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Les voyageurs.

Christiane était toute en angles malgré sa constitution plantureuse, brisée de nombreuses fois par des défenestrations répétées, le fait qu'elle se déplace encore démontrait quotidiennement la fantastique adaptabilité de l'être humain. Debout on aurait dit une sirène stéatopyge échouée sur un rocher de Copenhague, même en marchant elle semblait assise en amazone.

Georgette était ronde, tête ronde, visage rond, pommettes rondes, à un bout, et deux énormes mollets ronds de marcheuse inlassable pointées par des charentaises à l'autre. Entre, une présentation vestimentaire ogivale sur un corps habitué à se courber. Il n'y a qu'au cours de ses longues déambulations qu'elle s'autorisait a redresser sa colonne

Cinq ans à ses meilleurs moments, deux à ses pires, Sylvie condensait l'énergie d'une adolescente dans une carrure ramassée, immanquablement coiffée d'une chevelure évoquant celle d'une célèbre chanteuse à voix des seventies. Sa stature de talonneur de rugby dissimulait une vivacité dont les nombreux bleus dont elle nous gratifiait étaient la signature.

Jean Pierre enfin était grand et long. Planeur ombrageux, il vivait dans une bulle de quelques mètres cubes, aussi loin que lui permettaient ses yeux parfois chaussés de lourdes lunettes à verre "cul de bouteille" qu'il s'autorisait rarement. Outre l'inconfort que représentait ses pesantes binocles, la perte régulière de celles ci était l'objet principal de ses querelles avec sa belle mère et de ses soucis permanents.

Tous avaient un long passé institutionnel, en secteur médico social pour la plus jeune, quant au trois autres la psychiatrie les avait attendu à la sortie de l'adolescence pour ne plus les lâcher depuis des décennies.

C'était le noyau dur de l'équipe de patients avec lesquels nous avons organisé une série de trois séjours thérapeutiques sur une période de deux ans.

Nous c'étaient Cathy, Patrick et moi, tous trois infirmiers de secteur psychiatrique. Cathy la benjamine, volontaire et dynamique, à qui l'image de la belle plante sportive collait comme un gant, était à l'origine du projet. Patrick professionnel curieux et aventureux, Rabelaisien rationalisé en gérait la cohérence. Quant à moi, le plus vieux de la bande, séjourthérapeuthicophile expérimenté à l'époque, j'avais fait en sorte qu'une discussion pleine de si autour du café dans la salle de repos infirmière devienne une réalité.

Le voyage.

"C'est là, c'est de là que j'ai sauté la première fois, j'avais une chemise de nuit mauve."

Christiane nous désigne du doigt un château en ruine, érigé sur une petite éminence, dominant un bourg lotois niché discrètement au cœur d'une région très vallonnée. C'est le village où elle passait avec ses parents les vacances d'été de son enfance cadurcienne, il vient de surgir à nos regards au détour d'un virage, en contrebas de la route.

Depuis le départ de Toulouse, il y a deux heures, elle nous saoulait avec une litanie répétitive expliquant sans arrêt qu'elle avait inventé l'hélicoptère et qu'avec tous les milliards (deux cents si je ne m'abuse) qu'elle allait toucher du brevet elle sauverait Marchant, et nous tous, ses enfants. Heureusement nous faisions des pauses rapprochées histoire de nous détendre les oreilles. Envoyer Sylvie soulager sa vessie de peur (justifiée) qu'elle n'inonde son siège en "toussant". Permettre à Georgette qui s'obstinait à voyager debout, ses jambes ne l'autorisant pas à rester assise, de retrouver son assiette. Et à tous, sauf Christiane prise par son discours, de fumer une clope. Sans oublier la huitième passagère, lévrière d'origine Afghane propriété de Cathy (et vice versa) tout à la joie de divaguer dans les fossés.

C'est dire si les propos de Christiane venaient de rompre brutalement l'univers qui s'était peu à peu crée dans l'estafette.

Et elle de nous raconter comment elle s'était envoyée en l'air de cette tour pour la première fois, jouant en permanence sur l'ambiguïté des mots sans jamais révéler la vérité, ni alors ni plus tard.

Halte au village, provision de tabac pour la semaine, de façon à limiter au possible le cadre restrictif. En fait tout sera librement accessible, tabacs, alcools, café, nourriture sauf les médicaments. Tâches, loisirs et activités seront partagés. Seule obligation stricte, se déchausser avant de rentrer dans le gîte, pantoufles et chaussons ou chaussettes de rigueur, seul interdit strict, fumer dans les chambres parquetées. Un gîte rustique de la qualité de celui qui nous attendait ça se respecte et puis nous aurons autre chose à faire de la semaine que passer notre temps au ménage et à craindre pour les parquets. Seules les toux incontrôlées de Sylvie y auront laissé des traces malgré les couches de cire dont nous l'avons gratifié pendant le séjour.

