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AMOUR DE FOU

 

 

            Il s'était passé plusieurs semaines depuis cette journée où Fanny avait tué Marcel, devenu fou après avoir lui même tué son propre fils Paul, dans l'exercice de ses fonctions. Comme elle l'avait pensé, elle était devenue chef. Enfin, on ne disait pas comme ça puisque maintenant les anciens « cadres de santé » travaillant en psychiatrie avaient statutairement disparu (ce qui était logique puisqu'il n'y avait plus de soins pour les fous), pour laisser la place aux « cadres chasseurs de fous », les « CCF ».

 

            Après cette folle journée, son retour à la BCF de l'est avait été triomphal. En effet, les bons résultats d'un ou plusieurs agents rejaillissaient toujours sur l'ensemble de la brigade. Les statistiques étaient comparées entre toutes les brigades et celle qui avait les meilleurs chiffres se voyait octroyer des moyens financiers et humains supplémentaires. Alors, chaque brigade avait tout intérêt à être rentable et productive. Si une brigade voulait augmenter ses moyens et ne voulait pas être mise à l'index, il fallait qu'elle fasse du chiffre et, surtout, plus de chiffre que les autres.

 

            Quand elle était devenue CCF, Fanny avait du se fendre d'un discours devant la brigade, avant d'en passer par le rituel d'un apéritif partagé entre les agents. Le discours et le pot ne devaient pas être trop longs car, pendant ce temps là, tous les binômes qui n'étaient pas d'astreinte n'étaient pas dans les rues et les chiffres de productivité diminuaient d'autant. Le discours de Fanny avait donc été bref mais fort. A la tribune, dans la grande salle de réunion, devant ses collègues, elle avait tenu ces propos :

 

« Chers collègues, aujourd'hui est pour moi un grand jour et je suis fière d'être à cette tribune, devant vous. Je voudrais vous dire que, lors de cette fameuse journée où j'ai tué Marcel devenant fou, à aucun moment je n'ai hésité ni douté. Certains d'entre vous se disent peut-être que ce n'est pas facile de tuer son propre chef en pleine fonction. Eh bien, détrompez vous, ça ne doit pas être difficile car nous avons un devoir, nous n'avons qu'un seul devoir : éliminer les fous, tous les fous quels qu'ils soient. Vous le savez bien, tout le monde peut devenir fou et nous devons être prêts à n'avoir aucun état d'âme. En plus, il n'y a pas que l'agent qui en tire profit, mais toute la brigade et vos actes individuels retentissent sur le collectif. Nous avons une mission : éliminer les parasites qui coûtent cher à la société, qui nous coûtent cher. Mais, nous devons être vigilants car de récentes études ont montré que la folie peut être contagieuse. Si nous n'y prenons pas garde, un déviant peut nous entraîner dans sa déviance et, parfois, certains d'entre nous peuvent se laisser tenter par la bizarrerie. Ce n'est pas parce que nous sommes agents de la BCF que nous sommes à l'abri. Donc, il ne faut pas hésiter à appliquer le commandement : testons nous les uns les autres et en tirer les conséquences. Voilà, je ne vais pas prendre plus de temps car je sais que vous êtes impatients de boire un coup, mais juste un petit coup car nous avons du travail. »

 

Ce discours avait été très applaudi, surtout par le responsable de la BCF de l'est. Il était content d'avoir dans sa brigade un agent aussi zélé que Fanny car elle ne pouvait que lui apporter de la plus value.

 

            Même s'il fût bref, lors de l'apéritif qui suivit son discours Fanny avait été au centre des discussions. Elle en avait éprouvé un certain plaisir et se sentait reconnue, elle l'orpheline partie de rien et qui désirait bien arriver quelque part. Elle se sentait d'autant plus importante qu'au delà de la BCF de l'est, elle allait connaître son quart d'heure de célébrité puisque la presse était présente. Elle n'en doutait pas, l'article allait être dithyrambique et il y aurait des photos qui ne manqueraient pas de mettre son joli visage et son corps de sportive en valeur. Cela faisait longtemps que la presse ne se posait plus de questions et encensait systématiquement le travail de la BCF. En fait, les journalistes n'avaient pas le choix car le seul journal autorisé, « l'Estmatin », représentait efficacement la presse d'Etat. Qui plus est, les journalistes étaient soumis à une autre contrainte. En effet, s'ils ne voulaient pas être considérés comme déviants par le test, il fallait bien qu'ils se soumettent aux directives de l'Etat. La boucle était bouclée et les dirigeants n'avaient même pas besoin de donner des ordres car les journalistes les anticipaient. Le système était vraiment bien huilé et comme, officiellement, il n'y avait pas d'autres presses, l'Etat pouvait être tranquille car la population était désinformée comme il le désirait.

D'ailleurs, l'interview de Fanny était éloquent. Le journaliste lui demanda :

-        Alors, vous devez être heureuse de votre nomination comme cadre, que ressentez vous ?

-        Beaucoup d'honneur et de fierté, répondit Fanny. Vous savez, il y a quelques mois si on m'avait dit ça je ne l'aurais pas cru. Mais, avec l'Etat tout est possible et même l'improbable peut se réaliser.

Le journaliste poursuivit :

-        Revenons sur ce moment qui a fait de vous ce que vous êtes aujourd'hui. Nos lecteurs seront très friands de savoir, précisément, ce que vous avez ressenti au moment où vous avez tiré ?

