Adolescence
et adoption
L’adolescence dans nos sociétés contemporaines est pour beaucoup, une période difficile de la vie. C’est le moment de réaménagements concomitants des sphères physique, psychique et relationnelle qui sont régulièrement source d’anxiété. L’adolescent va plus ou moins bien passé cette période, en fonction du climat familial initial et des divers éléments de son histoire personnelle.
Cette période de la vie fait toujours ressurgir en filigrane de la conscience de l’adolescent, des images d’un passé plus lointain, qui a trait à la petite enfance. La qualité des relations des premières années de la vie d’un individu, sont un des éléments prépondérants, de l’équilibre psychique du jeune, en train de devenir adulte. C’est toujours au regard de ce passé, que l’adolescent va se construire une identité assurée.
La phase de
renégociation avec soi même, pas toujours aisée pour un jeune à
la lignée directe, est souvent une spécificité plus compliquée
pour les enfants adoptés.
Généralités
Il y a encore quelques décennies, de manière sans doute plus accentuée dans les campagnes que dans les villes, les couples qui ne pouvaient avoir d’enfant, étaient montrés du doigt, de manière plus ou moins risible.
Des pensées qui persistent peut-être de ci de là dans les esprits, prétendaient à une punition divine, inscrite dans le fait, qu’au moins l’une des personnes du dit couple, avait commis une faute que la rumeur ne savait identifiée, mais qui était forcément grave et inavouable. L’évolution des recherches médicales a depuis, à priori, tordu le coup à ce type de superstitions et est plus à même d’aider les personnes ayant des difficultés à avoir des enfants.
Paradoxalement, le nombre de cas de stérilité dans le monde d’aujourd’hui, au moins dans nos sociétés dites modernes, est exponentiel. Des experts s’expriment d’ailleurs de temps à autres, pour dire leur inquiétude quant aux capacités de procréation, soumis aux influences nocives de l’utilisation à outrance de produits chimiques et possiblement de la démocratisation de la contraception.
Un des effets
secondaires à ces difficultés nouvelles, est le développement
important du recours à l’adoption, souvent adressée en direction
des pays étrangers pauvres, qui n’est pas sans poser des questions
de conscience. L’exemple récent d’Haïti, répercuté par les médias,
laisse parfois perplexe et c’est à se demander s’il ne serait pas
plus humain, d’aider ces enfants à vivre décemment leur vie, auprès
de leurs familles originelles respectives. Des gens ont d’ailleurs
à ce sujet, recours au parrainage. Ne faut-il pas oser se demander
à haute voix, si la frustration de ne pouvoir avoir d’enfant de nos
jours, est supportable dans nos sociétés. La réponse n’est pas
aisée tant il est légitime, poussé par l’instinct de vie, de souhaiter
une descendance. Pourtant, s’approprier l’identité d’un être
humain est éminemment, un acte grave : « tu es à présent mon
fils ou ma fille … tu portes mon nom … je te choisis un autre prénom
… tu es mien … mon fils … ma
fille ». La différence entre, être une simple famille d’accueil
avec ce que cela a de temporaire et le fait d’adopter est d’un impact
certain dans l’esprit des enfants. On peut raisonnablement se demander,
quelle signification, a le recours systématique au changement de prénom,
pour la plupart de ces enfants, au moment de leur adoption. On peut
se demander si cet élément n’instille pas une rupture déchirante
dans l’esprit de l’enfant, comme s’il s’agissait inconsciemment,
de rompre de manière opératoire avec sa précédente identité. Il
y a, en contre partie, que l’inconscient ne fonctionne pas de cette
manière et défie même souvent la logique.
Il paraît utopique de songer, qu’un enfant déraciné, pourrait au moment de l’accès à la maturité, choisir d’être adopté par des parents qui se sont quotidiennement occupés de lui. Il se pourrait que cette utopie, soit une forme de respect du cheminement et surtout de l’identité de l’enfant, mais c’est un sujet particulièrement complexe.
