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LA CHRONIQUE du LUNDI

Guy Baillon





Docteur Guy Baillon, Psychiatre des Hôpitaux

guy-baillon@orange.fr 

« Post-scriptum » des 26‘Chroniques’ 2006-7

N°1 en juin 2007

Un lien entre Lucien Bonnafé et les jeunes de demain, déjà au travail aujourd’hui.

Pour une psychiatrie « Portes ouvertes », un manifeste, une action.

Après les journées du patrimoine, décrétons de régulières journées de la psychiatrie ouverte, pas celle du patrimoine asilaire, mais celle du présent et de l’avenir.

 

Ne trouvez vous pas que la psychiatrie de nos jours persiste à être fortement ‘enfermée’ ?

Enfermée non seulement dans les anciens murs de l’asile, qui persistent, mais sur elle-même ?… que faire ?

Dans divers espaces d’échange public nous constatons aujourd’hui avec étonnement et tristesse un reflux à l’égard de la place accordée dans les débats publics à la parole des usagers en psychiatrie.

Il y a seulement quelques jours lors d’une rencontre ‘scientifique’ sur l’avenir de la santé mentale et des dispositions à prendre pour en faciliter l’épanouissement, nous avons souligné avec quelques amis à quel point la présence des ‘usagers’ dans ces débats modifiait la qualité des échanges, invitant tous les partenaires à parler avec respect des malades, donnant accès à une représentation plus forte, plus solide, plus pertinente de la réalité actuelle du champ de la santé mentale et du travail à y mener.

En réponse à cela nous avons aussitôt assisté à une levée de boucliers contre cette idée, ce qui montre bien que la reconnaissance de la place des usagers est loin d’être acquise.

Dans l’esprit d’une partie des professionnels de la psychiatrie, une personne souffrant de troubles psychiques reste d’abord un ‘malade’, c'est-à-dire quelqu’un qu’il est juste de stigmatiser, car manifestement d’une ‘compétence’ inférieure à la majorité des personnes saines ; la notion de folie dénoncée par tous comme injurieuse, se montre en réalité bien présente en arrière plan et confirme que beaucoup pensent qu’il y a des personnes anormales, pas comme les autres, en un mot irrécupérables. C’est ne pas tenir compte de la première découverte de Pinel-Pussin que l’on croyait acquise : ‘la folie complète n’existe pas, il existe toujours chez toute personne présentant des troubles psychiques une part que l’on dit saine, consciente, présente’, découverte confirmée par Freud démontrant que tout homme a une personnalité ‘clivée’, dont une part ignore l’autre part, découvertes qui ont ouvert la voie des psychothérapies. Nous revenons donc au moyen âge.

Les réactions des professionnels encore ont été plus hostiles lorsque nous avons souligné que la participation des usagers et des familles à l’enseignement des professionnels de la psychiatrie est enrichissante, dans la mesure où elles font découvrir des points de vue et des expériences très différentes.

Un certain nombre de professionnels prétendent que la présence des usagers dans les Conseils d’Administration des Hôpitaux n’a rien changé à la nocivité de ces lieux : les décisions restent à leurs yeux défavorables aux soins en général ; de plus on voit même des usagers prendre des positions critiques à l’égard des professionnels ; pire les usagers demandent des formations pour tenter de comprendre la complexité des débats de ces lieux de gestion (cette demande de formation par les usagers parait outrancière aux professionnels ; on a du mal à en comprendre l’explication, si ce n’est à suggérer que les malades n’auraient pas l’intelligence suffisante !) ; personne ne s’inquiète pour autant du coût (ne serait ce que celui des transports) et de la pénibilité de ces séances pour les usagers ; les professionnels qui disent savoir parler au nom des patients, sur cette question restent muets (alors que tous les frais pour eux-mêmes sont couverts y compris ceux des formations qu’ils demandent sans vergogne pour eux seuls).

Les professionnels, pour étayer leur frilosité, rapportent que de hauts fonctionnaires, anciennement directeurs d’établissement et maintenant aux commandes de la région, affirment publiquement que la présence des usagers dans les CA est nulle, donc néfaste, et que de toute façon les usagers se font ‘rouler dans la farine’ sans s’en rendre compte. Les usagers se font berner, foi de bons fonctionnaires.