Au village nous sommes allé saluer la tante de Christiane toujours en vie, vieillissant de concert avec le café du village qu'elle tenait encore ouvert de temps en temps. Pendant que les autres sirotaient leur grenadine trouble dans la salle grise tamisée de poussière du Café Richard, j'ai du m'engloutir le clafoutis maison dans l'arrière cuisine en compagnie de Christiane et de sa tante qui échangeait les potins coutumiers. Les ceux qui sont morts, les maladies des autres, et la sœur, le frère, la Mère.

Christiane aura parlé en temps réel pendant presque une heure depuis le "c'est là" jusqu'à l'invention subite de la glace à la pistache dont le brevet…. La remettant en boucle pour de longues minutes.

Une pause et quelques lieues plus tard, au restaurant gastronomique nous avons été bien acceptés, en fond de salle contre un grand aquarium. Seules les fréquentes déambulations de Georgette auront retenues l'attention. Que Christiane ait subitement été transfigurée en vierge Marie et que nous, toujours ses enfants, devions prendre garde à être économes, s'est longuement psalmodié à voix basse et ce n'est qu'une toux intempestive de Sylvie sinistrant son assise qui nous a obligé à interrompre le pousse café.

Deux étapes plus loin, enfin, le jour déclinant, nous attendait le gîte dans lequel nous allions vivre pendant une semaine.

Continuité

C'étaient un séjour en immersion totale dans le tissu local. Une association nous accueillait, organisait et coordonnait nos activités, spéleo, cheval, confection de bouquets de fleur séchées, foie gras, escalade, visite de sites à fossiles, journées sylvestre à la cueillette des trompettes de la mort, et rituellement le premier jour, confection de notre pain et de notre beurre pour le reste de la semaine. Plus quelques gâteries rustiques à bases de porc, de poire ou de prune dégustées que nos différents hôtes nous prodiguait.

Il y avait toujours des invités pour le repas du soir et parfois nous étions nous mêmes invités.

Christiane ou l’ambiguïté de l’extase

Christiane était incollable sur Greta Garbo et autres étoiles, pour rester jeune et belle comme elles elle infligeait à son corps torturé des jets d'eau glacées. Il lui arrivait parfois de se rouler nue dans la neige sur la pelouse du pavillon, reine Christine, et quant elle se jetait, en hiver, dans le bassin de la cour d'honneur de l'hôpital la douceur de Trévise devait réchauffer sa peau d'Anita. Un jour la température de son corps est descendue tellement bas, sans neige ni douches glacées, que même avec l'équipement du SAMU qui a du l'évacuer, il n'a pas été possible d'établir sa température. L'explication de son état serait venu du fait que les nombreuses injections de neuroleptiques et autres tranquillisants qu'elle avait reçue avait provoquée des indurations, véritables citernes qui parfois libérait brutalement leur contenu.

Elle a connue au moins un jour inoubliable pendant nos excursions. Ce jour là nous l'avions baladée, confortablement vautrée sur un dinghy boudinant dans les eaux souterraines (à 12°) de la rivière de la grotte dite "du saut de la pucelle" prés de Rocamadour. Nous, nous avions de l'eau parfois jusqu'au menton mais elle trouvait que c'était "merveilleux" entre deux salves de "je vous salue Marie". À la deuxième cascade nous avons renoncé à conduire plus loin cet étrange monstre marin rouge maculé de boue qu'était devenu Christiane et son trône gonflable. Et nous sommes restés tous deux à bavarder dans la lueurs des flammes vacillantes de nos casques, entourés d'ombres dansantes pendant que les autres poussaient plus loin.

Georgette ou le mouvement perpétuel.

Georgette marchait, marchait, marchait. Au fil du temps les habitants du hameau d'étaient habitués à ses rondes inlassables. Les excursions l'enchantait, les temps passés à la ferme encore plus. Précieuse quand il s'agissait de transformer un poulet tout juste saigné en viande prête à cuire. Comme pour Christiane il y avait une histoire d'amour au départ de sa longue biographie psychiatrique. Amour qui l'aura conduit à incendier la maison de son élu après maintes persécutions et se faire estampiller PO, placement d'office à l'époque. Depuis elle tournait en rond dans l'HP ramassant les mégots et faisant les poubelles. Ses seuls moments statiques elle les aura vécu autour de la préparation des repas le soir où parfois à venir fumer une cigarette la nuit au coin de la cheminée.

Sylvie ou la pensée sauvage.

Chaque activités semblaient n'être pour Sylvie que le temps passé entre deux cigarettes. Impossible de lui en laisser un paquet au début, elle les fumait par trois ou quatre s'il elle le pouvait. On espérait que l'activité physique tempérerait sa violence, on n'a pas toujours eu raison. Par contre son énurésie à pu être rééduquée, mais entre temps que d'embarras à chaque toux. Un matin elle a voulu nous faire la surprise de nous préparer le café, poudre, filtre, eau chaude, tout avait été assimilé, mais que ça. Les proportions n'y étaient pas. Elle avait du beaucoup lutter pour nous le préparer ce café, les murs, le sol, l'évier, la gazinière en portait témoignage. Les filtres éclatés débordants de mouture répandus autour de la poubelle en étaient un autre signe. Tout le monde à déjeuné avec du thé ce matin là. Au moins la furie qui quelques mois plutôt nous massacrait de pinçons et autres morsures, martyrisant parfois d'un coup brusque nos parties les plus sensibles, avait essayé de nous faire plaisir. Difficiles les conversations avec elle. Elle décrochait trop vite où alors son instabilité motrice prenait le dessus ou alors elle avait attrapé un mot ou une expression et se faisait rire inlassablement avec. Ayant entendu l'expression cœur d'artichaut qu'une collègue m'avait adressé elle en avait fait sa principale rigolade du séjour. Ce surnom m’est resté longtemps, longtemps. En séjour thérapeutique la patience est une vertu cardinale.

