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LA CHRONIQUE du LUNDI

Guy Baillon





Docteur Guy Baillon, Psychiatre des Hôpitaux

 

CHRONIQUE DU PASSAGE ENTRE LA PSYCHIATRIE D’HIER ET LA PSYCHIATRIE DE DEMAIN - (novembre 2006 à Avril 2007).

Entre Lucien Bonnafé et les jeunes de demain, déjà au travail aujourd’hui.

 23ème ‘chronique du lundi’. Lundi 9 avril 2007. Le psychiatre sur l’agora

 

Personne ne m’ôtera de l’idée que la phrase la plus forte, la plus ‘pensée’, la plus accessible, la plus surréaliste, la plus réalisable de la psychiatrie est cette phrase de Lucien Bonnafé pour définir la psychiatrie et le psychiatre

Le psychiatre va sur la place publique et demande aux citoyens présents : « Que puis je faire pour votre service ? »

 

Personne ne m’empêchera de continuer à raconter comment se montrer disponible à tout type de demande concernant la souffrance psychique et proposer de rencontrer ces personnes dans des espaces ‘neutres’ de la ville, est une des applications les plus simples de cette phrase. De même personne ne m’empêchera de répéter que la réponse doit être faite sans délai si la personne qui la porte en expose le besoin. Personne ne m’empêchera ensuite de témoigner que le résultat d’une telle proposition, l’effet de cette réponse sans délai, dépasse toutes les espérances.

 

Personne enfin ne m’empêchera d’affirmer que c’est par ce travail là qu’une équipe de secteur qui réfléchit sur son activité et sur son avenir, doit commencer, avant toute autre réflexion et transformation, car le reste change de lui même lorsque ceci est institué.

 

Cependant la distance qui sépare la découverte de cette phrase et de son sens, d’avec son application est considérable. Voilà une affirmation qui parait pourtant d’une ‘naïveté’ désarmante. Mais dès le moment que l’on commence à en comprendre le sens et à mesurer où elle nous entraîne, il arrive que la panique nous coupe les jambes à nous soignants.

 

Aussi quelques lettres avant la fin de ce contrat d’écriture avec SERPSY, je ne vais pas résister à mon envie de parler du travail d’accueil comme préalable à l’exercice de la politique de secteur dans un secteur, et d’évoquer ses joies et ses craintes, voire ses paniques.

 

Cela commence par la certitude que la rencontre avec une personne qui souffre n’a besoin d’aucun outil (même pas un bureau !), d’aucun préalable (rien d’autre que de demander de se voir, et se donner un autre rendez vous), cette décision est faite seulement d’une attitude d’esprit très précise : le ‘désir’ de « rencontrer l’autre ». Pour cela il suffit d’une simple disposition d’esprit, et la volonté d’être présent à l’autre ; c’est simple, c’est la même attitude que lorsque l’on reçoit un ami chez nous : le sourire, on le sait, ouvre toutes les portes, alors n’ayons pas peur d’en user ; notre visage l’exprime, comme il accompagne tout mot de bienvenue ; l’échange entre deux visages, entre deux poignées de main, l’attention portée à tout ce qui nous entoure et qui bloque ou facilite l’échange. Tout, oui tout, déjà se met en place là, même et surtout avec une personne en grande détresse.

Dès lors, à l’étonnement de chacun, le temps s’arrête, nous disposons de lui, il se met à notre service, au service de cette rencontre.

 

Pour dire cette phrase, il y a 50 ans, Bonnafé, il fallait qu’il soit ‘visionnaire’, n’est ce pas ? Sans s’en rendre compte nos anciens proposaient de commencer à soigner au moment où les troubles débutaient, donc avant d’envoyer les patients dans un lieu de soin, avant qu’ils y séjournent, cad au moment où la tension psychique commençait et au moment où la pression réactive de l’entourage n’est pas encore venue la modifier, au moment où le milieu de soin ne lui a pas donné encore une forme clinique particulière.

