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LA CHRONIQUE du LUNDI

Guy Baillon





Docteur Guy Baillon, Psychiatre des Hôpitaux

CHRONIQUE DU PASSAGE ENTRE LA PSYCHIATRIE D’HIER ET LA PSYCHIATRIE DE DEMAIN - (novembre 2006 à Avril 2007).

Entre Lucien Bonnafé et les jeunes de demain, déjà au travail aujourd’hui.

20ème  ‘chronique du lundi’. Lundi 19 mars 2007. Voyage en psychiatrie marseillaise.

J’ai l’audace cette fois ci de vouloir vous donner quelques ‘impressions de voyage en psychiatrie de bord de mer’. Marseille resplendit, elle est en pleine ‘remise à neuf’, le parisien est émerveillé, ‘enamouré’, seul le marseillais peut lui montrer que ceci mélange les travaux faits pour mettre en évidence les belles perspectives de la ville et …les déplacements de populations malaisées, refoulées de quartier en quartier, pour cause de précarité humaine et… de belle ville ! Une fois de plus nous faisons le constat que la psychiatrie de service public heureusement peut aider cette population en situation précaire (mais les soins font-ils réponse à toutes ces détresses, alors que les couches les plus aisées se servent de leur tissu relationnel pour consolider l’insertion de ceux des leurs qui ont à faire face aux troubles psychiques ?). Sans le savoir j’allais vivre un modeste et grand moment de psychiatrie.

L’Association qui nous accueillait dans le 3ème art. était ARPSYDEMIO, fondée par des membres de l’équipe de ce secteur Marseillais, des usagers et des familles, cette manifestation était soutenue par diverses associations de la ville d’orientation sociale et culturelle ; et c’était comme chaque année à l’occasion de la semaine d’information sur la santé mentale.

Il était d’abord passionnant de remarquer que cette association et la responsable de ce secteur, le docteur Dolorès Torrès, avaient su provoquer la présence et l’intérêt de personnalités politiques et administratives de la mairie, de la ville, de la région, de la DASS et de la DRASS. De ce fait ces élus ont montré qu’ils étaient non seulement intéressés mais émus, et  acceptaient de s’impliquer dans des actions de santé mentale : cela s’est dit en salle comme dans les couloirs et, chose rare, assez pour que des soutiens concrets soient établis par tous ces partenaires, tenant à s’engager pleinement dans une politique locale de réponses aux besoins de logement des ‘usagers’ de la santé mentale, comme pour soutenir la naissance et le dynamisme des SAVS (service d’accompagnement à la vie sociale) et de GEM (groupe d’entraide mutuelle). Il est vrai que dans la salle comme à la tribune aux côtés des soignants, des élus, et des acteurs sociaux, il y avait des ‘usagers’ et des familles de la santé mentale.

Pendant plus de trois jours diverses questions ont pu être débattues, sur un mode inhabituel.

Le premier jour ce fut autour de l’histoire des hôpitaux psychiatriques de Marseille et de l’architecture psychiatrique en France. Nous avons constaté que si nous disons tous que l’histoire de la psychiatrie commence en 1800 avec Pinel, ils oublient une fois sur trois Pussin (comme l’a fait Michel Foucault lui-même), si bien que l’on n’insiste pas sur les ‘deux’ volets de ce moment : d’abord l’affirmation forte et positive que « la folie complète n’existe pas » et que chaque personne troublée présente à la fois une part folle et une part saine, ce qui a permis de prouver ‘enfin’ que les personnes dites malades ne l’étaient que partiellement et seulement à certains moments de leur vie, ils n’étaient donc pas des êtres ‘à part’ du reste de l’humanité ; mais le second volet a été une catastrophe, et seul le psychiatre Pinel en a été responsable, pas l’infirmier Pussin : sous prétexte d’une bonne intention, celle de trier parmi eux ceux qui étaient sensibles à la découverte thérapeutique du moment (la contention rend fou, l’enlever soulage le malade, soulignons que cette découverte est régulièrement contestée encore en 2007), le psychiatre a commencé à décrire les troubles afin de les ‘classer’ pour mieux s’occuper …des seuls ‘curables’ ! La ségrégation, sous prétexte scientifique, à partir de ce jour là a commencé avec ses conséquences désastreuses, comme l’oubli des gestes et attitudes humaines à garder envers tout malade. La ‘technique’ chaque jour est venue dominer ou remplacer  l’humain, voire le massacrer au gré des divers comportements des acteurs du soin et du social. Quand serons-nous assez nombreux pour nous révolter définitivement sur ce terrain où règnent seuls une majorité de notables scientifiques et la plupart des puissants laboratoires pharmaceutiques (ce fut le combat constant du Professeur Edouard Zarifian qui nous a quittés il y a quelques semaines) ? Quel universitaire aura le courage de reprendre le flambeau de son combat ?… qui a comme conséquence douloureuse, pour un universitaire, de ne plus recevoir de finances d’aucun laboratoire dans sa carrière !

