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LA CHRONIQUE du LUNDI

Guy Baillon





 

CHRONIQUE DU PASSAGE ENTRE LA PSYCHIATRIE D’HIER ET LA PSYCHIATRIE DE DEMAIN - (novembre 2006 à Avril 2007).

Entre Lucien Bonnafé et les jeunes de demain, déjà au travail aujourd’hui.

4ème ‘chronique du lundi’. Lundi 27 novembre 2006. POLITIQUE ET PSYCHIATRIE

La vraie question politique, Lucien l’avait posée en termes simples dès le début de la ‘politique de secteur’. Cette simplicité faisait sourire les grands techniciens de la santé qui l’entouraient, tellement elle leur paraissait naïve.

Allons sur la place publique, disait il, allons sur l’agora, comme en Grèce, et aux citoyens présents demandons « Qu’y a-t-il à votre service ?». C’est là et avec cette phrase, qui inscrit notre présence concrète sans attirail spécial, que se résout ce problème énorme qui fait vaciller notre Assemblée Nationale ces jours ci : la prétendue dangerosité des malades mentaux. Et dans cette Assemblée, qui y va de son maire, qui y va de sa loi, qui y va de son parti hélas !

La réponse est si simple que personne n’y prête attention, car avant tout dans le show-biz politique il faut ‘se montrer’ avec tous ses atours et tout son appareil lorsque toutes les caméras sont là pour faire voir ce qu’est une ‘bête politique’, au lieu de parler avec sérénité de ce problème du quotidien de la vie citoyenne : l’angoisse d’un citoyen comme un autre qui souffre dans sa tour intérieure (son fort) et a besoin…qu’on l’écoute !

Excusez moi de me laisser aller à invectiver tous les acteurs de ce drame aujourd’hui se déployant devant la nation entière. Mais pourquoi en sommes nous arrivés là ! Car ce n’est pas tant ce théâtre qui me bouleverse aujourd’hui, il se déploie chaque semaine et devient tempête à la veille de l’élection présidentielle. C’est de voir avec effarement le danger que court la psychiatrie ces jours-ci, et de savoir que c’est nous, nous les psychiatres, nous les équipes de secteur, qui l’avons amenée là, au bord du précipice, au risque d’être jetée bas et pulvérisée. Parce que c’est clair ! Ne nous cachons pas la face, c’est bien parce que nous nous réfugions dans nos grandes et petites boites bien propres, hôpital et CMP, et que nous attendons que les malades nous y arrivent, que la question des délinquants, des HO, de la liste nationale ignominieuse explose devant nous. Au lieu de continuer à déployer les moyens humains dans le tissu social des secteurs, l’Etat va remettre de l’ordre et tout centrer autour des experts, des HO, des services d’hospitalisation… et « il en sera fini de la psychiatrie de secteur que nous n’avons pas continué à promouvoir, nous plaignant de nos moyens ». Plus besoin de nous laisser aller une fois de plus à notre fâcheuse tendance à jouer les persécutés !

Lucien nous demandait en premier de faire travailler notre fibre de citoyen. Allons Lucien, tu seras toujours le même avec ta politique ! Mais qu’est ce que le soignant a à faire avec la politique ? L’actualité nous montre la pertinence de sa prise de position initiale. Puisque nous avons failli à notre mission de soignant – citoyen, ce sont tous les échelons du politique qui sont montés aux créneaux : un ministre de l’intérieur grand vizir (selon le dessin de Plantu) en quête de la publicité la plus médiatique possible, un ministre de la santé qui n’a pas son mot à dire en face de ce monstre politique assoiffé de présidence et ne peut être qu’à sa botte, un premier ministre tout en silence attendant le bon moment pour après la faute attendue du prétendant au trône, se montrer plus malin que le vizir (il devrait être plus prudent !), des partis qui ne s’étaient jamais intéressés à la psychiatrie et qui se précipitent dessus comme si c’était leur pain quotidien ; entre nous, si c’était vrai, cela ne nous vexerait pas, ce qui nous inquiète c’est leurs habits de certitude, au nom de celle ci ils sont capables par temps de bourrasque de voter n’importe quoi, députés et sénateurs, et tout autour le premier (ou dernier, selon le sens de notre ‘regard’ sur la pente du politique) magistrat de la cité « le maire ».