Seuls ceux qui ont eu la pratique de ce travail d’accueil ont constaté que les troubles psychiques à partir de ce moment là ne se déroulaient plus comme dans les livres, ils suivent un autre cheminement, dans lequel l’interaction avec l’entourage reçu aussi, et avec les membres de l’équipe disponibles, chacun revus autant qu’il le faut, joue un rôle prédominant.

L’interrogation diagnostique et tout l’appareillage institutionnel n’intervenant que plus tard, bien sûr tout ce préalable, étant entre les mains de soignants ayant déjà, pour la moitié d’entre eux, une solide expérience clinique.

 

Certes 50 ans plus tard, sur la même place publique, il est plutôt question ‘d’urgence’. Que cela ne nous effraye pas ! Les mots ont changé, mais la nature des choses est la même. Les ‘passants’ sont habitués depuis la technicisation sans limite de notre civilisation quotidienne à avoir une réponse immédiate à toute difficulté, mais ils souffrent des mêmes maux.

De plus, en psychiatrie, cette notion d’urgence est bien à sa place, là, car la dimension ‘psy’ fait peur, elle inquiète, personne ne peut ‘prévoir’ son évolution, il est justifié dès lors qu’elle existe de ne pas accepter de délai. Simplement notre réponse de psy sera de ‘subvertir’ ce qu’il y a de faux dans l’urgence à l’égard de la psychiatrie : c'est-à-dire que nous ne donnerons pas de solution toute faite, car cela n’existe pas. La vie psychique est trop complexe pour cela. Par contre nous nous engagerons sans délai pour établir les « conditions de la rencontre », comme nous venons de l’évoquer, et ainsi nous serons à même d’élaborer la réponse adaptée aux souffrances existantes et aux questions que pose cette personne. Point besoin d’hôpital et de plateau technique pour cela. Si ces deux outils se montrent pertinents nous y aurons recours au bon moment, et après avoir fait connaissance avec la personne qui est là. Proposer d’emblée pour une question que l’entourage, voire le généraliste, pense être d’ordre ’psy’, les urgences de l’hôpital général c’est certes provoquer l’asphyxie de ces urgences, mais surtout pour la personne c’est une fois sur 4 à 10, lui donner une orientation qui sera soit perte de temps et angoisse supplémentaire (c’est un comble pour la psychiatrie), soit aggravation des troubles, car donner un mauvais traitement, comme infliger un envoi aux urgences, c’est un traumatisme supplémentaire. En terme ‘pro’ c’est de la iatrogénie pure et dure.

 

Il y a 50 ans il fallait être visionnaire, car à cette époque l’outil hospitalier paraissait souvent indispensable, et du coup on rêvait d’installer toutes les équipes de secteur à l’hôpital général. On sait que ce fut une redoutable erreur, (certains aujourd’hui encore, suivez mon regard veulent toujours la commettre, hélas) car l’appui le plus important pour permettre à une personne qui s’engage dans les troubles psychiques, ce n’est pas le lit (rarement thérapeutique), ni l’asepsie et le silence de l’hôpital général, ce sont des liens humains, vivants, et familiers. On ne peut être que profondément agacés par le déploiement de toute la panoplie de contrôles que l’administration lance actuellement sur toute la psychiatrie en la traitant de la même façon qu’un service de cardiologie. Alors que toute l’intelligence des soignants devrait être mobilisée par la recherche de la connaissance des liens de la personne avec les différentes personnes de sa constellation relationnelle. Elle devrait avec prudence et intérêt (loin des salles d’urgence) étudier avec la personne et son entourage les différents investissements qui lient cette personne avec tout son environnement. Vous constatez que le mot réseau n’est pas utile ici, au contraire il nous ferait croire qu’il suffit de ‘mettre le courant’ dans le réseau pour qu’il fonctionne. C’est faux il n’y a jamais de jus dans cet appareil ! Le terme de ‘système’ emprunté à la thérapie familiale est beaucoup plus pertinent, car chacun d’entre nous à chaque moment de sa vie établit un équilibre ‘précaire’ (heureusement) avec un certain nombre de personnes et avec un certain nombre d’investissements. Il est essentiel d’aller alors à la recherche de ce système, de son équilibre, toujours différent, pour se mettre dans ‘l’ambiance’ de ce que vit la personne. Ceci nous rendrait tellement plus prudent pour toutes nos décisions thérapeutiques (je ne parle pas de l’hospitalisation qui pour une personne en état de vie psychique précaire, vient tout lui casser, sans bruit, mais avec une redoutable efficacité ; ceci va en quelques jours « désinsérer » pour longtemps quelqu’un dont les liens s’étaient effilochés depuis plusieurs années, son entourage n’attend que cela pour briser les ponts ; alors après  comment ‘réhabiter’ son espace ? Qui d’entre nous a essayé de le faire pour lui-même ?).

