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L’insoupçonnable



En entrant dans le train, une odeur curieuse lui rappela le sous sol de sa grand-mère.

Décidemment se dit-elle, Proust et sa madeleine, il n’y a rien à redire.

C’est moche l’interieur de ces nouveaux trains….et le tissu des fauteuils gratte !

Alors, elle s’asseoit et elle cherche quelque chose de beau à regarder.

Sur le quai, il y a une femme.Elle est d’un autre temps.Impossible de dire si elle part, ou si elle reste.Elle est immobile, comme en suspens.Soudain, elle lève une main et signe un au-revoir, en même temps qu’une réponse à ma question.Pourquoi certaines personnes font naître des questions ?

Il y a toujours une curieuse impatience dès lors que l’on est assis dans un train.Il faut qu’il parte. Ce temps de l’attente titille, agace, réitéré par le contact synthéthique des fauteuils de seconde classe, et du manque d’espace pour les jambes. Là bas, plus loin, sur le quai encore, un couple qui s’enlace.Lequel prendra la valise bleue posée au sol ? Elle pense alors à un départ pour New-York, et à la même valise bleue qu’elle embarqua dans l’autocar, laissant derrriere elle le même enlacement.

Et puis quelqu’un s’asseoit à côté d’elle.Il s’excuse parce qu’il vient de cogner son genou.

Puis, il est silencieux, à peine impatient. Il sort des feuilles et se met d’emblée à écrire.

Elle regarde. Il s’agit d’une lettre.Les premières lignes sont déjà écrites, l’encre n’est pas de la même couleur. « Ma chère Cécile,

Je n’ai pas su trouver les mots pour te le dire, et je sais que longtemps tu me condamneras pour cette lâcheté. Aussi je commence une lettre au café que je finirais dans le train tout à l’heure. Je sais d’emblée que nulle explication ne consolera la peine dont je suis responsable, mais parti comme un voleur, je ne peux te laisser dans l’ignorance de mes decisions. Ce sont des discussions que nous avons eues sans cesse, et qui à chaque fois, m’ont finalement empêché de soutenir ce que je pressentais comme route à suivre. Je suis un égoïste, mais si je ne trace pas ma vie, qui donc le fera à ma place ? J’arrive à un moment de ma vie où il ne m’est plus possible d’adhérer à ce que tu me proposes. Je ne suis pas celui sur qui tu peux et dois compter.Je suis trop solitaire, trop égoïste, trop ambitieux, et la vie à deux m’indispose de plus en plus.La vie tout simplement, m’indispose, et mes sautes d’humeur que tu me reproches, doublées de mes moments de dépression, je ne peux effectivement continuer à les imposer ainsi. Je n’ai pas ton sens de la famille, et tu le sais, je ne peux ni ne veux m’y consacrer comme toi.Il faut que tu acceptes que je ne suis pas celui que tu voudrais.Ou que tu ne l’acceptes pas.Je suis donc parti comme un voleur, pour être séparé de toi, de tous, de ma famille aussi. Je souhaite m’isoler. Et je te supplie cette fois de respecter ce choix sans entrer dans tes chantages suicidaires ! Je te propose que nous nous parlions plus tard dans le mois. Je suis à Marseille dans un studio prêté par Louis. S’il te plaît, prends soin de toi. »

Jean

Il écrit tout cela d’un trait. A un moment, il constate mon regard oblique qui déchiffre son courrier. Le courrier fini, je me sens envahie de tristesse. Je pense à cette femme, à son inquiétude, à son attente, à cette lettre déloyale, brève, rapide. Puis je pense à la tristesse de cet homme.Je me demande si cet homme ment. J’ai envie de le secouer comme un sale gosse !

Pourtant , ce savoir dérobé, je ne peux rien en faire, ma bonne éducation me plâtre l’entrée de la bouche, pas un mot ne sort.

Le train a quitté le quai.Quelques minutes avant, je voulais qu’il parte, désormais je me sens accablée d’emmener à mes côtés cet homme, d’assister sottement à ce courrier, et de surcroît je rumine, je bouillonne, empêchée de me livrer à ma rêverie contemplative des paysages qui défilent.

Alors me vient une idée, soudaine et tombée du ciel.J’emprunte une feuille à Jean, et à mon tour, je me mets à écrire. Je sais d’emblée qu’il a le même regard oblique déchiffrant ma lettre.

« Jean,
Je viens de lire votre courrier, et croyez moi, je sais que tout cela me regarde et ne me regarde pas.Cela ne me regarde pas, car il s’agit de la vie de deux personnes que je ne connais pas, et qui ne m’ont rien demander. Cela me regarde, car je suis assise à côté de vous, et de cette place, je partage avec vous un temps de votre vie. Il s’agit d’un départ.

Il y a 5 ans, je recevais le même type de lettres d’un même genre de Jean. Cet homme à qui j’avais confié ma vie, crut possible par quelques lignes de se débarrasser, non pas de moi, mais de cette part de lui même auprès de moi pendant tant d’années, en quelques ritournelles adolescentes couchées sur une feuille.Il se prenait peut être pour un vetement usé qu il suffit de jeter pour jeter. Quelques jours, apres avoir reçu son courrier, et toute la tristresse du monde, j’apprenais son corps jeté par la fenêtre. Aujourd’hui je me rends à Marseille pour voir sa mère, qui ne se console pas.

J’ai tenté depuis de refaire surface, d’y comprendre quelque chose. La violence adressée à l’autre, est souvent d’emblée à entendre de soi à soi. Vous voyiez, nos histoires se croisent, et je ne peux garder tout cela comme ça. Jetez votre courrier. Prenez le train de Marseille pour Paris. ET surtout parlez lui, qu’importe votre décision. »

Liliane

Le reste du trajet fût un long silence, mais sans angoisse.Chacun était dépositaire de l’autre.

Le train s’arrêta, et Marseille nous accueillit dans son brouhaha d’accents et de couleurs.

Simplement, il me dit Merci, en quittant son fauteuil, et je fermais alors autrement une blessure vive de mon existence.

E.Peltier


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