Le visage de Fanny rougit quelque peu et elle baissa légèrement les yeux, elle en était presque touchante;

-        J'ai ressenti du plaisir et le moment le plus intense a été quand mon doigt a appuyé sur la gâchette et que le coup est parti. Je crois même me souvenir avoir poussé un petit cri entre le moment où la balle est sortie du canon et celui où elle a touché le corps de mon chef devenu fou. C'est quand j'ai vu le trou rouge que j'ai vraiment eu la sensation du devoir accompli. Je crois bien que j'ai ressenti un certain plaisir corporel.

Le journaliste ne trouva même pas ça surprenant et il enchaîna :

-        Vous êtes jeune et maintenant une belle carrière semble s'offrir à vous, comment envisagez vous l'avenir ?

Le rouge sur le visage de Fanny disparut :

-        Ecoutez, tout ce que je peux vous dire est que j'ai de l'ambition et je compte bien ne pas m'arrêter là. Je pense que l'ambition est une qualité, quels que soient les moyens utilisés pour y arriver. Je veux continuer à aller de l'avant et je compte bien montrer à mes supérieurs encore plus de zèle.

Le journaliste s'arrêta là, il était satisfait et cette belle « succès story » allait faire augmenter les ventes du journal et c'était bien là tout ce qui lui importait.

 

            Nicolas, le responsable de la BCF de l'est, avait entendu les réponses de Fanny au journaliste. Il s'avança vers elle et l'entraîna à l'écart dans un coin de la salle de réunion, pour être isolés du reste du groupe.

-        Alors, Fanny, aujourd'hui c'est votre jour n'est-ce pas. Vous savez, être ambitieuse est tout à fait louable, mais il vous faudra respecter certaines étapes.

Il avait posé sa main sur l'épaule de Fanny qui, dans l'instant, ne s'en était pas émue.

-        Oui, j'imagine bien, lui répondit-elle, et je suis sure que je pourrais compter sur vous pour me guider.

Elle n'avait pas de cirage sur elle, mais ce n'était pas nécessaire car sa langue suffisait. La main de Nicolas se fit légèrement plus pressante et il esquissa un petit sourire en coin.

-        Oui, oui, bien sur, n'oubliez surtout pas que je fais partie de ces étapes. Mais, pour l'instant ce n'est pas d'actualité. Je vous ai affecté un nouveau coéquipier, il est tout jeune, il vient d'arriver et je ne doute pas que vous saurez le former de manière adéquate, ça aussi ça fait partie des étapes. Allez, au travail et continuez à nous faire honneur.

 

            Quelques semaines étaient passées depuis ce jour de petite gloire et le travail avait repris son cours normal. Le nouveau coéquipier de Fanny s'appelait Julien et même s'il semblait montrer des aptitudes certaines en tant que chasseur de fous, il restait un novice et Fanny déployait beaucoup d'énergie pour le former au mieux.

 

            Avant d'intégrer les équipes opérationnelles des BCF, les nouveaux agents ne suivaient aucune formation. En effet, l'Etat considérait que c'était une perte de temps, d'énergie et d'argent. C'est pourquoi chaque nouveau membre était systématiquement associé à un collègue expérimenté et la formation se réduisait à un enseignement sur le tas. Qui plus est, cela avait l'avantage de mieux responsabiliser les agents plus anciens. C'était même un critère pour leur évaluation annuelle.

 

            Donc, Fanny lui enseignait les techniques de chasse qu'elle même avait apprises de Marcel. D'ailleurs, il y avait une certaine ironie à penser que Marcel avait été tué par la personne à qui il avait enseigné les meilleures techniques. Comme quoi il avait été un bon formateur. Julien apprenait comment repérer efficacement les fous, comment leur faire passer le test. Il apprenait à se déplacer judicieusement pour réduire le risque de fuite, sans oublier, bien sur, la main sur la crosse de son revolver, toujours au cas où …

            Ce matin là, comme à l'accoutumée, ils déambulaient en ville. La journée ne faisait que commencer et elle s'annonçait normale et banale. Ils étaient au début de l'artère la plus importante de la ville, le boulevard du divan éteint. En cette période de fêtes, il faisait froid et le temps était gris. Les passants étaient emmitouflés et, pour beaucoup, même une partie de leurs visages étaient recouverts, ce qui ne facilitait pas le premier repérage des fous. Même en plein jour, il faisait sombre. Cependant, et c'était une chance pour les chasseurs, les lumières et autres fanfreluches luminescentes imposées par l'Etat pour donner une illusion festive et joyeuse dispensaient une clarté froide et artificielle.

Le boulevard grouillait et les passants semblaient marcher à la queue leu leu, consommant à qui mieux mieux pensant ainsi qu'ils étaient bien vivants. Dans un tel contexte, la tâche de Fanny et Julien était rendue difficile et ils avaient bien besoin de toute leur vigilance.

 

            C'est alors que Julien repéra un individu suspect. En effet, il marchait à contre sens de la foule et Fanny lui avait enseigné que tous ceux qui se distinguaient de l'ensemble du troupeau devaient être systématiquement contrôlés. Julien pensa qu'il parviendrait à arrêter l'individu tout seul et avant que Fanny ait pu comprendre ce qui arrivait il vociféra :

-        Vous là bas, je vous demande de vous arrêter, je vais vous tester.

