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La première chronique



Editorial

 

Bonjour !

Un petit mot tout simple qui constitue parfois une véritable révolution.

Bonjour !

Comment allez-vous ?

 

Nous, nous sommes un petit peu émus, une nouvelle aventure commence.

Nous avons un peu le trac.

Quelques mots pour décrire cette chose étrange que vous avez entre les mains. Ca ressemble à un journal mais ce n’est pas un journal, en tout cas pas encore. Ca ressemble à un journal, ça en a l’odeur (sentez cette bonne odeur d’encre), ça en a l’aspect, ça en a le toucher (passez la main sur le papier), ça en a le goût (non, non ne le léchez pas) mais ce n’est pas un journal. Un journal Canada dry en quelque sorte. Un clin d’œil à Matisse et à son fameux tableau : « Ceci n’est pas une pipe. »

Ca n’est pas un journal mais ça en deviendra un.

Comment ?

C’est l’objet de ces chroniques.

La chronique de ce qui deviendra un journal si les petits cochons ne nous mangent pas.

 

Les chroniques sont des annales.

Une chronique est un recueil de faits historiques, rapportés dans l’ordre de leur succession. Ainsi raconterons-nous la gestation du journal à venir. A défaut d’être de l’histoire majuscule, c’est une histoire minuscule, la nôtre et ça justifie notre démarche.

Une chronique est l’histoire d’une famille ancienne et noble, telle les chroniques de Louis XI, de Charles VIII. Nous raconterons l’histoire, une partie de l’histoire en tout cas, de cette étrange famille qui fait vivre Laragne depuis 1959, famille que l’on pourrait appeler organisation ou institution selon le point de vue adopté, nous raconterons donc l’histoire de Laragne telle qu’elle se perçoit, telle qu’elle s’exprime dans l’unité où nous avons posé notre camp de base : le Savoie.

Une chronique est un récit qui met en scène des personnages réels ou fictifs et évoque des faits sociaux, historiques authentiques. Ainsi ferons-nous en considérant les soins, leur organisation, les rencontres soignants-soignés, tout ce qui se passe dans la vie d’une unité, le Savoie, en l’occurrence comme un fait social. L’élaboration du journal étant elle-même un fait social. Ici ou là, nous rencontrerons des personnages fictifs inventés, délirés pour la bonne cause.

Une chronique c’est aussi l’ensemble des nouvelles qui circulent sur les personnes et ça pour circuler, à Laragne, ça circule. Une chronique, ça se défraye, et les nôtres respecteront cette feuille de route.

Une chronique enfin, et ça nous ramène à la forme que nous avons choisi, c’est un article de journal ou de revue, une émission de radio, de télévision, consacrés à certaines nouvelles et à leurs commentaires.

Nous n’évoquons là que le féminin du mot « chronique ».

 

Le mot « chronique » a aussi un masculin et il prend, alors, un tout autre sens. Avant d’être un nom c’est un adjectif qui décrit en médecine les maladies qui durent longtemps et se développent lentement. On dit par association d’idées, par métaphore que le chômage est chronique. En psychiatrie, le mot chronique a un aspect péjoratif. L’adjectif est devenu un nom qui décrit les plus déshérités, les plus malheureux, les abandonnés d‘une psychiatrie qui ne jure que par l’entrée et la crise. Nous voulons réhabiliter ce joli mot de « chronique ». Il est toujours plus facile de réhabiliter les mots. Les gens, c’est autre chose. La bonne volonté ne suffit pas. Un chronique, c’est un malade qui n’évolue plus. Un malade que l’on n’a pas envie de voir dans son unité. Le chronique d’une certaine façon fait partie des meubles, on ne le voit plus, on ne le salue plus. Il n’existe plus socialement que dans son rôle de malade. On ne lui demande plus rien que de continuer à faire le fou.

Nous considérons les dits chroniques comme des magiciens qui ont réussi à abolir le temps. Ils détiennent un secret qu’il nous faut découvrir. Comment abolir le temps ? Comment faire que chaque jour ressemble à chaque jour ? Comment vider le quotidien de toute surprise ?

Un quotidien constamment identique, sans surprise, c’est un quotidien que l’on peut gérer. On peut même en faire un protocole. En phase avec notre époque, nous allons essayer de trouver ce secret afin de mettre le quotidien en fiches, en conduites à tenir.

 

Le langage nous contamine. Le mot chronique qui décrit le malade qui n’évolue plus, décrit aussi par contamination, par association d’idées le soignant qui n’évolue plus, qui n’avance plus, qui est en quelque sorte en pré-retraite. Il va de soi que ces soignants connaissent aux aussi le secret de l’abolition du temps. Ils sont, comme leurs homologues patients, eux aussi, de grands sages. Leur longue méditation, leur observation du malade chronique en ont fait les réceptacles de ce fameux secret. Nous ne savons pas à l’heure actuelle s’il en existe à Laragne. S’il nous arrivait d’en rencontrer, nous ne manquerions pas de les interroger à propos de ce grand secret.

 

Chroniques du lundi. C’est le titre provisoire de ce qui deviendra peut-être un journal. Ca raconte un peu tout ça.

Et maintenant, place aux récits.

 

 

 

 

 

 


Comment ça commence ?

 

 

On ne sait pas réellement comment ça a commencé. Plus précisément on ne sait pas quand ça a commencé. Des journaux dans l’institution, il y en a déjà eu : La farfentelle, L’échappatoire, Le passe-muraille, Le lundi soir au Lombard, et nous en oublions. Ces journaux ont connu des fortunes et des destins divers. Pourquoi un journal au Savoie, d’abord, puis vers le reste de l’institution ensuite ?

On pourrait parler des gens à l’origine du projet. On dirait Laurence, Hélène, Dominique dont deux, au moins, ont déjà contribué à la déforestation avec leur intérêt pour la chose imprimée. On dirait Nathalie, Edith, Sylvain, les soignants du Savoie qui les accompagnent. Mais pourquoi ne pas dire Jean-François, qui garde précieusement, religieusement écrirais-je même un exemplaire des fables de La Fontaine ? Pourquoi ne pas dire Huguette et sa passion pour Madonna ? Pourquoi ne pas dire qu’elle est autant à l’origine du journal que les soignants ? On pourrait dire Jean Claude ou Jean, les voix du journal, ceux qui ont en mémoire les tubes français et espagnols des années soixante et soixante-dix. On pourrait dire aussi Anne-Laure, la stagiaire éducatrice, présente tout au long de ces premières séances de travail, secrétaire obstinée. Ces chroniques doivent beaucoup à ses notes. On pourrait dire Pépito qui passe son temps à écrire à tous les présidents de la terre. On pourrait dire Saïd, en cure au Savoie. Saïd a fait les beaux jours du Lundi soir au Lombard qui ne s’est jamais remis de son départ. On pourrait dire Abderkader, le plus convaincu des européens. On pourrait dire Didier. Toujours sur le qui vive. Jamais tranquille. N’empêche que c’est lui qui a écrit le premier texte.

Un journal donc.

Le pourquoi, ça sera pour plus tard.

A moins que ces chroniques ne soient par elles-mêmes une réponse.

Un journal, le lundi soir au Savoie.

Pas réellement un journal mais un Comité de rédaction.

Mais si l’on fait un Comité de rédaction c’est pas pour faire les plannings ou préparer l’accréditation. Même si pour l’accréditation, c’est un plus, un journal. Un Comité de rédaction, ça renvoie bien quand même à un journal. D’ailleurs Didier ne s’y est pas trompé en écrivant le premier texte du journal à venir.

Patience, vous lirez ce texte.

Chaque chose doit venir en son temps.

Donc le Savoie. Une pièce. Lumineuse quand nous y sommes. Sombre le reste du temps. C’est la salle du Comité. C’est la salle du Comité même si une télévision y trône, même si des jeux s’éparpillent autour de la télé, même si des objets en pâte à sel y sèchent, même si tous les cœurs de pierre y reposent. On est comme ça nous, dès qu’on arrive quelque part, on annexe.