N’esquivons pas la complexité de l’entreprise : côtoyer des usagers dans le champ social n’est pas dénué de difficultés. Cette réflexion est à mener aussi dans le champ des professionnels. Nous, professionnels, sommes nous toujours sans reproche ? Osons parler de nous, bien que ce soit tabou. Peut-on comme aux policiers nous accorder un statut protégé qui nous rendrait intouchables, comme celui du fonctionnaire assermenté ? Point du tout et heureusement. Un psychiatre (ou un autre ‘pro’ de la psychiatrie) qui pendant sa consultation répond à plus d’un coup de téléphone, lit son courrier, ne lui accorde que 7 minutes, ou s’endort, commet une faute professionnelle. Qui peut le sanctionner ? Seul le patient en rompant avec lui. De façon plus profonde et plus précise le psychiatre ne ‘travaille’ dans sa thérapie que s’il « s’engage » personnellement. Un psychiatre peut avoir une manifestation qui parait agressive ou de désaccord, ce n’est pas critiquable. La rupture c’est le non-engagement dans la relation. Est-ce manifeste ? Non, mais le patient « le sent » et là aussi peut seul le sanctionner. Le lien thérapeutique est une grande aventure humaine où chacun s’investit, dans le respect de l’autre.

Et l’usager dans le champ social ? Quand il est avec une autre personne dans le champ social, cet autre est l’un de ses ‘pairs’, il partage avec lui les règles de la société dans laquelle il se trouve ; son handicap peut être la cause d’une rupture sociale ; l’autre peut alors vouloir l’aider à la dépasser, mais n’y est pas obligé. Si l’autre est un accompagnant ou un ‘aidant’ il se doit d’apporter une compensation par son attitude, en particulier par le temps qu’il va dépenser pour permettre à la personne en situation de handicap de retrouver un appui, des repères ; mais si l’un des deux partenaires manque de respect à l’autre, quel qu’il soit, le contrat est rompu, et celui qui a manqué de respect se doit de revenir sur son attitude, sinon la rupture relationnelle sera la première sanction.

Le guide devant ces difficultés est commun à tous, c’est le respect de l’autre.

 

N’y a-t-il pas là le point de départ d’ « un manifeste » à lancer sur cette question de fond : la place des usagers de la santé mentale dans notre société ? N’est elle pas à éclairer et à défendre ?

Ne pensez vous pas qu’il y aurait là de quoi promouvoir un thème donnant de l’âme à cette initiative dynamique faite voilà une quinzaine d’années « la semaine de santé mentale ». C’était une belle initiative, mais elle a trop souvent été bloquée par un tout petit groupe de professionnels ; ils se la sont appropriée sans en faire l’objet d’un débat démocratique (c’est en effet une question ‘de société’ qui ne doit pas rester sous l’emprise d’un petit groupe), les usagers et les familles n’y ont eu qu’un strapontin alors qu’ils sont les premiers à avoir des choses à dire et à demander ; cela semble avoir un peu changé depuis 2 ou 3 ans. Espérons que cette initiative sera entendue, en particulier à cette occasion.

Si à l’occasion de la prochaine semaine de la santé mentale on décidait haut et fort de faire des « journées portes ouvertes sur la psychiatrie » en même temps!

Si on ouvrait les portes de nos espaces de soin ?(celles des CMP, les Hôpitaux de jour et surtout les services hospitaliers)et si on parlait simplement ensemble.

Le but de cette prochaine ‘Semaine de la santé mentale’ : serait d’oser déballer sur le trottoir devant la porte de nos multiples structures de soin, le détail de toutes nos activités et de nos diverses méthodes de soin, y compris, voire surtout, les plus sophistiquées, ou plutôt de faire visiter  et à cette occasion d’accepter de débattre de tout.

Tout ce dont nous venons de parler, nous aurions la meilleure occasion de le travailler ensemble dans une journée sans protocole où chacun peut venir et poser les questions qui lui plaisent aux personnes qui lui paraissent les plus accessibles, dans un souci mutuel non de défense, mais d’ouverture, de compréhension.