L'homme réagit avec la rapidité d'un serpent qui attaque. Il sortit sa main droite de sa poche et, avec un revolver, tira plusieurs coups en direction de Julien. Celui ci avait pourtant bien mit sa main sur la crosse de son arme, mais il n'eut même pas le temps de la dégainer et une balle l'atteignit à l'épaule. L'impact avait été si puissant qu'il se retrouva immédiatement projeté au sol. Fanny venait juste de commencer sa manœuvre de contournement de l'individu, mais elle était gênée par la foule et l'individu, d'une agilité déconcertante, avait déjà disparu dans une rue voisine. Pendant quelques secondes, Fanny voulut se lancer à la poursuite du fuyard, mais elle avait déjà pris trop de retard. Elle abandonna d'autant plus vite cette idée que non seulement Julien était à terre sans qu'elle connaisse son état réel mais, d'autre part, les autres coups de feu du fou avaient touché d'autres passants.

 

            Sur le boulevard du divan éteint, la scène était irréelle et le bilan était catastrophique. Un chasseur de fous au sol, blessé gravement. Deux passants morts et un troisième blessé tout aussi gravement gisaient au sol. La neige était rouge de sang et les passants affolés criaient et courraient dans tous les sens dans une pagaille indescriptible. Cette neige ensanglantée faisait un contraste saisissant entre les lumières artificielles censées représenter la fête et la joie et le rouge sanglant du carnage. Mais, pour Fanny, ce n'était pas le plus grave car le pire était que le fou s'était échappé.

Le bilan du binôme Fanny – Julien allait être déplorable et c'est Fanny, en tant que chef, qui en était responsable. C'était une catastrophe et tous ses rêves de promotion s'éloignaient.

 

            Évidemment, après cela, le retour de Fanny à la BCF de l'est avait été beaucoup moins glorieux, c'est un euphémisme, que le jour où elle avait tué Marcel. Tous ses collègues chasseurs la fuyaient et évitaient de croiser son regard. Comme elle s'y attendait, elle avait été immédiatement convoquée dans le bureau du responsable, Nicolas.

C'était une grande pièce sombre et froide, sans fenêtre et il y régnait vraiment un climat des plus oppressant. Nicolas était assis derrière un immense bureau en fer posé sur du carrelage grisâtre. Tout était impersonnel et sans âme, comme si cette pièce n'était pas habitée. Nicolas ordonna à Fanny de s'asseoir sur une chaise métallique, en face de lui. La disposition était particulière, voulue, pensée et préméditée. La chaise était courte sur pattes, plus basse que le bureau, lui même installé sur une estrade, et il n'y avait rien autour, provoquant une sensation de vide pour celui qui y était assis. Nicolas voyait son interlocuteur en plongée et ce dernier voyait Nicolas en contre plongée. Cela provoquait immédiatement un sentiment d'infériorité et de soumission pour celui qui était sur la chaise, ça tombait bien, c'était fait pour. A l'inverse, Nicolas était toujours en position de supériorité et de domination.

Pour une fois, Nicolas n'était pas vert de gris mais tout simplement vert de rage. Fanny venait tout juste de s'asseoir quand il l'admonesta violemment.

-        Espèce de petite imbécile, petite conne, vous rendez vous compte de ce que vous avez fait ?

Fanny commença à balbutier quelques mots.

-        Monsieur, je voudrais dire que …

-        Fermez là, vous n'avez rien à dire, espèce d'abrutie incompétente, vous êtes en train de foutre en l'air tout mon plan.

Timidement, Fanny essaya encore de parler.

-        Monsieur, croyez bien que …

-        Silence, hurla Nicolas, non contente d'être responsable de la blessure et de l'arrêt de travail de votre coéquipier qui ne sera plus opérationnel pendant longtemps, d'être responsable de la mort de deux honnêtes passants, faute suprême, vous avez laissé échapper un fou.

 

            Fanny était en état de sidération, elle était tétanisée face à l'ire de Nicolas, mais elle pensait quand même. Bien sur, elle avait commis une faute, mais, après tout, ce n'était pas elle qui avait tué les deux passants et blessé Julien. C'est à ce moment là qu'elle eut son premier doute. Pendant qu'elle réfléchissait, en quelques secondes, elle ressentit pour la première fois un sentiment qu'elle n'avait jamais éprouvé, de la compassion. De la compassion pour les deux passants tués que Nicolas avait balayés d'un revers de la main. De la compassion pour Julien, gravement blessé, dont Nicolas n'avait parlé qu'en terme opérationnel et productif. C'était une sensation nouvelle et bizarre qu'elle ne connaissait pas et qui la mettait très mal à l'aise. Et puis que signifiaient les paroles de Nicolas quand il lui avait dit : « vous êtes en train de foutre en l'air tout mon plan » ? C'est à ce moment là qu'elle eut une réminiscence. Elle se rappela de la conversation qu'elle avait eut avec Nicolas lors de l'apéritif qui avait suivi son discours. Mais surtout, elle se souvint de sa main quelque peu pressante sur son épaule et du sourire en coin qui avait été le sien en la regardant. Et s'il se fichait de son avenir ? Et si, en fait, il ne voulait l'utiliser que pour sa propre promotion à lui ? Et si, finalement, il voulait juste la sauter ? Elle n'eut pas le temps d'aller plus avant dans sa réflexion car Nicolas repris la parole pour lui dire :

-        Vous allez reprendre votre travail avec un nouveau coéquipier, Alain, mais, surtout, avec un superviseur, Marco. Vous ferez donc maintenant parie d'un trinôme.

