Docteur
CHRONIQUE DU PASSAGE
ENTRE
Entre Lucien
7 ème ‘chronique
du lundi’. Lundi 18 décembre 2006 . Lucien Bonnafé, témoin de son temps, nous interroge
en fait sur l’avenir.
Hier soir j’ai revu
Lucien, lors d’une projection publique du film de Muxel et de Solliers
« Histoires autour de la folie » tourné à Ville-Evrard de 1991 à 1993,
dont le DVD est enfin diffusé (www.editionsmontparnasse.fr). La parole de
Lucien Bonnafé, est toujours aussi forte, même de plus en plus, avec le temps. Certes
on est sensible au décalage entre notre actualité et la psychiatrie de 1940 à
1970.
Ainsi la guerre nous
parait d’un autre temps. La description qu’il fait des morts de famine pendant cette
guerre nous impressionne. Il nous oblige à constater que ce n’était ni un fait
isolé à un hôpital, ni un cataclysme brutal et rapide. Non, il s’agissait de souffrances
qui se sont prolongées des mois…dans la plupart des hôpitaux.
Nous ne pouvons
éviter de nous demander comment se fait il donc que les hommes, les femmes, les
médecins de l’époque ne se soient pas réunis pour y faire face ?
Manifestement nous dit Lucien, le ‘consensus’ général était de penser que les
fous étaient des sous hommes, et qu’ils étaient capables d’avoir d’autres
maladies…
C’est le constat de
ce mépris, de cet abandon, associé à la découverte des camps de concentration avec
leurs kapos (qui avaient le même rôle que les ‘bons’ malades de l’asile), et au
fait que les patients, sortis en masse des hôpitaux en raison de la fuite des
gardiens lors de l’occupation, s’inséraient parfaitement dans la société
d’alentour, c’est cet ensemble de faits qui a conduit Lucien et ses amis à
construire la « révolution psychiatrique » d’après guerre, autour du
secteur.
Mais le ton et les
termes qu’emploie Lucien ne trompent pas. Lucien Bonnafé, une fois de plus, ne
parle pas en ancien combattant, il témoigne en termes métaphoriques, et ainsi il
donne à penser.
Comment se fait il
que pendant cette longue évolution sur plusieurs années, dans la quasi-totalité
des hôpitaux, tant d’acteurs aient assisté muets, à ces lentes agonies
(quelques psychiatres cependant se sont mobilisés Balvet, Henri Ey…, quelques
soignants dans l’obscurité ont eu des gestes qui sauvaient…, mais sans
entraîner de révolte générale).
Sommes nous sûrs que
cela ne se reproduira pas, nous demande Lucien ?
Soyons plus clair à
notre tour : considérons ce qui se passe aujourd’hui : ne pouvons
nous nous demander si dans 30 ans nos successeurs, relisant l’histoire des
années 2000 - 2010, ne seront pas stupéfaits et ne s’interrogeront pas en
remarquant que dans notre société ‘moderne’ il y a une catégorie d’êtres sous
évalués, laissés pour compte, que personne n’écoute, tellement la société est
persuadée que leur parole est insensée, n’a pas de sens.
Vous souriez ?
Hier encore, 12 décembre 2006, dans une région, que je ne vais pas nommer, se tenaient
les ‘Etats Généraux’ de
Mais regardons les
choses en face, nous n’avons pas rompu avec cette habitude prise en France
depuis deux siècles, de parler ‘à la place’ des patients-usagers, les
professionnels le font depuis le début, puis les familles, enfin
La plupart des
professionnels de la psychiatrie, et à leur suite la société en général, n’ont
pas encore accepté que la ‘folie totale n’existe pas’. C’est pourtant ce qu’ont
découvert Pinel et Pussin, en 1800, Freud en 1900, Bonnafé et les pionniers de
la politique de secteur en 1945.
Cependant lors de la
projection de ce film les journalistes ont constaté que ce film parle d’une
époque différente de la nôtre, …donc il ne nous apprend rien, concluent ils !
Et à nouveau sont revenus
dans le débat le propos des médias parlant avec fracas des malades dans la rue
et dans les prisons. La conclusion en a été qu’aujourd’hui les malades sont mal
soignés ! (alors que l’on venait de constater le désastre d’avant 1970. Cette
affirmation renvoie donc la totalité de la responsabilité de la souffrance des
patients sur les soignants et les psychiatres actuels (peu importe que l’Etat
simultanément se soit engagé dans une entreprise d’étouffement des équipes, ce
qui ne les empêche pas de faire un travail d’un très haut niveau de qualité par
rapport à 1970, qualité totalement annulée par les médias).
Cette attitude est
une ‘pirouette’ grave.
Les médias et
l’opinion publique estiment que les maladies mentales concernent des gens dont le
plus grand nombre est totalement fou. S’il en est ainsi il est clair que le
seul recours ce sont les soins et les seuls soignants. Alors que la gravité de
ce que vivent les patients de la psychiatrie aujourd’hui (qu’ils soient malades
ou en situation de handicap) est le fait qu’ils sont rejetés de la société
comme s’ils étaient des parias.
A l’inverse si les
personnes malades étaient acceptées comme des personnes ayant une part saine, à
côté de leurs troubles, d’un côté on écouterait leurs paroles comme celle de
toute autre personne, de l’autre leur besoin d’appui social complémentaire aux
soins paraîtrait évident. Et alors l’ensemble de la société accepterait de
reconnaître la part qu’elle a à jouer elle-même pour les accompagner dans les
difficultés de la vie sociale quotidienne, comme le demandent très clairement
les lois de 2002 et du 11-2-2005 ‘sur l’égalité des chances’.
Le propos de Lucien,
aujourd’hui, reste très fort. Les patients de la psychiatrie ont clairement à
la fois besoin de soins compétents et ils ont besoin de
« citoyenneté » de la part de tous les hommes et les
femmes de leur entourage. La maladie mentale ne saurait entraîner une
stigmatisation de l’être humain. La folie fait bien partie de l’homme, de tout
homme.
C’est donc clairement
une nouvelle attitude face à la folie qui est demandée à chacun. Mais ce
changement n’est pas du ressort de la psychiatrie, la psychiatrie ne saurait
être accusée de ce mépris de l’homme. La
rencontre avec le citoyen, qu’il soit ou non malade, qu’il soit ou non un peu
fou, est une rencontre concrète avec l’homme. C’est d’abord une exigence de
l’homme envers l’homme. La première exigence est donc l’exigence citoyenne pour
tout homme.
gb