L’heure maintenant.

C’est facile, c’est de 17 heures à 19 heures. Tous les lundis on se fait un petit cinq à sept au Savoie.

On commence donc par ouvrir les volets. La lumière entre. La lumière fuse. La lumière infuse. Avant, il y a les ténèbres (C’est une figure de style. Il fait quand même pas si sombre que ça. Quoique.). Et puis, d’un seul coup la lumière pleut. On assemble les chaises en ovale ou en rond selon notre forme. Et on commence par la lecture des notes de la séance précédente.

Il faudrait parler du panneau d’affichage permanent, mais nous ne le ferons pas. Il est un peu trop madonnien à mon goût.

Voilà, pour nos repères.

Après.

Après tout est possible.

Tout peut arriver.

Nous ne savons jamais en commençant quel chemin nous allons prendre.

Et pourtant nous avions commencé sagement.

C’était le 11 avril 2005.

On s’en souvient comme si c’était hier. D’ailleurs c’était hier.

On a commencé par poser les rubriques du futur journal.

 

         Rubrique film : avec Jean qui nous a parlé de l’Ours.

         Rubrique recommandations : avec Didier.

         Rubrique sport : avec le foot : Saïd, Jean et Abderkader.

                                      le tiercé.

         Rubrique des mots : avec Jean-Claude.

         Rubrique musique : avec Huguette et Madonna.

         Rubrique horoscope.

         Rubrique petites annonces.

         Rubrique jardinage.

         Rubrique potins.

         Rubrique médicaments/santé : le top 50 des médicaments. A quoi ça sert ? Qu’est-ce qu’il y a dedans ?

         Rubrique recette de cuisine.

         Rubrique météo.

         Rubrique coup de gueule : tout ce qui ne va pas.

 

Un article sur la Source a été proposé par Josiane.

Un thème possible : les malheureux.

On peut signer son article avec un pseudonyme.

Nous pouvons envisager de voir une réunion du comité de rédaction d’un « vrai » journal.

Didier nous a proposé son premier texte que voici :

 

 

Didier va à Gap

 

 

Didier va à Gap

Vendredi

(Ruitor)

 

Recommandations : 2 bains dans la semaine.

OK

2 hippon en fin d’après-midi.

Infirmière.

Débouché tous les éviers.

16 hippons.

 

Didier va à Gap

Vendredi

(Ruitor)

 

Changer toutes les chaises.

Tout le monde.

Tables neuves.

Placards neufs.

Laisser moi fumer dans ma chambre.

Merci.

 

 

Didier va à Gap

Vendredi

(Ruitor)

 

Plein bar.

Tapisseries neuves dans toutes les chambres.

Vacances.

Bien sûr infirmières.

Réparations de toutes les douches neuves.

29 mai 2005 je joue aux boules triplettes.

Je suis le trésorier de HCHA.

 

Didier va à Gap

Vendredi

(Ruitor)

 

Brancher l’eau.

Aux espaces verts

Planter 3 épinards dans la serre + 2.

Signé Didier »

 

Didier

 

 

 

 

Les médicaments et leurs effets

Ouverture/fermeture

 

 

C’était la deuxième séance. Nous étions le 18 avril.

Le coup de gueule de Jean-François.

Imaginez-vous qu’il y a des soignants inconscients qui laissent la pharmacie ouverte sans personne. N’importe qui pourrait rentrer et se servir. Ah ça, Jean-François ne laisse rien passer. C’est un des garants de l’ordre et du cadre. A sa façon. N’empêche qu’il faut résister à la tentation et que ça n’est pas simple. C’est compliqué les portes ouvertes. Quand les portes sont fermées. Il n’est pas besoin de se poser de questions. La porte est fermée, point. Pas de tentation. Pas de question. La porte est fermée. L’ordre règne. Mais si la porte est ouverte … On a le choix. Et là, ça se gâte. Ce n’est pas exactement ce que Jean-François a dit, c’est ce que nous avons compris. Mais des fois on comprend tout de travers.

 

Le temps d’une respiration d’un sujet moins polémique, le temps que Jean-François propose une critique de la télévision et ça repart dans la polémique, dans les sujets polémiques plutôt. Est-ce l’association de télé et de caméra, toujours est-il qu’un débat s’esquisse autour de la fermeture de l’hôpital la nuit. On croit souvent que les patients ne sont pas au courant de ce qui agite les soignants. Détrompez-vous ! Que nenni, que nenni. Les oreilles sont tout aussi ouvertes que la porte de la pharmacie. Les patients sont tellement au courant qu’ils pourraient participer au débat. Ils pourraient s’exprimer, donner leur avis. On pourrait créer un truc pour ça, une commission, une association, que sais-je encore, et on appellerait ça la psychothérapie institutionnelle. Cessons de nous gausser.

Jean ouvre les hostilités. Il est contre. Entendez qu’il est pour que l’hôpital reste ouvert la nuit. Si l’hôpital est fermé on ne peut plus sortir et c’est une atteinte à la liberté. Jean-François lui est pour. Entendez qu’il est contre l’ouverture de l’hôpital la nuit. Si l’hôpital est ouvert, n’importe qui peut entrer. Tout est dit en deux phrases. Entrer ou sortir. Interdire l’entrée ou la sortie. On ne peut faire l’un sans l’autre. Dans le même temps qu’on interdit l’entrée, on interdit la sortie. Vous me direz que les patients n’ont pas à sortir la nuit. Ouverture/fermeture. Fadela occupe une position plus mesurée : « La barrière peut rassurer car on se sent en sécurité mais l’idée d’être enfermée peut aussi angoisser. » Jolie reformulation de Fadela qui situe le problème non pas du côté de la réalité mais du côté des idées qu’on se fait. Sentiment de sécurité versus angoisse d’être enfermé. Huguette choisit d’être rassurée. Il faut fermer car c’est rassurant.

Petit rappel historique : avant il y avait une barrière à l’hôpital. Le Dr Karavokyros l’a fait enlever car pour lui il était essentiel que l’on puisse circuler. Au Savoie, on sait se souvenir des choses. On ne perd pas le lien avec l’histoire de l’institution.

 

Répartition des rubriques :

Rubrique Horoscope : Laurence

Rubrique petite annonce : vrai petites annonces, troc, courrier du cœur, … : Fadela

Rubrique jardinage : idée, astuce : Jean, Jean-François

Rubrique recette : Fadela
Rubrique coup de gueule : Hélène + Fadela

Rubrique météo : Hélène

 

Le journal sera gratuit et distribué par les journalistes aux patients et aux soignants dans les pavillons.

 

Pour le thème sur les malheureux qui est donc adopté : Saïd, Fadela, Jean, Huguette, Jean-François vont essayer de rédiger un texte.

 

On aurait pu croire que nous allions finir tranquillement la séance. Un final tout en souplesse. Pas du tout.

 

« Faites-moi rêver, nom de Dieu »

 

Quand Jean-François lance son cri de guerre, ça n’annonce rien de bon. Rien de tranquille en tout cas.

Jean-François : « Faites-moi rêver, nom de Dieu »

Nous, on veut bien le faire rêver.

Mais encore Jean-François.

Les médicaments.

Le problème c’est les médicaments.

Jean : « Les médicaments c’est mauvais pour la santé, par contre les vitamines c’est bon. »

Bon, grâce à Jean nous pouvons différencier les médicaments qui sont mauvais et les vitamines qui sont bonnes pour la santé et qui ne sont pas des médicaments.

Fadela ne partage pas du tout ce point de vue : « Il y des médicaments qui nous permettent de moins souffrir et d’être moins angoissé ».

L’effet des médicament apparaît alors plus positif.

Contestation dans les rangs.

