Retour à l'accueil

Retour à Emogramme


"Ecoutez M Maillard, si ça vous intéresse j'ai une place au secteur LCII".

Tu parles, ça fait au moins cinq ans que je demande ma mutation pour le secteur LCII et ça fait trois mois qu'elle cherche à me faire partir du secteur XXII où je suis en conflit avec la plupart des médecins.

"Je vous remercie, Mme l'infirmière générale mais la carotte est trop grosse …j'accepte!".

Moralement sur ce coup je me laisse acheter, je vais finir par avoir des ennuis sérieux au XXII, ou aller trop loin ce qui revient au même, et puis le LCII c'est tentant, enfin bosser dans de bonnes conditions.
Bien sûr je n'ai pas eu droit au service d'admissions mais au long séjour psychiatrique. S'il savaient. Pavillon Reich, un taux d'absentéisme effarant chez le personnel soignant, chez les patients que des "psychoses déficitaires" ou "psychotiques enlisées" comme les appelle la commission médicale. En fait sont entassés pêle-mêle des autistes vieillissants, des arriérations mentales pure, des psychoses infantiles vieillies, des délirants chronicisés, tout ce que le courant sectoriel violent qui a balayé ce service depuis cinq ans à laissé couler dans un sorte de défectologie, refoulé aux confins de la dynamique.

J'ai déjà fait les deux tiers de ma carrière chez les chroniques. Ils croient que c'est rebutant parce qu'il y a plus de toilettes "de merde et de pisse" quoi, parce que les personnes qui y sont hospitalisées seraint moins "brillantes", parce que le soins y serait moins "intéressant", ils ne savent donc pas que l'on peut lier une relation thérapeutique avec "ces gens là", que l'on y a moins les toubibs sur le dos, que l'exercice du rôle propre comme on l'appelle y est prépondérant.

Six mois plus tard.

J'ai reçu un courrier de la surveillante chef, je suis muté aux admissions. Je déboule dans son bureau, m'insurge. Certains des liens que j'ai patiemment tissées commencent à porter leurs fruits et une relation thérapeutique à pu s'établir avec certains patients, qu'est est que ça va devenir. Ces mutations arbitraires sont contre productives en matière de soins. Quitter une unité ça doit se préparer, en tout cas dans le cas présent c'est une catastrophe. J'étais enfin rentré dans la bulle de M Foucaut, après de longues nuit assis dans le couloir du dortoir à l'avoir écouté se parler à lui même à plusieurs voix, j'avais finalement réussi a communiquer avec lui juste en tenant compte "duquel" d'entre lui s'adressait à moi au moment où je lui parlait.

Rien n'y a fait et je me suis retrouvé aux admissions pour six mois au moins. Au bout de trois j'ai eu une remise de peine, enfin j'exagère, car j'ai aussi pris du bon temps pendant ces trois mois d'été. J'ai crée un atelier de relaxation hebdomadaire et je me suis laissé aller à fond à exercer comme je le désirais. Ils ont craqué, marre de cet infirmier qui a toujours l'air en vacance en pantalon de toile coloré et débardeur marchant souvent pieds nus. Hé oui, les admissions sont tellement "clean" dans ce secteur que la plupart du temps on peut y marcher pieds nus. Marre aussi de cet infirmier qui explique leur traitement aux patients, Vidal à la main leur racontant les effets secondaires, marre de cet infirmier qui va causer la nuit ou faire un massage de pied plutôt que de filer un somnifère, marre de cet infirmier qui installe télés et radio dans les chambres d'isolement en faisant courir des rallonges le long des couloirs. En plus quand il cuisine les odeurs envahissent tout le pavillon.

C'est dommage, je commençait a y prendre goût.

Retour au pavillon Reich, reprise des prises en charges mitonnées comme un pot au feu au coin de l'âtre.

Fin de la période surf.

J'y suis pas retourné sans biscuits, équipe en partie cooptée, 20000f de budget thérapeutique annuel, pas de nouvelles admissions sans l'accord de l'équipe et en contre partie, diminution de l'absentéisme et resocialisation d'un nombre significatif de patients dans les années à venir.

