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Le bonnet bleu



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Un froid presque cruel lui croquait la peau. Qu’importe, elle avait mis son petit bonnet bleu, et armure au vent, elle avançait tel Don Quichotte.

Elle avait claqué la porte d’un coup sec.Et ce bruit de la porte, continuait à lui donner l’impulsion de marcher vite et fièrement, même quelques heures après, comme un écho revigorant.

Chacun un jour claque une porte.


Cette porte au fil du temps semble marquer deux espaces, ce qui est laissé, et ce qui est à prendre.

Ce jour là, par une porte claquée, elle avait laissé absolument toute sa vie, et ce qu’elle était dans cette vie.Elle avait juste eu ce geste dérisoire mais vrai : se saisir du petit bonnet bleu avant de claquer la porte.

Du reste, c’est dans cette idée de se saisir du bonnet bleu qu’elle avait pû trouver le courage de se diriger vers la porte.Ouvrir la porte pour ne plus fermer sa gueule.

Des années de paroles acerbes à son égard, de mots durs comme des pierres lancées au visage, d’infâmes moments de dénigrement, et cette impossibilité, même seulement d’imaginer ouvrir la porte et tout quitter.


Quitter le plus sombre.Le plus difficile.

Un détail parfois bouleverse un destin.Ce jour là, pour Marie, le détail, c’était le bonnet bleu.

Seul objet de bonheur dans un univers glabre, il l’avait appelé au dehors, en un instant ; présent à sa vue lors d’une querelle affreuse, il avait clairement permis l’émergence d’une volonté. Quitter, sortir, partir, et l’emmener.Il était devenu une formule possible pour un désir qui ne pouvait alors éclore.


Ce bonnet contenait une rencontre sept ans auparavant.Indice de couleur dans un monde étriqué, noir et laid.Certes, bien des questions avaient interrogé la provenance du bonnet.Déjà, dans le flou de ses réponses Marie, sans le savoir, avait fait un pas vers la porte de sortie.Il resta donc douze pas qu’elle fît sept ans plus tard.

Ce bonnet était rond comme une mandarine, et bleu comme un ciel propice au bonheur des êtres qui le regardent.Cette rencontre pourtant avait été muette.

Le bruit de la porte claquée permit sept ans plus tard d’en dire quelque chose.


 

Le bonnet bleu de Marie était arrivé sur ses deux oreilles un hiver rude des années 70.

Marie était entrée dans une librairie commander un recueil de poésies.Là, il y avait un homme qui l’observait.Marie n’était pas très jolie, mais sa tristesse saisissa l’homme d’emblée.

En entrant dans la librairie, elle avait posé sur un des étalages ses gants et son bonnet blanc, puis avait ouvert son sac pour y chercher ses notes concernant le recueil à commander.


Après, elle avait feuilleté un long moment un livre sur l’art italien.

L’homme ne l’avait pas quitté du regard.Sa tristesse l’avait capté.En la regardant, il s’était mis à penser à elle, à sa vie, à imaginer qui elle pouvait être.Surtout, il s’était demandé pourquoi elle était si triste, et pourquoi cette tristesse le tenait en suspens.Ce jour là, la tristesse de cette femme était devenu pour cet homme ce qu’il y avait de plus essentiel.Certainement, il aurait donné sa vie pour elle.

Chacun un jour pense des choses insensées, et cet insensé le dépasse longtemps au point de ne pouvoir être partageable.


Mais Marie, repartit et oublia sur l’étalage et ses gants et son bonnet blanc.

Comme il la suivait des yeux dans cet adieu qu’elle ne partageait pas, il ne fit pas attention à ce qu’elle laissa sur l’étalage.

Par contre, il resta pour regarder le livre d’art, et payer la commande de Marie.

Marie marcha un peu, puis saisie par le froid, son bonnet blanc lui apparut comme manquant.

Elle revint sur ses pas, et entra dans la librairie. Là, l’homme était toujours là, il la vit chercher ce qui n’était plus là.A défaut de lui donner sa vie, il lui tendit son propre bonnet.Il était rond comme une mandarine et bleu comme ce qui manquait à Marie : le bonheur.

Pourquoi le prit elle sans mot dire, pourquoi le lui donna t’il sans rien pouvoir lui en dire.


Eux-même ne trouvèrent pas de réponse à cela.

L’incongruité de cette acceptation revint à Marie 7 ans après, dès lors qu’elle claqua la porte.


Cette acceptation inattendue et spontanée  avait laissé en elle une trace, comme un spectre du plaisir possible, du don, et de sa propre capacité à en prendre quelque chose .

Sept ans avant, l’homme de la librairie lui avait bien sauvé la vie.

 

E. Peltier

 


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