Merci à la revue Rhizome n° 24 de nous donner si bonne lecture, où l’on voit ce magistrat se livrer à sa tâche « de proximité » citoyenne avec tant d’intérêt, de vérité, de sollicitude, de lucidité : le maire est vraiment l’appui le plus fort des citoyens. Seulement une fois de plus nous lui posons les mauvaises questions. La psychiatrie ce n’est pas d’abord une question de dangerosité ; et certains d’entre eux, nos maires, le disent là très bien. La question est d’abord une question de « disponibilité » des ‘citoyens-soignants’, acte ‘politique-soignant’ fondateur ; le premier acte politique de chacun d’entre nous, n’est ce pas, si on est dans le régiment des ‘actifs’ de notre société, de réaliser les actes en rapport avec la mission que nous avons accepté de remplir, pour nous, celle de soignant. D’où il est impossible de séparer le geste politique du geste d’acteur social. La question n’est pas celle des Hospitalisations d’Office. La question est clairement bien ‘avant’, dans la quasi totalité des cas. Cultivons avec soin nos liens avec nos maires, mais ne leur demandons pas de faire notre travail.

« Qu’y a-t-il à votre service ? ». Certes c’est une position bien humble, ce n’est pas celle du savant, de l’expert, du professeur, et c’est cette position d’humilité qui va montrer dans la quasi totalité des cas à celui qui souffre et à son entourage que la rage qui l’anime dans sa forteresse intérieure, pas vide, mais au contraire pleine de chaos, montre qu’il y a une lucarne ; il va sentir vaguement qu’il y a une possibilité de comprendre et d’expliquer cette souffrance qui le ronge et le met en miettes ; cette certitude délirante, ce désespoir sans fin, cette crainte folle de tout ce qui est là autour et qui se montre hostile… Cette attitude naïve une fois présentée, là même où on se croise, sans avoir besoin d’un grand bâtiment, d’un grand hôpital, d’un grand ‘appareil’, si nous installons sur place les conditions de la rencontre, si notre simplicité, notre attention, notre tranquillité s’expriment, la violence apparente se dissipe, une confiance mutuelle surgit, et nous commençons ensemble le travail d’acteur psychique ‘de base’ (qui a d’abord accepté de faire cet acte citoyen allant sur la place publique pour se montrer disponible, avant de se montrer savant et imbu de son savoir).

Tout ceci c’est, mais, autrement décrit, ce qu’avec plusieurs équipes dans les années 1979-1982 nous avons initié sous le sigle d’équipes D’ACCUEIL. Après, nous avons peut être commis la faute de trop chercher à le ‘formaliser’ en parlant de centre d’accueil, de centre de crise. C’est l’attitude ‘citoyenne-soignante’ de base qui est essentielle. Puis certains d’entre nous ont souligné l’importance de donner à cette démarche un appui théorique, dans le but simplement d’établir un lien entre ce moment premier de rencontre avec la continuité des soins. D’autres ont montré que cette disponibilité devait se déployer en priorité au domicile des personnes qui souffrent, d’autres se sont engagés auprès de ceux qui n’ont pas de domicile et qui de ce fait sont abandonnés de tous et en premier des équipes de secteur, ils ont eu raison, mais après le rattachement à un secteur donné est essentiel, cela les rattache à un groupe humain. Là ces amis n’ont pas parlé d’accueil, peu importe le mot. C’est de la disponibilité qu’il s’agit, le « qu’y a-t-il à votre service ? » et l’équipe de secteur est là comme certitude de l’existence d’un fil conducteur qui nous attache à un espace (une cité) à une histoire (la sienne et celle de son groupe, sa famille), ce n’est en rien une limite, c’est une racine, un lien inscrit. Et le point fort de toute démarche soignante en psychiatrie est la construction de ces liens qui font que tout homme est plus humain lorsqu’il fait vivre des liens avec d’autres ‘frères humains’. Dans la Cité.

‘frères humains qui après nous vivez’. Si vous pouviez savoir la force et la richesse de cette simplicité de la rencontre sur la place publique, lorsque cette phrase m’a été dite à l’oreille « ami, qu’y a-t-il à ton service ? »

Ma dangerosité ? mais c’est l’abandon, l’isolement, l’oubli des mots, ma colère de les voir tous s’agiter sans m’adresser une parole.. c’est moi qui suis dangereux ?

‘frères humains’ Il y en aurait, dites vous, qui expliqueraient que ce n’est pas de la psychiatrie cela ? Pour faire de la psychiatrie, dites vous, il faut une demande, un diagnostic, un bureau, des ordonnances, une loi, un maire ?… Si c’est ça je crois que c’est d’un pavé dont j’ai besoin, et en urgence !

‘frères humains’ Lucien ! si tu savais à quel point tu avais raison de nous répéter tes mots. « Qu’y a-t-il à votre service ? »     
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