Vous avez oublié les effets secondaires !

Les médicaments peuvent faire grossir. Ils font trembler. Ils assèchent la bouche. Ils transforment surtout la vie sexuelle. On n’arrive plus à bander. On n’a plus de plaisir. Quelques un racontent des expériences désastreuses qu’ils attribuent à l’effet des médicaments sur leur libido. C’est souvent pour ça qu’ils arrêtent d’ailleurs de les prendre. Bien sûr de nouveaux médicaments sont apparus qui ont moins d’effets secondaires. Mais il faudrait être au courant.

Nous convenons de faire une rubrique d’information sur les traitements.

La discussion est animée.

Il faut qu’Anne-Laure lise le résumé de la séance, résumé que vous venez de lire pour que chacun retrouve son calme.

Laurence conclut la séance par cette phrase sentencieuse : « La parole a un effet de sédation de l’angoisse. Elle doit être respectée de tous et elle est respectable ».

 

 

 


Les malheureux

 

Rien que du beau monde ce lundi 25 avril pour notre troisième Comité de rédaction : Jean-François, Jean, Didier, Abderkader, Huguette, Saïd, José, Hélène, Dominique, Nathalie.

On commence par lire le résumé de la séance précédente.

Jean-François confirme le compte-rendu.  

A propos de la barrière, il rajoute que des gens peuvent disparaître, qu’il a même vu des arbres être déracinés. Il se souvient d’une femme qui a disparu, quasiment du jour au lendemain. Derrière l’inquiétude de Jean-François ce constat tout bête. Des personnes sont hospitalisées plus ou moins longtemps. Elles font un parcours plus ou moins dense. Leurs collègues d’unité s’habituent à leur présence, s’attachent parfois. Ces personnes font partie de leur paysage. Elles ont des liens avec elles. Et puis, un jour elles disparaissent. Entendez qu’elles sortent … définitivement. Lorsque cette sortie survient après plusieurs années d’hospitalisation, c’est comme une disparition. Il y a un trou dans l’institution. Des mots, des explications pourraient combler en partie ce trou. Mais ces mots, nous autres soignants avons parfois du mal à les dire. Nous sommes pris dans le quotidien qui va si vite. Nous ne nous posons pas. Et Jean-François s’inquiète. Toutes les sorties ne sont pas programmées. Des gens meurent à l’hôpital. Lorsque les soignants n’en parlent pas, c’est comme une disparition. C’est même d’autant plus suspect que les soignants n’en parlent pas.

 

On reprend le passage sur la sédation de l’angoisse. A la fin de la discussion, quand chacun a pu entendre ce qu’il avait dit, quand ce qu’il avait dit a été gardé en mémoire, chacun et le groupe se sont sentis apaisés.

Il est important que nous puissions prendre des notes, que ce qui se dit puisse être gardé en mémoire. Nécessité d’une fonction secrétaire.

Jean François veut offrir un cochon mais pas pour mettre sur le bureau de la surveillante, un cochon tirelire, on y mettrait des sous pour les malheureux.

 

On poursuit par la lecture de quelques citations sur les malheureux.

Parmi d’autres retenons celle d’Eschyle : « Il est aisé à qui n’a pas le pied en pleine misère de conseiller, de tancer le malheureux » de La Rochefoucauld : « On n’est jamais si heureux ni si malheureux qu’on s’imagine. On n’est jamais si malheureux qu’on croit, ni si heureux qu’on avait espéré. » de Sénèque « Res est sacra, miser » qui se traduit par « Le malheureux, chose sacrée. » et cette dernière de Virgile : « Connaissant moi-même le malheur, je sais secourir les malheureux. »

Chacun y réagit.

Ainsi, Jean-François nous rappelle-t-il que le Canada est grand comme 16 fois la France, que Jean insiste sur la nécessité de faire le plein, de prendre des forces et de manger parce qu’un malheureux au ventre vide est toujours plus malheureux qu’un malheureux au ventre plein.

Jean-François retrace quelques épisodes de la vie de l’institution.

Au début, on avait 40 francs de pécule par mois. On avait tous une pèlerine marron. On piquait, on piquait. Nous, on n’était que piqué on pouvait pas piquer. Un s’était pendu. On a dû vider tout le bassin pour le retrouver.

Echanges entre Dider et Jean-François autour de la France. Il y a quelque chose de pourri dans la république française. Saïd tempère.

La nationalité allemande du pape suscite quelques remarques aigres-douces.

Didier parle de sa grand-mère, sourde et muette qu’il est seul à comprendre. Jean-François, toujours sur l’idée de ceux qui ne comprennent pas, évoque un des présents qui n’arrive pas à lire le français.

La difficulté à communiquer rend malheureux.

Parmi les autres difficultés qui rendent malheureux : le ronflement. Jean-François a lu qu’il suffit de couper la languette par anesthésie et qu’ensuite, il n’y a plus de problème. Didier est dubitatif. Echanges de conseils à propos du ronflement.

Huguette demande à plusieurs reprises l’affichage d’un poster de Madonna.

Saïd, Didier et Huguette s’engagent à aider Hélène à s’occuper de l’espace affichage.

Les premiers textes sont rédigés à partir d’un questionnaire proposé par Dominique.

Les voici :

 

 

 

Fumer

 

 

Un malheureux pour Didier, c’est quelqu’un qui est triste, qui n’a pas son ¼ de Lexomilâ à la bonne heure. « Les fumeurs aussi sont malheureux. Il ne faut pas empêcher un malade de fumer, ça le rend triste, très, très, très, triste de ne pas fumer dans sa chambre. C’est grave ça, c’est urgent.

Le monsieur de tout à l’heure est malheureux. Il m’a dit qu’il avait peur de la prison. Il va pas en prison. S’il est malheureux, il reste ici. On est tous malades, on est tous handicapés.

Le malheur, c’est parce qu’il n’y a plus de Croix Rouge. C’est à cause des mégots. Il faudrait une entreprise qui ramasse les mégots et permettre aux malades de fumer dans leur chambre. »

 

 

 

 

Le pouvoir de faire ce que l’on veut

 

 

Pour Saïd, un malheureux c’est quelqu’un qui n’a pas le pouvoir de faire ce qu’il veut. « Il restera toujours malheureux parce qu’il est triste. Il n’y a rien qui tombe dans ses poches pour manger, pour faire ses courses. Il est obligé d’aller au Secours Catholique. »

Saïd connaît des malheureux. « Ils n’ont pas la possibilité d’être comme les autres. Le malheur, ça veut dire qu’il n’a pas pour dormir, pas d’hébergement. Il est obligé de faire le mendiant. Il faut qu’il soit obligé d’être autonome, d’être bien dans sa peau, à cause de tous les malheurs qu’il a eu.

On peut aider les malheureux. On peut les aider dans les CAT, dans les ateliers protégés suivis par des moniteurs. »

 

 

Il n’a que moi

 

Pour Huguette, un malheureux, c’est quelqu’un qui n’a pas de quoi manger. Le mari d’Huguette est malheureux. « Sans moi il ne peut pas vivre. Il n’a que moi. Il a eu un accident de travail sur le chantier. Il s’est mis à boire et il m’a entraîné, alors il est malheureux.

Il faut habiller les malheureux, leur donner de l’argent. »

 

 

 

 

 


La mort de Max

 

 

Drôle d’ambiance, ce lundi 2 mai.

Quelque chose de lourd.

A couper au couteau.

L’ambiance est pesante.

Ils sont tous là.

Jean, Saïd, Abderkader, Dominique, Coline (stagiaire ESI), Anne-Laure, Didier, Jean-Claude, Jean-François, José, Paul.

Josiane écoute dans le couloir.

On lit le résumé de la séance précédente.

Jean-François précise qu’au Moulin, il y a une tirelire pour les pauvres.

Jean propose qu’il y ait la moitié pour les riches et la moitié pour les pauvres.

