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La première fois…..

Toutes les premières fois sont importantes, même si on ne le sait pas à ce moment-là…C'est parfois dans la reconstruction du souvenir qu'on en saisit l'essentiel….Se souvenir du premier regard que l'on a posé sur un être, un paysage, se souvenir de l'odeur qui accompagnait ces instants-là….

Ma première fois en psychiatrie, septembre 1977, 22 ans et encore plein d'illusions, idéaliste je suis et un peu marginale, même pour l'époque….Je le suis encore, presque 30 ans plus tard, et pas peu fière ! Mais j'ai beaucoup moins d'illusions, la vie et les rencontres m'ont permis, au travers de ce chemin, de mesurer, un peu, suffisamment ? la différence entre ce que Lacan a nommé ; le réel, l'imaginaire et le symbolique. Les êtres humains rencontrés, ceux que l'on désigne sous le nom de patients, autrefois malades, à présent clients, mais bien sûr ! Ce sont eux qui m'ont appris ce que c'est d'être humain. Les " normaux ", ceux qui le croient en tout cas, sont souvent beaucoup moins humains qu'un psychotique qui de son profond ô combien profond désespoir, va lutter pied à pied, pour ne pas le perdre , le pied justement et sera capable de ressentir ce que vous êtes en face de lui….Bref ! Il ne s 'agit pas d'idéaliser la maladie mentale, simplement de dire que j'ai rencontré des gens qui m'ont profondément ému, que j'ai admiré pour ce courage à vivre et à lutter, en plein cœur de l'humanité avec ses faces sombres, et ses grandes plages de soleil…

Donc, j'avais passé le concours pour faire mes études d'infirmière en psychiatrie, et reçue, on m'a proposé, en attendant de commencer, de travailler un an en tant qu'élève infirmière stagiaire, et on m'a affectée dans un service fermé, ils l'étaient tous à l'époque ! Service fermé et connu comme " disciplinaire " tant pour les patients que pour les soignants un peu récalcitrants. Une équipe de " choc " et des patients " chroniques " rangés dans des dortoirs. Mon premier matin, je suis arrivée à 6h, dans les couloirs de l'hôpital, ça sentait déjà le repas du midi, odeurs de soupe et de frites mêlées. J'ouvre le pavillon, je fais quelques pas et ….je dérape sur un étron déposé là ! Bienvenue !

Comme j'étais nouvelle, on m'a confié le soin d'aller faire manger Gérard, relégué au fond de l'unité. Patient atteint de phényl…, il était nu, ne supportait pas la lumière du jour, était aveugle, et sans paroles, mais pas sans cris….Jour après jour, j'ai appris à l'approcher sans l'effrayer, à rentrer en contact avec lui. Au bout de quelques temps, lorsque je m'approchais de lui en lui annonçant mon arrivée, je le voyais se redresser dans son lit et tendre la main. Quand j'étais près de lui, il posait doucement sa main sur mon bras, et pouvait manger, apaisé. C'est lui qui m'a appris qu'il y avait toujours quelque chose de possible, et d'aussi loin que nous étions l'un de l'autre, que nous pouvions échanger des émotions humaines. Je pense aussi à ce beau vieux monsieur, que sa femme s'était résolue à placer, car il perdait complètement ses mots, ses pensées. On voyait bien qu'ils s'étaient beaucoup aimés…..Je lui chantais des vieilles chansons qu'il reprenait avec moi, le soir au moment du coucher, qui lui permettait de s'endormir tranquillement. Mes collègues, eux m'engueulaient : " tu fais encore chanter les vieux, y vont nous faire ch…encore un moment ! "

Depuis, j'en ai rencontré bien d'autres, qui ont mis fin à leur calvaire, je pense à André, qui une nuit, était venu me trouver, me dire l'horreur de son cerveau qui saignait…à Marie-Christine avec laquelle nous échangions sur la littérature…. Tous m'ont appris des émotions, des sentiments …pour tenter d'être plus humain, ils m'ont appris qu'il fallait du temps, qu'il fallait se taire pour accueillir l'autre, qu'il fallait être soi et douter….

Gilotte



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