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LA CHRONIQUE du LUNDI

Guy Baillon





Docteur Guy Baillon, Psychiatre des Hôpitaux

CHRONIQUE DU PASSAGE ENTRE LA PSYCHIATRIE D’HIER ET LA PSYCHIATRIE DE DEMAIN - (novembre 2006 à Avril 2007).

Entre Lucien Bonnafé et les jeunes de demain, déjà au travail aujourd’hui.

‘21ème ‘chronique du lundi’. Lundi 26 mars 2007.  Une révolution ?

Certes bien modeste, puisque elle serait le fait de 300 réalisations en cours, avec chacune 40 à 80 personnes, face aux 1120 équipes de secteur, et au regard des 65 millions que nous sommes ! Alors ! En réalité c’est bien une révolution dans le champ de la Santé Mentale, un nouveau ‘paradigme’, reprenait mon ami Dimitri Karavoyros depuis ses Hautes Alpes. Mais aura-t-elle un quelconque retentissement de l’autre côté, sinon de la planète, au moins dans le champ de la psychiatrie, c’est une autre affaire, cela dépend de la façon dont elle est lue et dont elle est reçue.

Je reparle donc ici des GEM puisque dans la lettre précédente je vous rapportais la réaction de l’universitaire de Marseille qui venait d’entendre certains de leurs acteurs se présenter.

Je vais m’expliquer sur le contenu de cette révolution, ce nouveau paradigme.

En effet depuis le mois de janvier j’ai eu la chance de participer à trois rencontres de GEM dans trois régions différentes organisées par des familles, des soignants et des usagers.

Ces groupes d’entraide mutuelle, nés de la circulaire d’août 2005 en application de la loi du 11-2-2005 sur l’égalité des chances, se sont créés dans toute la France avec le soutien des trois grandes fédérations : la FNAPpsy, l’UNAFAM, la fédération des associations de Croix Marine. Le nombre de 300 serait peut être atteint. Chaque groupe est ‘abrité’ par une association 1901 qui, étant porteur du projet, reçoit la subvention permettant de recruter deux postes d’animateurs ; cette association a ainsi la possibilité de créer un GEM, celui-ci rassemble des usagers cherchant à partager leurs soucis et leurs désirs pour rompre leur isolement et créer des liens d’entraide ; le texte de la circulaire est simple et clair : chaque GEM est centré sur un groupe d’usagers qui peut s’appuyer sur des personnes extérieures, familles, soignants, acteurs sociaux divers en continuité avec le reste du champ de la Santé Mentale, sans qu’aucun lien avec une autre structure que l’association porteuse du projet ne soit obligatoire. Chaque GEM assure sa gestion lui-même ou la confie à l’association qui l’a créé. Il s’agit donc d’une structure d’une extrême souplesse. Le ministère est en train de créer une cellule de suivi avec l’appui des trois fédérations pour veiller à la pérennité de cette souplesse et à son accessibilité facile sur le terrain.

Les membres des trois fédérations qui ont participé à l’élaboration de la circulaire sont évidemment très attentifs à son évolution, et en particulier la FNAPpsy, puisque l’objectif est que le « moteur » de chaque groupe soit un collectif d’usagers de la santé mentale ; on comprend qu’en même temps les membres des deux autres fédérations aient le souci que ce projet ne soit pas dévoyé.

Mais on observe vite quelques dérives :

Ici on voit telle association de familles décider unilatéralement de convoquer les animateurs des GEM créés sous son nom afin de les former, car à leur avis il faut ‘occuper’ les malades et les ‘protéger’. Mais occuper et protéger ne sont pas les objectifs des GEM, et il n’est pas du tout évident qu’il faille ‘théoriquement’ former les animateurs.

La seule chose nécessaire est que ces animateurs soient intéressés et attentifs aux personnes présentant une souffrance psychique, mais ils n’ont aucune responsabilité thérapeutique.