Il est exact que les instances officielles sont des lieux et des moments difficiles parce que des décisions sont à prendre, et que les enjeux vont mettre en question le pouvoir de chacun ; en fait avant cela le terrain doit être préparé par une concertation suffisante. Lors des ‘journées portes ouvertes’ il n’y aurait pas d’enjeux de pouvoir ni de luttes autour de moyens financiers. Plusieurs équipes ont fait l’expérience que je vais relater, elles devraient la faire connaître pour faire apprécier le poids du regard de l’usager sur les espaces de soin qu’il utilise.

Dans notre équipe du 9-3, celle du docteur Chaltiel, nous pouvons témoigner que c’est lors d’une journée porte ouverte, en fait un débat public autour de notre travail après sept années de psychiatrie de secteur, que l’équipe a compris que tout ce qu’elle avait réalisé jusqu’alors ne correspondait pas aux désirs ni aux idées des usagers : ceux ci ne voulaient pas des soins hospitaliers dans l’espace lointain de l’ancien asile. Ils nous ont dit en quelques phrases bien précises que ce que nous avions organisé dans l’hôpital-ancien asile ne les satisfaisait pas du tout. Ils nous ont demandé de créer en ville la totalité des soins diversifiés, qu’ils y soient accessibles, à portée de tous, aux moments les plus imprévisibles de chaque journée, loin du confort des soignants…. Ainsi bousculée et motivée, l’équipe a transformé tous ses projets : trois ans plus tard par reconversion d’un pavillon hospitalier elle a ouvert en ville un accueil 24/24h sans lit, dix ans plus tard les tutelles décidaient d’accepter son projet de déplacer en pleine ville hors hôpital le service d’hospitalisation, et en 2000 est née une psychiatrie toute simple, ‘de secteur’, ouverte, humaine, que les usagers ont pu s’approprier.

Pour les usagers l’important n’est pas le discours, mais l’acte concret qui leur permet d’accéder à des soins où ils se sentent attendus et respectés.

Qu’on en finisse avec une psychiatrie ‘sophistiquée’, copie des descriptions de Molière, drapée dans son faux savoir ! et n’ayant pas de temps à accorder aux questions des usagers !

Un tel défi n’est possible que s’il y a libre circulation des uns et des autres, libre discussion.

Cela vaut le coup à cette occasion que les professionnels de la psychiatrie puissent montrer que certains de leurs cartons sont vides ! En effet nous, psychiatres, ne savons pas tout sur tout. Il est essentiel d’en convenir, cela donnerait tellement de confiance à nos amis usagers d’oser montrer nos limites. Montrer nos limites, ce n’est pas l’hypocrisie cachée dans l’affirmation d’un ‘mais je ne sais rien ! Ce n’est pas non plus donner une image simplificatrice de la psychiatrie ! C’est expliquer simplement ce que nous savons faire, et préciser ce que nous ne savons pas faire.

Nous pourrions en même temps tordre le coup, paradoxalement, à la fausse proposition de ‘transparence’ ; si cette notion plait aux gestionnaires pour les finances, elle n’est pas adaptée aux démarches de soin. La souffrance psychique est d’une complexité extrême. Ouvrir la porte de la psychiatrie ne va pas, précisons le d’emblée, estomper cette opacité. Ce sera la possibilité donnée aux soignants d’accepter de faire part de la modestie qui habille leur travail quotidien, des limites de leur savoir… sur un domaine d’une grande complexité.

Voici un exemple justifiant cette démarche d’explication : en raison de la vulnérabilité qui marque la vie psychique d’un grand nombre de personnes présentant des troubles psychiques, nous savons que l’on peut craindre les discours qui sur le champ de la psychiatrie font des propositions très séduisantes, mais qui en réalité se révèlent être des entreprises de « sectes », c'est-à-dire des groupes d’acteurs non professionnels qui voulant profiter de la crédulité des personnes vulnérables, leur font miroiter des résultats prodigieux, le tout habillé de thèmes souvent mystiques. Ces groupes se construisent par le bluff en masquant leurs méthodes de thérapie, mais ne résistent pas à une exploration attentive et publique ; des échanges et des rencontres publiques démasquent vite leur mystification.

Simultanément il faut bien convenir qu’un certain nombre de structures de soin psychiatriques se comportent comme des sociétés secrètes, comme pour se ‘protéger’. Mais pour protéger quoi ? L’intimité du propos de la personne qui souffre et qui en effet a besoin d’un moment de totale discrétion pour comprendre la complexité de sa vie intérieure ? Ou bien le désir de cacher une incompétence, ou un manque de sérieux dans le suivi ? L’un est pertinent, l’autre injustifié.