Dominique fait remarquer que ce ne serait pas équitable vu qu’il y a beaucoup plus de pauvres que de riches.

C’est poussif comme si quelque chose turlupinait le groupe.

On évoque la mort de Max.

José fait remarquer qu’il lui avait écrit toutes ses lettres, que ça faisait 40 ans qu’il était là. Il était proche de la retraite.

Jean-François rappelle qu’il avait des chevaux de cow-boys.

M. André dit que maintenant, il est tout seul pour donner à manger aux daims et aux chevaux.

Peu de paroles mais une émotion palpable.

Il est difficile parfois de partager ses émotions, de dire sa peine. Ou le reste.

Il y a parfois de l’indicible. Des choses qui ne se disent pas, même au Comité de rédaction.

On poursuit avec les malheureux. Les malheureux dorment à la belle étoile.

Qui a déjà dormi à la belle étoile ? demande Dominique.

C’est beau d’aller dormir à la belle étoile.

Jean est allé en camping en Espagne, quand il avait 14 ans.

Jean-François a fait du camping avec son père aux Sables d’Olonne et à Quiberon. Il dormait sous la tente et a fabriqué une cabane et y a dormi. Il devait faire un pèlerinage à Lourdes.

Saïd, aussi, a dormi sous une tente.

Jean-Claude a dormi à Savines dans un camping pendant une colonie. Il y avait un lac, des bateaux. Nous prions Jean-Claude de nous excuser de n’avoir pu écrire tout ce qu’il nous expliquait, nous avons parfois eu du mal à entendre ce qu’il disait. Entendre Jean-Claude parler clairement est un bonheur tellement rare que nous ne voulons pas en manquer une miette.

Quand on fait du camping, on mange avec un camping gaz, précise Jean-François. Il travaillait dans les fermes pour qu’on l’héberge et le nourrisse. A St Alban, il y avait une forêt magnifique.

De la France, on passe à l’Europe.

L‘Europe est honnête, ponctue Aberkader. L’Europe est partout. On a fait une monnaie européenne pour être plus fort, explique Jean-François.

L’Europe est intelligente, elle n’est pas bête, poursuit Aberkader. Si on n’avait pas fait l’Europe, ce serait pas pareil.

On a commencé à créer l’Europe, ici, dans cet hôpital, nous apprend Jean-François. On peut faire tout ce qu’on veut. On a fait le monde entier.

Oui, en gros.

Comment on fait pour avoir de l’argent ? poursuit Dominique qui garde en mémoire que le thème du journal, c’est Les Malheureux.

On va à la banque, répond le groupe. A la banque de l’hôpital ou en ville.

Mais sans papiers, ils ne donnent pas d’argent.

Pour écrire, c’est un peu pareil, continue Dominique, on va à la banque des mots. Elle est partout. Donc, qu’y aurait-il dans la banque des mots à propos des malheureux ?

Un texte s’est improvisé, texte que nous mettons à votre disposition.

C’est de l’art brut.

 

 


Malheureux !

 

 

 

Malheureux !

Triste !

Clochard !

 

Je fais plus caca

Abandonné

Quand on voit

Le noir qui arrive à huit heures le soir, pas de quoi être malheureux.

Trois euros par jours !

Au laser.

 

Malheureux !

Triste !

Clochard !

 

Ils sont encore plus débiles que moi

La grande lumière et le caca, y’a que ça !

Je serai le plus heureux du monde sans la lumière et le caca

Je connais même plus les heures du soir.

 

Malheureux !

Triste !

Clochard !

 

La prison

J’arrive plus à savoir la nuit

Tout au noir.

Trois euros

Tout au mois

Il s’occupe pas assez de lui

Une personne qui vit s’occupe

 

 

Malheureux !

Triste !

Clochard !

 

 

J’veux faire la terre comme travail

Tous les métiers

33 kilos pour 1mètre 93.

Auschwitz

La marche nuptiale

 

Malheureux !

Triste !

Clochard !

 

Il a pas la possibilité

Il arrive pas à être comme les autres

S’occuper de mon chien

Il est petite

Ne plus vivre à genoux avec Gauthier.

Il rigole.

 

Malheureux !

Triste !

Clochard !

 

 

Rentré dans neuf hôpitaux psychiatriques pour rien.

Toutes les conneries écrites dans mon dossier

Donner un coup de poing dans l’appareil

Dossier.

Dossier

Dossier.

 

 

Malheureux !

Triste !

Clochard !

 

 

Donner de l’argent

Simone Veil fait tout pour les malheureux.

Pourrait-on s’assurer contre le malheur ?

Sauf si on cherche le malheur.

 

 

Malheureux !

Triste !

Clochard !

 

Jean-François et Jean-Claude nous expliquent qu’ils se sont connus à Etampes.

Rubrique Télé : « Il faut arrêter la pub de merde sur notre compte. Il faut être prudent. Il faut rendre la télécommande. Les films policiers font peur à Jean-François.

 

 

Rendez la télécommande !

 


Nous savons que nous sommes intelligents !

 

 

Douze !Nous sommes douze présents ce lundi 9 mai.

Qui l’eût cru ?

Saïd, Jean-Claude, Marcel, Huguette, Paul, Laurence, Dominique, Hélène, Anne-Laure, Coline, Jean-François, Abderkader.

Lecture et commentaires autour du compte-rendu de la semaine passée.

Jean veut faire un dessin.

Huguette veut un portait de Madonna.

Jean-François se souvient de Serre Eyraud, où il avait fait un séjour avec les soignants. Il se souvient des odeurs, du bois, du ski.

Un soir, il neigeait fort. Le type passe avec le chasse-neige et Poum il a poussé une voiture qui était mal garée dans le ravin. Morale : ne jamais garer sa voiture au bord d’un précipice.

Saïd nous gendarme, nous nous dispersons.

Dominique suggère que le thème est peut-être trop difficile.
Jean-Claude pense que tout le monde peut être malheureux. Ils sont punis, ils ne peuvent pas sortir dans la rue. Ils ne sont pas mariés.

Marcel et Huguette interviennent : Le mariage c’est une récompense.

Huguette regrette d’avoir perdu ses enfants, l’un était grand comme une bouteille, l’autre comme une canette.

La joie du mariage reprend Marcel, c’est les enfants.

Et le malheur d’Huguette c’est d’avoir perdu ses enfants.

 

Serions-nous bizarres ?

Bizarre ? Comme c’est étrange ! ! !

Et les gens disent qu’on est à l’hôpital des fous.

Mais nous, dit Jean, nous savons que nous sommes intelligents.

 

Jean-François a une grande question : Pourquoi ont-ils tué Kennedy ? Peut-être est-il encore en vie ? Ah non, réagit Laurence, ils l’ont montré à la télé. Dans ce cas sourit Hélène.

 

Qui est le plus malheureux sur Terre ? Et comment le mesurer ? Et comment mesurer le plus grand malheur qui est à l’intérieur ? Il y a plein de tests et même un Comité d’Accréditation !

 

Retour à la barrière.

Jean-François : ça évite aux gens de l’extérieur de rentrer. Avec la barrière, Laurence n’aurait pas perdu ses clés.

 

Une personne qui vit s’occupe reprend Jean-François qui est capable en même temps de parler de la barrière et de relire le compte-rendu de la dernière séance, tout en réagissant à ce qui se dit au Comité de Rédaction.

 

Si tu t’occupes tu vis. Jean-François interroge chacun sur ses occupations au Savoie et en dehors du Savoie. Il avait lui-même une occupation quand il faisait une psychanalyse.  Qui est Freud ? C’est celui qui a trouvé l’inconscient.

 

Dominique lit l’histoire de Mme  Petite.

Mme Petite était triste car elle était seule. Elle était si petite que personne ne la voyait. 