On voit là un médecin chef de service ayant le même point de vue que les familles ; il précise qu’il a déjà ouvert deux GEM et bientôt un 3ème, fier que le premier comprenne 155 usagers ! expliquant comment il ‘envoie’ les malades de ses consultations ou de son hôpital au GEM ! et comment il faut là leur donner les seules responsabilités qu’ils sont capables de remplir ; il pense qu’on ne doit se faire aucune illusion sur ces capacités ! et il défend sa position par le fait que en raison de son introduction dans les milieux officiels à l’hôpital, et à la Région, il peut obtenir des subventions supplémentaires qui vont assurer la survie des GEM (lesquels on le sait, ajoute t il, ne peuvent vivre avec une subvention assurant seulement deux salaires d’animateurs et ne donnant aucun subside pour le loyer et pour le fonctionnement). Et voilà comment des soignants oublient le but fondamental des GEM, l’entraide mutuelle, et comment ils l’ont déjà totalement transformé en l’un des espaces de soin de leur secteur !

En fait familles et soignants qui ont pourtant été passionnés par l’arrivée de ce projet se montrent incapables de résister à ne pas vouloir ‘protéger’ les usagers (qui ne sont pas là des malades) et à ne pas vouloir continuer à les soigner ?

De quoi ont-ils peur ?

Que ces personnes qui souffrent encore malgré leurs soins, et malgré leurs appuis relationnels, ne soient pas assez intelligents et assez sensibles pour mener à bien un ‘projet social’ à leur guise.

Pour toutes ces raisons je voudrais ici simplement témoigner de ce que j’ai vu lors de rencontres entre acteurs de GEM et accompagnateurs divers, c'est-à-dire aussi bien avec des membres des équipes soignantes, que des familles.

J’ai participé à plusieurs rencontres où étaient présents les membres d’une dizaine de GEM : 9 à Nancy en janvier, 10 près de St Nazaire en mars, plusieurs autres entre temps à Lille, Paris et Marseille.

Et à chaque fois je suis plus surpris de constater ce qui se passe : lors de chaque réunion (entre 40 et 60 personnes) les soignants et les familles commencent les présentations, et très vite les membres des GEM prennent eux-mêmes la parole, qu’ils soient présidents, ou simples adhérents, ils témoignent de ce qu’ils vivent.

Les échanges se poursuivent et les positions des uns et des autres évoluent de façon inattendue.

J’ai été frappé par les ‘attitudes’ assez inhabituelles à mes yeux, de chacun de ces trois groupes d’acteurs (tous GEM confondus) :

-les professionnels se montrent très ‘attentifs’ à la présence et à la participation des deux autres acteurs tout en privilégiant les usagers (persiste en effet chez eux une certaine réticence à l’égard des familles, mais souvent dans un souci d’équilibrer le débat quand l’usager ne se montre pas assez solide). Les ‘professionnels’ font preuve d’une grande ‘adresse’, montrant aux usagers qu’ils font lien, soit avec leur propos antérieurs, soit avec les autres usagers ; ceci a pour conséquence de valoriser le propos de chacun, sans le sacraliser, en lui donnant une place concrète dans la construction d’un débat, dans la discussion d’un projet ; ce n’est pas simplement le respect de la parole comme donnée abstraite, mais comme élément concret contribuant au débat en cours : il y a à la fois du respect, de l’intérêt, un recours stimulant à l’humour, un accueil de l’émotion et de la sensibilité, une capacité conservée d’étonnement, une volonté de ‘co-construire’, mais aussi une fermeté maintenue sur les limites à respecter pour que chacun ait sa place. Et pourtant ils ne jouent pas là un rôle de soignants.

J’ai envie de dire que j’ai rarement vu des soignants aussi compétents et heureux de l’être : avec un ‘savoir-faire’ étonnant, par exemple dans l’économie du temps dans les débats : sans ‘laisser le temps filer n’importe comment’, on sait que c’est là l’expression la plus subtile de la dérision (‘cause toujours…’), tout en étant à même de ‘prendre le temps’ nécessaire pour que chaque effort d’expression aboutisse.