Et ça a fonctionné, mieux même que je ne l'aurais cru. Sur les trois ans que j'y ai passé, les deux années où cette structure à fonctionnée au maximum de ses ressources ont été les deux années d'exercices les plus épanouissantes de ma carrière.

C'est au début des ces deux années que nous ait arrivé Julien. On le connaissait un peu pour l'avoir rencontré lors de renforts aux admissions. Il y avait débarqué à bout de prise en charge par le secteur médico-social. 19 ans, grand et en super forme physique. Plus de dix ans à fréquenter la prise en charge des éducateurs spécialisés, il avait suffisamment d'heures de vélo, footing, équitation, natation, patin à glace pour charger un infirmier psy de 85 kg sur son épaule et partir en courant le jeter sur une voiture en stationnement à trente mètres de là sans nous laisser le temps de réagir. Dés qu'il était arrivé aux admissions nous savions que tôt ou tard il serait pris en charge par Reich.

Nous avons bousculé toute nos prises en charges, l'un d'entre nous a été détaché quasiment en permanence pour s'occuper de Julien, en moyenne on changeait toute les deux heures, à saturation. Ça a duré deux mois comme cela, avec François et Virginie, deux collègues ISP plus anciens que moi nous partagions l'essentiel de la prise en charge. Virginie était une "vielle" militante féministe, vielle en nombre d'années de luttes s'entend, que la vie n'avait pas épargnée et qui malgré tout maintenait un moral dynamique communicatif, François faisait parti de ces infirmiers qui n'avait pas eu droit à la même culture que les jeunes ISP et dont l'éthique avait servi de passeport à la construction de son savoir être soignant. C'est François d'ailleurs qui s'est fait basculé sur le capot de la voiture. Une autre fois alors qu'il faisait du vélo avec Julien il s'est ramassé sa main en pleine figure chutant tout droit de sa machine, comme dans un film. Il faisait rire tout le monde en racontant ces anecdotes, jamais il ne tenait grief à un patient, toujours l'humour dominait.

Avec Julien on faisait gaffe à notre vocabulaire, jamais de terme générique, les choses étaient toujours précisément nommées. Et comme il prenait tout au pied de la lettre on faisait gaffe aux jeu de mots et aux homophonies. Un jour en permission chez ses parents il s'était enfermé aux toilettes et sa mère croyant qu'il jouait avec ses excréments lui avait dit de ne pas "faire ça, sinon il aurait des vers". En rentrant au pavillon ce soir là il était tracassé et au moment de la vaisselle il à cassé un verre et a tenté comme un forcené d'en manger les éclats. "Faire ça" pour lui, cela pouvait être n'importe quoi, quant il me disait "fais moi ça" en se touchant le dos de la main par exemple, c'est qui me réclamait un massage de la main. Ça c'était pour lui parfois la dernière action qu'il venait de faire, ou une action associée à l'image de l'interlocuteur ou n'importe quoi d'autre. Ce soir là, il a fait "ça" et il tentait de bouffer du verre pour avoir des vers. "Ça" c'était le quotidien avec Julien. Vous comprenez pourquoi nous surveillions notre langage. C'est en tentant de mettre en place une thérapie systémique grâce à une interne de passage que l'issue à été trouvée. Je dis en tentant parce qu'en fait cela s'est borné à des entretiens entre la mère de Julien, parfois Julien, l'interne, un de mes deux collègues et moi. Le père a renoncé dès la première séance, il a passé les autres à attendre dans la voiture le retour de son épouse.

On a pu re susciter l'histoire de Julien et là où des faits d'apparence banale avaient pu se produire nous les avons évoqués avec la façon que pouvait avoir Julien d'appréhender son univers. Au pied de la lettre. Décodant les prodromes de ses crises d'angoisse pouvoir les désamorcer ou les contenir, transformer une simple douche en cours d'anatomie, un bain en séance de réunification du corps, ne promettant qu'en étant sur de tenir, évitant toute incertitude, arrivant à le mettre un tant soi peu en synchronie avec notre univers en se mettant en résonance avec le sien..

