Ma première rencontre avec la psychiatrie remonte à … déjà bien longtemps ; au printemps 1979. J’étais jeune, trop jeune sans doute pour appréhender ce monde inconnu. J’avais bien quelques notions sur les pathologies, mais les cours théoriques à l’école d’infirmières n’avaient pas éveillé chez moi une véritable passion pour cette partie de la médecine. Je le comprenais difficilement. Elle me paraissait insaisissable. Mais il fallait bien effectuer un stage. J’appris avec soulagement la bonne nouvelle : j’étais affectée pour un mois dans une clinique privée de Saint Rémy de Provence. J’évitais ainsi le « terrible » et lugubre Hôpital psychiatrique d’Aix en Provence. En effet ces grands murs froids enfermant des « fous dangereux » m’effrayaient beaucoup. Je commençais donc mon stage le cœur léger. (Dans ma vie privée tout allait pour le mieux, je venais de rencontrer Philippe devenu mon mari depuis). Installée dans un care agréable, la clinique ressemblait plutôt à une maison de repos ou un centre de vacances. Les patientes, puisqu’il n’y avait que des femmes présentaient des troubles dépressifs, des problèmes existentiels et conjugaux. Rien de bien important me semblait-il. C’était donc cela la psychiatrie ?
Jusqu’au jour où nous avons reçu Christiane, jeune
patiente, mais tellement différente. Elle ressemblait à une panthère blessée
que l’on vient de capturer. Agressive et agitée, elle se débattait avec une
force inhumaine. Elle nous injuriait, et dans ses cris stridents, elle appelait
un certain « Philippe » (Tiens !). Elle n’entendait rien de ce
que les infirmières lui disaient. Bien sûr elle a vie été sédatée. La clinique
retrouvait ainsi son calme habituel et les patientes leur sérénité. Christiane
a beaucoup dormi. Nous devions l’assister : toilette, repas … Elle ne nous
agressait plus. Elle était devenue méconnaissable, soumise et ressemblait
maintenant à un oiseau blessé tombé du nid. Dans ses yeux : la détresse.
Dans les miens : l’incompréhension.
Jour après jour l’évolution m’a permis de découvrir
la vraie Christiane. Bien sûr affaiblie par cet épisode d’agitation. Bouffée
délirante, puis psychose maniaco-dépressive m’a-t-on dit. Mais, comme elle
était digne et belle maintenant ! Comment avait-elle pu basculer ainsi et
si vite ? J’éprouvais une sensation de gâchis. Comment son mari médecin
n’avait-il pas reconnu les prémices de cette décompensation ? Les signes
étaient pourtant nets : Christiane était tombée amoureuse de Philippe,
l’associé de son mari. Elle était entrée nue dans la salle d’attente en faisant
des déclarations amoureuses. Elle avait fait des dépenses inconsidérées :
bijoux, meubles et vêtements de toutes tailles.
Cette situation me mettait mal à l’aide. Comment
Christiane allait-elle retrouver sa dignité ? Pourrait-elle retourner,
dans sa famille certes, mais dans son village ? Je compris alors que
personne n’est à l’abri d’une telle décompensation et cette certitude
m’angoissait. C’est peut-être pour cela que j’ai mis de la distance entre le
psychiatrie et mon métier d’infirmière,
et qu’il aura fallu plus de vingt ans pour que j’ose franchir le pas … pour
cette fois découvrir le monde fermé de la psychiatrie « lourde »,
celle d’un pavillon d’entrée et de crise.
Marie-Line Perdiguier, IDE,
C.H. Montfavet, Spécialisation à la psychiatrie.