Jean Pierre ou les sublimes ruminations.

"Et les vaches, comment elles faisaient les vaches quand il y avait la mer?" Jean Pierre ruminait (j'ose) dans son coin depuis que nous avions quittés l'éboulis de fossiles. Nous avions passé la journée en forêt, cueillette de champignons, ramassage de châtaignes, escalade de palombières avec baudriers, cordes et poulies et pour finir sur le chemin du retour notre guide nous avait amené dans endroit étrange. On aurait dit les ruines d'un gigantesque château féodal dont les formes avaient été anéanties pour revenir à la pierre et à la végétation. Frank, notre guide et ami choisit une pierre, sortit un petit marteau de sa ceinture d'escalade, la fendit en deux et nous en présenta les éclats. Une moule pétrifiée était parfaitement reconnaissable. Un rapide cours sur l'histoire géologique de la terre s'en suivit qui laissa visiblement Jean Pierre sur sa faim puisque un long moment plus tard il s'enquit du statut de ces pauvres herbivores condamnées à barboter dans cette mer antique. Jean Pierre développe un intérêt particulier pour les animaux, ainsi quand nous partons faire du cheval, lui préfère rester à l'écurie pour balayer le crottin. À l'hôpital il était toujours inquiet du sort des oiseaux qui parfois s'emprisonnait dans le grenier du pavillon. De très longues années de cachot, de HO derrière lui, en unité fermée concentrationnaire, non mixte. Décès de sa mère dans la petite enfance, retard scolaire et puis "un comportement sexuel anormal envers sa petite cousine" qui "poussa" sa marâtre à "l'expédier" en éducation "spécialisée". Une escalade de violence et de souffrance largement émoussée à l'époque où nous l'avons connu. Quant il était très énervé ou quand il sentait qu'il allait perdre son contrôle il partait faire le poirier dans un coin isolé. C'était son signal et sa thérapie, un ancien psy avait mis ce rituel en place avec lui il y a longtemps. De toutes façons plus rien à craindre aujourd’hui, la violence de Jean Pierre était directement proportionnelle à celle de son environnement.

Continuité.

Il est des soignants en psychiatrie avec qui il ne se passe jamais rien. Et ça n'interroge personne, non pas dans le fait qu'ils ne fassent rien, mais que quand ils sont présents dans leur unité l'agitation devienne anecdotique pour ne pas dire inexistante. Il m'ont fait comprendre très vite que l'essentiel des crises d'agitations étaient défensives, encore faut il comprendre de quoi l'autre se défend. Faire ce travail pour maintenir paisible l'ambiance d'une unité de soins ils ne l'ont ni écrit ni décrit, mais avec Jean Pierre j'avais encore présente la validité de leur approche.

L’arrivée au gîte.

Nous n'avons investis le gîte qu'à la nuit tombée, après une courte errance dans la campagne corrézienne. Notre timing n'était pas mauvais mais une fois arrivé chez nos hôtes, ce fut pour trouver la maison vide avec sur la table du salon une clef, un plan avec un mot, et deux énormes cageots de victuailles. Le plan n'était pas si mauvais, c'est juste que nous sommes passés deux fois devant le gîte sans comprendre que c'était là. D'abord il était en contrebas de la route, il faisait nuit, il y avait de la brume et c'était trop grand et trop beau pour être ça! C'était ça.

C'est au moment de franchir le seuil que la loi des chaussons s'est imposée, c'est à la fin de la visite que la restriction des lieux fumeurs est devenue une évidence. Elles furent discutées au moment du repas. Je soupçonne Jean Pierre d'avoir parfois transgressé volontairement la première pour le plaisir de balayer. Sylvie transgressait la seconde mais toute l'attention que lui demandait la dissimulation de son forfait en diminuait les risques.

Derrière le plan nos amis avaient hâtivement griffonnés un mot expliquant qu'ils passeraient nous voir plus tard.

Visiter, répartir, décharger, ranger, installer, cuisiner, une deuxième journée démarrait à l'issue de laquelle avec nos amis arrivés pile poil (on est en Corrèze) à l'heure apéritive, nous avons bouclés le programme de la semaine. En séjour thérapeutique on vit plusieurs journées, l'une active, l'autre familiale et enfin une intime. C'est pas toujours compartimenté réglementairement mais il y a de cela dans les grandes lignes.

