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Emogramme treize

Une histoire de vases communicants.

"Bonsoir Georges.

Bonsoir Jules.

Vous avez un problème?

J'ai mal, j'ai mal aux ..ouilles.

Pouvez vous répéter Georges je n'ai pas compris.

(Geoges parle les dents serrées, la pipe à la bouche faisant les cent pas dans sa chambre en tapant du talon, un main cramponnée sur ses testicules)

J'ai mal aux couilles, je ne sais pas si elle sont trop pleines ou trop vides, en fait je me masturbe et je n'y arrive pas, je n'éjacule pas.

Depuis longtemps?

Depuis le début de la guerre entre l'Italie et l'Isère.

Oui mais depuis combien de temps?

Dix minutes!"

Tout en dépiautant son traitement de nuit nous discutons des effets secondaires possibles des médicaments qui lui sont prescrits. Georges me fait comprendre qu'il a noté le fait que je ne relève pas la partie délirante de son propos, il évoque un pouvoir que j'aurais sur ses voix, et avant que l'on puisse y revenir, j'entend sonner au rez-de-chaussée. Il faut que j'y aille, j'invite M Durrouy a passer me voir à l'infirmerie s'il le souhaite.

Ce sont l'interne et la praticienne de garde (PH) qui viennent pour finir la procédure d'hospitalisation d'un patient entré en placement sur demande d'un tiers en urgence, HDTU, il y a deux heures, à 20h45, et que le service d'accueil nous a "livré" à chaud par manque de place et parce que ce patient avait quitté le service avant hier.

Nous nous rendons directement à la chambre de M Massat, il est allongé en pyjama sur son lit non défait, dans la même position que celle dans laquelle je l'avais laissé vingt minutes plus tôt.

Il explique qu'il s'inquiète parce qu'il ne reconnaît pas ses cellules, du moins que ses cellules ne se reconnaissent pas, enfin il ne sait pas trop. Il est fatigué, il a envie de se reposer.

Son frère Patrick hospitalisé depuis plusieurs mois dort dans la chambre voisine. Je l'explique au médecin tout en regagnant l'infirmerie. Nous apprenons par l'interne que ses parents l'ont emmené en début de soirée, parce qu'il était raide et prostré dans le salon, plafonnant et refusant le traitement. Elle conclue en qualifiant la mère d'étouffante. Je relate rapidement les relations rigides et contraignantes entre les parents et les fils, les six ans passés en isolement du frère en clinique, les difficultés que l'on a eu à faire en sorte qu'au moins ils aient avec eux leurs papiers d'identité, qu'ils sont tributaires des permissions ou des visites pour avoir du linge frais, bref un pot pourri des relations complexes entres les différentes cellules du milieu familial. Puis la PH demande de l'aide pour rédiger le certificat, l'interne appelle alors l'accueil pour se faire dicter le libellé exact et le récite à voix haute. La scène gagne en surréalisme au fur et à mesure que les mots s'égrènent, "refus de soins..", c'est pas vrai, enfin c'est plus vrai, "présente un danger..", ça pas trop non plus, ça dépend comment on considère le problème, "pas conscience de ..", mais si, mais si, quelle étrange phénomène fait que la procédure la plus régulée soit exemplairement fausse. De quel réel se faire valoir quand l'hospitalisation commence par une description travestie des faits.

M Durrouy vient chercher un médicament pour son trop plein de couilles. C'est le placebo rouge vif qui guérit tout ses maux actuellement. C'est minuit, il demande plus à dormir qu'à causer, j'oublie donc l'Isère et son adolescence, l'Italie et l'ex patron de son ex épouse en lien avec ses hallucinations acoustiques, j'accède à sa demande et effectivement dix minutes après il dort, pour un temps apaisé. Tout à l'heure il m'a conféré le pouvoir d'éloigner ses voix, ..pour un temps.

Une heure, tout est calme, bruit de clef dans le hall, Sonia, la surveillante de nuit nous amène le dossier pour le HDT. Elle s'assoie un moment, raconte les trois places qui restent en tout et pour tout dans l'hôpital, le plan de délestage quasi permanent, les trois ados, 13, 16 et dix neuf ans qui attendent une place, les derniers cafouillages lors du transfert de détenus.

Justement, le lendemain, hier, Louis a du aller à la maison d'arrêt chercher un détenu. Dans un tout premier temps c'était un transfert simple, puis après insistance pour des renseignements un transfert avec escorte. Puis un peu plus tard avec menottes et pour finir avec fourgon. Louis se demande encore ce qui se serait passé si le premier scénario été allé jusqu'au bout.

"Bonne" nouvelle, M Scilla est revenu des admissions après avoir été en séjour la bas quelques semaines … en isolement. La synthèse d'entretiens qui traîne dans mon sac depuis trois semaines va peut être servir à quelque chose somme toute.

Il ne manque plus que le retour de Mlle Bru et l'on aura l'impression que le temps fait du surplace.

Plein les couilles, il disait Georges au début, ça doit sûrement être une image.