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LA CHRONIQUE du LUNDI

Guy Baillon





Docteur Guy Baillon, Psychiatre des Hôpitaux

CHRONIQUE DU PASSAGE ENTRE LA PSYCHIATRIE D’HIER ET LA PSYCHIATRIE DE DEMAIN - (novembre 2006 à Avril 2007).

Entre Lucien Bonnafé et les jeunes de demain, déjà au travail aujourd’hui.

‘26ème et dernière ‘chronique du lundi’. Lundi 7 mai  2007. La suite de l’écriture sera la vôtre.

C’est vous maintenant qui écrivez l’histoire par vos actes et vos réflexions.

Je n’ai pas vraiment rempli mon contrat avec SERPSY. Je n’ai pas repris les paroles et les écrits de Lucien Bonnafé. A chaque fois, comme pendant mon activité, la réalité m’a rattrapé et j’ai voulu la commenter en me bornant à invoquer Lucien.

Aujourd’hui c’est la réalité qui me sauve : un excellent DVD réalisé par les CEMEA vient de paraître avec de nombreux témoignages, je vous invite à vous l’approprier.  Quand vous voudrez prendre en mains la réalité qui tente de vous échapper, vous verrez à quel point Lucien est toujours d’actualité.

 

Les troubles psychiques et la folie sont un formidable défi.

La maladie psychique ne peut qu’être cause de révolte. Le danger est que le premier mouvement de chaque proche de celui qui souffre est de chercher à se protéger, à reculer, car la peur est là et va justifier le recours à la sécurité, la contrainte qui sont refus de rencontrer, refus de connaître, refus de comprendre, refus d’aimer, tous mouvements qui ne peuvent provoquer que une autre révolte si nous voulons construire une vraie psychiatrie.

Le vrai danger est la division entre les hommes. Alors que la seule réponse à donner est de construire des liens avec et autour de la personne qui est isolée et s’isole dans son trouble et dans sa souffrance. De façon paradoxale la folie d’une personne provoque d’emblée la Cité. La folie ne touche jamais une seule personne malgré l’illusion que nous en avons. La folie est de la part de celui qui souffre, un acte éminemment ‘politique’, c’est une volonté de rupture, elle interroge donc la communauté des hommes, c’est un  acte philosophique, et politique, même quand il s’inscrit fortement dans le biologique ; de toute façon le biologique est toujours impliqué, comme dans la vie de tout homme. La réponse des hommes sera toujours une réponse concernant plusieurs hommes, une réponse impliquant la Cité, la psychiatrie sera toujours politique.

Toutes les tentatives de réponses partielles, réponses dites spécialisées (de ‘spécialistes’) sont des tentatives qui ne vont que ‘tronçonner’ la personne humaine, pour le seul plaisir de prendre du pouvoir sur des personnes un moment plus vulnérables que les autres.

Ce que l’autre, qui souffre, et qui est dit malade, fuit, c’est notre prise de pouvoir sur lui.

Car ce que l’autre a perdu c’est justement le pouvoir sur lui-même, et par là il a perdu ses liens avec nous.

Toute la question de la psychiatrie et des acteurs sociaux, les citoyens, est de savoir comment l’autre peut retrouver ce pouvoir sur lui, et au-delà retrouver ses liens avec nous.

 

Pourquoi les hommes politiques ont-ils si peur des malades psychiques ? Parce que les personnes qui ont ces troubles ‘doutent’ plus que les autres des capacités des élus à diriger les hommes, et parce que de façon inattendue, ces personnes ‘imposent’ la solidarité à la Cité. Est ce l’élection d’un ‘dirigeant’, ou la solidarité, qui noue les hommes entre eux. Question peut-être subversive en cette période électorale !

 

Tout ceci ne nous permet en rien de faire l’économie de la psycho pathologie, qui met en évidence de quelle façon les rouages intimes de la personne se bloquent, ni de faire l’économie du repérage des moyens qui vont nous permettre de retrouver la fluidité de la circulation psychique, physiologique et humaine qui fonde la vie pour chacun.

 

La folie et la vulnérabilité qui l’accompagne sont l’occasion pour certains hommes de céder à leur désir de prendre pouvoir sur d’autres hommes… qui donnent l’illusion de n’attendre que cela. Piège encore.

Il appartient aux autres de désamorcer ces tentatives et de construire avec lui, à la place de ces ruptures et de cette vulnérabilité, les liens qui s’étaient affaiblis.

 

Aujourd’hui le pouvoir administratif, le local comme le ministériel, semble, pour sa majorité, être dans la totale méconnaissance des particularités de la psychiatrie et de l’aide au handicap psychique, lesquelles ne peuvent se construire qu’au carrefour du soin et de l’appui social. Ce n’est guère étonnant, n’ayant pas la connaissance par le contact réel avec la folie, ‘ils’ sont obligés de ‘simplifier’ et ne peuvent accéder à la complexité des souffrances psychiques.

Une même personne souffre et exprime sa souffrance de différentes façons.

L’unité et l’identité de cette souffrance sont à ce carrefour, et justifient l’union du thérapeutique, du social et du politique pour y répondre.

C’est dire si ce domaine est complexe. Malgré cela, ce que chacun d’entre nous peut constater quand il va sur ‘le terrain’ c’est la formidable générosité des acteurs de la psychiatrie et du champ social, et l’intense désir de résoudre ce défi de complexité.

 

Le danger vient de l’individualisme de certains qui leur donne l’illusion de croire que l’un ou l’autre, seul peut répondre à cette souffrance d’une personne. En particulier dans le champ éclaté du vécu psychotique c’est une illusion totale ; mais dans de nombreux champs, que la psychiatrie classique n’a pas su ‘classer’, l’illusion est aussi forte.