Même si elle n'en montra rien, elle en frémit intérieurement. En effet, Alain n'était pas une jeune recrue, mais un chasseur expérimenté et cela allait à l'encontre des habitudes de la BCF. Mais, le pire était le fait de lui adjoindre un superviseur et, qui plus est, Marco. L'intervention d'un superviseur était un très mauvais signe car il n'avait qu'une seule mission exclusive, surveiller les chasseurs de fous dans leur travail. Et puis elle connaissait Marco de réputation car c'était la terreur de tous les chasseurs. Il était intraitable, complètement insensible, presque déshumanisé, limite robotique.

Marco avait un tableau de chasse de chasseurs de fous impressionnant et il en avait déjà testé plusieurs dizaines comme étant positifs. Tout à coup, elle eut peur. En fait, elle ne comprenait pas comment on pouvait passer aussi rapidement du statut d'héroïne à celui de suspecte.

Comme dans un état second, elle se leva et dit à Nicolas ces simples mots :

-        Oui monsieur.

 

            L'hiver continuait à étendre son grand blanc et c'est flanqué d'Alain et de Marco le superviseur qu'elle se retrouva à nouveau sur le boulevard du divan éteint. C'était quasiment au même endroit où les évènements de sa disgrâce étaient survenus que Marco lui signala un individu suspect. Il avait les cheveux longs, il était mal rasé et portait un poncho bariolé qui cachait ses bras et ses mains.

-        Tu l'as vu celui là, va le contrôler, lui ordonna Marco.

Alors, elle s'approcha de l'homme. Inconsciemment et sans s'en rendre compte sur le moment, elle n'avait pas mis sa main sur la crosse de son arme comme le voulait une des premières règles des chasseurs.

-        Bonjour monsieur, excusez moi mais je dois vous contrôler et vous faire passer le test, dit-elle à l'individu d'un ton inhabituellement poli pour un chasseur.

Ce qui la déconcerta encore plus c'est que l'homme lui répondit en souriant :

-        Je vous en prie madame, faites donc.

Tout à coup, comme dans un flash, elle le trouva beau et, surtout, elle sentit que cet homme dégageait une chaleur rassurante. Elle croisa ses yeux et, immédiatement, elle eut envie de plonger dans ce regard profond qui semblait gentiment l'inviter. Machinalement, elle lui appliqua le test et ce dernier fût sans appel, elle s'entendit alors lui dire :

-        Désolé monsieur mais le test est formel, vous êtes dans la catégorie un, celle des schizoïdoparaphrénicosociopathe, autrement dit vous êtes un déviant – délirant – rêveur - poète.

Elle fût encore plus surprise quand elle entendit l'homme lui répondre :

-        Vous avez tout à fait raison madame.

Fanny lui dit alors, de plus en plus désolée :

-        Je vais être obligée de vous arrêter.

-        Je sais, dit l'homme, mais avant laissez moi vous dire un petit poème de ma composition, je l'ai appelé « Lumière ».

Fanny ne répondit même pas, elle fit simplement oui de la tête et elle écouta la voix grave, suave et enveloppante lui dire :

-        Non, tu ne déclines pas lumière,

            Même si tu luis au début du solstice d'hiver.

            Soleil, reprend force et vigueur

            Et éclaire nous avec tout ton cœur.

            Dispense tes rayons sur la terre emmitouflée

            Afin que brille la fraternité.

 

            Dès les premiers mots, elle s'était sentie basculer dans un autre monde. Elle flottait, elle avait chaud, elle se sentait bien. Elle sourit, d'un sourire franc et massif. Pour elle, cet homme là était plus que beau, il rayonnait et elle ne pensait plus du tout au test et à la folie. Elle avait envie de lui prendre la main, elle avait envie de le prendre dans ses bras, elle avait envie de l'embrasser. Elle était comme dans un tourbillon et elle sentait ses jambes presque se dérober, son cœur battait à tout rompre. Elle avait envie de … Elle avait envie de … Elle avait envie de …

 

            L'aboiement de Marco la fit revenir sur terre.

-        C'est un classe un, chope le cet enfoiré et toi Alain appelle le ramassage.

Instantanément et sans réfléchir, avec la rapidité d'un accélérateur de particules, elle se retourna, dégaina son arme, bang – bang, une balle pour Marco, une balle pour Alain, tous les deux en pleine tête, ça avait été bref et sans appel, les deux étaient morts avant même d'avoir touché le sol.

 

            Fanny était sidérée, elle n'avait même pas réfléchit. Elle avait agit pas instinct, mais ce n'était pas le même qu'auparavant. Tout à coup, elle sentait son monde s'écrouler. Mais, elle n'eut pas le temps de s'appesantir car le fou de classe un lui avait déjà pris le bras et lui disait :

-        Maintenant, vous n'avez plus le choix, il faut vous enfuir car dans quelques minutes, ici, ça va grouiller de chasseurs et inutile de vous dire ce qu'il va vous arriver.

