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La poupée russe



Chaque jour, la poupée russe beurrait ses tartines.Les habitudes sont faites pour être prises comme la vie pour être vécue.Parfois, aucune effraction dans cet univers simple qui se répète dans un infini qui tente de mettre de côté tous les indéfinis ; parfois une fracture s’opère discrète et pernitieuse, ou soudaine et bouleversante.Alors la poupée russe n’a plus envie de ses tartines, le matin ne se lève plus, et la vie lui apparaît alors comme un exercice irrecductible dans sa solution, voire impraticable dans sa méthode.Quelque chose se démet.


Le même paysage, la veille poétique et vivant devient une scène insupportable, auquel nulle familiarité ne peut apporter de l’apaisement.Une fine pellicule s’est déposée entre soi et le monde, et avant tout de soi à soi.C’est à cet instant que vous êtes- POUPEE RUSSE.

Tout le long de cette fine pellicule se forge une seconde peau, et une autre appréhension du monde, jusque dans les détails jadis les plus futiles, douloureux dans l’impossible retrouvaille de ce qu ‘ils produisaient naguère.Le café n’a plus le même goût, la patissière n’est plus grasouillette et émouvante,le soleil est devenu gris ou vert, Mozart agace, et le reflet dans le miroir :Que dire ?

Répondre à son prénom, un assujetissement, répondre à une question,une mésaventure langagière qui rate nécéssairement, participer à ce mouvement collectif, ou singulier, produire des pensées, des opinions, une astreinte, exercice de funambule entre le plaisir sourd de son propre anéantissement, et la gloire aveugle des paroles impérieuses et suffisantes.Poupée russe.Une sait.Une ne sait plus.Chaque fois, qu’elle se dépouille, poupée gigogne venue du froid, elle croit que peut être- elle est celle là même issue du dépouillement précédent.Et puis, ça recommence.Elle se pensait forte, à traverser montagnes et épines, à traverser toutes les morts, et ces images qui lui viennent, étrangères et intimes, d’un monde endormi sous des milliers des morts, les cris, ce qu’elle ne veut savoir, mais qu’elle approche tout de même, comme si chaque vie contenait toute mort et toute vie, et l’idée de tous les possibles rétrecis dans le déroulement amer du temps et de ce qu’il impose.Elle cherche.

Parfois au décours des albums de famille, il lui est dit qu’elle est cette petite fille qui porte, il est vrai, le même prénom, et dont les traits ressemblent à ceux de ses propres enfants.Elle l’est, elle ne l’est pas, elle ne l’est plus, est elle ce qu’elle a été.Linéarité ou rupture ?

Rupture.Poupée russe.Une couture peut être pourrait retenir quelques poupées les unes dans les autres.Qui sait.Elle se croyait capable de la traverser cette petite épreuve humaine.Elle ne l’était pas.Plusieurs poupées ont valsées comme un feu d’artifice.Elle est devenue pleine de sang, de peur, de douleur.Alors elle s’est dit, devant sa tartine- je ne suis pas encore celle que je crois être ! Je ne découvre pas la vie, la vie me découvre.

Des phrases lui reviennent qui font sens-« il faut prendre les choses comme elles viennent »-« chaque jour suffit sa peine ».

Alors, elle accepte comme on se repend, d’avoir été troublée, par elle même.Et elle sait que tout reste toujours à apprendre, et qu’elle ne cesse de perdre au fur et à mesure les certitudes douces comme les tartines, le bonjour à la pâtissière, et elle cherche à se coller au plus près de ses habitudes, pour être reconnue des autres, et d’elle même dans ce prénom, qui est le sien et déjà ne l’est plus.La question pourrait être- sur quoi miser ? D’où je viens ?

Enfant de, femme de, mère de-, est –ce une attibrution linéaire, ou une couverture-gigogne permettant un enracinement parmi les êtres ? Est ce à croire absolument comme condition possible et essentielle d’une vie ? Quand faut il cesser, mettre un point d’arrêt à ce dépouillement incessant ? Y ‘a-t’il un jour la possibilité de dire vrai en disant- voilà ce que je suis ?

