Editorial
Bonjour !
Un petit
mot tout simple qui constitue parfois une véritable révolution.
Bonjour !
Comment
allez-vous ?
Nous, nous
sommes un petit peu émus, une nouvelle aventure commence.
Nous avons
un peu le trac.
Quelques
mots pour décrire cette chose étrange que vous avez entre les mains. Ca
ressemble à un journal mais ce n’est pas un journal, en tout cas pas encore. Ca
ressemble à un journal, ça en a l’odeur (sentez cette bonne odeur d’encre), ça
en a l’aspect, ça en a le toucher (passez la main sur le papier), ça en a le
goût (non, non ne le léchez pas) mais ce n’est pas un journal. Un journal
Canada dry en quelque sorte. Un clin d’œil à Matisse et à son fameux
tableau : « Ceci n’est pas une pipe. »
Ca n’est
pas un journal mais ça en deviendra un.
Comment ?
C’est
l’objet de ces chroniques.
La
chronique de ce qui deviendra un journal si les petits cochons ne nous mangent
pas.
Les
chroniques sont des annales.
Une
chronique est un recueil de faits historiques, rapportés dans l’ordre
de leur succession. Ainsi raconterons-nous la gestation du journal à venir. A
défaut d’être de l’histoire majuscule, c’est une histoire minuscule, la nôtre
et ça justifie notre démarche.
Une
chronique est l’histoire d’une famille ancienne et noble, telle les
chroniques de Louis XI, de Charles VIII. Nous raconterons l’histoire, une
partie de l’histoire en tout cas, de cette étrange famille qui fait vivre
Laragne depuis 1959, famille que l’on pourrait appeler organisation ou
institution selon le point de vue adopté, nous raconterons donc l’histoire de
Laragne telle qu’elle se perçoit, telle qu’elle s’exprime dans l’unité où nous
avons posé notre camp de base : le Savoie.
Une
chronique est un récit qui met en scène des personnages réels ou
fictifs et évoque des faits sociaux, historiques authentiques. Ainsi
ferons-nous en considérant les soins, leur organisation, les rencontres
soignants-soignés, tout ce qui se passe dans la vie d’une unité, le Savoie, en
l’occurrence comme un fait social. L’élaboration du journal étant elle-même un
fait social. Ici ou là, nous rencontrerons des personnages fictifs inventés,
délirés pour la bonne cause.
Une chronique enfin, et
ça nous ramène à la forme que nous avons choisi, c’est un article de journal ou
de revue, une émission de radio, de télévision, consacrés à certaines nouvelles
et à leurs commentaires.
Nous n’évoquons là que le féminin
du mot « chronique ».
Le mot
« chronique » a aussi un masculin et il prend, alors, un tout
autre sens. Avant d’être un nom c’est un adjectif qui décrit en médecine les
maladies qui durent longtemps et se développent lentement. On dit par
association d’idées, par métaphore que le chômage est chronique. En
psychiatrie, le mot chronique a un aspect péjoratif. L’adjectif est devenu un
nom qui décrit les plus déshérités, les plus malheureux, les abandonnés d‘une
psychiatrie qui ne jure que par l’entrée et la crise. Nous voulons réhabiliter
ce joli mot de « chronique ». Il est toujours plus facile de
réhabiliter les mots. Les gens, c’est autre chose. La bonne volonté ne suffit
pas. Un chronique, c’est un malade qui n’évolue plus. Un malade que l’on n’a
pas envie de voir dans son unité. Le chronique d’une certaine façon fait partie
des meubles, on ne le voit plus, on ne le salue plus. Il n’existe plus
socialement que dans son rôle de malade. On ne lui demande plus rien que de
continuer à faire le fou.
Nous
considérons les dits chroniques comme des magiciens qui ont réussi à abolir le
temps. Ils détiennent un secret qu’il nous faut découvrir. Comment abolir le
temps ? Comment faire que chaque jour ressemble à chaque jour ?
Comment vider le quotidien de toute surprise ?
Un
quotidien constamment identique, sans surprise, c’est un quotidien que l’on
peut gérer. On peut même en faire un protocole. En phase avec notre époque,
nous allons essayer de trouver ce secret afin de mettre le quotidien en fiches,
en conduites à tenir.
Le langage
nous contamine. Le mot chronique qui décrit le malade qui n’évolue plus, décrit
aussi par contamination, par association d’idées le soignant qui n’évolue plus,
qui n’avance plus, qui est en quelque sorte en pré-retraite. Il va de soi que
ces soignants connaissent aux aussi le secret de l’abolition du temps. Ils
sont, comme leurs homologues patients, eux aussi, de grands sages. Leur longue
méditation, leur observation du malade chronique en ont fait les réceptacles de
ce fameux secret. Nous ne savons pas à l’heure actuelle s’il en existe à
Laragne. S’il nous arrivait d’en rencontrer, nous ne manquerions pas de les
interroger à propos de ce grand secret.
Chroniques
du lundi. C’est le titre provisoire de ce qui deviendra peut-être un
journal. Ca raconte un peu tout ça.
Et
maintenant, place aux récits.
Comment ça commence ?
On ne sait pas réellement comment ça a commencé.
Plus précisément on ne sait pas quand ça a commencé. Des journaux dans
l’institution, il y en a déjà eu : La farfentelle, L’échappatoire,
Le passe-muraille, Le lundi soir au Lombard, et nous en oublions.
Ces journaux ont connu des fortunes et des destins divers. Pourquoi un journal
au Savoie, d’abord, puis vers le reste de l’institution ensuite ?
On pourrait parler des gens à l’origine du projet.
On dirait Laurence, Hélène, Dominique dont deux, au moins, ont déjà contribué à
la déforestation avec leur intérêt pour la chose imprimée. On dirait Nathalie,
Edith, Sylvain, les soignants du Savoie qui les accompagnent. Mais pourquoi ne
pas dire Jean-François, qui garde précieusement, religieusement écrirais-je
même un exemplaire des fables de
Un journal donc.
Le pourquoi, ça sera pour plus tard.
A moins que ces chroniques ne soient par elles-mêmes
une réponse.
Un journal, le lundi soir au Savoie.
Pas réellement un journal mais un Comité de rédaction.
Mais si l’on fait un Comité de rédaction c’est pas
pour faire les plannings ou préparer l’accréditation. Même si pour
l’accréditation, c’est un plus, un journal. Un Comité de rédaction, ça renvoie
bien quand même à un journal. D’ailleurs Didier ne s’y est pas trompé en
écrivant le premier texte du journal à venir.
Patience, vous lirez ce texte.
Chaque chose doit venir en son temps.
Donc le Savoie. Une pièce. Lumineuse quand nous y
sommes. Sombre le reste du temps. C’est la salle du Comité. C’est la salle du
Comité même si une télévision y trône, même si des jeux s’éparpillent autour de
la télé, même si des objets en pâte à sel y sèchent, même si tous les cœurs de
pierre y reposent. On est comme ça nous, dès qu’on arrive quelque part, on
annexe.
L’heure maintenant.
C’est facile, c’est de 17 heures à 19 heures. Tous
les lundis on se fait un petit cinq à sept au Savoie.
On commence donc par ouvrir les volets. La lumière
entre. La lumière fuse. La lumière infuse. Avant, il y a les ténèbres (C’est
une figure de style. Il fait quand même pas si sombre que ça. Quoique.). Et
puis, d’un seul coup la lumière pleut. On assemble les chaises en ovale ou en
rond selon notre forme. Et on commence par la lecture des notes de la séance
précédente.