Ces jours thérapeutiques,

Le jour où l'on faisait le pain commençait tôt. La veille la soirée s'était étirée jusqu'à fort tard mais ça n'empêchait pas Georgette d'être d'attaque. Ancienne fille de ferme c'était sa journée jubilatoire. Pendant que les fagots brûlaient dans le four de brique nous étions descendus au fournil pour préparer et pétrir la pâte à pain. La voussure du dos de Georgette devenait parfaitement fonctionnelle quand elle se penchait sur la maie pour pétrir le mélange dense et lourd de farine et d'eau de ses solides avants bras dénudés. Tourner la manivelle de la centrifugeuse pour faire le beurre ne la fatiguait pas non plus. Mais c'est en particulier dans la porcherie qu'elle se révélait intarissable, elle possédait une extraordinaire science du cochon et une certaine sympathie pour eux. J'ai toujours pensé que son attirance pour les poubelles avait à voir avec l'odeur qui s'en dégage et rappelle fortement celle des eaux grasses que l'on donne aux cochons. Dans la sociologie asilaire elle avait tout pour faire carrière dans l'alimentation des chats. Ces jours thérapeutiques venaient briser la succession monotone de journées sans avenir. Parfois c'était trop pour elle et ni le cheval ni la spéléo n'entrait dans ses pratiques imaginables.

C'est Christiane dans sa phase princesse qui a résolue le problème de l'équitation, alors que les autres se pelaient le fondement sur des selles instables, Georgette et elle se promenaient en calèche. Être princesse était la moindre de ses incarnations, au pire visuel de ses interprétations elle nous a fait un Lennon rasta, lunettes noires cerclées, anorak bleu et rouge et jupe abat jour.

Autre grand moment de ses démonstrations, pendant une visite de Rocamadour, elle s'évertua à exhiber sa poitrine aux pèlerins en leur disant qu'elle était la vierge marie. Le reste du groupe s'étant égaillé dans les échoppes, nous attendions Christiane Patrick et moi assis au pied d'un grand escalier de pierre qui relie les différents niveaux du village. Je ne sais si c'est le lieu saint qui l'inspira ou la foule de visiteurs qui se pressait sur ce passage mais Christiane décida de proposer à la cantonade d'admirer les résultats de plusieurs décennies de douches glacées à sculpter son corps comme la Divine. Impossible d'établir une communication avec elle en cet instant et je dois avouer qu'on a du improviser pour nous en sortir. Aucun discours raisonnable ne marchant on a essayé d'attirer son attention, on a fait les idiots. On s'est un comporté comme certains patients déficitaires que nous avions côtoyés, diction nasillarde hésitante et ralentie, quelques signes psychomoteurs et réclamants de façon insistante à Christiane de nous aider à retrouver l'éducatrice comme si elle était chef du groupe, et ça l'a au moins suffisamment amusé pour qu'elle revienne à nous prendre en considération et qu'on s'évacue en bruyant équipage vers une terrasse ombragée.

Christiane a été petite main et mannequin dans une autre vie. Un avortement à précédé de peu son premier saut dans le vide et sa première difformité. Un jour en réunion de synthèse un psychiatre s'est proposé de supprimer son délire avec une nouvelle molécule miracle; sa souffrance aussi, a demandé l'équipe en retour. L'essai n'a donc pas eu lieu. Du moins à cette époque là.

Jean Pierre non plus ne faisait pas de canasson, il nettoyait les écuries. À sa demande expresse et il y prenait grand plaisir. Il aimait aussi balayer le gîte, apprendre à faire la vaisselle. Il pétrissait la pâte à pain avec énergie, heureusement qu'il était là avec Georgette. Préparer du pain pour une dizaine de personne pour une semaine ça ne plaisante pas. Jean Pierre était volontaire pour tout, quelque soit la situation il suffisait de lui rappeler une bonne blague pour le faire ricaner. Il commençait beaucoup de phrases par "c'est vrai que …" et ce qui venait derrière pouvait avoir trait à n'importe quoi mais de nombreuses phrases revenait en boucle. Sexe et mots ayant traits aux organes génitaux étaient souvent sollicités dans ces questionnements infantiles. À prés de cinquante ans ses parents lui interdisaient toujours de fumer, l'orgie de liberté que représentait ces séjours se traduisait je pense par la bonne volonté qu'il mettait à participer à tout.

Sylvie faisait, ou plutôt elle chosait faute de mots. Sollicitée en permanence au delà de ses habitudes et en limite de capacité, elle a du s'appuyer sur nous et non plus se cogner à nous. On lui doit aussi le seul pépin du séjour, une nuit en allant pisser elle à trébuchée sur une valise gisant grande ouverte au milieu de la chambre obscure. Alerté par le bruit je l'ai découvert en train d'essayer d'éponger le désastre consécutif à sa chute. À l'urine répandue sur les vêtements éparpillés du fourbe bagage se mêlait un ruisseau de sang qui s'écoulait de son pied. La virée de Sylvie et Cathy à deux heures du matin aux urgences de Brives nous a rassuré sur l'étendue des dégâts. Difficile de trouver des souvenirs de Sylvie qui ne soient pas associés a une catastrophe.