Approche t’on de l’essentiel, ou s’en éloigne t’on ?Cette idée même de l’essentiel n’est ce pas une idée saugrenue ? Vivre, qu’est ce au juste ?Se cogner contre l’univers, être dévasté par ce qui nous dépasse et nous englobe, ou naviguer avec plaisir dans la recherche infime d’une compréhension pourtant réduite et finie d’un fait qui sans cesse nous dépasse ? Faut il comprendre la constitution du soleil pour apprécier sa chaleur ? Certes, non.Mais ce rapport est fragile.

La tristesse rend le soleil cruel parfois.Pas d’assurance.Pas de certitude.Une plongée déroutante en soi, et dans le monde.Pourquoi ? Chacun l’énonce, chacun fait le conte de sa vie, chacun épluche ses certitudes, ou dévoile ses opinions, certains font des projets, d’autres partent en vacances, remontent un fleuve, ou tricottent des écharpes.Pourquoi ?Ce qui fait sens un jour, peut dans l’heure suivante perdre toute substance, comme un soufflé.Un effondrement.Une explosion aussi.

L’adhérence à sa propre volonté, et l’éclosion de son propre désir sont des formules fébriles, ou parfois tenaces qui traversent, bousculent, et orientent certains pas.La vie, c’est aussi une somme de pas.Pas des pas les uns après les autres ; non.Un autre espace, avec une autre dimension, entre continuité, adherence, linéarité, et rupture, perte, hétérogénéité.

Un balancement, une ouverture, une fermeture, un retour, non pas en arrière mais autrement, une éclosion, une difference, une indifference,un plaisir, une peine.Et au bout du compte : tous ces mouvements qui ont fait de nous même une traduction de nous même.Poupée russe.Elle parle russe !.Et parler- c’est se traduire.ça fait déjà une épaisseur, le silence en constituera une autre.Tous ces temps parlés ou tûs , ce sont des milliers de signaux qui auront « fusés » de partout produisant en cascade des millliers d’effets visibles et invisibles sur soi, les autres, et qui sait, la matière.Il m’arrive de regarder voler des pans de phrases entières, qui parfois même me reviennent des années apres, me dépouillant alors d’une peau de trop.

Poupée russe.Est ce creux dedans ?Non, ça tourne, comme les disques d’époque, ça spirale, ça dédale.Une fois qu’on a mis le pied dans le langage, même le creux, est d’encre.Poupée russe- d’encre.Moi, il m’arrive de penser, que je ne suis pas mon prénom, ni ma date de naissance, ni celle à qui on s’adresse, il y a toujours un petit laps discret d’inadhérence.Et puis, je réponds quelque chose, tout de même.Et la vie s’engage.Et l’autre en face, aussi, il est pris comme moi dans ce cafouillage, il ignore, et n’ignore pas, il est, et il n’est pas, il oscille, il accepte ce risque, il accepte de râter en partie.Parfois il trouve son « truc ».Il est, il pense,« lui même » là sur une planche à voile au Nicaragua, ou dans une grotte en pleine recherche sur la préhistoire, il se passionne, il se révolte, il fonctionne.ET puis, vous savez bien…ce que je vais écrire, ça peut s’effondrer, et repartir, fonctionner autement !Mais ma question, c’est celle de tous ! Qui suis je ?

Découvrir que l’on n’est pas ce que l’on croit, est une épreuve terrible.Ce n’est pas une question de déception,c’est une question de perdition, et d’étrangeté.Les tartines et la poupée russe.Cela devait être une histoire, c’est devenu la possibilité, dans cette force unique de l’écriture d’une récuperation.La coûture…. prendre en compte y compris ce qui de soi nous amène aux bords de nous même, un parcellaire -autre qui nous constitue dans ses paradoxes, une trappe imprévisible.Etre rattrapée par et malgré nous.Chuter.Se tromper.Rebrousser chemin, dire n’importe quoi, aimer et haïr ,ne plus rien savoir, ni du rien ni du savoir.Et puis

Attendre, mettre une phrase comme un manteau qui va retenir au sol.La répéter nuit et jour, la palabrer, la bredouiller incessamment, s’en rendre ivre et fou, et vider et évider tout le reste jusqu’à n’être qu’une phrase, une phrase, ou un sarcasme parfois.Au moins !.

Chaque jour suffit sa peine.

E.Peltier


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