Il faudrait parler du panneau d’affichage permanent,
mais nous ne le ferons pas. Il est un peu trop madonnien à mon goût.
Voilà, pour nos repères.
Après.
Après tout est possible.
Tout peut arriver.
Nous ne savons jamais en commençant quel chemin nous
allons prendre.
Et pourtant nous avions commencé sagement.
C’était le 11 avril 2005.
On s’en souvient comme si c’était hier. D’ailleurs
c’était hier.
On a commencé par poser les rubriques du futur
journal.
Rubrique film : avec Jean
qui nous a parlé de l’Ours.
Rubrique recommandations :
avec Didier.
Rubrique sport : avec le
foot : Saïd, Jean et Abderkader.
le tiercé.
Rubrique des mots : avec
Jean-Claude.
Rubrique musique : avec
Huguette et Madonna.
Rubrique horoscope.
Rubrique petites annonces.
Rubrique jardinage.
Rubrique potins.
Rubrique médicaments/santé :
le top 50 des médicaments. A quoi ça sert ? Qu’est-ce qu’il y a
dedans ?
Rubrique recette de cuisine.
Rubrique météo.
Rubrique coup de gueule :
tout ce qui ne va pas.
Un
article sur
Un
thème possible : les malheureux.
On
peut signer son article avec un pseudonyme.
Nous
pouvons envisager de voir une réunion du comité de rédaction d’un
« vrai » journal.
Didier
nous a proposé son premier texte que voici :
Vendredi
(Ruitor)
Recommandations : 2 bains dans la semaine.
OK
2 hippon en fin d’après-midi.
Infirmière.
Débouché tous les éviers.
16 hippons.
Vendredi
(Ruitor)
Changer toutes les chaises.
Tout le monde.
Tables neuves.
Placards neufs.
Laisser moi fumer dans ma chambre.
Merci.
Vendredi
(Ruitor)
Plein bar.
Tapisseries neuves dans toutes les chambres.
Vacances.
Bien sûr infirmières.
Réparations de toutes les douches neuves.
29 mai 2005 je joue aux boules triplettes.
Je suis le trésorier de HCHA.
Vendredi
(Ruitor)
Brancher l’eau.
Aux espaces verts
Planter 3 épinards dans la serre + 2.
Signé Didier »
Didier
Ouverture/fermeture
C’était
la deuxième séance. Nous étions le 18 avril.
Le coup de gueule de
Jean-François.
Imaginez-vous qu’il y a
des soignants inconscients qui laissent la pharmacie ouverte sans personne.
N’importe qui pourrait rentrer et se servir. Ah ça, Jean-François ne laisse
rien passer. C’est un des garants de l’ordre et du cadre. A sa façon. N’empêche
qu’il faut résister à la tentation et que ça n’est pas simple. C’est compliqué
les portes ouvertes. Quand les portes sont fermées. Il n’est pas besoin de se
poser de questions. La porte est fermée, point. Pas de tentation. Pas de
question. La porte est fermée. L’ordre règne. Mais si la porte est ouverte … On
a le choix. Et là, ça se gâte. Ce n’est pas exactement ce que Jean-François a
dit, c’est ce que nous avons compris. Mais des fois on comprend tout de
travers.
Le temps d’une
respiration d’un sujet moins polémique, le temps que Jean-François propose une
critique de la télévision et ça repart dans la polémique, dans les sujets
polémiques plutôt. Est-ce l’association de télé et de caméra, toujours est-il
qu’un débat s’esquisse autour de la fermeture de l’hôpital la nuit. On croit
souvent que les patients ne sont pas au courant de ce qui agite les soignants.
Détrompez-vous ! Que nenni, que nenni. Les oreilles sont tout aussi
ouvertes que la porte de la pharmacie. Les patients sont tellement au courant
qu’ils pourraient participer au débat. Ils pourraient s’exprimer, donner leur
avis. On pourrait créer un truc pour ça, une commission, une association, que
sais-je encore, et on appellerait ça la psychothérapie institutionnelle.
Cessons de nous gausser.
Jean ouvre les
hostilités. Il est contre. Entendez qu’il est pour que l’hôpital reste ouvert
la nuit. Si l’hôpital est fermé on ne peut plus sortir et c’est une atteinte à
la liberté. Jean-François lui est pour. Entendez qu’il est contre l’ouverture
de l’hôpital la nuit. Si l’hôpital est ouvert, n’importe qui peut entrer. Tout
est dit en deux phrases. Entrer ou sortir. Interdire l’entrée ou la sortie. On
ne peut faire l’un sans l’autre. Dans le même temps qu’on interdit l’entrée, on
interdit la sortie. Vous me direz que les patients n’ont pas à sortir la nuit.
Ouverture/fermeture. Fadela occupe une position plus mesurée : « La
barrière peut rassurer car on se sent en sécurité mais l’idée d’être enfermée
peut aussi angoisser. » Jolie reformulation de Fadela qui situe le
problème non pas du côté de la réalité mais du côté des idées qu’on se fait.
Sentiment de sécurité versus angoisse d’être enfermé. Huguette choisit d’être
rassurée. Il faut fermer car c’est rassurant.
Petit rappel
historique : avant il y avait une barrière à l’hôpital. Le Dr Karavokyros
l’a fait enlever car pour lui il était essentiel que l’on puisse circuler. Au
Savoie, on sait se souvenir des choses. On ne perd pas le lien avec l’histoire
de l’institution.
Répartition des rubriques :
Rubrique Horoscope : Laurence
Rubrique petite annonce : vrai petites
annonces, troc, courrier du cœur, … : Fadela
Rubrique jardinage : idée, astuce : Jean,
Jean-François
Rubrique météo : Hélène
Le journal sera
gratuit et distribué par les journalistes aux patients et aux soignants dans
les pavillons.
Pour le thème sur
les malheureux qui est donc adopté : Saïd, Fadela, Jean, Huguette,
Jean-François vont essayer de rédiger un texte.
On aurait pu
croire que nous allions finir tranquillement la séance. Un final tout en
souplesse. Pas du tout.
« Faites-moi rêver, nom de Dieu »
Jean-François : « Faites-moi rêver,
nom de Dieu »
Nous, on veut bien le faire rêver.
Mais encore Jean-François.
Les médicaments.
Le problème c’est les médicaments.
Jean : « Les
médicaments c’est mauvais pour la santé, par contre les vitamines c’est
bon. »
Bon, grâce à
Jean nous pouvons différencier les médicaments qui sont mauvais et les
vitamines qui sont bonnes pour la santé et qui ne sont pas des médicaments.
Fadela ne
partage pas du tout ce point de vue : « Il y des médicaments qui
nous permettent de moins souffrir et d’être moins angoissé ».
L’effet des
médicament apparaît alors plus positif.
Contestation
dans les rangs.
Vous avez oublié
les effets secondaires !
Les médicaments
peuvent faire grossir. Ils font trembler. Ils assèchent la bouche. Ils
transforment surtout la vie sexuelle. On n’arrive plus à bander. On n’a plus de
plaisir. Quelques un racontent des expériences désastreuses qu’ils attribuent à
l’effet des médicaments sur leur libido. C’est souvent pour ça qu’ils arrêtent
d’ailleurs de les prendre. Bien sûr de nouveaux médicaments sont apparus qui
ont moins d’effets secondaires. Mais il faudrait être au courant.
