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L'amande.

J'ai envie de vous parler d'elle. Fragile brindille. Etre décharné, désincarné, qu'un seul souffle peut faire vaciller.

Ses os à fleur de peau, fine pellicule de chair affleurant en surface. Presque translucide, diaphane. Ses cheveux blonds relevés en une queue de cheval, un pyjama et un grand gilet noir comme seuls habits. Maigre protection. Souvent elle frissonne, elle grelotte de froid.

Au début, comme un organe greffé, une tubulure s'échappait de son nez. Moyen pour elle de se nourrir. Car la nourriture elle la rejette, son corps lutte perpétuellement contre. Bien malgré elle, elle est prisonnière de sa maladie. S'échapper, trouver une porte de sortie elle a essayé. De manière violente. En voulant attenter à ses jours. Frôler la mort, dans la confusion, dans un moment de désespoir. Contre une maladie qui vous dévore toute crue. Vous mange petit à petit. Vous délestant de votre poids, de vos cheveux, de votre féminité.

Elle a découvert l'atelier un matin de septembre. Des rayons de soleil réchauffaient son visage par instant. Les arbres projetaient leurs ombres sur les murs, mis en branle par le vent, doux frémissement. Elle a soigneusement choisi son matériel. Sa feuille posée devant elle sur la table. Une palette offrait des pastilles de couleur. Un arc-en-ciel de couleur, véritable farandole. Devant mes yeux, les couleurs se sont mises à esquisser des pas de danse. Légers, précis, minutieux. Des traits d'abord. Composition cubiste, angles droits à tout endroit.

Puis elle a rempli les surfaces de couleur. Des couleurs chaudes. Peu à peu un visage est apparu. Elle aime le cubisme, l'Afrique, Picasso…Puis des points ont été ajoutés, des courbes, une casquette posée sur le visage. Un portrait. Elle était toute entière plongée dans sa peinture.

L'heure filait, " trop vite " me dit-elle. Elle, elle aurait voulu continuer encore et encore, y plonger corps et âme. Pour s'échapper, se diluer dans la peinture. Ne faire plus qu'un avec la peinture. Jusqu'à disparaître. Ne plus être. Ne plus respirer. Ne plus se sustenter. Se nourrir uniquement de couleur. Au travers de son regard seulement. Afin de ne pas prendre un gramme. Légère comme une feuille de papier Canson. Longiligne et oblongue comme l'amande. Petit grain perdu dans une feuille.




Delphine Ohl. 






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