Retour à l'accueil

Retour à Chroniques ----- Retour aux Intraitables


Je connais une princesse russe.Croyez-moi.Je  connais aussi un arbre avec qui jadis je dansais quelques polkas.

Et je connais un lieu insolite : ma mémoire.C’est une presqu’île, et j’en suis naufragé.Il m’arrive d’attendre la journée entière, les heures enfilées comme des perles, pour y retourner, les volets clos.

Boite de nuit privée.Entrée sur invitation.Un seul invité : moi. Grandiosité. Onirisme.

J’aime ce moment, ce tintement, au silence plus épais, aux contours plus tendres, au temps moins coupant.J’y entre, et à chaque fois ce trouble étrange et pourtant agréable.

Ce temps ancien enroulé en moi entre mots, images, visages, lunes, et prés… Est-il le mien ?

 Il me semble que j’y retourne pour y trouver quelqu’un.Il me semble que j’y tourne pour y retrouver quelqu’un.Les endormis, le temps suspendu, mais…

Qui a décidé que la vie est la vie ?

Naufrage.

J’y entre…. tu m’as pris par la main, tu n’avais pas de visage ou pas encore, et je n’en ai pas fait cas.Tu ricanais déjà de moi, malgré ta petite taille et tu m’as dit

« tiens, pose le là, tu seras moins embarassée »

Je n’ai rien compris et tu m’as dit que c’était bon signe.

Alors ce soir là, tu m’as emmené dans les chambres de mon enfance.Une netteté plus forte que le réel lui-même, je vois les bibelots sur les étagères, la boite à coudre de ma mère, en désordre, la table blanche de notre cuisine, ma mère de dos qui fait la vaisselle.

Elle ne me regarde pas, elle est toujours de dos, y compris de face.

Et puis toi, le nain,   tu t’installes dans le canapé de mon enfance.Sacrilège.

Tu continues à ricaner, et tu prends le visage de celui qui ricane.

Tu troubles mon plaisir.Alors je te hais de toute ma haine.

C’est chez MOI ici te dis-je, c’est ma mère, mon chat, mon service de porcelaine pour poupées, mon lit plein de coussins brodés par ma grand mère !

C’est à moi, c’est chez moi, c’est moi.

« Tiens, pose le là, tu seras moins embarassée »

Le ricaneur est trouble fête.

Alors là, je prends ma respiration….

« je me tape les vociférations barbares asubstantifiques des journées creuses dithyrambiques,

et je compte bien aller dans ma presqu’île sans me taper je ne sais quel reliquat d’une néo culpabilité incarnée par un ridicule nain grimacier qui a l’outrecuidance de me voler mon temps suspendu ! »

«  A ce propos, Charlotte, dit le nain sans visage, c’est toi qui m’a installé là ! »

« Ahtfgrt je ne vais pas la refaire….. pas Charlotte mais Elena, je les connais les subterfuges pervers, les entourloupes mal retapées pour justifier les aberrations de conduites asociales et délétères …. C’est mon temps suspendu, tranquille…..loin, loin du monde MODERNE, contemporain de la connerie autocollante vibrante masturbante, de  l’invasion de vilains, tu sais ces nouveaux humains qui parlent en fiches et badgent les discours…..Si tu ne me laisses pas mon bout de presqu’île, mes visites solitaires, mes vicissitudes solaires, mes hébétudes lunaires, mes tubulures précaires, mes luxures casheres,mes chaussures impaires, c’est la mort assurée, car moi je dis, je décide, que la vie…. ce n’est n’est ni l’important, ni l’essentiel, ni la substantifique möelle, ni le projet du projet, ni le numéro un des objectifs à court terme de la démesure bien encadrée des gestionnaires habiles de l’existence déshydratée, c’est plutôt, hein, urhps….un naufrage !

« Ah ben moi dit le nain, les naufrages, c’est ma partie, mon truc, mon dada. »

«  oui mais voilà, coco, dit-je un tantinet prétentieuse(j’avais déjà fait mes armes avec Arthur)

je compte bien naufrager seule ….Alors dégage vite fait du canapé de mon enfance ! »

«  Mais tu es seule Charlotte ! »

« Ahhh oui, alors qui c’est le p’tit nain ridicule qui n’a même pas de visage  qui se paye ma tête qui me répond ?! »

«  Pose le là, tu seras moins embarassée……je t’avais pourtant aidé dès ton arrivée »

« Pose quoi ? Je suis pas Œdipe pour résoudre tes charades, le temps presse, et je ne me suis pas encore suspendue ! »

Le vilain nain ricaneur cessa de rire, il se colla tout près de moi, il avait pris mon visage : il était aussi triste que moi, aussi fou que moi, aussi laid que moi, aussi perdu que moi.

Je suis l’écho dit-il.

Elena


nous contacter:serpsy@serpsy.org