Nous convenons
de faire une rubrique d’information sur les traitements.
La discussion
est animée.
Il faut
qu’Anne-Laure lise le résumé de la séance, résumé que vous venez de lire pour
que chacun retrouve son calme.
Laurence conclut la
séance par cette phrase sentencieuse : « La parole a un effet de
sédation de l’angoisse. Elle doit être respectée de tous et elle est
respectable ».
Les
malheureux
Rien
que du beau monde ce lundi 25 avril pour notre troisième Comité de
rédaction : Jean-François,
Jean, Didier, Abderkader, Huguette, Saïd, José, Hélène, Dominique, Nathalie.
On
commence par lire le résumé de la séance précédente.
Jean-François confirme le
compte-rendu.
A propos de la
barrière, il rajoute que des gens peuvent disparaître, qu’il a même vu des
arbres être déracinés. Il se souvient d’une femme qui a disparu, quasiment du
jour au lendemain. Derrière l’inquiétude de Jean-François ce constat tout bête.
Des personnes sont hospitalisées plus ou moins longtemps. Elles font un
parcours plus ou moins dense. Leurs collègues d’unité s’habituent à leur
présence, s’attachent parfois. Ces personnes font partie de leur paysage. Elles
ont des liens avec elles. Et puis, un jour elles disparaissent. Entendez
qu’elles sortent … définitivement. Lorsque cette sortie survient après
plusieurs années d’hospitalisation, c’est comme une disparition. Il y a un trou
dans l’institution. Des mots, des explications pourraient combler en partie ce
trou. Mais ces mots, nous autres soignants avons parfois du mal à les dire.
Nous sommes pris dans le quotidien qui va si vite. Nous ne nous posons pas. Et Jean-François
s’inquiète. Toutes les sorties ne sont pas programmées. Des gens meurent à
l’hôpital. Lorsque les soignants n’en parlent pas, c’est comme une disparition.
C’est même d’autant plus suspect que les soignants n’en parlent pas.
On reprend le passage sur
la sédation de l’angoisse. A la fin de la discussion, quand chacun a pu
entendre ce qu’il avait dit, quand ce qu’il avait dit a été gardé en mémoire,
chacun et le groupe se sont sentis apaisés.
Il est important que nous
puissions prendre des notes, que ce qui se dit puisse être gardé en mémoire.
Nécessité d’une fonction secrétaire.
Jean François veut offrir
un cochon mais pas pour mettre sur le bureau de la surveillante, un cochon
tirelire, on y mettrait des sous pour les malheureux.
On poursuit par la
lecture de quelques citations sur les malheureux.
Parmi d’autres retenons
celle d’Eschyle : « Il est aisé à qui n’a pas le pied en pleine
misère de conseiller, de tancer le malheureux » de
Chacun y réagit.
Ainsi, Jean-François nous
rappelle-t-il que le Canada est grand comme 16 fois
Jean-François retrace
quelques épisodes de la vie de l’institution.
Au début, on avait 40
francs de pécule par mois. On avait tous une pèlerine marron. On piquait, on
piquait. Nous, on n’était que piqué on pouvait pas piquer. Un s’était pendu. On
a dû vider tout le bassin pour le retrouver.
Echanges entre Dider et
Jean-François autour de
La nationalité allemande
du pape suscite quelques remarques aigres-douces.
Didier parle de sa
grand-mère, sourde et muette qu’il est seul à comprendre. Jean-François,
toujours sur l’idée de ceux qui ne comprennent pas, évoque un des présents qui
n’arrive pas à lire le français.
La difficulté à
communiquer rend malheureux.
Parmi les autres
difficultés qui rendent malheureux : le ronflement. Jean-François a lu
qu’il suffit de couper la languette par anesthésie et qu’ensuite, il n’y a plus
de problème. Didier est dubitatif. Echanges de conseils à propos du ronflement.
Huguette demande à
plusieurs reprises l’affichage d’un poster de Madonna.
Saïd, Didier et Huguette
s’engagent à aider Hélène à s’occuper de l’espace affichage.
Les premiers textes sont
rédigés à partir d’un questionnaire proposé par Dominique.
Les voici :
Un malheureux pour Didier, c’est quelqu’un qui est triste, qui
n’a pas son ¼ de Lexomilâ à la bonne heure. « Les fumeurs aussi sont malheureux.
Il ne faut pas empêcher un malade de fumer, ça le rend triste, très, très,
très, triste de ne pas fumer dans sa chambre. C’est grave ça, c’est urgent.
Le monsieur de tout à l’heure est malheureux. Il m’a dit qu’il
avait peur de la prison. Il va pas en prison. S’il est malheureux, il reste
ici. On est tous malades, on est tous handicapés.
Le malheur, c’est parce qu’il n’y a plus de Croix Rouge. C’est
à cause des mégots. Il faudrait une entreprise qui ramasse les mégots et
permettre aux malades de fumer dans leur chambre. »
Pour Saïd, un malheureux c’est quelqu’un qui n’a pas le pouvoir
de faire ce qu’il veut. « Il restera toujours malheureux parce qu’il
est triste. Il n’y a rien qui tombe dans ses poches pour manger, pour faire ses
courses. Il est obligé d’aller au Secours Catholique. »
Saïd connaît des malheureux. « Ils n’ont pas la
possibilité d’être comme les autres. Le malheur, ça veut dire qu’il n’a pas
pour dormir, pas d’hébergement. Il est obligé de faire le mendiant. Il faut
qu’il soit obligé d’être autonome, d’être bien dans sa peau, à cause de tous
les malheurs qu’il a eu.
On peut aider les malheureux. On peut les aider dans les CAT,
dans les ateliers protégés suivis par des moniteurs. »
Pour Huguette, un malheureux, c’est quelqu’un qui n’a pas de
quoi manger. Le mari d’Huguette est malheureux. « Sans moi il ne peut
pas vivre. Il n’a que moi. Il a eu un accident de travail sur le chantier. Il
s’est mis à boire et il m’a entraîné, alors il est malheureux.
Il faut habiller les malheureux, leur donner de l’argent. »
La
mort de Max
Drôle
d’ambiance, ce lundi 2 mai.
Quelque
chose de lourd.
A
couper au couteau.
L’ambiance
est pesante.
Ils
sont tous là.
Jean,
Saïd, Abderkader, Dominique, Coline (stagiaire ESI), Anne-Laure, Didier,
Jean-Claude, Jean-François, José, Paul.
Josiane écoute dans le
couloir.
On lit le résumé de la
séance précédente.
Jean-François précise
qu’au Moulin, il y a une tirelire pour les pauvres.
Jean propose qu’il y ait
la moitié pour les riches et la moitié pour les pauvres.
Dominique fait remarquer
que ce ne serait pas équitable vu qu’il y a beaucoup plus de pauvres que de
riches.
C’est poussif comme si
quelque chose turlupinait le groupe.
On évoque la mort de Max.
José fait remarquer qu’il
lui avait écrit toutes ses lettres, que ça faisait 40 ans qu’il était là. Il
était proche de la retraite.
Jean-François rappelle
qu’il avait des chevaux de cow-boys.
M. André dit que
maintenant, il est tout seul pour donner à manger aux daims et aux chevaux.