Toujours dans une sorte de brouillard, Fanny répétait :

-        C'est terrible, c'est terrible, que vais je faire maintenant, je ne sais pas, je ne sais plus.

-        Pour l'instant suivez moi, lui répondit l'homme, c'est ce qu'il y a de mieux à faire, après on verra, mais ce qui est sur c'est qu'il faut partir d'ici et vite.

Il prit Fanny par la main et ils se mirent à courir sur le boulevard, changeant immédiatement de direction pour prendre des petites rues adjacentes où ils avaient moins de risques de se faire repérer. Fanny connaissait les secteurs d'activité de ses collègues, ce qui lui donnait un sérieux avantage pour les éviter. Les transports en commun étaient à proscrire car les chasseurs de fous y opéraient souvent. En effet, de part leur espace clos et réduit, les transports en commun représentaient un terrain plus facile pour arrêter les fous car la fuite y était plus difficile. Il était donc préférable de marcher en essayant de ne pas attirer l'attention.

 

            C'est alors que Fanny pris conscience qu'elle ne connaissait même pas le nom de l'homme avec qui elle marchait. En le regardant, elle lui dit :

-        Moi je m'appelle Fanny et vous ?

L'homme s'arrêta et lui répondit :

-        Déjà, après ce que nous venons de vivre ensemble, je pense qu'on pourrait se tutoyer. Moi, je m'appelle Arthur.

-        D'accord pour le tutoiement, mais maintenant qu'allons nous faire ?

Arthur resta pensif pendant quelques secondes;

-        Il est évident que tu ne peux pas rentrer chez toi, c'est là que tes collègues vont te chercher en premier. En plus, tu ne peux pas entrer en contact avec quelqu'un que tu connais car, là aussi, ils te retrouveraient sans problème. Dans l'immédiat, je ne vois qu'une seule solution c'est que tu viennes chez moi et là on pourra réfléchir plus calmement.

-        D'accord, lui dit Fanny, de toute façon je n'ai plus tellement le choix et puis ce qui est sur c'est que s'ils me retrouvent je suis foutue. Ah, au fait, un petit détail, après ce qui vient de se passer, je crois que je n'ai plus de collègues, mais plus que des ennemis. En quelques secondes, je suis passée de chasseur à gibier.

 

            Arthur ne répondit pas et tout en se dirigeant vers chez lui, il se dit qu'il était peut-être en train de prendre un énorme risque. En effet, comment pouvait-il être sur que tout cela n'était pas qu'une mise en scène et que Fanny n'était pas un agent qui tentait de s'infiltrer afin de démanteler des réseaux de fous. C'était déjà arrivé et le risque existait bel et bien. Mais, Arthur était quelqu'un de très intuitif, son sixième sens lui disait qu'il n'y aurait pas de problème et son intuition ne l'avait que rarement trompé. Et puis, il y avait eu ce premier regard échangé entre lui et Fanny. Il avait tout de suite perçu sa sensibilité quand il lui avait dit son poème. En fait, il avait envie de croire qu'elle n'était pas un agent infiltré et que le carnage du boulevard du divan éteint n'était pas une mise en scène.

 

            Ils n'échangèrent plus aucun  mot pendant tout le reste du trajet.

 

            C'est après une bonne trentaine de minutes de marche qu'ils arrivèrent dans une ruelle pavée et plutôt sombre, bien loin de l'agitation fourmilière des grands boulevards. Une plaque au coin de la rue indiquait qu'il s'agissait du chemin des Illuminations. Ils arrivèrent devant une porte et, après un regard panoramique dans la ruelle afin de s'assurer qu'ils n'avaient pas été suivis, Arthur l'ouvrit et ils entrèrent.

 

            C'était un appartement qui paraissait plutôt grand, mais Fanny, fatiguée nerveusement et physiquement, se laissa choir dans le Chesterfield vert qui trônait devant une superbe cheminée sans même enlever son blouson. Un profond soupir sortit de sa bouche et, maintenant que l'action était passée, elle faisait tourner dans sa tête les derniers évènements du jour.

Ce fût Arthur qui parla en premier.

-        Bien, ici nous sommes à peu près en sécurité, est-ce que tu veux boire quelque chose ?

-        Un thé, lui répondit-elle dans un souffle.

Ce simple mot prononcé par Fanny avait tout de suite fait remarquer à Arthur une inflexion caractéristique dans la voix de la jeune femme. Elle pleurait. Alors, il s'assit à coté d'elle et la regarda sans mots dire.

-        Qu'est-ce que je vais devenir maintenant ? Ils sont inflexibles, ils vont me chercher, ils vont me trouver, ils vont m'éliminer. Je n'ai nulle part où aller, je ne peux plus rencontrer personne, toute ma vie vient de tomber à l'eau, j'ai tout perdu. Comment vais je faire ? Comment vais je faire ? Répétait-elle en boucle, hébétée, comme si elle était prise au piège dans une impasse.

Arthur se fit rassurant.

-        Ecoute, pour l'instant il n'y a pas d'urgence et tu peux rester ici, tu y seras en sécurité. C'est un quartier peu fréquenté et je n'ai quasiment pas de voisins.

 

            Entre temps, Arthur avait allumé un feu et il amena du thé à la menthe dont le seul arôme suffisait à parfumer toute la pièce. Le feu dans la cheminée, l'odeur du thé, les paroles et la voix chaude d'Arthur avaient ramené un peu de calme dans l'esprit de Fanny. En tous cas, ses pleurs avaient cessé.

