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Est-ce que je rampe comme un enfant ?

A deux pas de moi, une pancarte accrochée à un sapin, un arbre ancien comme le monde.
« Le monde est sans issue », voilà donc ce qui était écrit dessus.
Ce n’est pas courant de trouver cela en pleine forêt, et pourtant, foulant de mes pas les chataignes, la mousse, les volutes naturelles, ce monde microscopique et dense,un tel pessimisme me sembla saugrenu.

-Allons donc, pensais-je, un vieux fou, un égaré, un Robinson de Rambouillet.

La forêt, c’est un rappel à l’ordre sur l’incondition humaine, rapidement les pas nous perdent, et cette sensation pique de plaisir et de peine : perdue, oui, mais au milieu de l’infini , ces hauts arbres plein de bras et de griffes, de caresses, et de majesté.

Le monde a sa grandeur.

Et si je ne suis rien, je peux au moins le dire, cela.

Personne ne me voit,ou l’œil de la forêt peut-être, alors cette petite côte moussue, je peux courir dessus et prendre de la vitesse, et voir mes bras qui ballotent comme un pantin désarticulé et réjoui.Les forêts abritent tant de contes, de chaperons et de louves, qu’il m’arrive de me faire peur et de nourrir encore une fois cette sensation de plaisir et de crainte.Qu’importe, la vie vaut la peine de s’y perdre !

En pleine fantaisie onirique je butte contre une nouvelle pancarte

« Le monde est sans issue ».

Ce qui me trouble le plus, c’est de prendre le même chemin que cet égaré !

Je vais à contre courant de mes intentions premières, et longe une petite source d’eau qui m’abreuve de clin d’œil.

Clin d’œil sur la pluie fine qui me rappelle mon épiderme : moi aussi je suis forêt, de duvet, de douceur, de pics et d’irrégularités.

Clin d’œil sur cette banlieue pathétique croisée la veille, et malgré tout, en dépit de tout, son âme aussi réelle qu’un souvenir de printemps.

Clin d’œil tant que mes yeux clignent et que je suis en vie.

Clin d’œil à toi, décoré de lettres, de pages, et d’altérité radicale.

Clin d’œil à ces caravanes aux linges déployés, à ces vrais faux souvenirs, et puis encore à toi, la petite fille qui ouvre les yeux plus larges que l’accent grave.

La pancarte a fini par s’accrocher dans ma tête comme ces panneaux publicitaires au bord des autoroutes qui en dépit de la volonté, se répètent en écho comme une voix autre, en soi.

Ridicule,dis-je, dévallant une nouvelle pente moussue.

Le monde n’a d’issue que pour celui qui cherche à le quitter : moi je reste.

Je n’ai jamais su qui avait écrit cela.

Robinson, l’amoureux transi, le juste, l’incrédule, le mélancolique,le cynique, le loup, l’enfant Roi, le prince d’Aquitaine à la terre abolie...

J’enlevais alors les pancartes, rebroussant chemin et mousse, sacrilège du mot écrit, de la bouteille à la mer.

Et je les enterrais sous la terre brune et moussue de cette forêt, dans une agitation pleine d’entrain, de force, et d’amertume.

Clin d’œil aux tombes, forêt de tombes, à la faux balladeuse, à sa cruauté rouge et ses habits de deuil.

Clin d’œil à cette femme, qui a juste titre, me dit un jour-je vis l’enfer.

Clin d’œil à l’incandescence consumériste du bien-pensant que je suis, et de l’apreté de ce jugement sur moi-même.

Clin d’œil à l’au delà du principe de plaisir, forêt de démembrement et d’esprits mutilés.

Clin d’œil aux grands fadas de l’opérationnel et leur juteuse bêtise.

Et je les enterrais sous la terre brune et moussue de cette forêt, dans la majesté et la noirceur, pour que la vie continue.

La vie continue, pensais-je.

Elena


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