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LA CHRONIQUE du LUNDI

Guy Baillon





Docteur Guy Baillon, Psychiatre des Hôpitaux

 

CHRONIQUE DU PASSAGE ENTRE LA PSYCHIATRIE D’HIER ET LA PSYCHIATRIE DE DEMAIN - (novembre 2006 à Avril 2007).

Entre Lucien Bonnafé et les jeunes de demain, déjà au travail aujourd’hui.

7 ème ‘chronique du lundi’. Lundi 18 décembre 2006 . Lucien Bonnafé, témoin de son temps, nous interroge en fait sur l’avenir.

 

Hier soir j’ai revu Lucien, lors d’une projection publique du film de Muxel et de Solliers « Histoires autour de la folie » tourné à Ville-Evrard de 1991 à 1993, dont le DVD est enfin diffusé (www.editionsmontparnasse.fr). La parole de Lucien Bonnafé, est toujours aussi forte, même de plus en plus, avec le temps. Certes on est sensible au décalage entre notre actualité et la psychiatrie de 1940 à 1970.

Ainsi la guerre nous parait d’un autre temps. La description qu’il fait des morts de famine pendant cette guerre nous impressionne. Il nous oblige à constater que ce n’était ni un fait isolé à un hôpital, ni un cataclysme brutal et rapide. Non, il s’agissait de souffrances qui se sont prolongées des mois…dans la plupart des hôpitaux.

Nous ne pouvons éviter de nous demander comment se fait il donc que les hommes, les femmes, les médecins de l’époque ne se soient pas réunis pour y faire face ? Manifestement nous dit Lucien, le ‘consensus’ général était de penser que les fous étaient des sous hommes, et qu’ils étaient capables d’avoir d’autres maladies…

C’est le constat de ce mépris, de cet abandon, associé à la découverte des camps de concentration avec leurs kapos (qui avaient le même rôle que les ‘bons’ malades de l’asile), et au fait que les patients, sortis en masse des hôpitaux en raison de la fuite des gardiens lors de l’occupation, s’inséraient parfaitement dans la société d’alentour, c’est cet ensemble de faits qui a conduit Lucien et ses amis à construire la « révolution psychiatrique » d’après guerre, autour du secteur.

 

Mais le ton et les termes qu’emploie Lucien ne trompent pas. Lucien Bonnafé, une fois de plus, ne parle pas en ancien combattant, il témoigne en termes métaphoriques, et ainsi il donne à penser.

Comment se fait il que pendant cette longue évolution sur plusieurs années, dans la quasi-totalité des hôpitaux, tant d’acteurs aient assisté muets, à ces lentes agonies (quelques psychiatres cependant se sont mobilisés Balvet, Henri Ey…, quelques soignants dans l’obscurité ont eu des gestes qui sauvaient…, mais sans entraîner de révolte générale).

 

Sommes nous sûrs que cela ne se reproduira pas, nous demande Lucien ?

Soyons plus clair à notre tour : considérons ce qui se passe aujourd’hui : ne pouvons nous nous demander si dans 30 ans nos successeurs, relisant l’histoire des années 2000 - 2010, ne seront pas stupéfaits et ne s’interrogeront pas en remarquant que dans notre société ‘moderne’ il y a une catégorie d’êtres sous évalués, laissés pour compte, que personne n’écoute, tellement la société est persuadée que leur parole est insensée, n’a pas de sens.

 

Vous souriez ? Hier encore, 12 décembre 2006, dans une région, que je ne vais pas nommer, se tenaient les ‘Etats Généraux’ de la Santé Mentale. Rien que cela ! Formidable initiative ! Tous les représentants officiels étaient là, politiques, administrations, syndicats, et professionnels, les familles, tous donc, sauf…les patients-usagers. Quelqu’un s’est levé pour interroger les officiels de cette absence. Les organisateurs se sont étonnés, et se sont dits aussitôt désolés d’avoir ‘oublié’ ! …Cet oubli est déjà significatif de cette non prise en considération. Il y a eu pire, le représentant officiel d’une grande association a tenu à ajouter, pour justifier cette absence, que c’était ‘normal’, que l’on devait ‘protéger’ ces malades, soulignant qu’il était évident que les malades ne savent pas s’exprimer, et que bien entendu ils ne peuvent descendre dans la rue pour défendre leurs droits…Il s’est trouvé très gêné quand une personne représentant la FNAPpsy et qui avait pu s’introduire dans la salle au dernier moment, s’est levée et a fait part de son étonnement devant une telle affirmation. Un élu en a convenu alors officiellement et a critiqué les organisateurs !...