Peu de paroles mais une
émotion palpable.
Il est difficile parfois
de partager ses émotions, de dire sa peine. Ou le reste.
Il y a parfois de
l’indicible. Des choses qui ne se disent pas, même au Comité de rédaction.
On poursuit avec les
malheureux. Les malheureux dorment à la belle étoile.
Qui a déjà dormi à la
belle étoile ? demande Dominique.
C’est beau d’aller dormir
à la belle étoile.
Jean est allé en camping
en Espagne, quand il avait 14 ans.
Jean-François a
fait du camping avec son père aux Sables d’Olonne et à Quiberon. Il dormait
sous la tente et a fabriqué une cabane et y a dormi. Il devait faire un
pèlerinage à Lourdes.
Saïd, aussi, a dormi sous
une tente.
Jean-Claude a dormi à
Savines dans un camping pendant une colonie. Il y avait un lac, des bateaux.
Nous prions Jean-Claude de nous excuser de n’avoir pu écrire tout ce qu’il nous
expliquait, nous avons parfois eu du mal à entendre ce qu’il disait. Entendre
Jean-Claude parler clairement est un bonheur tellement rare que nous ne voulons
pas en manquer une miette.
Quand on fait du camping,
on mange avec un camping gaz, précise Jean-François. Il travaillait dans les
fermes pour qu’on l’héberge et le nourrisse. A St Alban, il y avait une forêt
magnifique.
De
L‘Europe est honnête,
ponctue Aberkader. L’Europe est partout. On a fait une monnaie européenne pour
être plus fort, explique Jean-François.
L’Europe est
intelligente, elle n’est pas bête, poursuit Aberkader. Si on n’avait pas fait
l’Europe, ce serait pas pareil.
On a commencé à créer
l’Europe, ici, dans cet hôpital, nous apprend Jean-François. On peut faire tout
ce qu’on veut. On a fait le monde entier.
Oui, en gros.
Comment on fait pour
avoir de l’argent ? poursuit Dominique qui garde en mémoire que le thème
du journal, c’est Les Malheureux.
On va à la banque, répond
le groupe. A la banque de l’hôpital ou en ville.
Mais sans papiers, ils ne
donnent pas d’argent.
Pour écrire, c’est un peu
pareil, continue Dominique, on va à la banque des mots. Elle est partout. Donc,
qu’y aurait-il dans la banque des mots à propos des malheureux ?
Un texte s’est improvisé,
texte que nous mettons à votre disposition.
C’est de l’art brut.
Malheureux !
Malheureux !
Clochard !
Je
fais plus caca
Abandonné
Quand
on voit
Le
noir qui arrive à huit heures le soir, pas de quoi être malheureux.
Trois
euros par jours !
Au
laser.
Malheureux !
Triste !
Clochard !
Ils
sont encore plus débiles que moi
La
grande lumière et le caca, y’a que ça !
Je
serai le plus heureux du monde sans la lumière et le caca
Je
connais même plus les heures du soir.
Malheureux !
Triste !
Clochard !
La
prison
J’arrive
plus à savoir la nuit
Tout
au noir.
Trois
euros
Tout
au mois
Il
s’occupe pas assez de lui
Une
personne qui vit s’occupe
Malheureux !
Triste !
Clochard !
J’veux
faire la terre comme travail
Tous
les métiers
33
kilos pour 1mètre 93.
Auschwitz
La
marche nuptiale
Malheureux !
Triste !
Clochard !
Il
a pas la possibilité
Il
arrive pas à être comme les autres
S’occuper
de mon chien
Il
est petite
Ne
plus vivre à genoux avec Gauthier.
Il
rigole.
Malheureux !
Triste !
Clochard !
Rentré
dans neuf hôpitaux psychiatriques pour rien.
Toutes
les conneries écrites dans mon dossier
Donner
un coup de poing dans l’appareil
Dossier.
Dossier
Dossier.
Malheureux !
Triste !
Clochard !
Donner
de l’argent
Simone
Veil fait tout pour les malheureux.
Pourrait-on
s’assurer contre le malheur ?
Sauf
si on cherche le malheur.
Malheureux !
Triste !
Jean-François
et Jean-Claude nous expliquent qu’ils se sont connus à Etampes.
Rubrique Télé :
« Il faut arrêter la pub de merde sur notre compte. Il faut être prudent.
Il faut rendre la télécommande. Les films policiers font peur à Jean-François.
Nous savons que nous
sommes intelligents !
Douze !Nous sommes douze présents ce
lundi 9 mai.
Qui
l’eût cru ?
Saïd, Jean-Claude, Marcel, Huguette, Paul, Laurence,
Dominique, Hélène, Anne-Laure, Coline, Jean-François, Abderkader.
Lecture et commentaires autour du compte-rendu de la
semaine passée.
Jean veut faire un dessin.
Huguette veut un portait de Madonna.
Jean-François se souvient de Serre Eyraud, où il
avait fait un séjour avec les soignants. Il se souvient des odeurs, du bois, du
ski.
Un soir, il neigeait fort. Le type passe avec le
chasse-neige et Poum il a poussé une voiture qui était mal garée dans le ravin.
Morale : ne jamais garer sa voiture au bord d’un précipice.
Saïd nous gendarme, nous nous dispersons.
Dominique suggère que le thème est peut-être trop
difficile.
Jean-Claude pense que tout le monde peut être malheureux. Ils sont punis, ils
ne peuvent pas sortir dans la rue. Ils ne sont pas mariés.
Marcel et Huguette interviennent : Le mariage
c’est une récompense.
Huguette regrette d’avoir perdu ses enfants, l’un
était grand comme une bouteille, l’autre comme une canette.
La joie du mariage reprend Marcel, c’est les
enfants.
Et le malheur d’Huguette c’est d’avoir perdu ses
enfants.
Serions-nous bizarres ?
Bizarre ? Comme c’est
étrange ! ! !
Et les gens disent qu’on est à l’hôpital des fous.
Mais nous, dit Jean, nous savons que nous sommes
intelligents.
Jean-François a une grande question : Pourquoi
ont-ils tué Kennedy ? Peut-être est-il encore en vie ? Ah non, réagit
Laurence, ils l’ont montré à la télé. Dans ce cas sourit Hélène.
Qui est le plus malheureux sur Terre ? Et
comment le mesurer ? Et comment mesurer le plus grand malheur qui est à
l’intérieur ? Il y a plein de tests et même un Comité
d’Accréditation !
Retour à la barrière.
Jean-François : ça évite aux gens de
l’extérieur de rentrer. Avec la barrière, Laurence n’aurait pas perdu ses clés.
Une personne qui vit s’occupe reprend Jean-François
qui est capable en même temps de parler de la barrière et de relire le
compte-rendu de la dernière séance, tout en réagissant à ce qui se dit au Comité
de Rédaction.
Si tu t’occupes tu vis. Jean-François interroge
chacun sur ses occupations au Savoie et en dehors du Savoie. Il avait lui-même
une occupation quand il faisait une psychanalyse. Qui est Freud ? C’est celui qui a trouvé
l’inconscient.
Dominique lit l’histoire de Mme Petite.
Mme Petite était triste car elle était seule. Elle
était si petite que personne ne la voyait.
