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Conte d’une vie moderne
« Liberté, liberté !!! » criait-elle.
Les passants détournaient leur tête.Certains accéleraient leur pas.La pluie sur les trottoirs constituait une toile de reflets et de couleurs se fondant les unes aux autres.
Des longs manteaux et gris bonnets la frôlaient sans s’arrêter.Elle hurlait de plus en plus fort, insistant et répétant la dernière syllabe.
Soudain, et certainement faute de croiser un regard, elle s’agenouilla sur le trottoir, comme en supplication et se mit de nouveau à crier, regardant cette fois le ciel plutôt que les êtres, en attente.
Dieu ne fût pas plus présent que ses créatures, la laissant seule au milieu des reflets.
Reflet du panneau de signalisation, devenant une longue silhouette au visage ovale suspendu parmi les reflets du monde moderne, une canette de coca-cola au sol, des immeubles anonymes, une poubelle verte en plastique anti-terroriste.
Elle s’arrêta brusquement apercevant son propre reflet.Reflet d’une femme, d’une femme qui crie, reflet d’un cri comme un drapeau au vent.
Son propre reflet lui donna tout à coup une contenance, une butée, un contour.Contour d’un cri.
Elle avait traversé le ciel, tous les passants et la pluie, et d’un coup sec elle avait pu atterir par dessous le bitume, être ramenée à une forme humaine.Elle se mit à regarder sa main comme s’il s’agissait d’une première rencontre, faisant bouger tour à tour chacun de ses doigts, scrutant leurs détails.
Elle put alors s’appuyer dessus, se redresser, quitter son cri, et s’asseoir sur un banc, indifférente à l’eau qui dégoulinait de toute part.Lui revint son histoire, reflet d’elle-même.
Trois ans avant, elle l’avait rencontré au pays basque.Il lui avait demandé du feu, et assis quelques heures plus tard ensemble dans un café de St Jean De Luz, elle le trouva séduisant comme un personnage de Truffaut.
Lui, il lui avait parlé de lui, évidemment.Et bien qu’il ne chercha qu’à la séduire, elle se laissa séduire, acceptant de croire à cet étroit reflet de lui-même.Il ne lui posa aucune question.
Il n’existait pas.Cela, elle ne voulut le voir.
Peut être la force des vagues, l’emportement de celles ci déboulant sur la digue de Soccoa, le climat franc de l’été furent l’origine de cet état particulier qui la saisit d’emblée.
Cette femme tranquille perdit sa tranquillité à l’instant même où elle donna du feu à cet homme.
Elle était devenu suspendue, s’évidant peu à peu de sa propre existence.
Suspendue.Elle s’accrochait à tout ce qu’il ne donnait pas, cet homme se dérobant sans cesse de ses attentes.
Bientôt elle devint en creux, un regard non donné, une lettre non reçue, un appel jamais entendu.Il ne lui donna -rien, et lui promit toujours plus.
Parcequ’il ne lui donnait rien, le monde de cette femme commença à retrécir.
D’abord ses nuits, puis son corps, puis son espoir, puis son envie de vivre.
Lui, rayonnait.
Epris de lui-même, de l’effet de lui-même.Il l’engagea à quitter sa vie.
Elle quitta sa ville natale.Elle quitta son travail, elle quitta même son surnom car il le trouvait ridicule.Elle quitta ses bottines.Et finalement, elle quitta l’impression d’être elle même.
Elle lui découvrit d’autres femmes et d’autres promesses, habituelles pour un personnage de Truffaut.Ce qu’elle découvrait, il le niait, la mettant dans la plus âpre déroute et cruelle confusion.Plus elle découvrait son inconsistance , plus il lui reprochait cela même qu’il lui avait demandé, il la trouvait isolée, sans travail, ni repères…
Il la laissa de plus en plus seule.ET puis, il ne donna plus aucun signe.
Des jours entiers se succédèrent, épais de brume et de confusion.Puis vint une semaine terrible de perdition
.Elle n’eut même plus de peine ou de désespoir, qui au moins la remplissaient, elle clignait uniquement des yeux, raide sur son lit, singeant la mort.
Un froid la remplissait.Et puis la pluie tomba très fort, battant sur ses fenêtres.Tempête.
Elle vit alors l’image des vagues par dessus les digues, et dans un sursaut de vie soudain mais inaliénable, elle déboula en pleine rue.
Liberté, liberté criait elle.Les passants détournaient leur tête.
Et son propre reflet la restitua à elle même.
Elena