L’histoire a plu à tout le monde. Jean-François pense prendre un livre pour faire comme Dominique. Cette lecture lui a rappelé ses propres lectures :

« J’ai lu Mauriac, un livre sur le mariage, quand un homme apporte toujours des fleurs, La Peste de Camus, Henri Troyat, tout le cycle de la Lumière des justes. C’est le livre d’un poète français qui est allé en Russie. Ca raconte l’assassinat du tsar. J’ai lu Baudelaire : Le coche et la mouche. »

 

Lundi prochain : lecture des Fables de La Fontaine.

 

Jean-François de mémoire nous récite une fable :

« Deux compères qui se connaissaient depuis longtemps

Le renard fait le mort sur la route

Quand il voit un charrette de fromages

Le charretier s’arrête et se dit ;

« Une peau de renard »

Alors, le renard se relève et lui prend son fromage. »

 

A partir de cet essai remarquable et remarqué de Jean-François, nous reconstituons de mémoire Le corbeau et le renard.

Jean-François quitte le groupe et va chercher son livre des Fables de La Fontaine dont il nous lit La dédicace au Dauphin. Tous sont attentifs.

« Monseigneur, commence Jean-François.

Monseigneur,

S’il y a quelque chose d’ingénieux dans la république des lettres, on peut dire que c’est la manière dont Esope a débité sa morale. … »

Devant ce succès, nous décidons de diviser les Comités de Rédaction en deux temps : un temps de lecture et un temps d’élaboration.

Jean apprécie beaucoup. Ca l’épate que Jean-François sache lire.

Mercredi, à la réunion institutionnelle, la possibilité de créer une bibliothèque sera évoquée.

 

Le télécommande a été retrouvée.

 

 

 

Morale de l’histoire de Mme Petite :

 

Il faut rencontrer des gens pour pouvoir prendre du plaisir dans sa vie !

 


Les fables du Savoie

 

En ce lundi 16 mai de l’an de grâce 2005, nous préparions à la lecture des fables de La Fontaine dont Jean-François nous avait donné un avant-goût la semaine passée. Hélène avait la mine gourmande, Dominique, lui, s’en pourléchait les babines. Jean-François, peut-être fatigué par l’effort accompli, paraissait éteint. Il resterait silencieux tout au long de ce Comité de rédaction un peu particulier.

C’est avec de plus en plus de plaisir que nous nous retrouvons pour ce rendez-vous. Saïd, Jean-Claude, Dominique, Hélène, Anne-Laure, Jean-François, Abderkader, Didier, Fadela, Nicolas, Jean, José vont se plonger dans les trésors du fabuleux fabuliste.

Nous commençons évidemment par la lecture du compte-rendu de la semaine passée.

Jean-Claude nous rappelle qu’il faut manger, qu’il faut travailler, que pour s’habiller aussi il faut travailler. Pour travailler il faut être aux abris.

Séance La Fontaine, donc.

Lecture de la Cigale et la Fourmi qui est la première fable du recueil.

« La cigale ayant chanté

Tout l’été,

Se trouva fort dépourvue

Quand la bise fut venue :

Pas un seul petit morceau

De mouche ou de vermisseau. »

Dominique lit, mais Jean Claude de mémoire récite la fable avec lui. Une vraie gourmandise de mots. Un plaisir. Comme une ritournelle oubliée d’autrefois qui reviendrait le temps d’un lecture.

Elle n’est pas contente commente Didier. C’est pas joli.

Jean-Claude est allé danser comme la cigale. Toutes sortes de danses. Il était bien habillé.

« Il faut autant qu’on peut, oblige tout le monde :

On a souvent besoin d’un plus petit que soi.

De cette vérité deux fables font foi,

Tant la chose en preuve abonde. »

Lecture de Le lion et le rat.

Didier commente en disant qu’il n’est pas petit qu’il est grand.

Fadela qui arrive n’a pas entendu le début, elle demande si on peut reprendre la fable. Elle apprécie et demande si elle peut lire.

On poursuit avec la Colombe et la fourmi.

« Le long d’un clair ruisseau buvait une colombe. »

On explique ce qu’est une métaphore, une image, comme par exemple le lion roi des animaux.

L’éléphant c’est le roi des animaux, non ?

Non, c’est le lion le roi des animaux.

L’éléphant c’est quoi alors ?

La remarque est juste.

On lui prend ses défenses.

 

« Petit poisson deviendra grand,

Pourvu que Dieu lui prête vie ;

Mais le lâcher en attendant,

Je tiens pour moi que c’est folie :

Car de le rattraper, il n’est pas trop certain. »

Fadela lit Le petit poisson et le pêcheur.

Elle y prend manifestement beaucoup de plaisir, autant que nous à l’écouter.

Elle poursuit avec L’homme et son image puis avec l’homme qui court après la fortune et l’homme qui l’attend dans son lit.

Didier prend le livre et le passe à son voisin.

De voisin en voisin Hélène en hérite.

Elle lit Le loup et l’agneau puis la Cigogne et le renard, Le rat des villes et le rat des champs, le pot de terre contre le pot de fer, proposé par Jean-François. Les animaux malades de la peste, et les membres de l’estomac sont lus par Dominique.

Des animaux passent au milieu de nous, des membres du corps affamés circulent, la magie de La Fontaine opère même si les métaphores sont parfois un peu difficiles à comprendre. On entend presque barrir l’éléphant de tout à l’heure.

Les malheureux vont passer à la télé, nous apprend Jean.

Dominique conclut avec La grenouille qui voulait être aussi grosse que le bœuf, Le chêne et le roseau et La laitière et le pot au lait. Jean-Claude accompagne ses pitreries.

Il n’y a pas que la culture dans la vie. Il y a aussi le foot, et ça c’est important. Quelques uns du groupe sont allés à Istres voir le match Istres/Toulouse. Saïd raconte le match de foot à Istres. Jean-Claude précise. Jean explique que Istres a gagné grâce à lui : 1à 0 contre Toulouse. Le groupe, est ensuite allé manger des frites et du steak au Quick. Il y avait beaucoup de monde mais ils n’ont pas eu peur de tout ce monde. L’arbitre dérangeait un peu. Tous étaient d’accord là-dessus. Il ne laissait rien passer. Il était correct, précise Abderkader, peut-être qu’il n’était pas européen. Istres était en violet et Toulouse en gris et short noir. Le groupe est resté jusqu’à 10/11 heures.

Celui qui a marqué avait les cheveux longs et il a marqué avec le pied.

Anne-Laure commente : « Ah les mecs quand ils parlent foot ! »

Elle annonce son départ.

Cette séance est son avant-dernière.

 

 

 

L’eau et Pierre cœur de pierre

 

 

Nous retrouvons donc Anne-laure pour sa dernière séance avec nous ce lundi 23 mai.

Laurence, Didier, Paul, Edith, Jean, Dominique, Huguette, Saïd, Jean Claude, Abderkader, Josiane et Sylvain sont présents.

Nous commençons par la lecture rituelle du résumé de la séance précédente.

Le groupe choisit de lire des poèmes du fil de l’eau.

Didier commence. « On s’arrête quand je suis fatigué. » Il s’interrompt. Les virgules font des nœuds.  « Les  malheureux sont fatigués. » Laurence prend la relève. Didier part chercher de l’eau. Il revient les mains toutes mouillées. Est-ce cette eau là qui nous intéresse ? Celle que Didier convoque au Comité de rédaction ? Ou une autre eau ?

D’abord c’est l’eau qu’on boit puis l’eau dans laquelle on se baigne, l’eau de la piscine à Laragne.

« Il y a une piscine à Laragne ? »

Voyons Laurence. Bien sûr qu’il y a une piscine à Laragne. Il y a bien un hôpital psychiatrique, pourquoi n’y aurait-il pas une piscine ?