L’histoire a plu à tout le monde. Jean-François
pense prendre un livre pour faire comme Dominique. Cette lecture lui a rappelé
ses propres lectures :
« J’ai lu
Mauriac, un livre sur le mariage, quand un homme apporte toujours des fleurs,
Lundi prochain : lecture des Fables de
Jean-François de mémoire nous récite une
fable :
« Deux compères qui se connaissaient depuis
longtemps
Le renard fait le mort sur la route
Quand il voit un charrette de fromages
Le charretier s’arrête et se dit ;
« Une peau de renard »
Alors, le renard se relève et lui prend son fromage. »
A partir de cet essai remarquable et remarqué de
Jean-François, nous reconstituons de mémoire Le corbeau et le renard.
Jean-François quitte le groupe et va chercher son
livre des Fables de
« Monseigneur, commence Jean-François.
Monseigneur,
S’il y a quelque chose d’ingénieux dans la
république des lettres, on peut dire que c’est la manière dont Esope a débité
sa morale.
… »
Devant ce succès, nous décidons de diviser les
Comités de Rédaction en deux temps : un temps de lecture et un temps
d’élaboration.
Jean apprécie beaucoup. Ca l’épate que Jean-François
sache lire.
Mercredi, à la réunion institutionnelle, la
possibilité de créer une bibliothèque sera évoquée.
Le
télécommande a été retrouvée.
Morale de l’histoire de Mme Petite :
Il faut
rencontrer des gens pour pouvoir prendre du plaisir dans sa vie !
En ce lundi 16 mai de l’an de
grâce 2005, nous préparions à la lecture des fables de
C’est avec de plus en plus de plaisir que nous nous retrouvons pour ce rendez-vous. Saïd, Jean-Claude, Dominique, Hélène, Anne-Laure, Jean-François, Abderkader, Didier, Fadela, Nicolas, Jean, José vont se plonger dans les trésors du fabuleux fabuliste.
Nous commençons évidemment par la lecture du
compte-rendu de la semaine passée.
Jean-Claude nous rappelle qu’il faut manger, qu’il
faut travailler, que pour s’habiller aussi il faut travailler. Pour travailler
il faut être aux abris.
Séance
Lecture de
« La cigale ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau. »
Dominique lit, mais Jean Claude de mémoire récite la
fable avec lui. Une vraie gourmandise de mots. Un plaisir. Comme une
ritournelle oubliée d’autrefois qui reviendrait le temps d’un lecture.
Elle n’est pas contente commente Didier. C’est pas
joli.
Jean-Claude est allé danser comme la cigale. Toutes
sortes de danses. Il était bien habillé.
« Il faut autant qu’on peut, oblige tout le
monde :
On a souvent besoin d’un plus petit que soi.
De cette vérité deux fables font foi,
Tant la chose en preuve abonde. »
Lecture de Le lion et le rat.
Didier commente en disant qu’il n’est pas petit
qu’il est grand.
Fadela qui arrive n’a pas entendu le début, elle
demande si on peut reprendre la fable. Elle apprécie et demande si elle peut
lire.
On poursuit avec
« Le long d’un clair ruisseau buvait une
colombe. »
On explique ce qu’est une métaphore, une image,
comme par exemple le lion roi des animaux.
L’éléphant c’est le roi des animaux, non ?
Non, c’est le lion le roi des animaux.
L’éléphant c’est quoi alors ?
La remarque est juste.
On lui prend ses défenses.
« Petit poisson deviendra grand,
Pourvu que Dieu lui prête vie ;
Mais le lâcher en attendant,
Je tiens pour moi que c’est folie :
Car de le rattraper, il n’est pas trop certain. »
Fadela lit Le petit poisson et le pêcheur.
Elle y prend manifestement beaucoup de plaisir,
autant que nous à l’écouter.
Elle poursuit avec L’homme et son image puis avec
l’homme qui court après la fortune et l’homme qui l’attend dans son lit.
Didier prend le livre et le passe à son voisin.
De voisin en voisin Hélène en hérite.
Elle lit Le loup et l’agneau puis
Des animaux passent au milieu de nous, des membres
du corps affamés circulent, la magie de
Les malheureux vont passer à la télé, nous apprend
Jean.
Dominique conclut avec La grenouille qui voulait
être aussi grosse que le bœuf, Le chêne et le roseau et La laitière et le pot
au lait. Jean-Claude accompagne ses pitreries.
Il n’y a pas que la culture dans la vie. Il y a
aussi le foot, et ça c’est important. Quelques uns du groupe sont allés à
Istres voir le match Istres/Toulouse. Saïd raconte le match de foot à Istres.
Jean-Claude précise. Jean explique que Istres a gagné grâce à lui : 1à 0
contre Toulouse. Le groupe, est ensuite allé manger des frites et du steak au
Quick. Il y avait beaucoup de monde mais ils n’ont pas eu peur de tout ce
monde. L’arbitre dérangeait un peu. Tous étaient d’accord là-dessus. Il ne
laissait rien passer. Il était correct, précise Abderkader, peut-être qu’il
n’était pas européen. Istres était en violet et Toulouse en gris et short noir.
Le groupe est resté jusqu’à 10/11 heures.
Celui qui a marqué avait les cheveux longs et il a
marqué avec le pied.
Anne-Laure commente : « Ah les mecs quand
ils parlent foot ! »
Elle annonce son départ.
Cette séance est son avant-dernière.
Nous
retrouvons donc Anne-laure pour sa dernière séance avec nous ce lundi 23 mai.
Laurence, Didier, Paul,
Edith, Jean, Dominique, Huguette, Saïd, Jean Claude, Abderkader, Josiane et
Sylvain sont présents.
Nous commençons par la
lecture rituelle du résumé de la séance précédente.
Le groupe choisit de
lire des poèmes du fil de l’eau.
Didier commence.
« On s’arrête quand je suis fatigué. » Il s’interrompt. Les
virgules font des nœuds. « Les malheureux sont fatigués. » Laurence
prend la relève. Didier part chercher de l’eau. Il revient les mains toutes
mouillées. Est-ce cette eau là qui nous intéresse ? Celle que Didier
convoque au Comité de rédaction ? Ou une autre eau ?
D’abord c’est l’eau
qu’on boit puis l’eau dans laquelle on se baigne, l’eau de la piscine à
Laragne.
« Il y a une
piscine à Laragne ? »
Voyons Laurence. Bien
sûr qu’il y a une piscine à Laragne. Il y a bien un hôpital psychiatrique,
pourquoi n’y aurait-il pas une piscine ?
« L’eau mouille,
poursuit Didier. L’eau mouille. Il faut que ça sèche tout seul. Et
puis, il y a l’eau des larmes. C’est cette eau qui m’a sauvé. Elle est salée. »
Didier se souvient
qu’il a fait une cure d’eau à Marseille, une cure thermale comme on dit.
« Les infirmiers étaient toujours malades. Je me suis baigné tout seul.
Je ne suis qu’un patient, c’est le médecin qui décide de l’hospitalisation. »
Comme souvent le groupe
passe à autre chose.
Jean enchaîne avec
l’eau du robinet, l’eau de la pluie, l’eau des rivières.
« Tu as soif,
lui demande Didier. »
On vogue le long de
L’eau de mer, le
Pacifique.
Saïd reprend la parole
et parle de son projet de louer une péniche pour le mois d’août. Une péniche
pour traverser le Canal du Midi. Il se souvient l’avoir déjà fait. Il s’est
arrêté à Carcassonne et dans quelques autres villes moins connues.