Mais il n'y en a pas eu d'autre, de catastrophe, même la météo a été de la partie. A y repenser je peux presque trouver routinière cette succession de jour d'exceptions, c'est d'ailleurs un des supports dynamique de la situation de soin. Ça devient banal de vivre ensemble confrontés a l'exceptionnel du quotidien, alors que justement c'est ça qui n'est pas banal, et quand la relation se banalise, le professionnel tend l'oreille, offre des espaces. Je suis un couche tard et j'adore veiller, lire, écrire, écouter de la musique et quand en plus il y a un cantou (grande cheminé rustique sans parois latérales, juste un manteau et un conduit avec généralement une chaise basse tout exprès prêt de l'âtre pour y méditer) je me couche très tard. Cela m'a réservé des causeries tardives au coin du feu avec ceux et celles qui se levaient, qui pour se désaltérer, se soulager ou fumer. Toutes s'arrêtaient causer un brin. Jean Pierre et Georgette étaient des habitués de ces moments là.

Ce soir il y a bal au village.

"Non mes enfants vous n'irez pas, elles vont vous ruiner." C'est Christiane qui refuse d'aller au bal. Elle ne veut pas non plus que les autres y aillent. Les unes parce que ce sont des filles et que cela ne se fait pas, les autres parce qu'il vont rencontrer des filles qui vont les acculer à la ruine ne s'intéressant qu'à l'argent. Elle n'en démordra pas.

En fait de bal c'était un anniversaire avec orchestre dans la salle communale, prétexte à une fête locale. Jean Pierre a dansé, il en était tout rouge avec le bout de ses grandes oreilles fuschia. Son réservoir d'anecdotes était en train d'en prendre un coup. En parlant de coup c'est possible aussi que la ressemblance entre le punch et des boissons plus inoffensives y fut pour quelque chose. Mais surtout l'idée de danser, d'inviter une fille. Parfois il nous rejoignait, me demandant si je croyais qu'il pourrait inviter une fille, puis partait en rigolant. Ça restera pour lui le soir où il aurait pu inviter une fille à danser. Un événement pour quelqu'un qui n'avait rien connu d'autre que d'être l'objet sexuel d'autres patients dans les anciennes unités de forces ou ce que la télé pouvait lui en suggérer.

Georgette éliminait à sa façon le jus d'orange en tournant autour du bâtiment pour écouter la musique. Partout ses jambes gouvernaient, jusqu'en séance de relaxation où elle tenait bravement les étapes de détente du haut du corps, ses jambes reprenant le dessus arrivé au bassin. Elle avait gagné de sa soirée deux ronds roses sur ses pommettes saillantes. Elle s'était tout de même figée un temps, faisant tapisserie, comme dans les bals de village de notre enfance.

Sylvie profitait de la cohue pour pincer à l'envi les masses peu a peu anesthésiés par l'atmosphère et venait nous le relater en pouffant derrière sa main. Celui qui n'a pas pouffé, c'est celui qui a vraisemblablement tenté des attouchements sur elle. Geste téméraire, peut être consécutif à un pinçon interprété comme une invite, mais le fait est qu'a un moment donnée elle a joué au bowling avec un mec du cru à la place de la boule. Ça s'est très vite tassé et c'est quasiment resté inaperçu dans l'ambiance générale. C'est toujours Sylvie qui a sonné l'heure du repli ce jour là, nous n'avions prévus que deux changes…

Continuité.

Le pot au feu est un plat de groupe extraordinaire, il y a de quoi faire pour tout le monde en préparation et une longue pause le temps de la cuisson. Ça tombe au moment qui lie les deux premiers temps de la journée. Moment de la douche, du courrier, des discussions de hasard autour d'un ramequin de cacahouètes ou d'olives aux anchois. Le temps de lire ou de s'isoler un peu aussi. Le temps d'aller faire un tour de village pour quelqu'un que je ne nommerais pas. Le temps de faire comme bon il nous semble.

Le mode de fonctionnement ressemblait à peu de choses à quelque chose entre l'organisation d'une famille nombreuse et celle d'un groupe d'amis en excursion. Non seulement les murs de l'hôpital étaient loin mais aussi l'institution. La représentation institutionnelle avait changé dans la relation de soins. Elle n'opérait plus sous la forme de clivage hiérarchisant, elle était passé autour. L'environnement hospitalier n'était plus entre le soignant et le soigné prétexte a appuyer un commandement au pire, à être un filet permanent de sécurité au mieux. L'institution était ce qui avait permis de structurer un espace de liberté, une bulle à l'intérieur de laquelle se dissolvaient les schémas classique.

Conversation de haut vol.

L'échange que j'ai pu avoir un jour avec Christiane alors que l'on cheminait prudemment sur une corniche irrégulière, large tout au plus de trois mètres, avec d'un côté le panorama d'une splendide vallée ensoleillée cent cinquante mètres en contrebas et de l'autre une dizaine de mètres de falaise abrupte en surplomb, en fut le fruit. Nous avancions côte à côte en nous tenant par la main sans besoin de préciser que je me tenais entre le vide et Christiane. Ni l'un ni l'autre n'y étions prêts.