Personne ne met en doute les parfaites bonnes intentions des parents adoptants, sensibilisés à la misère et aux violences que subissent des êtres sans défense, de par le monde. Tout un chacun comprend la nécessité parfois viscérale d’avoir une progéniture. Nous savons tous combien est long et ardu le processus d’adoption, qui nécessite souvent une détermination à toute épreuve. Nous savons que nombre d’adoptions, se passent merveilleusement bien.
Nous constatons cependant une recrudescence des consultations pédopsychiatriques auprès des enfants adoptés et des parents adoptants, plus particulièrement à l’adolescence. Il est assez logique, que plus il y a d’enfants adoptés et plus les demandes de soins sont nombreuses et ce d’autant globalement, que les demandes d’aide psychologique sont grandissantes dans l’ensemble de la population.
Nous retrouvons
toujours chez l’adolescent, qu’il soit adopté ou non, les mêmes
thèmes de récrimination, des motifs de souffrance similaires. Il y
a cependant, que les difficultés de l’enfant adopté présentent
souvent des particularités, propres à son statut, qui varient d’une
situation à l’autre. Ces variables sont souvent fonction de l’âge
de l’enfant au moment de son adoption, des événements liés à son
vécu antérieur et de l’adaptabilité psychique des adoptants.
Crise d’identité
Le processus qui mène, au moment de l’adolescence, a une identité d’adulte définitive et mieux assurée, est chaotique pour bon nombre d’individus. Ce processus est souvent, encore plus complexe pour les enfants adoptés.
On peut en effet considérer que l’individu adopté a deux identités en une, qu’il faut parvenir pour vivre en harmonie, à faire cohabiter. Les pulsions qui émanent d’un ailleurs incompréhensible et difficile à contenir au moment de l’adolescence, sont d’autant plus vivaces, si les parents adoptifs nient les moments vécus avant la rencontre. Les conflits sont d’autant plus âpres, s’il n’y a pas de la part de ces parents, une acceptation de l’identité autre, de leur enfant.
L’identité de l’enfant adopté se construit bien évidemment, au travers des relations au quotidien avec ses adoptants, mais pas seulement. Cet enfant a aussi hérité de ses parents originels et de ses premières relations de bébé avec sa maman. Cet état de fait, n’est malheureusement pas toujours accepté aisément.
Les relations qui sont souvent et à minima tendues entre des parents et leur adolescent, sont encore plus compliquées pour l’enfant adopté, car se greffe souvent à ce passage difficile, la peur d’être à nouveau abandonné : « … si je remets en cause mes parents, comme les autres jeunes le font … ne vont-ils pas me laisser tomber ? ».
En tant qu’adulte et tandis que les enfants sont encore petits, la parole parentale est souvent divine. Les études aidant et le moment de l’adolescence venu, la parole parentale perd de sa valeur et le jeune homme fait face à ses parents, sur un quasi pied d’égalité. Ce moment est souvent un choc pour les parents qui malgré leur bonne volonté, n’ont pas vu le phénomène arrivé : les adultes sont toujours et à ce sujet, pris de court. Des parents parviennent mieux que d’autres, à intégrer la nouvelle réalité qui émerge.
Les parents adoptants sont confrontés au même phénomène, somme toute naturel et certains d’entre eux, comme des anges déchus, tombent totalement des nues, ce qui amène parfois jusqu’à la nécessité de soins psychiques. Le fantasme selon lequel, les parents adoptants ont sauvé l’enfant de la misère et ont tout fait pour lui, n’est malheureusement pas qu’un mythe. Force est de constater au contraire, qu’il circule trop souvent dans les têtes. Ce fantasme fait, que les parents adoptants ne comprennent pas toujours le besoin d’une révolte, parfois virulente de leur enfant. Comme pour les autres adolescents, l’enfant adopté tente pourtant de dire à ses parents, qu’ils ne sont pas tout pour lui et que même, horreur, malheur, ceux-ci ne sont pas parfaits et que leurs erreurs ont été légions.
Habité d’un conflit intérieur intense, l’adolescent adopté est pris entre deux feux : celui de vouloir agrandir son espace personnel, notamment fait de plus de liberté, celui de la crainte d’une nouvelle rupture, à cause de ses exigences nouvelles.