C’est une bonne idée
d’organiser une sortie mais il faut trouver comment la financer.
Jean Claude parle des
péniches à Venise, des gondoles.
Paul est allé pêcher
dans
Jean et Jean Claude se
souviennent avoir ramassé des moules, des coquillages, des araignées de mer.
Jean Claude ramasse, Didier, lui, préfère les manger.
Abderkader a vécu au
bord de la mer, en Algérie. Il se souvient surtout des sardines qu’on cuisinait
au barbecue. Elle valait 50 à 80 francs.
En Espagne surenchérit Jean, il y a aussi beaucoup de poissons.
Quelqu’un a-t-il déjà
pêché une sirène ?
Qu’est-ce qu’une
sirène ?
Jean Claude explique
que c’est un être humain avec une queue de poisson. C’est aussi un vrai poisson
avec une bouche en cul de poule. Ce soir nous nous coucherons moins bête. Sur
la route du temps, du côté de Digne, on peut voir sur un rocher au milieu de
l’eau, un fossile de sirène. C’était une sorte de singe qui vivait il y a très
longtemps dans la région. Ils aimaient par dessus tout se chauffer au soleil et
dormir sur les rochers.
Chacun a tellement à
dire que ça se bouscule, que parfois les noms d’oiseaux remplacent les noms de
poissons.
Les soignants
rappellent que nous sommes à l’hôpital et qu’il y a des gens qui ne vont pas
bien, qu’il faut les respecter. Saïd a du mal avec le respect de ceux qui vont
mal. C’est dur parfois de supporter. De supporter qui ? Les autres ? Non ce qui est difficile c’est
de ne pas fumer pendant une heure.
Si on ne tient pas,
rétorque un non-fumeur, c’est qu’on est esclave de la cigarette. « Pourquoi
on ne m’a pas dit qu’on pouvait être esclave de la cigarette ? »
interroge Didier.
Retour au poème.
Dominique lit Le
rêve a besoin de l’eau, un extrait d’un texte de Gaston Bachelard. Le poète
nous emmène dans son village, le long d’un ruisseau qui court parallèlement au
village qui s’est construit autour. Jean se souvient qu’il emmenait l’eau chez
lui avec un bourricot. Il se rappelle qu’il faisait des châteaux de sable sur
la plage. Chacun se plonge dans des souvenirs d’enfance, souvenirs d’eau. Jean
Claude se souvient des péniches et des
écluses. Il fallait attendre que l’eau monte et descende. Huguette n’a pas de
souvenirs autour de l’eau. Elle n’en a tellement pas qu’elle se sauve. Saïd
repart dans son projet de séjour péniche. Dès demain, il s’y met, il se
renseigne. Dominique a vu Jeanne d’Arc à
Carcassonne.
A mobylette.
En armure.
Elle allait chercher sa
baguette.
Anne-Laure, dans ses
notes, se demande s’il faut le croire, si le soleil ne tape pas trop fort.
A l’époque de Jeanne
D’Arc, il n’y avait pas de mobylette. C’est certain.
A Béziers, par contre
il y a une très belle église.
Celle de Laragne est
ouverte à 9 heures.
Jeanne D’Arc, c’était
parce qu’il y avait un film qui se tournait. Film qui est ensuite passé sur la
2. Dominique était arrivé au moment de la pause. La comédienne était montée sur
une mobylette pour aller se chercher de quoi grignoter.
La séance s’achève par
la lecture d’un Conte par Laurence, autorisée par le groupe à lire l’histoire
de Pierre Cœur de pierre. Un petit garçon solitaire qui se transforme en Pierre
Cœur de pierre afin que ses parents et notamment son père s’occupe de lui.
Moment très fort.
Et lorsque le père de
Pierre, lui demande pourquoi il est si méchant, c’est Didier qui répond :
« Parce que je suis tout seul. » et Jean en écho « Moi
non plus on ne m’aime pas. »
A la fin du Conte,
alors que tous sont dans l’émotion, Didier demande une minute de silence pour
les morts.
Qui est mort, demande
Jean.
Beaucoup de monde,
répond Didier.
Avant de se quitter,
chacun dépose son cœur de Pierre sur une feuille dans la salle.
Haro sur
les baveux !
Qu’allions-nous
devenir sans notre accorte secrétaire ? Réussirions-nous à prendre des
notes ? Resterait-il quelque chose de ces sublimes échanges, de ce
happening d’une heure trente ?
Ce lundi 30 mai, Laurence s’y
essaya.
Jean-François, Saïd, Jean,
Jean-Claude, José, Edith, Jean-Paul, Huguette, Marcel, Dominique, Laurence,
Abderkader, Josiane et Didier arrivé en retard étaient présents.
La séance commença bucolique. Il
n‘était question que de plantation. De framboisiers à planter. L’âge d’or
recommencé encore et toujours. Des conseils de jardinage, vite épuisés, au
Savoie, en matière de jardinage on n’est pas tip-top on passa aux conseils de
vie.
Rappelons avant d’esquisser les
éléments de notre philosophie savoyarde que de nouvelles photos de Madonna sont
apparues sur les murs. Il y en a partout ou presque, mais Huguette n’est toujours
pas contente.
Les conseils ! Les
conseils ! Les conseils !
Patience lecteur.
Des produits naturels. Na-tu-rels.
C’est le conseil de Jean François aux malades. « Des produits naturels
pour aller à la selle. Oui, oui. Il faut des produits naturels. Et des régimes
sans sel(le)s. Pauvres malades ! Pauvres
martyrs. Et les framboisiers qui ne sont pas plantés. On peut aussi
acheter un chapeau de paille. »
Saïd prend un air grave pour
déclarer que le Savoie est partagé en deux : les normaux et ceux qui ne
sont pas normaux. Qu’est-ce à dire ? Chut ! Ecoutez le judicieux
conseil de Marcel : « Soyez unis ! » Jean Claude n’est pas
d’accord ou entend-il autrement ce que dit Marcel, en tout cas il semble en
prendre le contre-pied et recommande : « Séparez-vous,
mariez-vous ! » Jean poursuit dans le maraîcher :
« Jardinez, cultives vos salades, vos poireaux, des tomates ! »
Paul, le sage, un peu sourd du Savoie recommande d’être muet et de devenir
sourd. Huguette n’a qu’une règle, qu’un conseil : « Aimez Madonna ! »
Abderkader, l’européen recommande de respecter les règles de vie.
La cacophonie est jolie. On
s’écoute peu mais on réagit à la musique de ce que dit l’autre. On répond à
l’écho de ses paroles. Un mot en entraîne d’autres.
Jean-François profite d’une respiration
pour reprendre la parole. Il est comme ça Jean-François. Il a un véritable
talent pour prendre la parole, ce qui agace Abderkader et Jean. Jean-François
raconte des histoires de plantes. Le mot oxyde de carbone revient avec
insistance. L’oxyde de carbone est à l’origine de la vie des plantes. Le cactus
est une plante du Mexique. Il y a parfois un tel brouhaha qu’il est difficile
de prendre autre chose que des mots au vol.
Comment peut-on faire pour vivre
ensemble ?
Telle est la question que les
soignants renvoie au Comité de rédaction.
Jean-François n’est pas pris au
dépourvu. Il a sa réponse.
