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                        Comme un train quitte le quai.



La coiffure de Boudha ressemble à des milliers de petits escargots déposés sur sa tête.

A l’intérieur de la tête de Mado, invisible des regards, se trouvent, au repos les mêmes élégantes spirales.Chaque fois que Mado se tait, un petit bout de la spirale se forme.Chaque retenue, chaque silence forge donc un petit tortillon interieur.

Mado est comme ces plongeurs peu téméraires, qui au moment de parler, redescendent  du plongeoir.

Parler, ce serait se jeter à l’eau.

Parfois elle ravale un mot comme une gamine qui boit sa grenadine.Biensûr, comme beaucoup, elle parle pour ne rien dire, délicieux camouflage qui permet de se fondre dans le brouhaha humain.

Mado est maline.Du reste, ses parents l’appelaient Mado-la maline,peut-être parce qu’elle répondait savamment-toujours- à côté.Un art de l’esquive, le même que celui de son regard, qui se détourne dès lors qu’elle est regardée.Mado aime regarder les personnes affairées.Ce qu’elle préfère, c’est regarder ceux qui descendent du train.Elle les suit des yeux le plus longtemps possible, avec un acharnement étrange.

Mado aime les silhouettes qui s’éloignent.Elle pensa un jour, devant le canal ST Martin, que sa vie était une silhouette qui s’éloignait peu à peu.

 Mado aime tout ce qui s’éloigne, la mer qui se retire, les trains qui quittent leur quai, les avions qui décollent, les rideaux des boutiques qui se ferment cachant peu à peu l’intérieur de la boutique et le commerçant qui la tient.Elle, pourtant s’éloigne avec difficulté.Avec maladresse.Elle part en courant, tentant d’échapper à son propre éloignement.Laisser quelqu’un la regarder dans cet éloignement, lui donner cela, ce serait  se donner toute entière.

Mado aime aussi les canards sur le lac du parc.Elle les regarde longtemps, puis, à chaque fois, elle fait le même constat qui l’amuse.Des lors qu’elle s’assit sur un banc plus de quinze minutes, une vieille dame s’asseoit à côté d’elle, et se met à lui parler.

Mado l’écoute, ainsi elle apprend que le quartier a beaucoup changé, et qu’il fait de plus en plus chaud l’été.Elle pense alors que parler pour ne rien dire est la préoccupation humaine la plus partagée.Et, elle se demande alors ce qui se partage au delà de ces mots peu éloquents.Toujours, elle attend, même longtemps que la vieille dame se lève et s’éloigne.Et cette petite femme de dos,avec son manteau fraichement sorti du teinturier, même s’il date du siècle dernier, l’émeut. Simplement.

Alors, Mado se lève, et peut quitter le banc, et les canards.

Les saisons passèrent comme les trains partent, et la tête de Mado était de plus en plus lourde et douloureuse.Une migraine ne la quittait plus.Même ses yeux la brûlaient, et Mado s’enfermaient alors des heures dans le noir.

En regardant dans le miroir ses yeux, Mado fût effrayée de découvrir à la place de ses pupilles deux petits escargots.Le lendemain matin, en se réveillant, un escargot sortit de sa bouche,et un autre de ses oreilles.Il restait à Mado suffisamment de lucidité pour comprendre que partager ce qui lui arrivait lui vaudrait sans aucun doute, une entrée…pour l’asile.Qui croira que des escargots sortent de ma bouche ?

Elle les posa tous dans une petite caisse en bois, jadis utilisée pour ses jouets d’enfance.Ces escargots étaient particuliers, ils étaient tous dorés, et surtout leur coquille n’etait pas rigide, mais souple, comme un tortillon de sable.

Mado s’habituait à cette expérience étrange .

Un mardi, une idée lui vint en les regardant.Elle glissa ses doigts dans une coquille, qui se déroula le plus simplement du monde.En se déroulant ainsi chaque escargot prit la parole.Cette parole inattendue était la sienne propre retenue pendant des années.Chaque escargot lui disait quantité de phrases, celles qui n’avaient pû éclore aux oreilles d’autrui.

Ainsi Mado s’écouta des heures  entières, magiquement « déroulée » et révelée par ces petites créatures jadis intérieures.Des larmes coulèrent, intarissables, retenues lors des milliers d’adieux qu’elle avait minutieusement orchestrés, comme pour maitriser, ce qui pouvait la terrasser désormais.

Mado pleurait comme un enfant, avec bruit, et perdant son souffle.Il lui semblait que que des milliers de trains quittaient son cœur, y ouvrant l’impossible chagrin passé.

Les larmes finissaient par mouiller les petits escargots, et à chaque fois le son des pleurs en était amplifié.Dans le quartier, les pleurs de Mado retentissèrent comme une sirène, et même les oiseaux suspendirent leur vol un instant.Les canards, et la vieille dame restèrent saisis et immobile.

Un brouhaha dans son immeuble était constant.Les voisins s’interrogeaient sur le pallier « une femme si discrète, que lui arrive t’il ? ».Que faire….

Alors le plus intrépide, sonna à sa porte.Mado, le visage rougi par les larmes, ouvrit la porte sans retenue.Je souffre, dit elle.Simplement.

Les escargots dans la caisse, et tous les autres, dans ses yeux, sa tête, et son cœur, d’un coup, disparurent.Mado avait dit l’essentiel.

E.Peltier


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