 

Allons, soyons plus détendus ! Du coup je n’hésite pas, maintenant, à vous faire partager mes joies naïves (joies naïves ? ne pas se prendre au sérieux ? Pourtant par ces temps électoraux il faut avoir le cœur solide, et savoir se forger son idée loin de ces conneries de sondage. Avons-nous, à ce propos, assez mesuré tout ce qu’il y a de pleutre, d’antidémocratique dans ces sondages …, que, bien sûr, je ne vais pas m’empêcher de consulter demain à la première heure, comme beaucoup. Nous sommes là encore dans la ‘consommation’ urgente, certainement pas dans la réflexion sur la Cité que nous voulons habiter ensemble).

Mes joies ‘naïves’ (c'est-à-dire, m’a appris ma patronne, Hélène Chaigneau « à l’état naissant », ce qui veut dire ‘qui commence’ et qui pour autant est ‘pas forcément con’).

Des joies émergentes ? c’est moins joli, mais c’est un terme intéressant.

Je vous ai déjà fait part dans ma dernière lettre, avant les œufs de Pâques de ma joie à lire cette thèse de Claire Le Roy Hatala sur le handicap psychique. Ça m’a donné un punch ! Vous ne pouvez pas savoir ! Enfin ! nous pourrions en finir avec cette gue-guerre, un peu con, ‘des psy contre le social’. Le handicap psychique nous a échappé à nous les psys, c’est le champ social et les sociologues qui y travaillent maintenant, et avec intelligence. Leur premier boulot est de tenter de comprendre ce qui se passe en psychiatrie. Ça c’est autre chose. Vous connaissez quelqu’un qui serait capable de faire un état des lieux clairs intelligents et compréhensible de la psychiatrie française ? moi pas. Edouard Zarifian qui, hélas, nous a quittés, oui. Qui d’autres ? Je peux vous dire que les sociologues s’y cassent les dents. Tant pis pour eux ! Ils n’avaient qu’à rester sur leurs terres. Mais quand il s’agit des ‘usagers’, des familles, des philosophes (je pense à Francis Jeanson qui nous a suivi avec tant de passion), pouvons nous répondre aussi cavalièrement ? Par contre ce que je commence à constater avec cette thèse c’est que les acteurs du champ social et les sociologues (ce ne sont pas les mêmes) sont en train d’y voir beaucoup plus clair sur le handicap psychique, alors que nous restons magistralement embrouillés avec notre savoir psychiatrique.

Je vous le dit cette thèse c’est une joie, et cela ne fait que commencer. J’ai commencé à écrire.

 

J’en ai deux autres joies, à votre service :

La première est une joie à venir : je pars avec des amis demain 15 avril à Trieste en Italie auprès de nos amis auteurs du livre sur Franco Basaglia (l’homme, le philosophe, le clinicien, le politique- ce sont mes mots) et qui sont aussi sur place ses successeurs. Comment peut on travailler sur les traces d’un mythe, sur ses terres ? J’ai rêvé, je crois, j’ai pensé que lorsque quelqu’un fait une bouffée d’angoisse, une bouffée délirante, on le voit tous les jours pour lui parler, beaucoup ; on lui donne un ou deux médicaments lui permettant de retrouver le souffle et le sommeil, et on lui demande de nous accompagner à la coopérative voisine, où diverses personnes travaillent à des projets communs, avec des objectifs variés…

Tout cela se passe en ville ou près de chez soi…

Je rêve. Je vous dirai la suite, même si je crains être un piètre journaliste.