Je pense que cette compétence est due au fait que plusieurs facteurs sont présents ensemble : -la présence concrète et mélangée de diverses familles, -la présence d’autres acteurs que les usagers et les familles, où se mélangent professionnels non connus, acteurs divers de la société civile ; -du coup les professionnels sont libérés de beaucoup de leurs contraintes habituelles et se font plaisir d’une façon qui met en avant le respect de l’autre, « chacun est sous le regard de l’autre, des autres, et se sent plus fort », sans qu’ils aient le désir de « paraître » bon soignant ; en même temps sans souci de ‘perfection’ : les dérapages sont en effet constants, mais rattrapés en toute simplicité…, par eux, mais aussi par les autres.

Les familles qui au départ, dans un GEM construit par elles seules, sont prises dans le piège de vouloir tout contrôler, se sentent au départ déconcertées dans cette nouvelle ambiance générale ; mais progressivement elles constatent que les attitudes des professionnels comme celles des usagers évoluent positivement au delà de leurs espérances et de ce qu’elles avaient imaginé ; elles qui ont si souvent été éconduites quand elles cherchaient à voir un psychiatre pour confier leurs angoisses, pour comprendre, et pour avoir des ‘recettes’ pour les aider dans leur comportement quotidien, (où elles sont totalement désemparées) voient devant elles des soignants interagir avec respect, intelligence et audace avec des usagers, et constatent que les échanges sont cohérents, constructifs. Elles commencent à accepter que les usagers puissent se montrer vraiment autonomes. Du coup d’une part elles se sentent moins angoissées, elles se sentent plus libres, elles ont moins besoin de contrôler ; d’autre part elles peuvent à leur tour montrer leurs compétences dans les solutions à élaborer pour les faits de la vie quotidienne à partager, là où leur expérience est forte.

Les usagers de leur côté, s’affirment, sont moins timides, ne se sentent plus contrôlés, ni persécutés. Ils interagissent entre eux, et acceptent mieux la participation soit des familles, soit des soignants. Et alors on découvre toujours, ce qui n’est jamais sensible dans un espace de soin, ni dans une famille, que leur désir d’entraide entre eux est fort et même prioritaire (ce que les familles et les soignants ont tendance habituellement à occulter, ou minimiser). On perçoit que cela passe certainement par un sentiment vécu avec acuité de la souffrance psychique, comme s’il leur était plus facile de reconnaître les troubles des autres et les aides dont ceux ci ont besoin, dans la mesure où justement il leur est très difficile de le reconnaître pour eux-mêmes. Il y a tout un travail d’identification qui s’opère et qui de façon étonnante se prolonge, même en absence de l’un ou de l’autre.

 

Et après tout cela, l’évidence est que toutes ces attitudes continuent à évoluer, et à entrainer des changements supplémentaires chez chacun ; l’interactivité est là constante. Certes on a aussi la perception que c’est fragile, cad. concrètement, que des ‘habitudes’ peuvent se construire tout de suite, étouffant la spontanéité, ce qu’on voit si facilement se produire dans tous les milieux, en famille, comme dans un lieu de soin ou dans une structure sociale. Mais on perçoit le plaisir pris par les uns et par les autres dans ce type d’échanges, et comment chacun apprend des autres, et a le désir de s’approprier ce qui lui est apporté et qu’il découvre.

 

Mais surtout ce qui apparaît avec la plus grande évidence c’est que, dans ces rencontres locales rassemblant 10 à 20 GEM géographiquement proches, d’une part les dangers que l’on peut craindre sont mis en évidence, du coup pointés par le public présent, et ‘mis au piquet’ sans violence, c’est à dire avec la simplicité de l’évidence, et surtout la qualité espérée dans le fonctionnement des GEM, se développe d’elle-même, « l’entraide », en effet :

-ainsi les désirs de protection, de maitrise, qui se développent si souvent spontanément, chez les soignants comme avec les familles, paraissent vite incongrus devant le récit de tel GEM, devant la réaction immédiate ou différée de tel usager, autant que la volonté de pérenniser à tout prix, ou de vouloir être parfait tout de suite, ‘avec une bonne grille d’activités occupationnelles’,

-de même les tentatives de prendre la parole ‘à la place’ des usagers (même avec les meilleures intentions) sont inopérantes ici, puisque les usagers prennent eux-mêmes la parole, plus concrètement que leurs partenaires, et avec la force de l’évidence,

-les propositions les plus intelligentes et les plus adroites venant de soignants et de familles pour que le ‘temps soit bien occupé’ dans un GEM, sont vite relativisées par l’expression de désirs plus simples, plus immédiats des usagers.