« Il faut une LOI
qui s’impose à tous et il faut enfermer les clés. » Il trouve qu’il y
a beaucoup de vols. Il faut donc enfermer les clés dans une armoire fermée à
clé. Ainsi on est sûr de ne pas perdre les clés, sauf si bien sûr on perd la
clé de l’armoire aux clés. Mais dans ce cas-là il suffit de faire des doubles.
« Il faut respecter les règles. Surtout le personnel. »
- Il faut être correct, estime Saïd.
Il faut être correct, droit. Il ne faut pas que les autres bavent. Parce que
quand y’en qui bavent, ça fout la honte.
Jean-François ignore superbement
l’interruption de Saïd qui poursuit une idée apparue dès le début de la séance.
« Ne pas avoir de jeunes
infirmiers agressifs et autoritaires qui empêchent de boire du lait. »
Jean-François explique à Huguette qu’il a bousculé pour un verre de lait qu’il
n’a pas pu faire autrement. Est-ce une façon de lui présenter ses
excuses ?
- Oui, reprend Saïd, y’en qui
bavent. Y devraient pas sortir.
Baver reprennent les soignants, ce
n’est pas pareil. C’est un effet secondaire des neuroleptiques. Les personnes
qui bavent ne le font pas exprès.
Saïd trouve ça dégoûtant. Il dit
même que c’est honteux l’image de ces personnes qui bavent surtout en sortie.
Jean-François reprend la question
des effets secondaires des neuroleptiques. « Ils empêchent de vivre et
de niquer ! »
Huguette intervient et tient à
préciser qu’elle aime Madonna. Est-ce que la présence de Madonna au Savoie
permettrait de mieux vivre ensemble ?
Qu’est-ce qui peut permettre de
mieux vivre ensemble ?
Telle est toujours la question.
Et elle risque de rester encore
longtemps la question.
Ne pas se moquer, se respecter.
Et par rapport aux
bavouilles ?
Il faut désinfecter.
C’est le travail des soignants.
Il faut de l’hygiène corporelle.
Le corps, c’est un temple. A respecter.
Quand Saïd a une idée en tête, il
ne l’a pas ailleurs.
« Il y a les normaux et
les anormaux. Les anormaux qui bavent ne doivent pas sortir.
-
Non, dit Didier.
-
Alors il faudrait des endroits spécifiques pour les
« baveux », les alcooliques, les « gros », les
« « fumeurs ». Une sorte de Savoie bis, ter et quater ?
-
On trouve toujours plus baveux que soi !
Pour Jean Claude le mariage est
une garantie pour mieux vivre ensemble. Pour Jean, c’est important de bien
s’entendre. Il faut donc être tous pareils. Saïd, que ça préoccupe visiblement,
essaie d’expliquer que les gens ne procèdent pas de la même nature, ni de la
même qualité. Il y a les normaux et les anormaux.
Jean-François propose qu’un
psychiatre participe au Comité de rédaction. Didier est d’accord ainsi que
Jean-Claude et Jean. Dominique assure que dès qu’un nom de psychiatre émergera,
on verra. Chacun verrait bien son psychiatre plutôt que celui du voisin.
Jean-François divise le personnel
en deux :
-
Le personnel infirmier
-
Le personnel de nettoyage.
Le personnel de nettoyage ne doit
pas commander et ne doit pas jouer aux infirmiers. Les infirmiers ne doivent
pas se comporter en intellectuels. Ils ne doivent pas jouer aux psychiatres.
Tout cela ne nous rajeunit pas et
montre que ce qui agite les réunions institutionnelles agite aussi les unités.
Les patients ne sont pas plus tolérants que les soignants ou que l’homme de la
rue, ce qui finalement est rassurant.
La séance s’achève par la lecture
d’un poème de Le Clézio par Dominique. Nous suivons avec lui la course des
nuages. C’est doux, c’est calme, c’est chaud, c’est bien.
La liberté, ça soigne !
Le 13 juin, 10ème Comité de rédaction. Qui l’eut cru ? Qui
eut cru que cette improbable activité rassemblerait une dizaine de personnes à
chaque séance ? Ce 13 juin, nous sommes encore douze autour de ce journal
à naître, un jour peut-être.
Deux étudiantes, Marie-Anne et Sabine,
assistent à leur première séance.
Qu’est-ce qu’on fait là ? Comment le leur
expliquer ?
Jean-François, Jean, Yves, Michelle,
Jean-Claude, Saïd, Sonia et Abderkader assistés d’Hélène et de Dominique vont
bien arriver à leur expliquer.
Le temps de lire le résumé de la séance
précédente. Remarquez que déjà, pour elles, c’est une explication. Le temps que Jean-François ressorte son
coffre à clés fermé à clé. Le temps d’évoquer le regretté Passe-Muraille,
abattu en plein vol et Jean-Claude a cette définition sublime. Une sublime
définition. Sublime de simplicité. Je le tape en caractère gras pour la mettre
en valeur.
« Ici, on se promène, on s’écoute
parler, on travaille … »
Que dire de plus, que
dire de mieux ? Comment mieux définir ce que nous faisons ensemble ?
Et en même temps c’est une réponse à la
question posée lors de la dernière séance. Comment vivre ensemble ? En
s’écoutant parler.
Certes, certains ne veulent pas travailler,
mais ce n’est pas important, chacun va à son rythme. Saïd dit que c’est une
réunion d’information. Jean parle de cassettes vidéo. On a hâte de guérir dit
l’un. Faites-moi rêver, nom de Dieu, tonitrue Jean-François. Son cri de guerre a toujours autant d’effet.
Si on avait un car, on pourrait aller au
camping, à la pêche. Il suffit d’un camping gaz.
Moi, j’aime bien la liberté, répond Jean qui a
parfois un petit retard à l’allumage. Le
Comité de rédaction c’est une heure et demie de liberté. Jolie réponse de Jean.
La liberté surenchérit Jean-François, c’est la
4ème dimension.
La liberté, ça soigne.
Comment ne pas adhérer à ça ? Comment ne
pas en faire un cri de paix, une philosophie de soin, de vie ? Comment ne
pas le graver sur tous les lieux de soins. La liberté, ça soigne.
Le journal ? Ce qu’on y fait.
C’est ça.
On parle de ce qui a, rajoute Jean.
Faut faire.
Travail, bâtiment, retraite.
Arrêt du Moulin.
Meunier, tu dors, ton moulin va trop vite.
Meunier tu dors ton moulin va trop fort.
Le Moulin va trop vite, alors j’arrête le
Moulin.
On associe avec St Arzelier et la fête qui se
donnera à cette occasion.
On parle chanson. Et soudain ça dérape.
Claude François fait irruption dans la séance.
Il s’est électrocuté dans sa baignoire.
Mireille Mathieu a commencé à chanter à 18 ans. Le lundi au soleil c’est une
chose qu’on ne verra jamais. Dominique dérape et se met à chanter. Jean Claude
et Michelle, puis Jean reprennent en chœur. Dalida est convoquée :
« Bambino, Bambino ». Les morts reviennent en chanson. Le groupe va
chanter pendant une heure, uniquement des chansons de chanteurs morts. Sonia
nous fait une sublime interprétation de L’homme à la moto. Brel et Brassens se
taillent leur petit succès. Mike Brandt itou. On chante Berthe Sylva, Le petit
vin blanc. On chante faux mais on s’en fiche. Je suis sûr que nos chants se sont
entendus jusqu’à Grenoble, au moins. Le lendemain, il pleuvait. Et pas qu’un
peu. On attendait la neige. Alors on a été gâté. Jean Claude nous a fait un sublime show. Il
connaît tout. Il chante tout. Il a même eu le dernier mot en nous citant de
mémoire cette phrase que je n’ose nommer apocryphe de Ray Charles :
« Je fais semblant, je suis pas mort. »
Oui, ici on fait semblant, on n’est pas morts.