 

L’autre joie : je commence à vous en parler un peu aujourd’hui, mais au moins celle là vous pouvez vous la payer demain si cela vous plait, puisque c’est un livre.

C’est une belle et courte lecture, (98 pages) un petit bijou de clinique, de celle qu’on aime déguster, et qui sont trop rares.

De plus nous voilà en continuité directe avec tout notre propos, avec mes réflexions sur l’accueil, avec un sujet que je n’ai pas encore abordé avec vous, celui de la vieillesse :

« Un avenir pour la vieillesse. ‘Pratiques cliniques contemporaines en psychiatrie de l’adulte et de l’âge avancé’ » (tous les mots sont justes et bien pesés), par Panteleimon Giannakopoulos et Florence Quartier, chez Doin, dans la collection dirigée par S. D. Kipman.

Florence Quartier, psychiatre, psychanalyste, n’est pas pour l’équipe de Bondy une inconnue. Nous l’avons rencontrée en 1986 lorsque nous venions de discuter avec A Andréoli dont elle était la collaboratrice. Je venais d’être conquis par l’hypothèse clinique du travail de crise et elle en étayait la réflexion clinique. Florence a aussi collaboré au livre remarquable écrit en 1991 sous la direction de René Diatkine « Psychose et changement », PUF, qui déroule une stratégie remarquable envers les malades difficiles qui bouleversent toute équipe de secteur, et en outre contient le seul article solide sur le travail de crise. Plus récemment, entre autres, elle nous a apporté une lecture fine de la clinique de l’entretien « Freud clinicien, pratiques cliniques contemporaines en psychiatrie et en médecine », Doin, 2004.

Avec ce nouveau livre nous entrons de plein pied dans une réflexion dont l’ouverture et la clarté sont les qualités de base, et qui porte sur la disposition d’esprit nécessaire pour rencontrer et soigner une personne qui ‘avance dans l’âge’, comme pour tout autre patient.

Le premier constat que je fais c’est que nous voyons se dérouler dans ces lignes un réel approfondissement d’une pratique clinique soigneusement étudiée pour les personnes âgées, et pourtant en même temps sa richesse et son intelligence est de ne pas en faire une ‘spécialisation’ (ça va en ‘décoiffer’ plus d’un dans le landernau de la notabilité, tant la spécialisation est le démon qui est en train de détruire la psychiatrie de secteur), ni un faire valoir, car nos deux auteurs nous montrent que pour faire cette approche il est indispensable de rester solide, à la fois sur la psychiatrie de l’enfant, de l’adolescent, de l’adulte, qu’il est indispensable d’être conscient de l’évolution des idées qui ont permis à nos aînés de construire la psychiatrie, donc d’avoir recours aux enseignements de l’histoire de la psychiatrie, et d’en saisir les forces et les faiblesses…et puis loin de tout cela de mener à bien un entretien avec une personne âgée, de tous âges, de 40 à 86 ans, pour subtilement choisir les fils que l’on va dénouer avec elle, sans avoir peur de la biologie, ni du cognitivisme, mais en s’en détachant vite pour avancer dans le travail psychique à commencer et poursuivre…

Pure psychiatrie de la personne âgée, mais sans la sacraliser, sans en faire une spécialité.

Pure psychiatrie de secteur !

Pur travail d’accueil !

(mais sans le clamer sur les toits)

Avec la modestie des grands cliniciens !

Du coup je me suis arrêté dans mon désir de vous raconter un peu plus du travail remarquable qu’est le travail d’accueil et de crise comme préalable au soin psychiatrique, et comme pilier de la continuité des soins

Car je ne cesserai de le répéter ce travail d’accueil et de crise est une vraie joie en psychiatrie.

 

Je vous en reparlerai donc, dans une prochaine lettre, avant de vous quitter, mais je suis ravi d’avoir fait un détour par la v…, je veux dire l’avancement en âge.

Tout ceci n’est pas loin de Lucien Bonnafé. Quand il parlait d’un patient, ce qu’il disait était de cette eau là. Une clinique de la psychiatrie ‘générale’, ou généraliste.

 

                                                                                              Guy Baillon


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