« L’eau mouille, poursuit Didier. L’eau mouille. Il faut que ça sèche tout seul. Et puis, il y a l’eau des larmes. C’est cette eau qui m’a sauvé. Elle est salée. »

Didier se souvient qu’il a fait une cure d’eau à Marseille, une cure thermale comme on dit. « Les infirmiers étaient toujours malades. Je me suis baigné tout seul. Je ne suis qu’un patient, c’est le médecin qui décide de l’hospitalisation. »

Comme souvent le groupe passe à autre chose.

Jean enchaîne avec l’eau du robinet, l’eau de la pluie, l’eau des rivières.

« Tu as soif, lui demande Didier. »

On vogue le long de la Méouge, du Riou où l’on peut pêcher, du lac de Serre-Ponçon où Jean Claude a fait du bateau et du camping. Saïd rappelle qu’à Gap, il y a une activité voile, animée par Christine Despagne et Dominique Rougier.

L’eau de mer, le Pacifique.

Saïd reprend la parole et parle de son projet de louer une péniche pour le mois d’août. Une péniche pour traverser le Canal du Midi. Il se souvient l’avoir déjà fait. Il s’est arrêté à Carcassonne et dans quelques autres villes moins connues.

C’est une bonne idée d’organiser une sortie mais il faut trouver comment la financer.

Jean Claude parle des péniches à Venise, des gondoles.

Paul est allé pêcher dans la Méouge. Il se souvient des pierres, de l’eau et surtout des écrevisses qu’il ramassait. Il a pêché aussi des  truites. Comme çà fait-il en lançant une canne à pêche imaginaire. Il pêche à la mouche. Il a pêché aussi des poissons rouges. Il prenait de l’essence de térébenthine pour appâter. Dominique, lui pêchait les truites avec des morceaux de maquereau. Il existe des endroits où l’on appâte avec des morceaux de pain arrosé au pastis. A St Léger les Mélèzes, Laurence pêchait avec des asticots. C’est un élevage. On paye les poissons qu’on cueille. La truite est un poisson très intelligent. Lors de l’ouverture de la pêche, on en prend aussi longtemps que le lac est surpeuplé. Mais dès que la population truitière est revenue à un niveau normal, les truites ne mordent plus à l’hameçon.

Jean et Jean Claude se souviennent avoir ramassé des moules, des coquillages, des araignées de mer. Jean Claude ramasse, Didier, lui, préfère les manger.

Abderkader a vécu au bord de la mer, en Algérie. Il se souvient surtout des sardines qu’on cuisinait au barbecue. Elle valait 50 à 80 francs.  En Espagne surenchérit Jean, il y a aussi beaucoup de poissons.

Quelqu’un a-t-il déjà pêché une sirène ?

Qu’est-ce qu’une sirène ?

Jean Claude explique que c’est un être humain avec une queue de poisson. C’est aussi un vrai poisson avec une bouche en cul de poule. Ce soir nous nous coucherons moins bête. Sur la route du temps, du côté de Digne, on peut voir sur un rocher au milieu de l’eau, un fossile de sirène. C’était une sorte de singe qui vivait il y a très longtemps dans la région. Ils aimaient par dessus tout se chauffer au soleil et dormir sur les rochers.

Chacun a tellement à dire que ça se bouscule, que parfois les noms d’oiseaux remplacent les noms de poissons.  

Les soignants rappellent que nous sommes à l’hôpital et qu’il y a des gens qui ne vont pas bien, qu’il faut les respecter. Saïd a du mal avec le respect de ceux qui vont mal. C’est dur parfois de supporter. De supporter qui ? Les  autres ? Non ce qui est difficile c’est de ne pas fumer pendant une heure.

Si on ne tient pas, rétorque un non-fumeur, c’est qu’on est esclave de la cigarette. « Pourquoi on ne m’a pas dit qu’on pouvait être esclave de la cigarette ? » interroge Didier.

Retour au poème.

Dominique lit Le rêve a besoin de l’eau, un extrait d’un texte de Gaston Bachelard. Le poète nous emmène dans son village, le long d’un ruisseau qui court parallèlement au village qui s’est construit autour. Jean se souvient qu’il emmenait l’eau chez lui avec un bourricot. Il se rappelle qu’il faisait des châteaux de sable sur la plage. Chacun se plonge dans des souvenirs d’enfance, souvenirs d’eau. Jean Claude se souvient des  péniches et des écluses. Il fallait attendre que l’eau monte et descende. Huguette n’a pas de souvenirs autour de l’eau. Elle n’en a tellement pas qu’elle se sauve. Saïd repart dans son projet de séjour péniche. Dès demain, il s’y met, il se renseigne. Dominique a vu Jeanne d’Arc à  Carcassonne.

A mobylette.

En armure.

Elle allait chercher sa baguette.

Anne-Laure, dans ses notes, se demande s’il faut le croire, si le soleil ne tape pas trop fort.

A l’époque de Jeanne D’Arc, il n’y avait pas de mobylette. C’est certain.

A Béziers, par contre il y a une très belle église.

Celle de Laragne est ouverte à 9 heures.

Jeanne D’Arc, c’était parce qu’il y avait un film qui se tournait. Film qui est ensuite passé sur la 2. Dominique était arrivé au moment de la pause. La comédienne était montée sur une mobylette pour aller se chercher de quoi grignoter.

La séance s’achève par la lecture d’un Conte par Laurence, autorisée par le groupe à lire l’histoire de Pierre Cœur de pierre. Un petit garçon solitaire qui se transforme en Pierre Cœur de pierre afin que ses parents et notamment son père s’occupe de lui.

Moment très fort.

Et lorsque le père de Pierre, lui demande pourquoi il est si méchant, c’est Didier qui répond : « Parce que je suis tout seul. » et Jean en écho « Moi non plus on ne m’aime pas. »

A la fin du Conte, alors que tous sont dans l’émotion, Didier demande une minute de silence pour les morts.

Qui est mort, demande Jean.

Beaucoup de monde, répond Didier.

Avant de se quitter, chacun dépose son cœur de Pierre sur une feuille dans la salle.

 

 

 


Haro sur les baveux !

 

 

Qu’allions-nous devenir sans notre accorte secrétaire ? Réussirions-nous à prendre des notes ? Resterait-il quelque chose de ces sublimes échanges, de ce happening d’une heure trente ?

Ce lundi 30 mai, Laurence s’y essaya.

Jean-François, Saïd, Jean, Jean-Claude, José, Edith, Jean-Paul, Huguette, Marcel, Dominique, Laurence, Abderkader, Josiane et Didier arrivé en retard étaient présents.

La séance commença bucolique. Il n‘était question que de plantation. De framboisiers à planter. L’âge d’or recommencé encore et toujours. Des conseils de jardinage, vite épuisés, au Savoie, en matière de jardinage on n’est pas tip-top on passa aux conseils de vie.

Rappelons avant d’esquisser les éléments de notre philosophie savoyarde que de nouvelles photos de Madonna sont apparues sur les murs. Il y en a partout ou presque, mais Huguette n’est toujours pas contente.

Les conseils ! Les conseils ! Les conseils !

Patience lecteur.

Des produits naturels. Na-tu-rels. C’est le conseil de Jean François aux malades. « Des produits naturels pour aller à la selle. Oui, oui. Il faut des produits naturels. Et des régimes sans sel(le)s. Pauvres malades ! Pauvres  martyrs. Et les framboisiers qui ne sont pas plantés. On peut aussi acheter un chapeau de paille. »

Saïd prend un air grave pour déclarer que le Savoie est partagé en deux : les normaux et ceux qui ne sont pas normaux. Qu’est-ce à dire ? Chut ! Ecoutez le judicieux conseil de Marcel : « Soyez unis ! » Jean Claude n’est pas d’accord ou entend-il autrement ce que dit Marcel, en tout cas il semble en prendre le contre-pied et recommande : « Séparez-vous, mariez-vous ! » Jean poursuit dans le maraîcher : « Jardinez, cultives vos salades, vos poireaux, des tomates ! » Paul, le sage, un peu sourd du Savoie recommande d’être muet et de devenir sourd. Huguette n’a qu’une règle, qu’un conseil : « Aimez Madonna ! » Abderkader, l’européen recommande de respecter les règles de vie.