L’angoisse d’abandon
L’angoisse
d’abandon est malheureusement souvent récurrente chez l’enfant
adopté. Des milliers de questions se posent pour cet enfant, quant
aux raisons qui ont poussé ses parents originels à le mettre dans
cette situation. Le fantasme d’avoir été enlevé par les parents
adoptifs, s’exprime parfois par le biais de reproches, dans des mots
qui au quotidien, volent comme des boumerangs, dans une volonté qu’ils
heurtent le visage des parents. Les relations au moment de l’adolescence
ne sont assurément pas de tout repos pour les parents et c’est tout
le monde alors, qui est en souffrance : c’est un passage qui n’est
pas sage.
Les mots disent la représentation des choses de la vie et on parle d’abandon de la part des parents originels, pour que l’enfant soit ensuite adopté. Une démarche d’abandon officielle, est d’ailleurs nécessaire dans de nombreux pays, pour rendre l’adoption possible. On peut se demander si ce terme est bien adapté à la situation, dans la mesure où l’enfant est confié à de bonnes mains. On peut se demander si le terme d’abandon, bien qu’officiel, correspond à la juste réalité et si la représentation induite de la situation, n’est pas un traumatisme supplémentaire. « On peut dire que moralement parlant, ça ne se fait pas d’abandonner un enfant et c’est même vu d’un très mauvais œil ». Le poids de la culpabilité se doit de peser sur ces parents là et par déduction aussi, dans la l’esprit de l’enfant. « Il avait de mauvais parents où lui-même était tellement mauvais, qu’ils n’ont pu le garder ». Il y a bien sûr en tout cela, le fil rationnel de l’histoire mais il n’empêche pas, les remous intérieurs d’un questionnement sans fin, parfois difficile à contenir.
Il existe dans certaines villes de Bolivie, des parcs où les parents déposent leur enfant. Au-delà de l’aspect choquant que cette situation peut représenter, on peut se demander si ces parents là, vivent leur acte comme un abandon ou bien s’ils considèrent, le confier. Ils ne l’abandonnent pas au fin fond d’une forêt où l’enfant est assuré de mourir. Ils le déposent en un lieu où ils sont certains, que leur bébé sera pris en charge par quelqu’un. Il est difficile de mesurer le déchirement de ces familles. C’est rarement sous cet angle aussi, qui ouvre pourtant à une autre dimension, qu’est abordé ce sujet avec les enfants adoptés.
L’acte violent de confier à la sauvette parfois officialisé en tant qu’acte d’abandon, ne devrait-il pas être transformé en acte de créance, de part l’espérance dans la crédibilité des adoptants. On peut imaginer que ce faisant, un pont, un lien d’une autre qualité serait susceptible de se tisser, entre les différents pans de vie de l’enfant en éternelle transhumance.
Au-delà
des situations individuelles, il faut bien avouer cependant que le sujet
est complexe et qu’on le veuille ou non, douloureux pour l’ensemble
de notre société. Les adoptions, comme un symptôme qui parle, viennent
nous dire combien, encore plus fort aujourd’hui dans un monde dirigé
par les économistes et après les colonisations, des peuples sont laissés
pour compte. Cela vient dire que chacun de nous, même si nous ne sommes
pas adoptants, est personnellement impliqué dans le sort plus
spécifiquement
réservé aux enfants, de part le monde.
Maria
Née en Roumanie, Maria qui s’appelait auparavant Rébéca, est adoptée à l’âge de sept ans, après avoir vécu un temps en orphelinat. Tout un chacun sait le climat politique qui a régné en ce pays et parfois l’état de sidération provoqué en nous, à la vue de ce qui s’y passait.