 

            C'est alors que, pour détendre encore plus l'atmosphère, Arthur entreprit de rouler un joint avec cette herbe folle que l'on appelait Marie Jeanne.

-        Qu'est-ce que tu fais ? Lui demanda Fanny.

-        Oh, pas grand chose, juste un petit pétard, tu vas voir ça va te faire le plus grand bien.

Fanny avait conservé encore quelques réflexes d'agent de l'Etat et, spontanément, elle dit :

-        Mais, c'est pas bien de fumer ça. A la BCF on a été briefé là dessus et ce qui est sur c'est que ça fait délirer et que ça rend fou.

-        Que voilà une belle propagande d'Etat, rétorqua Arthur. Non, ça ne rend pas fou, ça fait simplement voir les choses sous un autre angle. En tous cas, je peux t'affirmer que c'est beaucoup moins dangereux que tous les alcools qui sont vendus en vente libre. Tu peux toujours essayer et si ça ne te plaît pas, tu ne renouvelles pas l'expérience.

Fanny se laissa tenter par quelques bouffées qui la firent un peu tousser, légère irritation qu'elle calma avec ce thé si parfumé et si doux. Alors, pour la première fois, elle se sentit bien, apaisée et en sécurité. Et puis surtout, elle, d'habitude si avare de ses mots, avait envie de parler à Arthur.

 

            Ce fût un véritable flot de paroles, entrecoupés de quelques rires dus à cette merveilleuse Marie Jeanne. Tout y passa. Les mystères de sa naissance, ses parents qu'elle n'avait jamais connus et qu'elle pensait morts, l'orphelinat d'Etat, son intégration et son travail à la BCF, l'exécution de Marcel et sa promotion, jusqu'à ce jour de rencontre avec Arthur.

Il l'écoutait sans jamais l'interrompre. Les paroles de Fanny coulaient comme l'eau claire d'une rivière, légèrement aiguës, presque cristallines. Ça faisait comme un petit clapotis plein de douceur reposante. De temps en temps, il fermait les yeux et s'imaginait, avec l'aide de Marie Jeanne, dans une contrée paisible et verdoyante, allongé dans l'herbe, scrutant les quelques nuages qui passaient en procession dans ce grand bleu si lumineux. Il n'avait pas de trou rouge à sa poitrine, il ne dormait pas dans un val et c'était bien.

Mais, il ne faisait pas que l'écouter, il la regardait aussi. Il regardait son visage dans un face à face duquel il n'arrivait à se détacher que les rares moments où il fermait les yeux. Il la voyait face à lui, fragile et délicate, avec sa blondeur estivale et sa peau couleur de miel. Ses yeux verts pétillaient comme deux émeraudes envahies de soleil. Sa bouche et ses lèvres étaient comme autant de merveilles. C'est alors qu'il pensa à la Vénus de Boticelli. C'est à ce moment là qu'il eut l'idée de lui offrir un poème qu'il avait écrit voilà quelques semaines dans un moment de solitude et de spleen. Instantanément, il se leva et alla fouiller dans un tiroir de son bureau. Avant même que Fanny comprenne ce qui arrivait, il lui dit :

-        Fanny, accepte que je te fasse ce cadeau.

Elle prit les deux feuilles que lui tendait Arthur en demandant toute étonnée :

-        Qu'est-ce que c'est ?

-        C'est un poème qui s'appelle « Cueillons le fruit ». Je l'ai écris il y a quelques semaines, maintenant, je sais que je l'ai fais pour toi, même si, à l'époque, je ne le savais pas encore.

C'était la première fois de sa vie que Fanny recevait un poème en cadeau et elle en était toute surprise. Il faut dire que toute sa vie durant, on lui avait expliqué que les poètes étaient des fous. Alors, se faire offrir un poème était, pour elle, tout simplement inimaginable.

C'est à voix haute qu'elle décida de lire le poème d'Arthur.

 

Il est des jours, il est des nuits,

Où j'imagine qu'ensemble nous cueillons le même fruit;

 

Sous l'arbre nous sommes étendus,

Nos lèvres pleines de sourire en pensant à ce fruit défendu.

Nous aimons ces jeux de séduction,

Qui préparent la véritable rencontre qu'encore nous réfrénons.

Quand viendra ce moment ?

Issu d'une attente insupportable,

Où nos lèvres et nos langues s'entrechoquant

Seront le prélude à des plaisirs incommensurables.

 

Il est des jours, il est des nuits,

Où j'imagine qu'ensemble nous cueillons le même fruit.

 

L'arbre nous fera une parure d'ombre,

En même temps qu'il nous enveloppera d'une douce pénombre,

Dans laquelle nos bras se tendront

Afin de nous saisir, l'un l'autre, au plus profond.

Puis, tout doucement,

Dans les gémissements

De nos souffles et de nos soupirs

Haletants et s'enflant sous les poussées de nos désirs.

Nos caresses deviendront plus précises,

Et s'attarderont aux creux de certaines courbes enfin conquises.

 

Il est des jours, il est des nuits,

Où j'imagine qu'ensemble nous cueillons le même fruit.