Nous croyons partir pour ne séance paisible d'initiation à l'escalade tranquille, quand le pré que notre sentier traversait s'est brusquement interrompu en une falaise abrupte. C'est une toute autre sensation que les diapos de cours de géo sur le Causse quand en plus comme moi vous souffrez de vertige. Le temps d'encaisser le choc le sentier s'était insidieusement transformé en corniche et il était devenu aussi problématique de faire demi tour que de continuer. En même temps que mon vertige ma conscience de soignant sur l'appétence particulière de Christiane à la pratique du saut de l'ange a finit d'allumer toutes les sirènes d'alarmes de mon esprit déjà singulièrement bousculé.

De quoi avons nous causé pendant la demi heure d'excursion périlleuse, il n'en reste aucun détails, je sais par contre que nous nous sommes appris des choses sur ce que nous ressentions permettant à l'autre de mieux comprendre ce dont il était l'objet. Le vertige, le vide, la sensation de planer, de tomber, d'être aspiré, d'avoir peur qu'autre chose prenne le contrôle et nous pousse à faire un mauvais pas. Christiane se disant aspirée, comme en apesanteur, comme en fait si elle ne faisait plus de différence entre le sol solide encore sous ses pieds et ce vide qui la fascinait. Moi étant plutôt du genre à avoir craindre un moment de folie où le désir de sauter s'emparerait de moi.

J'ai commencé par livrer ma peur à Christiane, lui expliquant entre autre que je savais que je ne sauterais pas et parce que le sachant je ne le ferais pas. Apprivoisant ma peur par le seul fait d'être là en responsabilité, elle se moquant de mes peurs. Elle qui avait maintes fois affronté le passage à l'acte. Elle reparlant de l'ivresse à planer malgré la mort qui est au bout. Moment de dialogue où la conscience de la situation pousse à sublimer ses limites. Et puis cet instant de clarté, de compréhension intime des évènements se dissout peu à peu, comme parfois cela peut arriver au décours d'une cure. Prendre conscience que l'on a changé en même temps que la compréhension du pourquoi on a changé s'estompe pour laisser la place à quelqu'un d'autre. Ce moment de relation nous a rendu différents, tant individuellement que sur ce qui se tissait entre nous. Attention, au détour d'un séjour thérapeutique vous risquez de vous rencontrer.

Continuité.

Mais qu'est ce l'institution vient faire là dedans me direz vous, alors mettez vous dans ma peau, tout la haut sur cette corniche avec Christiane. Que restait il pour contenir la situation sans faire demi tour, pour me contenir, oser avancer, sans qu'une mission n'en fournisse l'énergie. J'étais un soignant en situation de soin tout simplement, le soignant avait analysé la situation sans danger objectif, à l'individu de se débrouiller avec. Et tant mieux si ça m'a aussi fait du bien. Car, si au niveau du lien qui s'est renforcé entre Christiane et moi il y a eu des effets, il y en a eu aussi sur mon propre psychisme. L'individu que j'étais a du aller au bout de l'introspection que je livrais à Christiane sur mes propres peurs, et là pas question de tricher sur la corde raide. Pareillement l'intensité de la mise à nu et de l'analyse extemporanée de mes sensations était telle que ce survoltage psychique était impossible à maintenir une fois le traumatisme, dans le sens de la rencontre du réel, passé. De cette phase il ne restait après quelques heures que les modifications apportées. Un peu comme après une tempête un littoral peut être remanié. Les premiers temps on se souvient de la tempête et les images de l'avant se superposent à celle du nouveau paysage puis peu à peu le souvenir disparaît du conscient pour céder la place à la nouvelle réalité.

Continuité.

C'est presque heureux que nous nous sommes soumis à la séance d'escalade pour être délivrés de ce satané "tremplin".

Pour les autres, seule la maladresse de Sylvie ou la myopie de Jean Pierre étaient à craindre. Georgette était, la veinarde, resté arpenter les larges sentiers forestiers prés du minibus. C'est vrai qu'on a pas droit à l'erreur parfois. Sans "bip" autour du cou, sans clefs, sans filets donc sans contenants autres qu'une relation.

Jours d’orages

De la journée passée dans une ferme à visiter les serres, tresser des bouquets de fleurs séchés, dégusté des cous d'oies farcis il reste peu de choses sinon une impression en clair obscur, une mélancolie diffuse. Tout le monde était bien là, tout le monde a participé, et c'est tout.

C'était tout et ce ne fut pas assez. Christiane qui était restée secrète et maussade toute au long du jour commença a envahir l'espace crescendo dès la montée dans le minibus du retour. Malgré une balnéo thérapie de luxe qui avait mis à sec le cumulus du gîte la perturbation pris de l'importance au fur et à mesure que la soirée s'avançait. Contenir les tentatives de représailles de Sylvie contre l'agression acoustique de Christiane devint périlleux à la fin du repas. Même Jean Pierre qui parlait de guillotine en regardant Christiane mimant du pouce un égorgement. Toutes les mesures chimiques raisonnables ayant été épuisées, il fallait écarter Christiane des autres autant pour la protéger que sauver le reste de vernis social qui maintenait encore le groupe. Fourchettes et couteaux commençaient à prendre forme d'armes dans les mains de la benjamine sans qu'elle ait vraiment besoin de ça pour être dangereuse. Rester ensembles devenait insupportable pour tout le monde.

