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Entre espaces praticables et chemins escarpés.

Comment ça peut s'articuler dans l'espace complexe d'une unité de soins continus les dimensions multiples que peuvent prendre les relations de soin.

A peine assise mademoiselle Cadennas s'est mise à dessiner Avec elle je reprend pour l'instant à chaque nouvel entretien la phrase qui a clos le précèdent. "C'est un cadeau la vie?" sert de lien aujourd'hui entre le deux rencontres.

Cahin-caha la discussion, entrecoupée de silences que consacre Mlle Cadennas à s'appliquer sur son dessin, avance.
Puis elle me parle du dessin, "c'est un vampire, il prend sang". Désignant des tortillons qui lui sortent du crâne elle précise "les tortillons c'est comme dans Tintin, il perd la tête, il chauffe, c'est une casserole".

Elle revient à son dessin en chantonnant, "tu me prends la tête, mon manège à moi c'est toi" puis reprend son élocution habituelle un peu tendue, "la folie me vampirise, ça m'empêche de vivre bien. Qu'est ce qui m'empêche de vivre bien, tu le sais toi, … (elle marque un temps, baisse la tête, la relève) … c'est marqué dans le dossier."

J'énonce le cadre des entretiens et au moment où je lui explique que ici et maintenant c'est avec ses matériaux, ses clefs qu'elle travaille, elle m'interrompt.

"Les clefs du cadenas?
-ouvert ou fermé le cadenas
-il ne faut pas ouvrir les cadenas il cachent des secrets. Il me faisait peur mon père quand il ronflait, je croyais qu'il faisait mal à ma mère. On ne doit pas entendre, ça résonne dans ma tête, ma tête est vampirisée. C'est un bruit extérieur, il résonne, je ferme le cadenas mais je l'entends quand même."

Dans le récit qui s'ensuit le terme oscille entre résonne et raisonne.
L'entretien se conclura sur "je n'étais pas une petite fille modèle comme dans la comtesse de Ségur, j'étais une teigne".

Dans son dossier il y a le choix, de l'hystérie à l'état limite, de l'abandonnique à la psychose maniaco dépressive, pauvre dossier supposé savoir, pauvre infirmier connaître ce dossier supposé savoir. Par contre j'aurais été confortablement installé dans un fauteuil, elle allongé sur un divan, au prix de 30€ le m² pour 20mn, j'aurais écrit dans mes notes que m'interpellant à deux reprises de la sorte elle avait composté son billet de transfert. Mais cela se passait dans un exigu bureau infirmier dans le chaos organisé d'une structure de soins continus.

Une heure après Mlle Cadennas est venue nous dire qu'elle voulait partir en chambre d'isolement dans l'unité voisine. Tremblements, perte d'équilibre début d'agitation motrice appuyait ses propos. En général ces états quasi permanents à sa dernière admission, sont réservés maintenant aux visites d'un de ses parents.
C'était l'heure du repas et avec ma collègue infirmière nous avons du abandonner le reste du service à l'aide soignant et l'agent de service qui faisaient équipe avec nous pour éviter que la situation ne dégénère. Accompagnant Mlle Cadennas à sa chambre en lui donnant la main, la contenant en douceur de mots et de contacts doux et fermes, essayant de l'apaiser peu à peu. L'attention qu'on lui porte a déjà fait baisser d'un degré la crise, elle répète maintenant en litanie, je veux partir, je veux aller à la chambre d'isolement. Enfin au bout de quelques minutes elle s'écrie en sanglotant à plusieurs reprises "le passé c'est le passé, c'est passé!" Puis elle a pend une profonde inspiration et a commence à se détendre. A ce moment un fracas de vaisselle nous parvient du réfectoire.

Après consultation rapide du regard ma collègue a quitté le contact en douceur sans rompre l'équilibre qui s'était installé. Pourtant à peine sortie, Mlle Cadennas réclame une piqûre. Quinze jours avant dans les mêmes circonstances qu'aujourd'hui elle avait déclaré que le produit injecté lui importait peu, que la piqûre en elle-même l'apaisait, sauf que la fois précédente cela n'avait pas marché. Peu à peu au fil de la discussion son rituel de vie à repris le dessus et le besoin de la cigarette s'est fait sentir. Sauvé, par le gong.
"Je peux aller fumer? Me demanda t'elle.
-puisque vous me donner le pouvoir de l'interdire, je réponds non, à moins que vous ne m'en offriez une." Elle esquisse un sourire et me tend le paquet.

