placé pour le protéger dans un foyer, il n’est pas pour autant en sécurité, parce qu’il n’y a pas suffisamment de personnel, parce que des plus grands que lui, potentiellement dangereux le côtoient : tout le monde le sait, qui le dit ?

Le tableau paraît bien sombre et chacun de nous aimerait qu’il en soit autrement. La réalité est-elle ainsi dans l’envers du décor, ou est-ce que je la teinte personnellement de gris ? Mon regard est assurément teinté de mes confrontations professionnelles quotidiennes mais pourtant aussi, des échanges d’opinions des uns et des autres, qui ont eux aussi, une vision inquiète sur la situation et ses perspectives.

Le tableau est sans doute et pourtant fait aussi de nuances, au regard de l’énergie dépensée par nombre de travailleurs sociaux et de soignants dans l’exercice de leur fonction. Nous avançons souvent à l’aveuglette et dans nos travails, le nez sans cesse dans le guidon des exigences professionnelles, qui tendent à se multiplier. Il n’est même pas sûr, compte tenu du contexte actuel qu’on nous impose, qu’il nous soit possible de faire autrement. Il est difficile de dire si nous sommes suffisamment éveillés, pour regarder la réalité en face. C’est à se demander avec du recul, ce que diront les historiens dans une cinquantaine d’années, en parlant de notre époque : «  les citoyens de cette époque du début du XXIème siècle, étaient surtout préoccupés, à cause du contexte du moment, par leurs emplois et leurs conditions d’existence. C’est ainsi que nombre d’entre eux, ont oublié ou n’ont pas pu, assumer pleinement leur rôle de parents, pendant que les institutions sensées les soutenir dans leur fonction, n’étaient plus en capacité de le faire, que de manière parcimonieuse. » Pouvons-nous rêver d’un autre monde, où la terre de bonheur, serait ronde ?

Lorsqu’un instant, on observe la densité  des intervenants du réseau psycho/socio/éducatif, l’image qui vient, est que notre pays est parfaitement maillé, en termes de soutien aux enfants et aux familles : pédopsychiatres, psychothérapeutes, service public de santé, psychologues, aide sociale à l’enfance, école des parents, maisons des adolescents, associations autres et diverses, assistantes sociales, juge des enfants, familles d’accueil, foyers, psychomotriciens, sociologues, numéros verts, orthophonistes, pédiatres …

Au regard de ce listing incomplet, on éprouve d’autant plus un malaise à voir venir à nous, trop souvent après des années de souffrance, des enfants et des adolescents qui connaissent et ont connu au quotidien une situation sordide, passée inaperçue. 

C’est à se demander, tout de même, ce qui ne fonctionne pas dans le système de protection et de prévention mis en place à force d’effort, de réflexion et d’investissement. Il va évidemment sans dire et c’est humain, que nos consciences professionnelles et personnelles, se satisfont aussi du travail en cours, qui sollicite beaucoup de nos énergies personnelles. Mais pendant que chacun de nous, intervenants du système,  s’occupe d’une situation, combien d’autres et nous le devinons, se cache dans l’insidieux difficilement repérable, de l’ombre et du silence ?

Combien de situations parfois innommables, lorsque nous découvrons, toujours avec beaucoup trop de retard, les plaies, les bosses, les bleus. Est-ce que les files actives et les listes d’attente qui ne cessent de s’étirer, sont un signe d’une dégradation continue de la situation, faite aux enfants dans notre société ? Y’a-t-il des défauts dans le bouclier que nous voulons, de la protection des enfants ?

 

                                                                                            

Héno.J - (ISP) - Le 26/06/2009





nous contacter:serpsy@serpsy.org