 

Mes doigts virevolteront

Tels de multiples papillons

Attirés par ton corps

Qui, tel une corolle offerte,

Ouvrira ses pétales encore et encore,

Pour enfin s'épanouir dans une tendre alerte.

 

Alors, nos corps saturés par une envie réciproque,

Distillerons des odeurs enivrantes,

Exacerbant tous nos sens qui, comme dans l'escalade d'un roc,

Grimperont et culmineront jusqu'à leur apogée éclatante.

Puis, ce seront tes doigts, longs et effilés,

Qui, tel le lierre des murailles,

Grimperont sur ma peau pour venir titiller

Mon étamine rendue saillante par l'idée de combler ta faille.

 

Il est des jours, il est des nuits,

Où j'imagine qu'ensemble nous cueillons le même fruit.

 

Sous le sol, le tapis de mousse

Sera le témoin de nos fols ébats,

Et, en même temps qu'un souffle chaud nous éclabousse,

Sous l'arbre nous ne serons pas prêts de revenir ici bas.

 

Petit à petit, l'intensité augmentera

Pour nous précipiter dans un merveilleux entrelacs,

L'un dans l'autre dans des superbes allers retours,

Avec cette idée qu'on tous les amants : que ça dure toujours.

 

Ensemble nous monterons,

Corps à corps, imbriqués et soudés,

Aspirés jusqu'à l'apogée

Vers laquelle nous tendons,

Tels le tenon et la mortaise,

Jusqu'au sommet, jusqu'à l'acmé de cette falaise,

Au dessus de laquelle, dans un jaillissement final,

Nos soupirs se feront cris,

Preuve de notre inextinguible plaisir bilatéral,

Nous emmenant directement au paradis.

 

Il est des jours, il est des nuits,

Où j'imagine qu'ensemble nous cueillons le même fruit.

 

C'est alors que, dans cette apesanteur,

Nous resterons longtemps immobiles,

N'osant plus bouger, de peur

De rompre cet instant fragile.

Quand enfin le calme sera revenu,

Flottant dans les airs, nous nous susurrerons,

Dans une connivence entendue,

Des mots qui, pour nous, comme une invite sonneront :

Encore, encore, encore …

 

            Au fur et à mesure qu'elle avançait dans cette lecture, les joues de Fanny étaient passées à une couleur lait fraise qui donnait à son visage le teint rosé de la timidité. Elle se trouva subjuguée devant tant de beauté et aucun mot ne put sortir de sa bouche. Arthur n'avait point besoin de l'entendre parler et Fanny n'avait plus que son désir à écouter.

 

            Alors il se rapprochèrent, alors ils s'étreignirent en se lovant l'un à l'autre et quand leurs lèvres et leurs langues s'entremêlèrent, ce sont deux soupirs d'aise qui n'en formèrent plus qu'un. C'était un baiser plein et entier, sans retenue et empli de gourmandise, montrant bien que, sans hésiter, l'un à l'autre ils étaient prêts à se donner. A deux, ils ne faisaient plus qu'un. Comme le Yin et le Yang, leurs deux corps imbriqués faisaient trois. Leurs doigts et leurs mains s'exploraient l'un l'autre, partant à la découverte de territoires pour le moment encore inconnus et tous leurs sens étaient en alerte.

 

Quand s'ouvrent les corolles,

Que les pistils et les étamines caracolent,

Alors, tous les sens s'affolent

Dans une merveilleuse farandole.

 

Quand une caresse se fait frôlement

Et que d'un effleurement elle devient frottement,

La vue devient floue, toute embuée

Par tant de sensations que le toucher a provoquées.

 

De cajoleries en câlineries,

C'est le corps tout entier qui est toute ouïe.

Alors, une odeur de chaleur moite, presque marine,

Vient, de ses effluves, émoustiller les narines.

 

Puis, avec les gestes tendres, viennent les baisers,

Les mains et les bras autour des corps enlacés.

Dans une étreinte au goût de douceur,

Comme une mignardise aux mille saveurs.

 

Alors, des feulements se font entendre, tendres petits cris,

Avides de pattes de velours comme autant de chatteries.

Toute cette beauté s'épanouit dans un clair obscur.

Volonté d'éternité pour, qu'encore et encore, cette volupté dure.

 

            Ce merveilleux unisson dura encore et encore jusqu'à ce que, pantelants et fourbus, ils n'en puissent plus. Ils n'eurent pas besoin de se parler, leurs regards leurs suffisaient pour se comprendre. Ils n'eurent pas besoin de bavarder, leurs sourires leurs suffisaient pour ne pas se méprendre. Tout à coup, une certitude à eux s'annonçait, jamais plus ils ne se quitteraient.

 

            Cela faisait maintenant plusieurs semaines que Fanny et Arthur s'aimaient. Elle n'était pas sortie depuis le premier jour de son arrivée car elle craignait de se faire arrêter. Mais, cet enfermement choisit était, pour elle, comme une libération. Elle riait tout le temps, elle était heureuse tout simplement. Arthur était si gentil, si doux, si prévenant et en plus il était le meilleur des amants. Pour elle, sa rencontre avec Arthur avait été comme une renaissance et elle avait toutes les peines du monde à penser à sa vie d'avant. Arthur l'avait initiée à la beauté, à la poésie, à la joie, aux arts, au rire, à Marie Jeanne, à l'amour. Parfois, elle se demandait si le monde extérieur existait toujours. Elle était comme sur une île, naufragée volontaire, protégée et aimée par son Robinson avec qui elle pouvait s'étreindre tout le temps, même le vendredi.