Pour un coup au but, dix fausses pistes, et pourtant nous y sommes arrivé, au bout de prés de deux ans, Julien était en sortie définitive, chez ses parents.

Et cela à tenu, et M Foucaut est parti en maison de retraite rurale où il se trouve très bien, plus d'incendies, plus d'attentats à la pudeur, plus de coups impulsifs, lui et tous ses siens intérieurs sirotent paisiblement des panachés en terrasse sur la place du village. La moitié des patients d'origine de Reich sont partis, un quart ont été relégués par la bienveillance administrativo médicale en MAS, l'autre quart est hospitalisé encore à l'unité Reich.

Le temps a passé, François est parti, brutalement anéanti par la maladie. Il a été le premier a oser venir avec moi sur un séjour thérapeutique que j'avais organisé. Malgré les conseils bienveillants que lui prodiguait ses collègues lui conseillant d'éviter mes projets.

Ils ne savait pas qu'avec François nous avions partagé déjà l'aventure de créer un syndicat, ils ne savaient pas que François m'offrait le couvert dans une période antérieure ou la bohême est une version édulcorée des situations familiales et économiques dans lesquelles je pouvait me mettre. C'est avec François que nous avions monté le projet d'équipe cooptée sur l'unité de "long séjour psychiatrique". Quand il riait, il exhibait deux pelles à tarte largement écartées, "les dents du bonheur" s'esclaffait il, inoubliable.

Et puis j'ai retrouvé Julien dans un autre service, en chambre fermée.
Muté à ma demande cette fois ci. Le nouveau cadre de l'unité un soir de fête m'en avait persuadé. Vient t'éclater dans un projet de service où tu n'auras pas à lutter pour exercer qu'il avait dit. Tu parles, trois ans après il a du muter à son tour, et moi je suis resté. Ça a été un sacré rodéo, cela en est toujours un. Exercer les soins infirmiers en psychiatrie sans avoir à lutter, je savais dès le départ que ce ne serait pas si simple, mais j'aime Jean Louis et travailler avec lui comme cadre s'annonçait passionnant alors..

Alors surprise, Julien le retour.

Mais si je commence à écrire sur tout ce qu'il s'est passé ce ne serait plus un émogramme.
Un jour quelques années plus tard, Julien se trouvait être le locataire permanent de la chambre d'isolement et le détenteur quasi exclusif des bracelets de contention. J'ai obtenu une réunion de synthèse pour évoquer son cas et tenter d'enrayer la spirale morbide de son angoisse dans laquelle il avait entraîné toute l'équipe soignante. J'ai compris ce jour là que quelque soit l'intention soignante et la nécessité thérapeutique c'est le pouvoir qui est gagnant. Et qu'en psychiatrie les choix thérapeutiques restent une question de pouvoir. Que quelque soit le lieu où la façon d'exercer, l'idéologie dominante ne peut être ignorée. Faute d'en tenir compte et de chercher à la modifier elle finit par s'imposer. Uniquement pour prouver sa maîtrise, et au besoin en s'aveuglant sur la réalité de la situation.

Aujourd'hui les espaces se restreignent dans lesquels on puisse soigner, bien sûr la volonté des soignants fait qu'il en existe toujours et qu'il s'en crée encore. Mais que pèse encore une démarche de soin qui nécessite des années pour se développer et qui coûte plus de trois cent euros jours, il faut aller vite et ce qui ne va pas vite au garage, en voie de garage.

Que peut peser une prise en charge pour des années, mobilisant l'ensemble du personnel face à la perspective d'un traitement bref et efficace.

Julien y a perdu, tout, "ça" ne fera plus. On n'en a plus les moyens ni la volonté. Tu parles "ça" va finir par péter oui.
Mais "ça" c'est quoi?


nous contacter:serpsy@serpsy.org