Lui tenir compagnie dans la chambre n'était pas de tout repos non plus, mais ça permit de partager à tour de rôle le poids de la véhémence de Christiane pendant des temps de répit bienvenus. Mais ça redevint vite intenable quant elle entrepris de faire la sirène d'alarme. Hurler de façon canine était son mode d'expression en situation extrême. Accompagnant souvent les baignades hivernales et les séances de galipettes naturistes dans la neige. Rien de tout cela pourtant cette fois ci, seul le hurlement sans autres manifestations.

Les minutes, les heures suivantes furent très longues. Aucune pièce n'étant à l'abri de la puissance de son cri.

La ramener à l'hôpital, voyager avec elle, impensable. Agir chimiquement impossible aussi, et je me dois de passer sur toutes les hypothèses évoquées qui furent nombreuses et imaginatives selon le degré de cruauté et d'exaspération de chacun, sauf Georgette bien entendu, partie faire son circuit autour du hameau, quitte à tourner toute la nuit.

Pas de téléphones hi tech en ce temps là, et la cabine la plus proche à un kilomètre de marche dans la brume hivernale. Recours ultime pensé, faire appel à une ambulance avec un sentiment d'échec pesant.

Restait encore la grange, un peu à l'écart du corps principal du gîte. En traversant la cour le hurlement qui avait éveillé tout les chiens du canton s'interrompit par bonheur pour faire place à l'invention du diabolo menthe qui allait sauver tout le monde, nous étions passés du cri au clairon tonitruant. Ne m'abandonnait pas mes enfants s'exclama Christiane dans la grange enténébrée, et l'abandonner il n'en était pas question.

Quand j'ai débuté au pavillon où Christiane était hospitalisée il lui arrivait fréquemment à l'époque, le soir, de recevoir un traitement injectable et de finir enfermée et attachée, hurlante jusqu'à épuisement, parfois pendant des jours. Les nuits passés assis à côté d'elle à lui parler, l'interpeller jusqu'à ce qu'elle saisisse un fil qui l'intéresse, stoppe enfin ses hurlements et me réponde ou me questionne m'avaient ouvert quelques voies d'accès me permettant d'espérer de trouver à nouveau les fils de l'apaisement. ça n'avait pas marché dans la chambre, ça a fonctionné dans la grange. L'air froid? L'obscurité? une symbolique quelconque?.

Je sais maintenant que si à l'époque j'avais été plus avancé dans ma formation "toucher, relaxation, bioénergie, tout se serait arrêté sûrement plus vite . je l'aurais peut être bercée. Comme le dit une de mes amies " … j'ai toujours croisé le même regard chez mes collègues, un de ces regards emprunts de jugement, de malaise, quelque chose de quoi te faire douter. Tu passerais rapidement du côté de l'abus, de l’attouchement, bref même si toi tu es convaincu il y a toujours un moment où tu sens le poids de ce regard. Un corps à corps est toujours troublant et du coup ce n'est pas toujours facile à raconter encore moins à écrire." Il me manquait encore la conviction pour oser a ce moment là faire un contenant de mon corps, un corps à corps. Déjà que le simple fait de « perdre son temps à discuter.. »

Pire peut être que ce qu'elle peut imaginer mon amie, parfois en certain lieux de soins c'est la simple relation verbale qui peut être perçue comme obscène. C'est presque en catimini que j'avais entamé mes premières prises en charges dans l'institution. D'où mon goût pour le travail de nuit et sa conséquence sur mon rythme nycthéméral. Et même quand parfois étaient tolérés des prises charge par l'environnement celui ci se devenait invasif, interrompant toute les trente secondes la discussion sous des prétextes quelconques. En général les soignants restaient entre soignants, et toute relation duelle avec une personne soignée était l'objet des pires soupçons ou dénigrements. En langage local cela s'appelait "jouer au petit docteur". En conclusion, j'en retire autant de pudeur aujourd'hui à relater une relation verbale que je l’aurais pu d’une relation physique.

Heureusement ni les mots ni les souvenirs des nuits de longs monologues croisés avec Christiane ne me manquaient pour finir par résoudre la situation, dissoudre les peurs. Mais comment relater un échange fait de sauts d'associations d'idées à d'autres chaînes d'association est une gageure huit ans plus tard. C'est du saute mouton verbal qui tant qu'il dure. Mais l'échange aussi compliqué soit il malgré l'heure tardive et la situation inconfortable etait déjà un soulagement par rapport à la situation de crise antérieure et les hurlements lancinants. Où mènent ces échanges, comment se mènent ils, l'inconscient seul le sait. Et impossible de le lui faire cracher ses souvenirs à mon inconscient, reste juste le regret qui donne cette sensation mélancolique à l'évocation de la journée, regret de ne pas avoir su plus tôt détecter et résoudre la crise. Je ferais gaffe au vide que laisse les retraits de Christiane à l'avenir.