C’est ensuite que la confrontation soutenue entre les différents acteurs familles, soignants, usagers va apparaître comme très ‘complémentaire’ ; les usagers demandant d’eux-mêmes aux soignants et aux familles en désarroi de les stimuler sur telle question, de les soutenir dans telle entreprise, de débattre de tel projet.

Là alors les familles comme les soignants se rendent compte que si chacun acepte de prendre des risques, de prendre du temps, la complémentarité des uns et des autres va être reconnue et se mettre en place d’elle-même sous l’effet de la confiance mutuelle, après l’émergence première de l’entraide mutuelle.

En effet la dimension d’entraide prend là toute son ampleur, en interne entre adhérents, comme en externe entre GEM. Elle parait clairement comme étant la valeur ‘phare’ des GEM, qui ‘émerge’ toujours fortement et spontanément de ces rencontres intergem (du moins quand ces GEM sont géographiquement proches les uns des autres). Elle est présente dans la mesure où le GEM s’il doit se battre pour être ‘pérenne’ ne survivra que s’il est fragile, vulnérable ! ne subsistant pour chacun que le temps d’un passage, celui qui lui est utile à lui un moment, et ne cherchant pas à devenir l’asile auquel tout homme aspire (mais qui va vite l’étouffer), ne cherchant pas à être cet espace où l’on aime bien s’installer pour y finir sa vie, car celui là est en réalité à construire pour chacun dans le tissu social, à partir, entre autre, de l’expérience accumulée là, dans ce GEM.

 Au total : il semble bien que quel que soit le désir de contrôle d’une fédération, d’une association parrain, dans ces grandes réunions où les GEM sont mélangés, un rapport de force s’établit progressivement en faveur d’une meilleure reconnaissance de l’objet central des GEM : l’émergence des données principales : -des liens d’entraide entre les usagers, -un centrage sur le collectif d’usagers, -et c’est alors que les divers partenaires trouvent leur juste place, non dans la maitrise, car toujours en retrait, mais dans une disponibilité complémentaire.

A partir de ce constat, on peut faire des propositions qui permettraient d’une part de préserver la qualité de ce climat, d’autre part de savoir comment l’évolution générale des acteurs au niveau national des trois fédérations peut favoriser ce mouvement remarquable.

 

Y aurait-il des dangers pour l’avenir des GEM ? Les membres des GEM n’aiment pas les meneurs extérieurs. Chaque GEM trouve son identité et sa force dans le regroupement interne de ses membres et ne supporte pas une main mise extérieure. C’est en cela que les ‘regroupements locaux’ qui se font pour permettre à plusieurs GEM d’échanger leurs expériences apparaissent comme les vrais garants de l’éthique des GEM.

Pour conclure, un bon choix parait là possible sur l’avenir ‘incertain’ des GEM, c’est celui de favoriser les échanges locaux (au début régionaux, et très vite plutôt départemental), puis de favoriser la remontée des ‘réflexions’ jusqu’aux échelons nationaux.

Ce dont les acteurs des GEM ont besoin c’est de contacts directs entre eux, et si possible dans la proximité (un rassemblement national est une épreuve plus qu’une aide, et dès qu’un autre rassemblement dépasse 60 personnes ; il inhibe au lieu de stimuler), on retrouve ici l’atout majeur que constitue la dimension à une échelle humaine de toute rencontre constructive, qu’elle soit fidèle à, ou plutôt consolidée par (et limitée à) l’usage de nos ‘cinq sens’, sans l’aide de ces moyens techniques utiles, mais qui déshumanisent (micro, écrans,…), et ceci pour tout échange, cette force de la proximité, découverte de la psychiatrie de secteur, était déjà évidente pour les familles.

Autour de la parole, l’écoute, le toucher… D’abord la parole. Le lien se construira sur cette parole. La révolution, le nouveau paradigme, c’est la nouvelle place que prend la parole, pas la parole signe d’un trouble, mais la ‘parole’ pleine de sens, celle des personnes qui prennent leur vie en mains.                                                                                            Guy Baillon


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