La cacophonie est jolie. On s’écoute peu mais on réagit à la musique de ce que dit l’autre. On répond à l’écho de ses paroles. Un mot en entraîne d’autres.

Jean-François profite d’une respiration pour reprendre la parole. Il est comme ça Jean-François. Il a un véritable talent pour prendre la parole, ce qui agace Abderkader et Jean. Jean-François raconte des histoires de plantes. Le mot oxyde de carbone revient avec insistance. L’oxyde de carbone est à l’origine de la vie des plantes. Le cactus est une plante du Mexique. Il y a parfois un tel brouhaha qu’il est difficile de prendre autre chose que des mots au vol.

Comment peut-on faire pour vivre ensemble ?

Telle est la question que les soignants renvoie au Comité de rédaction.

Jean-François n’est pas pris au dépourvu. Il a sa réponse.

« Il faut une LOI qui s’impose à tous et il faut enfermer les clés. » Il trouve qu’il y a beaucoup de vols. Il faut donc enfermer les clés dans une armoire fermée à clé. Ainsi on est sûr de ne pas perdre les clés, sauf si bien sûr on perd la clé de l’armoire aux clés. Mais dans ce cas-là il suffit de faire des doubles. « Il faut respecter les règles. Surtout le personnel. »

- Il faut être correct, estime Saïd. Il faut être correct, droit. Il ne faut pas que les autres bavent. Parce que quand y’en qui bavent, ça fout la honte.

Jean-François ignore superbement l’interruption de Saïd qui poursuit une idée apparue dès le début de la séance.

« Ne pas avoir de jeunes infirmiers agressifs et autoritaires qui empêchent de boire du lait. » Jean-François explique à Huguette qu’il a bousculé pour un verre de lait qu’il n’a pas pu faire autrement. Est-ce une façon de lui présenter ses excuses ?

- Oui, reprend Saïd, y’en qui bavent. Y devraient pas sortir.

Baver reprennent les soignants, ce n’est pas pareil. C’est un effet secondaire des neuroleptiques. Les personnes qui bavent ne le font pas exprès.

Saïd trouve ça dégoûtant. Il dit même que c’est honteux l’image de ces personnes qui bavent surtout en sortie.

Jean-François reprend la question des effets secondaires des neuroleptiques. « Ils empêchent de vivre et de niquer ! »

Huguette intervient et tient à préciser qu’elle aime Madonna. Est-ce que la présence de Madonna au Savoie permettrait de mieux vivre ensemble ?

Qu’est-ce qui peut permettre de mieux vivre ensemble ?

Telle est toujours la question.

Et elle risque de rester encore longtemps la question.

Ne pas se moquer, se respecter.

Et par rapport aux bavouilles ?

Il faut désinfecter.

C’est le travail des soignants.

Il faut de l’hygiène corporelle. Le corps, c’est un temple. A respecter.

Quand Saïd a une idée en tête, il ne l’a pas ailleurs.

« Il y a les normaux et les anormaux. Les anormaux qui bavent ne doivent pas sortir.

-         Non, dit Didier.

-         Alors il faudrait des endroits spécifiques pour les « baveux », les alcooliques, les « gros », les « « fumeurs ». Une sorte de Savoie bis, ter et quater ?

-         On trouve toujours plus baveux que soi !

Pour Jean Claude le mariage est une garantie pour mieux vivre ensemble. Pour Jean, c’est important de bien s’entendre. Il faut donc être tous pareils. Saïd, que ça préoccupe visiblement, essaie d’expliquer que les gens ne procèdent pas de la même nature, ni de la même qualité. Il y a les normaux et les anormaux.

Jean-François propose qu’un psychiatre participe au Comité de rédaction. Didier est d’accord ainsi que Jean-Claude et Jean. Dominique assure que dès qu’un nom de psychiatre émergera, on verra. Chacun verrait bien son psychiatre plutôt que celui du voisin.

Jean-François divise le personnel en deux :

-         Le personnel infirmier

-         Le personnel de nettoyage.

Le personnel de nettoyage ne doit pas commander et ne doit pas jouer aux infirmiers. Les infirmiers ne doivent pas se comporter en intellectuels. Ils ne doivent pas jouer aux psychiatres.

Tout cela ne nous rajeunit pas et montre que ce qui agite les réunions institutionnelles agite aussi les unités. Les patients ne sont pas plus tolérants que les soignants ou que l’homme de la rue, ce qui finalement est rassurant.

La séance s’achève par la lecture d’un poème de Le Clézio par Dominique. Nous suivons avec lui la course des nuages. C’est doux, c’est calme, c’est chaud, c’est bien.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


La liberté, ça soigne !

 

 

Le 13 juin, 10ème  Comité de rédaction. Qui l’eut cru ? Qui eut cru que cette improbable activité rassemblerait une dizaine de personnes à chaque séance ? Ce 13 juin, nous sommes encore douze autour de ce journal à naître, un jour peut-être.

Deux étudiantes, Marie-Anne et Sabine, assistent à leur première séance.

Qu’est-ce qu’on fait là ? Comment le leur expliquer ?

Jean-François, Jean, Yves, Michelle, Jean-Claude, Saïd, Sonia et Abderkader assistés d’Hélène et de Dominique vont bien arriver à leur expliquer.

Le temps de lire le résumé de la séance précédente. Remarquez que déjà, pour elles, c’est une explication.  Le temps que Jean-François ressorte son coffre à clés fermé à clé. Le temps d’évoquer le regretté Passe-Muraille, abattu en plein vol et Jean-Claude a cette définition sublime. Une sublime définition. Sublime de simplicité. Je le tape en caractère gras pour la mettre en valeur.

« Ici, on se promène, on s’écoute parler, on travaille … »

Que dire de plus, que dire de mieux ? Comment mieux définir ce que nous faisons ensemble ?

Et en même temps c’est une réponse à la question posée lors de la dernière séance. Comment vivre ensemble ? En s’écoutant parler.

Certes, certains ne veulent pas travailler, mais ce n’est pas important, chacun va à son rythme. Saïd dit que c’est une réunion d’information. Jean parle de cassettes vidéo. On a hâte de guérir dit l’un. Faites-moi rêver, nom de Dieu, tonitrue Jean-François.  Son cri de guerre a toujours autant d’effet.

Si on avait un car, on pourrait aller au camping, à la pêche. Il suffit d’un camping gaz.

Moi, j’aime bien la liberté, répond Jean qui a parfois un petit retard à l’allumage.  Le Comité de rédaction c’est une heure et demie de liberté. Jolie réponse de Jean.

La liberté surenchérit Jean-François, c’est la 4ème dimension.

La liberté, ça soigne.

Comment ne pas adhérer à ça ? Comment ne pas en faire un cri de paix, une philosophie de soin, de vie ? Comment ne pas le graver sur tous les lieux de soins. La liberté, ça soigne.

Le journal ? Ce qu’on y fait.

C’est ça.

On parle de ce qui a, rajoute Jean.

Faut faire.

Travail, bâtiment, retraite.

Arrêt du Moulin.

Meunier, tu dors, ton moulin va trop vite. Meunier tu dors ton moulin va trop fort.

Le Moulin va trop vite, alors j’arrête le Moulin.

On associe avec St Arzelier et la fête qui se donnera à cette occasion.

On parle chanson. Et soudain ça dérape.