Cette jeune fille fait une grave tentative de suicide au moment de l’adolescence, semble t’il dans une réelle volonté de mourir, sur fond de conflit majeur avec ses parents adoptifs et se brisent les jambes. Les mois qui suivent sont occupés par une reconstruction tant physique que psychologique. Les relations dans sa nouvelle famille, ont été marquées dès le départ, par de la violence de la part de la jeune fille, qui est allée s’accentuant dangereusement. Maria a elle-même et auparavant, subi de multiples violences de la part de plusieurs adultes, dans son parcours. Pleins de bonne volonté, d’humanisme et d’affection, les adoptants ont imaginé que leurs ressources personnelles, tant matérielles que psychiques, allaient faire des miracles et sans doute même, effacer ce passé. Ils lui ont interdit et se sont interdits d’évoquer avec elle, son vécu antérieur, espérant ainsi, peut-être magiquement et sans en avoir l’air, soigner les plaies. Ce faisant et sans le savoir, ils ont en cela, encore plus marquer les empreintes saignantes du passé, qui n’ont plus pu s’exprimer que de manière pulsionnelle. Il est difficile de dire si cette maman adoptive a par ailleurs, pu réellement faire le deuil, de n’avoir pu en leur couple, donner naissance. Toujours est-il que dès le début, celle-ci veut façonner l’enfant adopté à son image : coiffure, habillement, manière d’être … dans une possible volonté de montrer et de nier l’évidence de l’indirecte descendance, de laisser supposer peut-être, la fertilité du couple.
Ce qui a été difficilement supportable dans la phase de latence pour Maria, devient impensable à l’adolescence venue. Elle rêve les nuits, jusqu’à s’éveiller brusquement, de scènes de son passé plus ancien, trop longtemps et tant bien que mal, contenues, jusqu’à hurler dans le noir : « maman ». Des images d’incendie, de tabassage en règle, de fuite en avant, prennent le devant de la scène sur l’écran intérieur de ses rêves, dont elle parvient heureusement, à parler. Assise en fauteuil roulant au cours de plusieurs mois, elle se met en marche dans sa tête. Elle dit la prison sans barreaux de sa famille adoptive, dans laquelle peut-être, le paraître avait pris le pas sur l’être. Elle dit sa différence qui n’est pas qu’apparence et réclame enfin d’exister tel qu’elle l’entend, mais ce n’est pas si simple. Elle veut choisir son apparat pour marquer symboliquement le passage, vers une nouvelle ère de son existence. Mais en petite fille affectivement dépendante et prise dans une angoisse d’abandon qui l’envahit, marquer sa différence et réclamer un peu d’indépendance, est dangereux. Elle ne peut systématiquement s’empêcher de demander l’autorisation de marquer sa différence, ce qui génère encore et encore, de nouveaux conflits. Le combat de l’adolescente contre elle-même et à l’encontre de sa mère adoptive, dans une volonté logique de séparation et d’individuation, se joue à couteaux tirés, bien plus, que lors d’une adolescence plus classique.
Les parents qui n’ont de cesse de dire qu’ils ont tout fait pour elle, ne parviennent pas à admettre la rébellion de leur enfant. Bien qu’étant assurément aimants et la meilleure volonté du monde chevillée à l’âme, ils ne parviennent pas à intégrer en leurs émotions, le cheminement de Maria. Ils admettent intellectuellement la nécessité pour Maria de se différencier pour exister, mais demeurent sourds, au sens des actes posés par leur enfant, en passe de devenir adulte. L’adaptation à cette nouvelle situation est pour eux inimaginable et la maman refuse obstinément de se projeter dans un avenir, pourtant à sa porte. Le temps semble s’être arrêté au jour de l’adoption et le tic tac du temps est inaudible. En toute humilité, les parents admettent volontiers, comme le commun des mortels, l’impossible à être parfaits mais en pratique et pris par leurs émotions, sont dans l’incapacité de réfléchir pour mettre du sens sur les actes posés par leur fille, tout autant qu’à s’interroger sur le sens à donner à leurs propres comportements. Ils s’accrochent désespérément comme à une bouée à la logique des choses, des événements et à leur bonne volonté, qui ne fait aucun doute. L’autre dimension qui consiste à s’interroger et à donner du sens, risque visiblement de percer la bouée qui préserve du naufrage. Qu’est-il arrivé à cette maman, dans sa plus tendre enfance ? Est-ce une infamie de n’avoir pu faire pousser une nouvelle branche, sur l’arbre familial ?
J.Héno (ISP)
Le 28/02/2010