Le spleen s'évapore au souvenir du coin du feu auquel on s'est réchauffé au retour de la grange en mangeant des châtaignes. Attendant que l'eau se réchauffe dans la marmite sur le feu pour faire la vaisselle. Grâce à Christiane qui avait épuisé les ressources d'eau chaude et avait retrouvé son coin favori sur la petite chaise dans le cantou avec sa tisane.

Continuité

Cette fois là, le jour ou la situation a dégénéré toute une journée avant d'être enfin dénouée dans le huis clos de la grange on s'était un peu trop rapprochées de la réalité. Christiane avait imperceptiblement quitté son univers délirant pour accepter le réel que nous lui proposions, mais en même temps c'est toute la réalité de ses années passées qui ressurgissait, la submergeant. Si nous nous devenions identifiés, non plus ses enfants mais des personnages réels tels que nous sommes, cela opérait en retour sur Christiane. C'était insupportable d'accepter ce qu'était devenue la jeune couturière qui posait en maillot de bain, c'était insupportable de ressentir à nouveau le poids d'un avortement instruit par une mère dominatrice sans temps subjectif écoulé depuis. C'est sûrement pas à notre époque avec ce que la société à a offrir comme choix à une polyhandicapée qui sortirait sans ressources de trente ans de délire psychiatrisé qu'une telle évolution est possible. Alors il a fallu délirer. Il a fallu réinventer l'hélicoptère avec elle, puis la mousse au chocolat, redevenir ses enfants, accompagner la reconstruction d'une partie de son univers délirant avant de retourner s'asseoir au coin du feu apaisés. Bien plus tard on a pu installer un miroir en pied dans la salle d'activité du pavillon et Christiane venait s'y voir en souriant dans la robe de princesse qu'elle s'était confectionnée elle même à l'activité couture que nous avions mis en place exprès pour elle à l'atelier polyvalent. Son corps réel était devenu acceptable après un long travail entamé au cours des différents séjours, même si sa souffrance devait à jamais restée contenue par son délire.

Toute les institutions ne sont pas comparables, par rapport à celle que nous quittions le temps du séjour c'était comme changer de planète. Se lever à la même heure, partager toilettes, salle de bain, vivre au même rythme, vivre les mêmes choses efface peu à peu les lignes de démarcation de la blouse blanche et des lieux verrouillés. Mais ce n'est qu'un début, le partage des difficultés et des moments de détentes, des peurs et des rires finissent de décaper la relation.

Même avec une personnalité comme Sylvie cela a du fonctionner. Handicapé psychomotrice sa coordination ne suivait pas toujours et dans certains passages de nos excursions on a du l'encadrer étroitement. Parfois même la porter ce qui la tordait de rire. Je pense que nous avons pris pour elle la dimension d'adultes bienveillants au fil du temps. Supportant la répétition de ses insupportables blagues, coucou qui c'est avec deux mains sales plaquées sur les yeux de la victime, des bouh! accompagnés de la grimace destinée à nous terrifier, les éternels pinçons surprise ponctués invariablement par un je t'ai bien eu suivi de l'injure du moment. Plutôt qu'injure, nom d'oiseau. Je pense que l'on a pu l'apprivoiser.

Comme par désenchantement, la journée du retour était maussade, humide et grise. Ce devait être le dernier séjour thérapeutique de ma carrière.

Exit

Je vois toujours Jean Pierre, je suis voisin de ses parents et quand il vient en vacances il passe à la maison boire un café, plutôt deux, et fumer une cigarette, plutôt trois, et toujours en cachette de ses parents. Il coule des jours paisibles dans une structure médico sociale et se fait de l'argent de poche en revendant du fumier de cheval, hé oui, pour payer son tabac. Il a eu il y a quelques mois une relation sexuelle avec une autre résidente du centre, tout arrive, et même sa myopie qui à été opérée. Juste après il est venu passer l'après midi dans mon jardin a me décrire émerveillé tout l'univers qu'il découvrait, le clocher dans le lointain, la corde à linge dans le jardin attenant.

Sylvie fait toujours des aller et retour entre le médico social, terrorisant les uns, et la psychiatrie, se sédentarisant tout doucement chez les autres.

Comme Georgette pour qui les fermes thérapeutiques ont un temps été une issue agréable et qui retourne fréquemment dans l'institution faute de places adaptées.

Christiane est décédée peu après sa deuxième mutation au long séjour pour personnes âgées de l'hôpital.

Un conflit avec le nouveau cadre de la structure a eu raison de mes séjours thérapeutiques, il ne les tolérait qu'à condition que nous ne nous éloignions pas trop l'hôpital et de sa tutelle. Il a eu raison de ma collaboration avec ce service même si de la dynamique de cette unité de soins est née la seule structure de sociothérapie de l'histoire de l'établissement qui soit au départ un projet infirmier.

C’est le passage de Jean Pierre, aujourd’hui, venu me taper une clope et converser un brin qui m’a incité à clore enfin ce texte, neuf ans après.