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"1977 - Plume d'Ange"

en automne de cette année là,
Claude Nougaro
bouillant homme de TOULOUSE,
nous a offert
une plume d'ange.
Ce poème, cette ode à l'étrangeté me plongeait
dans l'univers mystérieux de la psychiatrie.


1977; ce même automne a vu mon arrivée dans la vie professionnelle, et ce dans une clinique psychiatrique. Allais-je rencontrer des porteurs de plumes d'ange ?

J'ai commencé à travailler dans cette clinique comme aide-soignante sans avoir de cours théoriques sur les pathologies psychiatriques, à peine avais-je lu quelques livres romancés et quelques articles polémiques sur les enfermements abusifs ou sur les traitements des malades mentaux.

La clinique dont c'était l'ouverture était belle, à flan de montagne, entourée de champ et de bois.

L'intérieur impeccablement propre donnait l'impression d'une pension de famille. Les chambres étaient à un ou deux lits avec salle de bain individuelle. Pour chaque étage, une infirmière et deux aide-soignantes s'occupaient de cinquante patients.

Inutile de préciser que les soignants n'avaient guère de temps entre les soins techniques, les soins de nursing et les préparations des traitements.

Les patients venaient à la clinique pour des séjours plus ou moins courts; ils y venaient de leur plein gré, en accord avec leur psychiatre traitant. Il n'y avait donc ni placement sur demande d'un tiers (qui s'appelait Placement Volontaire en 1977), ni placement d'office.

La majeure partie des patients venait pour des troubles névrotiques plus ou moins graves, des troubles dépressifs, des problèmes alcooliques, des troubles pré-séniles.

Le surveillant m'avait également dit que la clinique recevrait des patients psychotiques mais n'avait rien rajouté à ce propos.

Quelque temps, après l'ouverture, nous avons accueilli une jeune fille qui venait juste d'avoir dix huit ans.

Longiligne, très pâle, de longs cheveux encadrant un visage effrayé, Catherine arrivait pour une hospitalisation, elle était accompagnée par ses parents et s'accrochait très fortement à sa mère.

Voir admise en hospitalisation une jeune fille de mon âge m'est apparue comme une injustice.

Les parents partis, j'ai voulu accompagner Catherine jusqu'à sa chambre; elle m'a suivi docilement sans mot dire; ne répondant à aucune question, le regard dans le vague. J'eus beau essayer d'attirer son attention, elle restait à mes côtés sans donner l'impression qu'elle me voyait ou m'entendait.

Ses gestes ralentis, parfois à peine ébauchés m'ont donné envie pendant quelques instants de la secouer pour la réveiller de ce sommeil-éveillé qui me paraissait glacial.

Assise sur son lit, elle a commencé à se balancer de façon rythmée, toujours sans parler, insensible à ma présence.

Je me sentais envahie d'une anxiété vague, ne sachant quelle attitude prendre; le surveillant vers qui je me tournais comme vers une bouée de sauvetage me dit un mot inconnu : schizophrène.

Nantie du mot magique, je retournais à mon observation.

J'étais persuadée à ce moment là que le traitement allait venir à bout de cet état que je jugeais inhumain et j'attendais de voir l'amélioration qui n'allait pas tarder.

Les jours suivants, et malgré un traitement per os que je jugeais très important aucune amélioration ne se faisait sentir. Catherine passait la majeure partie de son temps dans sa chambre, parlant très souvent seule à voix basse insensible à ma présence.

Elle arrêtait de parler quelques fois, tendait l'oreille vers un point imaginaire, semblant écouter quelque chose que je n'entendais pas.

J'avais l'impression d'être en face d'une prisonnière enfermée dans son corps, incapable de communiquer, incapable de prendre soin d'elle. Rien ne semblait la distraire, rien n'attirait son attention mais également rien ne la fâchait, ni notre sollicitude à vouloir lui prodiguer des soins d'hygiène, ni notre insistance à lui faire prendre un traitement.

Un matin, lors des soins de nursing, Catherine a pris la main d'une collègue en disant qu'elle avait peur. Son visage était illuminé d'un beau sourire et plus elle nous parlait de ses peurs, de ses angoisses nocturnes plus elle souriait.

Je me souviens du malaise que je ressentais, n'arrivant pas à comprendre ce qui se passait, hésitante parfois très incrédule. Tout cela ne "collait" pas avec ce que j'avais vécu, appris.

J'étais terriblement loin du porteur de plume d'ange que j'aurais aimé trouver.

Et si la psychiatrie n'était pas poétique... "

Si la psychiatrie est poétique, elle l'est comme un poème de Bukowski, comme une envolée de Céline, oscillant constamment entre "Les mémoires d'un vieux dégueulasse" et "Le voyage au bout de la nuit". C'est un texte où les métaphores brûlent la peau, où la souffrance est tatouée au plus profond de l'âme.

L'expérience paraît tellement limite qu'on peut se demander pourquoi certains choisissent de devenir infirmiers de secteur psychiatrique.



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