Certes la capacité de ‘soignant’ résulte d’un long travail d’acquisition de connaissances et de savoir faire ; celui-ci part bien d’une étape où il convient qu’il ne comprend rien, qu’il ne sait rien, à laquelle succèdent des expériences d’échanges et de formation qui peu à peu au bout de nombreuses années (il faut souligner ce temps nécessaire) lui donnent de l’aisance dans l’écoute de la souffrance de l’autre sans la mélanger sans cesse avec la sienne (pour apprendre à faire la différence entre les deux, il faut du temps). Cette capacité, tout au long des années de travail qui vont suivre, aura besoin de s’appuyer sur des échanges avec d’autres soignants pour la consolider, la renouveler, l’adapter. Le travail d’équipe, la formation permanente sont des exigences incontournables pour valider cette qualification. Il suffit que cette confrontation s’arrête quelques années pour transformer des personnes compétentes en acteurs chronicisés, être acteur chronique c’est déjà être membres d’une ‘secte’. Nous exerçons des métiers ‘exposés’, qui doivent satisfaire à de nombreuses exigences. Hélas ces exigences ont un autre revers, celui de ne pas accepter que puisse exister un autre rapport avec les patients lorsque ceux-ci sur la place publique deviennent des interlocuteurs en tant qu’usagers du service public de psychiatrie. Un certain nombre de soignants et de psychiatres sont à la fois étonnés  et émerveillés des capacités et de l’ouverture de ces usagers, mais d’autres sont en train actuellement de critiquer de façon acide leur implication.

L’attaque la plus pernicieuse, nous l’avons aussi entendue lors de la même séance publique (entre pro !), c’est d’affirmer que soutenir le bien fondé de la place des usagers dans les instances officielles et dans les manifestations publiques sur la santé mentale, c’est ‘prendre des usagers en otage’, et aussi chercher à valider par leur présence toutes les actions ! De plus l’ironie est souvent invitée au débat par ces professionnels, en voulant nous faire croire qu’ils ne sont pas conscients de son rôle pervers : personne ne peut sortir de là indemne, sauf à se dire qu’il vaut mieux ne pas participer au débat ; c’est aussi invalider ‘a priori’ toute prise de position de l’usager, en affirmant que puisqu’il est vulnérable, il ‘sera manipulé’, puis ils se déclarent (à quel titre ?) seul défenseur des ‘vraies’( ?) valeurs. Le cercle vicieux est bouclé.

Ces attaques ont une conséquence d’une extrême gravité qui justifie notre colère ici : elles disqualifient toute action de solidarité. Contre cela nous nous battrons sans relâche.

Tout ceci démontre à quel point la première marque de stigmatisation de la folie ne réside pas d’abord dans la société, mais qu’elle existe en fait aussi chez les professionnels de la Santé Mentale, toutes professions confondues, et elle est là plus inacceptable car elle s’habille de science et de pouvoir, non justifiés.

Nous avons que bien au contraire si la psychiatrie accepte d’être connue, elle sera soutenue.

Seules des journées portes ouvertes peuvent nous donner l’espoir de clarifier cette question fondamentale : ‘être capable de montrer la réalité des soins utilisés sans les masquer par un discours magistral’ ; ces journées peuvent faire renaitre la confiance entre ces partenaires, avec la société comme témoin ; un tiers, un tiers est autant nécessaire dans l’espace psychothérapique, que dans les projets de politique de santé mentale. Cela permettra de mesurer le travail qui reste à faire autant chez les professionnels que dans la société.

Je peux vous assurer que ces échanges ‘vrais’, simples, sont des expériences solides, inoubliables, occasions de vraies rencontres, imprévues, enrichissantes.

L’intérêt de « journées portes ouvertes sur la psychiatrie » est le fait qu’elles se déroulent le même jour sur l’ensemble de la France. Elles peuvent aider ainsi à lever des cloisonnements injustifiés en stimulant des secteurs limitrophes, montrant les appuis et les complémentarités.

Au revoir.                                                                                                     Guy Baillon


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