 

Le fil conducteur n’est-il pas la compréhension que nous pouvons avoir de la construction de l’esprit psychique depuis l’avant naissance (et cela vaut la peine de souligner que pour comprendre la psychiatrie la connaissance apportée par la psychiatrie du nouveau-né, des liens entre mère et nourrisson, comme la connaissance de l’histoire de la psychiatrie dans son ensemble, sont sources d’émerveillement et de sérénité) jusqu’à l’acquisition de la parole et l’éclatement de l’adolescence,…et la compréhension de la continuité de sa construction jusqu’au dernier moment de la vie ? N’est ce pas cette construction ‘continue’ qui est le fil ?

L’autre fil conducteur c’est le travail tissé tout au long de ces années par une équipe de soin ou sociale, qui construit une ‘continuité entre ses soins et ces actions toujours dispersés’.

 

Du début à la fin de ces lettres, en particulier ces derniers temps, j’ai été ému par tous ceux que j’ai rencontrés, émerveillé par tous les efforts dépensés, troublé enfin de voir que ces efforts n’aboutissaient que lorsque tous ces acteurs trouvaient le moyen de les faire converger. Tellement est toujours présente et indispensable la dimension ‘collective’ du soin comme de l’action sociale.

Avec la plus grande modestie je garde cet émerveillement et ce formidable espoir que nous a transmis Lucien Bonnafé. Il y a dans la folie et dans la psychiatrie des messages inépuisables sur la conduite des hommes. Merci à Lucien et à ses pairs de nous y avoir éveillés. Merci à vous de nous montrer quotidiennement que vous relevez le défi.

Suite de rencontres humaines inespérées, toujours émouvantes, rencontre avec ceux qui souffrent, avec ceux qui à côté d’eux espèrent.

Je ne suis pas du tout sûr d’avoir rempli mon contrat avec SERPSY, mais grâce à ceux qui l’animent, j’ai pris un grand plaisir à vous écrire. Vous m’avez fait faire de nouvelles découvertes. Merci.

Je vous souhaite ‘bonne route’. A vous de jouer maintenant : inventer, transmettre…

Au revoir.                                                                                                      Guy Baillon

PS

Au mi-temps de sa vie, un homme qui a été frappé dès son adolescence par un trouble psychique grave, qui a accepté de suivre des soins divers, dont de s hospitalisations, des psychothérapies, cet homme à nouveau est aux prises avec la perplexité dans laquelle le plonge l’étrangeté de ce qui l’entoure. Il vit seul. Il avait reconstruit des liens divers et modestes, dont certains avec les membres d’un GEM. Puis à un moment, aux prises avec cette perplexité dont il ne perçoit pas l’origine, il ploie devant une nouvelle douleur. Les liens sautent. Il accepte d’être hospitalisé. Les soignants de l’équipe de secteur comprennent la complexité de ses difficultés, leurs expressions diverses, et lui apportent une diversité d’appuis. Il y a aussi dans l’air comme une tentation d’en finir avec la vie, car il se sent ‘abimé’. Trop de choses gardent les marques de certaines destructions. Par exemple dans son espace de vie, son appartement, tout plein de choses vieilles et jeunes se sont entassées, le spectacle est désolant, d’autant qu’entre temps une fuite d’eau est venue dégrader l’amoncellement ; cet espace c’est lui-même, il va à la dérive…tout cela est aussi pour lui la preuve qu’il n’a plus de valeur.

Les équipes soignantes ont là des attitudes variées ; souvent elles ne ‘voient’ pas l’appel, derrière le désastre ; elles ne voient que des symptômes lourds, et elles les traitent dans leurs espaces de soin. Parfois elles constatent ce spectacle, mais disent vouloir respecter l’intimité des espaces personnels, et …attendent l’amélioration. Parfois, elles font intervenir l’équipe de salubrité de la ville qui vient mettre au propre et … ‘en miettes’ ce qui reste. Parfois encore l’équipe, discrètement répare la fuite, évacue ce qui se détériorait, redonne une note de vie à cet espace. C’est ce qui s’est passé cette fois, …le sourire revient, les liens se renouent, l’estime de soi est retrouvée, le soin se consolide. Ce dernier temps aurait pu se réaliser aussi à partir d’un espace n’étant pas un espace de soin, comme un GEM, quand les amitiés y sont assez fortes et quand l’intérêt sait se porter solidairement vers les désastres de la vie quotidienne de chacun.

Dans ce temps d’accompagnement où se trouve le soin ? Où est l’entraide ? Force est de constater que l’un et l’autre aboutissent au même résultat. Tout cela échappe à un ‘protocole’ de soin ; à une évaluation. Il a fallu toute la finesse d’attention d’une équipe de secteur, allant bien au-delà de la maitrise qui se déroule dans une ‘structure de soin’, il a fallu le refus du cloisonnement entre le soin et la vie, la souplesse des soignants leur permettant de s’appuyer sur tout relais possible.

Mais le résultat est là, fort, convainquant, comme le sourire, qui renait et défie tout, chez cet homme, chez ses amis, chez ses soignants.

La vie recommence. Il a même reçu la proposition par son GEM d’occuper un poste d’animateur.

On le constate, qui pourrait tout ‘prévoir’, faire un ‘plan’ avant l’apparition de nouvelles difficultés ?

La réponse est toujours un ‘processus’ complexe qui est à mettre en place à chaque fois, et qui peu à peu laisse toute la place à la vie. Chacun reprenant sa vie en mains, en liens avec les autres…

 


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