 

Mais regardons les choses en face, nous n’avons pas rompu avec cette habitude prise en France depuis deux siècles, de parler ‘à la place’ des patients-usagers, les professionnels le font depuis le début, puis les familles, enfin la société. D’ici quelques temps cette attitude anachronique, paraîtra totalement inacceptable, car elle sera comprise comme une ‘mise à mort psychique’, mais une mort cachée, déniée, enfouie dans des attitudes collectives, devenues des habitudes.

La plupart des professionnels de la psychiatrie, et à leur suite la société en général, n’ont pas encore accepté que la ‘folie totale n’existe pas’. C’est pourtant ce qu’ont découvert Pinel et Pussin, en 1800, Freud en 1900, Bonnafé et les pionniers de la politique de secteur en 1945.

 

Cependant lors de la projection de ce film les journalistes ont constaté que ce film parle d’une époque différente de la nôtre, …donc il ne nous apprend rien, concluent ils !

Et à nouveau sont revenus dans le débat le propos des médias parlant avec fracas des malades dans la rue et dans les prisons. La conclusion en a été qu’aujourd’hui les malades sont mal soignés ! (alors que l’on venait de constater le désastre d’avant 1970. Cette affirmation renvoie donc la totalité de la responsabilité de la souffrance des patients sur les soignants et les psychiatres actuels (peu importe que l’Etat simultanément se soit engagé dans une entreprise d’étouffement des équipes, ce qui ne les empêche pas de faire un travail d’un très haut niveau de qualité par rapport à 1970, qualité totalement annulée par les médias).

 

Cette attitude est une ‘pirouette’ grave.

Les médias et l’opinion publique estiment que les maladies mentales concernent des gens dont le plus grand nombre est totalement fou. S’il en est ainsi il est clair que le seul recours ce sont les soins et les seuls soignants. Alors que la gravité de ce que vivent les patients de la psychiatrie aujourd’hui (qu’ils soient malades ou en situation de handicap) est le fait qu’ils sont rejetés de la société comme s’ils étaient des parias.

A l’inverse si les personnes malades étaient acceptées comme des personnes ayant une part saine, à côté de leurs troubles, d’un côté on écouterait leurs paroles comme celle de toute autre personne, de l’autre leur besoin d’appui social complémentaire aux soins paraîtrait évident. Et alors l’ensemble de la société accepterait de reconnaître la part qu’elle a à jouer elle-même pour les accompagner dans les difficultés de la vie sociale quotidienne, comme le demandent très clairement les lois de 2002 et du 11-2-2005 ‘sur l’égalité des chances’.

 

Le propos de Lucien, aujourd’hui, reste très fort. Les patients de la psychiatrie ont clairement à la fois besoin de soins compétents et ils ont besoin de « citoyenneté » de la part de tous les hommes et les femmes de leur entourage. La maladie mentale ne saurait entraîner une stigmatisation de l’être humain. La folie fait bien partie de l’homme, de tout homme.

C’est donc clairement une nouvelle attitude face à la folie qui est demandée à chacun. Mais ce changement n’est pas du ressort de la psychiatrie, la psychiatrie ne saurait être accusée de ce mépris de l’homme. La rencontre avec le citoyen, qu’il soit ou non malade, qu’il soit ou non un peu fou, est une rencontre concrète avec l’homme. C’est d’abord une exigence de l’homme envers l’homme. La première exigence est donc l’exigence citoyenne pour tout homme.

gb


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