« Subjectifs de
stage » :
Texte adressé à des
élèves aides-soignants partant en stage :
En tant que formatrice venue aujourd’hui parler avec vous de la préparation à votre premier départ en stage en psychiatrie, j’ai trouvé que c’était « la moindre des choses » que de vous parler en quelques lignes de :
« Ma première fois
(1) en psychiatrie »:
Ces exemples parlent de ma rencontre avec la « folie ».
Il est question de peur : peur de ne pas trouver les mots, peur de devenir des soignants résignés, peur d’être agressée, peur d’être manipulée…
J’étais alors
étudiante en fin de première année de psychologie, et, pour gagner de l’argent,
j’ai cherché un travail d’été : j’ai été embauchée au centre hospitalier
spécialisé, comme « auxiliaire de soins», chargée, comme vous, d’ « aider » les infirmiers
C’était une unité ,
vouée à la fermeture , qui accueillait des patients âgés déments ,ils étaient
toute la journée dans un grand salon , un peu comme une salle de bal ,
attendant assis sur leur chaise…que quelqu’un les invitent …Mais ici , personne ne dansait.
Une dame, plus
impatiente, se levait, allait vers la porte…encore fermée ! Elle était si
inquiète, elle me disait qu’elle voulait aller sur le quai prendre son train…
Dans cette unité,
l’ambiance y était soit surréaliste, soit dramatique. Le personnel infirmier,
pour la majorité, proches de l’âge de leur retraite, faisait son travail,
c'est-à-dire qu’ils faisaient ce qu’il fallait pour répondre
aux « besoins » des patients ;
Le reste du temps, ils restaient dans
l’office à manger ou jouer aux cartes ; Il y avait de cela 20 ans ;
J’avais 20 ans moi
aussi, et j’étais révoltée et choquée de voir qu’une institution dite de soins
tolère encore ces conditions quasi carcérales, où les patients, qui pour la
plupart étaient désorientés dans le temps et l’espace, n’avaient de toute façon
d’autre choix que de tourner en rond , se cogner à une porte fermée,s’irriter
de voir que les paroles des uns et des autres s’évaporaient, restaient en
suspens, comme des ballons de baudruche multicolores mais désespérément
orphelins d’enfants qui chercheraient à les rattraper… « À quoi bon ouvrir, à quoi bon faire
des projets, cette unité va fermer… »
Quelques mois plus
tard, je réalisais dans le cadre de mes études de psychologie, un stage de
découverte de la psychiatrie ;
Je choisis alors de
découvrir un centre médico- psychologique espérant avoir une vision plus claire mais surtout moins asilaire des
soins en psychiatrie.
Les infirmières et la
psychologue qui m’encadraient me proposèrent de débuter mon stage en restant
dans le salon où les patients sont accueillis ; c’est une pièce agréable,
où les patients s’installent, en attendant leurs rendez vous, ou bien profitant
de la présence d’autres patients, une infirmière, un stagiaire, pour bavarder,
ne rien dire, être là…
Je n’avais rien de
« spécial » à faire, seulement « être là », avec
eux, un « être là » qui ne me
mettait pas très à l’aise : En effet, fallait-il parler, se taire ?
Et quoi dire ? Je choisis d’être la plus détendue possible, souriante,
avenante, de bonne humeur. C’est un patient, qui devait avoir une quarantaine
d’année qui me donna ma première leçon :
Cet homme, très
taciturne, ne parlait pas ; il était attablé, le regard baissé, et une profonde tristesse émanait de sa
personne.
Je me sentais comme
irrésistiblement attirée par cet homme, comme mue par un désir de rencontrer
son regard, de le voir s’animer…Je ne savais pas pourquoi son silence
taciturne me sollicitait.
Inspirée par les doux
rayons du soleil qui abordaient la baie vitrée de l’appartement, je dis alors
« c’est le printemps, vous voyez, c’est agréable, dehors, c’est une belle
journée ! »
Il leva la tête vers
moi et m’annonça en me regardant fixement : « c’est justement à tous les
printemps que je rechute ! ».
Rien de dramatique à
cet échange de paroles, mais j’en parlais très vite aux infirmières, convaincue
d’avoir « fait une erreur » en croyant lui redonner un peu
d’espoir….
Il n’en était rien,
les infirmières m’expliquèrent combien il est justement important en
psychiatrie de garder une certaine spontanéité et faire confiance à ce que l’on est .Il n’y a pas de
« parole juste » ou « fausse » ; ce que je pensais être une
erreur n’a-t-il pas permis à ce patient de
s’exprimer, dans ce bref échange ?
Je me souviens, en
intra hospitalier cette fois, de cet homme immense, barbu, fort, en pleine décompensation maniaque, qui me
terrorisait :
Je me souviens combien
les infirmiers étaient proches de lui, pour canaliser son énergie débordante,
sachant être fermes sans être agressifs, ne perdant pas patience face à ses
comportements débordants : il s’habillait de manière loufoque, parlant
fort, tout était à l’excès.
J’étais cependant
choquée que les soignants laissent déambuler cet homme avec pour seuls
vêtements des chaussures, un slip et un immense bavoir blanc en éponge
plastifiée : « tu vois », me disait une infirmière,
« c’est un état maniaque, tu n’en verras pas souvent des états
maniaques ! »Rajoutait-elle d’un air malicieux, amusé et presque admiratif…J’entendais
alors : « profitons en, c’est tellement rare ! »…
Là encore, je restais
perplexe.
En réponse à cette
perplexité, elle me demanda d’aller lui servir le goûter, dans la
cuisine.
L’appétit de cet homme
était dévorant, et il demandait sans cesse quelque chose : Je me retrouvais
seule avec lui dans la cuisine, et je
m’apprêtais à lui servir un verre de sirop :
D’une voix
tonitruante, il me dit de le servir directement dans le pot à eau.
Je me souviendrai
toujours de ma main hésitante à doser le sirop, et de son imposante présence
très près de moi, mettant fin à mes hésitations en scandant d’une voix forte
des « encore » et « encore », qui me terrorisaient.
Enfin bien servi, je crus qu’il emporterait le pot dans sa chambre mais
à ma grande stupéfaction, il le but sur
place, très digne, un peu comme dans les orgies romaines !
Et cet homme, qui me
fit croire le premier jour où je visitais un l’hôpital de jour, qu’il était un
cadre infirmier fondateur du centre.
Je savais qui était le
cadre actuel mais il réussit à me mettre le doute, et je pensais plausible que
cet homme ait pu occuper ce poste à une certaine époque.
Face à mon sérieux,
ils rirent alors sans méchanceté avec
les autres patients et l’infirmier présent qui nous écoutaient, heureux d’avoir
réussi à semer le trouble dans mon esprit.
Ils m’accueillirent ensuite en m’expliquant
qu’effectivement, cet homme était bien là à l’ouverture de cet hôpital de jour,
mais en tant que patient.
Dans son « mensonge », il y avait
du sens.
Surprise, colère, peur, perplexité, révolte…
Tous ces livres lus, ces cours entendus, tous ces mots appris et validés glissaient comme des mailles filées, des piles de livres tombaient et des hommes et des femmes se profilaient…je découvrais un nouveau métier…infirmier …de secteur psychiatrique .
Danielle TODESCO septembre 2004
(1)Schizophrénie et
soins infirmiers une approche clinique
du traitement et des soins DIGONNET,FRIARD,LEYRELOUP ,RAJABLAT édition
Masson collection souffrance psychique et soins, avril 2004)