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La remontée des océans.



Faire un pas de côté. Un geste qui échappe, ou pourquoi pas une phrase qui s’énonce comme ayant une vie à part entière.

Chacun se promène entouré de ces étranges cerceaux.Ces mots lâchés, malgré lui, continuent à l’entourer formant des cercles invisibles dont il convient de ne pas se prendre les pieds. Parfois les cerceaux se cognent à ceux d’un autre quidam, des mots se décrochent s’emmêlant alors à la guirlande de palabres de celui-ci. Alors, une pensée qui lui semble étrangère, le traverse.Pourquoi est –ce que j’ai pensé cela ? se dit il, continuant son chemin parmi tant d’autres. Les curieuses lucioles, l’incéssant accompagnement syllabique de notre propre vie, à l’intérieur, puis à l’exterieur, puis entre deux.

Le soir étendu, depuis le ciel, il est possible d’apercevoir tous ces êtres endormis, semblables à des canots à la dérive, entourés du fil de leur pensées, comme une toile, qui les emmêle, les dêmele, les anime, et les enferme. Dépouillé de cette corde alphabétique, il ne resterait que la stupeur, et l’arride domaine des « sans cerceaux ». Les sans cerceaux, ce sont ces êtres muets, ceux qui ne se formulent pas. Un froid terrible les accable, un froid ignoré d’eux même.Le plus douloureux,celui d’une peine qui ne se parle pas. Filet d’eau asséché dès la source.

Leurs yeux comme des vitres sans reflets ne renvoient rien que ce même froid. Ce domaine vaste borde notre monde et s’infiltre dans toutes les rayures du silence.La nuit, les sans cerceaux ne dorment pas, et dans leurs pas d’avidité effrayante, ils tentent de s’emparer de quelque cerceau dépassant d’un drap. Alors, l’un peut dire ce qu’il n’a pas pensé, gloire économe du monde moderne.Cynisme.

Pauvre Lydie, elle a tant de cerceaux, qu’elle trébuche sans cesse sur ceux ci, elle voudrait le dire autrement. Elle voudrait le trouver ce mot, comme le graal, qui pourrait la contenir toute entiere, et comme une bulle de savon, l’alléger en l’amenant vers le ciel.Mais à chaque fois, elle n’en finit pas de dire, et de dire encore combien ce qu’elle peut dire la divise et la désarçonne, comme une cible toujours râtée. A chaque fois, elle tend les voyelles sur ses cordes, mais ce n’est déjà plus cela, ou pas tout à fait cela, et c’est une éruption de cerceaux multicolores, qui lui rendent un hommage clownesque,et plein de dérision.

Les cerceaux pèsent. Elle trie, range,arrange, deplie, c’est toute une vie.Quand elle danse, un moment, elle devient cette bulle de savon au vent, de mille couleurs, délivrée du poids de tout ce qu’elle a dit. Alors un bruit gronde.Un bruit de vert et d’embruns, un bruit de vent et de falaise, un bruit de plaisir et de peine, de rire, et de rage, un bruit d’oiseau et de pas.C’est la remontée des océans.Retour en soi même de sa propre vie, dans tout son désordre mouvant, inattendu, une vague qui tend l’être de l’interieur, l’innonde, et entraine tout, les cerceaux sont alors aspirés au fond de Lydie, formant son sôcle et le bruit de son pas, son inépuisable discours ,ondulant jusqu’à la surface de sa peau, et son invraisemblable et intraduisible vérité.

Chacun dit vrai.Chacun l’ignore.

E.peltier


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