Comment ça peut s'articuler la place du soignant infirmier quand dans le cadre pratique il mène des entretiens, réponds aux agitations sans développer de contre agressivité et par une attitude maternante, il sert les repas, accompagne les sorties, assure les soins physiques. Pense et panse. Quelle gymnastique entre symbolique et réel doit il s'imposer. Quel travail pour qu'en fait le temps de l'hospitalisation ne donne lieu qu'à des nouages symboliques. Poussé à l'extrême un infirmier psy n'est qu'un agent du symbolique à condition qu'il ne se prenne pas les pieds dans le contre transfert. Ça a peut être à voir avec la citation de Cléa qui a accompagné mes réflexions, elle cite Sassolas, "Proposer à un patient psychotique un milieu de vie adéquat relève de la quadrature du cercle, puisqu'il s'agit de satisfaire ses besoins archaïques d'être contenu et soutenu... tout en sauvegardant et en renforçant ses potentialités d'être un individu distinct, capable d'éprouver comme siens ses affects, de confronter ses désirs à la réalité, et d'agir sur celle-ci pour les satisfaire." (Sassolas) Trop abandonnant ou trop maternant ! pas facile d'être psy ! Jouer au compromis permanent et à l'équilibre instable entre les deux tendances au risque de tomber sur l'un ou l'autre écueil et devenir milieu psychotisant. Il y a des tas d'expériences de lieux de vie qui tiennent la route et qui arrivent à tenir avec des soignants militants et inventifs

Pour Lacan le contre transfert n'existe pas au niveau de la cure, l'analyste n'est pas là, s'il est là, s'il y a contre transfert, ce n'est donc plus un espace analytique. Etc. En unité de soin psy on n'est pas en situation de cure analytique. Les soignants sont bien là, et le transfert aussi. Quant au contre transfert, jetez seulement un regard attentif à tout ce qui dysfonctionne, sans parler de ce qu'un des psychiatres de mes débuts appelait les "contre transferts sadiques".

La seule solution est que l'hospitalisation ne soit qu'un passage et il faut bien que quelqu'un se charge se charge du désir des soignants pour que cela se passe. Et il faut bien que la conscience de l'inconscient passe chez les soignants.

Je suis loin du débat sur les structures de soins en psychiatrie, et comme Fridom l'a écris il n'y a pas si longtemps, je souhaiterais que l'on arrête de mettre la charrue avant les bœufs. Dessinons un soin avant d'en faire un dispositif. Il n'y a qu'en le nommant qu'on finira de courir après un manque structurel, ou du moins qu'en le cernant qu'on saura ce qu'il désigne, non?

Au fait devinez l'effet qu'a produit sur les autres personnes hospitalisées, jalousement en demande de soins, le fait que l'on doive se consacrer un temps à l'une d'entre elle. D'où le fracas qui nous est parvenu du réfectoire.

"C'est quand qu'on boit l'apéro", s'est à un moment exclamé ma collègue alors que la situation semblait virer à l'ingérable chacun entamant sa petite "décompensation". C'est comme le jour de l'explosion d'AZF quand elle s'est retrouvée vivante aux milieu des décombres, m'expliqua t'elle plus tard. Elle s'est tournée vers ses collègues en leur posant la même question. Pourtant je ne l'ai vu que rarement boire, et toujours très modérément.

N'empêche qu'à la relève de 21h30, tout le monde était apaisé et que notre putain d'apéro on à bien fini par se le boire en rédigeant laconiquement les observations infirmières du jour.

PS: le lendemain à 15h je suis passé en coup de vent au pavillon chercher Mlle Peggy pour l'accompagner faire des examens au CHU, pour une vingtaine d'heures. En rentrant le lendemain en fin de matinée, Mlle Cadennas m'attendait à la porte de l'unité. Elle voulait me remercier pour l'avant-veille. Je lui ais rappelé notre rendez vous pour jeudi, dans quelques jours. Avant-hier, elle n'envisageait pas survivre jusque là, aujourd'hui elle en envisage la perspective avec entrain. Au cours de ma nuit au CHU j'avais le dernier numéro de soins psy, c'est marrant il traitait essentiellement de ce qui se nouait autour des entretiens, de la relation. Séduction, manipulation, transfert. La coïncidence est intéressante.

A mon avis le Sujet est central.
Amicalement.