Nous sommes tous des Ray Charles.
Il n’est pas sûr que Marie-Anne et Sabine ait
tout compris. En tout cas, on s’est décarcassé.
Quelqu’un est
mort dans ma chambre !
Déjà le 20 juin. Et oui, le temps passe vite, si
vite. Ces chroniques trimestrielles s’achèvent.
Roland, Jean, Jean-François, Huguette (et son
bidet), Abderkader, Hélène, Laurence, Dominique, Paul sont présents.
Jean-François repart avec son twist des clés
enfermés dans le placard aux clés fermé à clé. C’est l’occasion de reprendre la
séance de la semaine passée.
On repart autour des plantes vertes, des
plantations, du framboisier.
On a trop tendance à couper, casser. La nature se
venge quand on la contraint trop. C’est ça la pollution, la réaction de la
nature.
Sur ce thème Jean-François est intarissable. On ne
comprend pas forcément tout. Il est question de gaz, d’un gaz inoxydable. Un
gaz qui arrive.
Jean se souvient d’une usine de gaz à Pau, à côté
de Lacq. On mettait des masques.
Il y aurait du gaz partout.
Huguette se plaint que son bidet est bouché. Il
faut le lui réparer. On la rassure. Mais c’est une idée fixe. Elle en oublie
même de nous parler de Madonna.
Le bâtiment lui-même fait un gaz inoxydable. A
force ça fait un gaz sur le béton. Le gaz rentre et ça fait une odeur comme si
c’était pourri. C’est le chlorure de sodium. Vous suivez ?
La terre ne digère plus ce qu’on lui fait. Et donc
tous les W.C sont bouchés dont celui d’Huguette.
Il y a des choses qui remontent.
C’est parce qu’il y a un typhon dans les W.C.
Et du coup ça remonte.
Quand les malades se torchent le cul, ça part pas,
ça reste.
C’est le retour du refoulé, plaisante Dominique.
Y’a du caca dans les toilettes.
Et elles sont pas nettoyées.
Y’en a qui mettent leur short dans les toilettes.
Evidemment, ça bouche aussi.
C’est difficile de voir son caca partir essaie
Laurence. Dominique reprend dans le même ordre d’idée et précise les
sensations. Difficile de quitter ce bel étron qu’on a eu tant de mal à faire,
difficile parfois de tirer la chasse d’eau.
Ca vient des souterrains d’eau chaude qui sont sous
le Savoie.
Qtrès scato ce Comité de rédaction.
Laurence annonce que le Savoie a la responsabilité
des daims. Ils ne mourront ni de faim, ni de soif. Les daims mangent du blé
précise Paul. La corde et le mûrier, c’est tout ce qui reste.
Les cornes poussent toute seules.
Et les trophées bouchent les W.C.
Jean-François nous prévient que nous ne sommes pas
sérieux, que si nous continuons comme ça, on va se casser la figure.
Jean explique qu’il fait du cheval à Barret.
Jean-François revient sur la boîte à clés.
Laurence suggère qu’elle pourrait laisser son
bureau ouvert. Ainsi, il n’y aurait plus besoin de clés.
Jean-François n’est pas, mais alors pas d’accord du
tout. Si le bureau est ouvert, il pourrait y avoir des vols, et s’il y a des
vols qui sera soupçonné ? Lui. Il faut donc fermer les portes, les boîtes
à clé pour qu’il ne puisse pas être accusé de vol.
L’hôpital ne ferme pas, ne peut pas fermer à cause
du SAMU, des ambulances. C’est pas possible de le fermer.
A l’hôpital français on pique. Dans l’hôpital
italien aussi on pique. La différence ce sont les allumettes. En Italie, ils
ont des allumettes en cire. Il suffit de les frotter sur ses chaussures, sur
son pantalon pour qu’elles s’allument.
Hélène raconte une histoire de voleurs et de
découverte de la vérité.
Nous sommes toutes ouïes. Une tribu traverse la
désert pour se rendre à Samarcande vendre ses marchandises. Mais un voleur
dérobe les bijoux avant qu’ils aient pu se rendre au marché. Le chef de la
tribu va mettre au point un ingénieux stratagème pour démasquer le coupable.
Le conte c’est pas sérieux nous dit Jean-François.
Jean se souvient que son père faisait des contes en espagnol.
« Je dors mal parce qu’il y a quelqu’un qui
est mort dans ma chambre il y a longtemps. «
Abderkader casse un peu l’ambiance. Mais peut-être
est-ce parce que le groupe avait des choses comme ça à dire que la séance se
traînait, qu’on parlait de tout ,de rien
e surtout de ce qui remonte, de ce qui ne passe pas.
« Michel A. est mort. C’est une infirmière qui
l’a empoisonné. Je dors dans sa chambre. » Saïd reprend à son compte la phrase d’Aderkader.
Les soignants font remarquer qu’il est difficile
d’en parler, qu’une enquête est en cours, qu’on ne sait pas ce qui s’est
exactement passé. C’est l secret de l’instruction.
M . B. est mot d’un cancer généralisé. Il
savait qu’il avait un cancer. Comment ça se fait qu’il soit resté là. ? Le vrai M. B.
n’est pas mort ici.
C’était une infirmière qui se trompait, qui faisait
des erreurs. Fallait voir l’état où elle se mettait l’infirmière. Elle arrivait
tous les matins défoncés. Elle était pas malade. Et pourtant. Le sujet est
glissant. Une enquête est effectivement en cours. Nous ne pouvons que faire la
chronique de ce que dit le groupe.
Tu te rappelles de C. l’infirmier qui est parti en
retraite maintenant. Le groupe s’anime. Les anecdotes fleurissent. Toutes
traitent d’une certaine forme de violence institutionnelle. Des infirmiers
violents, c’est un peu comme un pompier pyromane. Mais chez les pompiers, on ne
garde pas les pompiers pyromanes.
On a l’impression que chacun fait ce qu’il veut,
qu’il n’y a pas de règle, pas de loi. Ou alors seulement pour les patients.
Quand Carbonnel arrivait. Tout le monde était au
garde à vous. Tout le monde écoutait. Plus personne n’écoute personne.
Une infirmière doit s’occuper des malades. Elle doit
être gentille, polie. Elle ne doit pas crier.
Celle-là s’est trompée.
Non, non c’était volontaire.
Elle augmentait les doses en douce.
L’hôpital je l’ai connu comme si je l’avais fait.
Il y a quelque chose de pourri dans le Royaume de
France.
Le cadre doit dresser les infirmiers !
Non ! hurle Laurence.
Le personnel
doit venir à la réunion.
C’est le Comité de rédaction du journal reprennent
les soignants pas une réunion communautaire. C’est le cadre où tous ces
éléments douloureux doivent se discuter. Entre soignants et soignés. Il n’est
pas dans les attributions du Comité de rédaction de décider du fonctionnement
de l’unité. Le but c’est un jour de faire un journal.
Fin de cette première chronique
savoyardo-laragnaise. La prochaine sortira en septembre/octobre.