Claude François fait irruption dans la séance. Il s’est électrocuté  dans sa baignoire. Mireille Mathieu a commencé à chanter à 18 ans. Le lundi au soleil c’est une chose qu’on ne verra jamais. Dominique dérape et se met à chanter. Jean Claude et Michelle, puis Jean reprennent en chœur. Dalida est convoquée : « Bambino, Bambino ». Les morts reviennent en chanson. Le groupe va chanter pendant une heure, uniquement des chansons de chanteurs morts. Sonia nous fait une sublime interprétation de L’homme à la moto. Brel et Brassens se taillent leur petit succès. Mike Brandt itou. On chante Berthe Sylva, Le petit vin blanc. On chante faux mais on s’en fiche. Je suis sûr que nos chants se sont entendus jusqu’à Grenoble, au moins. Le lendemain, il pleuvait. Et pas qu’un peu. On attendait la neige. Alors on a été gâté.  Jean Claude nous a fait un sublime show. Il connaît tout. Il chante tout. Il a même eu le dernier mot en nous citant de mémoire cette phrase que je n’ose nommer apocryphe de Ray Charles : « Je fais semblant, je suis pas mort. »

Oui, ici on fait semblant, on n’est pas morts. Nous sommes tous des Ray Charles.

Il n’est pas sûr que Marie-Anne et Sabine ait tout compris. En tout cas, on s’est décarcassé.

 

 

 


Quelqu’un est mort dans ma chambre !

 

Déjà le 20 juin. Et oui, le temps passe vite, si vite. Ces chroniques trimestrielles s’achèvent.

Roland, Jean, Jean-François, Huguette (et son bidet), Abderkader, Hélène, Laurence, Dominique, Paul sont présents.

Jean-François repart avec son twist des clés enfermés dans le placard aux clés fermé à clé. C’est l’occasion de reprendre la séance de la semaine passée.

On repart autour des plantes vertes, des plantations, du framboisier.

On a trop tendance à couper, casser. La nature se venge quand on la contraint trop. C’est ça la pollution, la réaction de la nature.

Sur ce thème Jean-François est intarissable. On ne comprend pas forcément tout. Il est question de gaz, d’un gaz inoxydable. Un gaz qui arrive.

Jean se souvient d’une usine de gaz à Pau, à côté de Lacq. On mettait des masques.

Il y aurait du gaz partout.

Huguette se plaint que son bidet est bouché. Il faut le lui réparer. On la rassure. Mais c’est une idée fixe. Elle en oublie même de nous parler de Madonna.

Le bâtiment lui-même fait un gaz inoxydable. A force ça fait un gaz sur le béton. Le gaz rentre et ça fait une odeur comme si c’était pourri. C’est le chlorure de sodium. Vous suivez ?

La terre ne digère plus ce qu’on lui fait. Et donc tous les W.C sont bouchés dont celui d’Huguette.

Il y a des choses qui remontent.

C’est parce qu’il y a un typhon dans les W.C.

Et du coup ça remonte.

Quand les malades se torchent le cul, ça part pas, ça reste.

C’est le retour du refoulé, plaisante Dominique.

Y’a du caca dans les toilettes.

Et elles sont pas nettoyées.

Y’en a qui mettent leur short dans les toilettes. Evidemment, ça bouche aussi.

C’est difficile de voir son caca partir essaie Laurence. Dominique reprend dans le même ordre d’idée et précise les sensations. Difficile de quitter ce bel étron qu’on a eu tant de mal à faire, difficile parfois de tirer la chasse d’eau.

Ca vient des souterrains d’eau chaude qui sont sous le Savoie.

Qtrès scato ce Comité de rédaction.

Laurence annonce que le Savoie a la responsabilité des daims. Ils ne mourront ni de faim, ni de soif. Les daims mangent du blé précise Paul. La corde et le mûrier, c’est tout ce qui reste.

Les cornes poussent toute seules.

Et les trophées bouchent les W.C.

Jean-François nous prévient que nous ne sommes pas sérieux, que si nous continuons comme ça, on va se casser la figure.

Jean explique qu’il fait du cheval à Barret.

Jean-François revient sur la boîte à clés.

Laurence suggère qu’elle pourrait laisser son bureau ouvert. Ainsi, il n’y aurait plus besoin de clés.

Jean-François n’est pas, mais alors pas d’accord du tout. Si le bureau est ouvert, il pourrait y avoir des vols, et s’il y a des vols qui sera soupçonné ? Lui. Il faut donc fermer les portes, les boîtes à clé pour qu’il ne puisse pas être accusé de vol.

L’hôpital ne ferme pas, ne peut pas fermer à cause du SAMU, des ambulances. C’est pas possible de le fermer.

A l’hôpital français on pique. Dans l’hôpital italien aussi on pique. La différence ce sont les allumettes. En Italie, ils ont des allumettes en cire. Il suffit de les frotter sur ses chaussures, sur son pantalon pour qu’elles s’allument.

Hélène raconte une histoire de voleurs et de découverte de la vérité.

Nous sommes toutes ouïes. Une tribu traverse la désert pour se rendre à Samarcande vendre ses marchandises. Mais un voleur dérobe les bijoux avant qu’ils aient pu se rendre au marché. Le chef de la tribu va mettre au point un ingénieux stratagème pour démasquer le coupable.

Le conte c’est pas sérieux nous dit Jean-François. Jean se souvient que son père faisait des contes en espagnol.

« Je dors mal parce qu’il y a quelqu’un qui est mort dans ma chambre il y a longtemps. « 

Abderkader casse un peu l’ambiance. Mais peut-être est-ce parce que le groupe avait des choses comme ça à dire que la séance se traînait, qu’on parlait de tout ,de rien  e surtout de ce qui remonte, de ce qui ne passe pas.

« Michel A. est mort. C’est une infirmière qui l’a empoisonné. Je dors dans sa chambre. » Saïd  reprend à son compte la phrase d’Aderkader.

Les soignants font remarquer qu’il est difficile d’en parler, qu’une enquête est en cours, qu’on ne sait pas ce qui s’est exactement passé. C’est l secret de l’instruction.

M . B. est mot d’un cancer généralisé. Il savait qu’il avait un cancer. Comment ça se fait  qu’il soit resté là. ? Le vrai M. B. n’est pas mort ici.

C’était une infirmière qui se trompait, qui faisait des erreurs. Fallait voir l’état où elle se mettait l’infirmière. Elle arrivait tous les matins défoncés. Elle était pas malade. Et pourtant. Le sujet est glissant. Une enquête est effectivement en cours. Nous ne pouvons que faire la chronique de ce que dit le groupe.

Tu te rappelles de C. l’infirmier qui est parti en retraite maintenant. Le groupe s’anime. Les anecdotes fleurissent. Toutes traitent d’une certaine forme de violence institutionnelle. Des infirmiers violents, c’est un peu comme un pompier pyromane. Mais chez les pompiers, on ne garde pas les pompiers pyromanes.

On a l’impression que chacun fait ce qu’il veut, qu’il n’y a pas de règle, pas de loi. Ou alors seulement pour les patients.

Quand Carbonnel arrivait. Tout le monde était au garde à vous. Tout le monde écoutait. Plus personne n’écoute personne.

Une infirmière doit s’occuper des malades. Elle doit être gentille, polie. Elle ne doit pas crier.

Celle-là s’est trompée.

Non, non c’était volontaire.

Elle augmentait les doses en douce.

L’hôpital je l’ai connu comme si je l’avais fait.

Il y a quelque chose de pourri dans le Royaume de France.

Le cadre doit dresser les infirmiers !

Non ! hurle Laurence.

Le personnel  doit venir à la réunion.

C’est le Comité de rédaction du journal reprennent les soignants pas une réunion communautaire. C’est le cadre où tous ces éléments douloureux doivent se discuter. Entre soignants et soignés. Il n’est pas dans les attributions du Comité de rédaction de décider du fonctionnement de l’unité. Le but c’est un jour de faire un journal.

Fin de cette première chronique savoyardo-laragnaise. La prochaine sortira en septembre/octobre.

 


 

 

 

 

 


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