 

            Arthur, quant à lui, avait connu jusqu'à présent une vie que l'on pourrait aisément qualifier de difficile. Un traumatisme était ancré en lui et c'est un soir, au son crépitant de quelques bûches flamboyantes, qu'il se raconta à Fanny. C'était après qu'elle lui ait demandé pourquoi il avait parfois cette expression de tristesse sur son visage, pensant que peut-être elle pouvait y être pour quelque chose.

-        Non, non, bien sur que non, lui répondit-il. Au contraire, tu es la plus belle chose qui me soit arrivée dans toute ma vie. Je suis triste quand je pense à mes parents, je suis triste quand je me souviens du moment où ils se sont fait arrêter par la BCF. Tout ça était de ma faute et maintenant je ne sais même pas s'ils sont encore vivants.

-        Que s'est-il passé ? Lui demanda Fanny.

-        C'était peu de temps après que l'Etat ait regroupé la fête des mères et la fête des pères en une seule fête, celle des parents. A l'époque, j'avais dix ans et j'avais écris mon premier poème pour eux, pour cette fête, pour leur fête. J'avais de qui tenir, avec une mère philosophe et un père écrivain pendant toute mon enfance j'ai baigné dans un univers de lettres, de mots, d'écriture, de pensée, d'humanisme, de tolérance et de fraternité.

-        Pour l'instant, je ne vois pas où tu as fais une faute, dit Fanny pleine de tendresse.

-        Justement, ce poème représente ma faute. Le jour même de la fête des parents, ma maîtresse d'école découvrit le poème dans mon cartable. Immédiatement, elle prévint la BCF car un enfant qui écrivait des poèmes pouvait faire suspecter ses parents de déviance et, donc, de folie. La suite ne se fit pas attendre et deux jours plus tard un binôme de chasseurs fit irruption chez nous. Ils testèrent mes parents et, là, tout bascula. Le test fût positif et mes parents furent tout de suite emmenés par la brigade de ramassage. Depuis ce jour, je n'ai plus aucunes nouvelles.

-        Quelle horreur, et à toi que t'es-t-il arrivé ?

-        Comme tu le sais, l'Etat pense qu'un enfant de fous, fou lui même, peut être rééduqué et normalisé. Alors, ils m'ont mis dans un pensionnat d'Etat.

-        Oui, répondit Fanny, je sais ce que c'est, je connais bien ce genre de pensionnat. C'est même dans ces endroits là que les BCF recrutent le plus. Je suis bien placé pour le savoir.

-        C'est logique, parce que les enfants y vont très tôt et, jusqu'à leur âge adulte, ils ont tout le temps d'y être formaté pour bien répondre aux exigences de l'Etat.

-        En tous cas, toi tu n'as pas été normalisé, ça aussi je suis bien placée pour le savoir, lui dit Fanny avec un sourire complice. Comment tu as fait pour résister à ça ? Lui demanda-t-elle.

-        En fait, quand j'ai eu quinze ans, je me suis évadé de cette usine à décérébrer. Et puis j'ai été recueilli par un réseau secret avec lequel mes parents avaient été en contact, les forces de résistance intérieure et fraternelles, plus connues par l'Etat sous le nom de FRIF. Tu as dû en entendre parler quand tu étais chasseur de fous.

           

            Fanny fit un peu la moue car elle n'aimait pas quand Arthur lui rappelait ce passé qui, pour elle, était le seul. Elle eut besoin d'un long baiser d'Arthur pour retrouver son sourire car elle savait qu'il ne lui ferait jamais de mal, elle avait tellement confiance en lui. Et puis, il avait connu la vie dans un pensionnat d'Etat et il connaissait donc toutes les techniques d'endoctrinement et leur facilité de mise en œuvre, surtout sur des enfants.

-        Eh bien, figure toi que je n'en ai pas autant entendu parler que cela. En fait, il n'y a rien d'étonnant car les différents services de l'Etat sont plutôt cloisonnés. Justement, parle moi de cette FRIF, qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce qu'on y fait ? Comment c'est organisé ?

Fanny semblait toute excitée à la seule évocation de cette force de résistance.

 

            Plus Arthur la regardait, plus il la trouvait belle. Bien sur, auparavant, il avait déjà rencontré d'autres femmes tous aussi belles. Mais, avec Fanny c'était différent, elle était plus que belle, elle illuminait sa vie. En fait, il se rendit compte qu'il n'avait jamais aimé avant.

Quand il se mit à rire, apparemment sans raison, Fanny lui demanda pourquoi.

-        Je ris, parce que finalement c'est vrai que je suis fou.

-        Qu'est-ce que tu racontes ? Je commençais à penser que les fous n'étaient pas toujours ceux que l'on croyait.

-        Oui, mais moi c'est pas pareil et je te confirme que je suis bien fou. Je suis fou amoureux de toi.

A ce moment là, l'émotion ressentie par Fanny était si forte que, sans réfléchir, elle se projeta dans les bras d'Arthur … La nuit promettait d'être courte et leurs larmes de joie se transformèrent vite en soupirs de désir.

 

A suivre …

 

Hervé BOYER