Quand donc l’ensemble des psychiatres mettront ils définitivement toutes les techniques ‘au service de l’homme’  (et non l’inverse), et accepteront ils ainsi de descendre de leur piédestal?

Ce rappel fut suivi d’un débat sur l’architecture psychiatrique en France. J’avais eu la joie, pour en parler, que m’accompagne, Emmanuelle Colboc, l’architecte qui, parmi ses structures psychiatriques et sociales (crèche dans le 20ème, et édifices divers…), a construit en 2000 le centre psychiatrique (hors hôpital) de Bondy (pour les 40 lits de 2 secteurs du 9-3) et en 2006 le centre intrahospitalier de Bichat pour les 165 lits des 3 secteurs du 18ème art. de Paris. Beauté des deux espaces, choix familier des couleurs et matériaux, jeux humains de la lumière et des dimensions, attention portée à une simple circulation des hommes, donnent aux patients un bien-être réel ; par contre les contraintes de la concentration de lits des 3 secteurs de Bichat par des équipes gardant l’hospitalisation comme soin majeur n’a pas le même résultat de fluidité des parisiens visiteurs à l’intérieur du centre de soin et ne lui permet pas d’appuyer les soins sur les ressources des habitants autant que dans le propos de Bondy. Certes on sait que la réponse sociale toujours insuffisante aux besoins sociaux d’hébergement entraine la décompensation de personnes vulnérables et amène les équipes à vouloir renforcer l’hôpital et donc à faire aujourd’hui le chemin inverse de celui proposé par les fondateurs de la psychiatrie de secteur il y a 50 ans, ils pensaient alors limiter l’hospitalisation au minimum.

Les élus de la ville ont, je crois, été émus, de voir que l’on pouvait si aisément mettre des lits de psychiatrie en pleine ville hors hôpital ; mais on sait que les syndicats et les psychiatres (absents à cette rencontre) tiennent d’abord à leur ‘confort’, à leurs habitudes, sans prendre en compte le prix payé par les malades : la ‘désinsertion’ et la stigmatisation que représente toute hospitalisation dans l’un de ces grands hôpitaux. La majorité des soignants n’est pas prête à se battre pour que les lits de psychiatrie soient installés en ville. Seuls les élus peuvent agir ici.

Ainsi, le lendemain, la rencontre proposée avec nos amis italiens de Trieste, Massimo Marsili et Mario Colucci, venait à point nommé pour montrer que nous sommes encore loin (ou définitivement détournés) du projet d’une psychiatrie impliquant tous les acteurs de la ville, et où le soin se développe en concertation constante, hors lieu spécifique, avec les différents acteurs de la ville. En France ce sera quand ? En Italie (et en Angleterre) tous les hôpitaux psychiatriques sont fermés, avec 6 à 10 lits par secteur, implantés dans le tissu de la ville.

Auparavant nous avions été obligés de voir un film à … éviter : ‘Pavillon 22’ ; il nous a fallu suivre le délire d’un jeune cinéaste ; il avait visité par mégarde, dit il, un de ces asiles italiens vides et abandonnés depuis plus de 20 ans ! nous avons dû constater l’expérience délirante à laquelle une telle visite expose toute personne se croyant obligée de produire une œuvre : la voilà tenue d’imaginer comment nait la folie et comment on a pu soigner dans cet espace immense : résultat, un film d’horreur, construit sur ses fantasmes. En fait, si après un moment on retrouve le souffle, on comprend que c’est un ‘film de fantômes’. Et nous avons brusquement perçu que ne pas réhabiter de tels espaces, et ne pas y reconstruire une multiplicité d’activités humaines, et d’activités de la ville ‘à venir’, c’était prendre le risque insoutenable que les fantômes s’y développent de façon prolifique et sans aucun respect pour la société d’alentour. Je lui proposais alors pour nous soulager, de se mettre au plus vite à écrire une suite à l’instar de nos amis écossais au lendemain de la guerre « Fantômes à vendre » ; manifestement il n’avait pas vu ce morceau d’humour, car il a répondu qu’il avait eu déjà beaucoup de mal à faire celui là et que la suite lui paraissait une entreprise trop lourde ! Je repensais au film ‘L’année dernière à Vichy’ et aux lieux de torture abandonnés…

Nos italiens ont commencé ces journées par une enquête montrant que la prévention du suicide était possible si l’on acceptait d’étudier les facteurs de vulnérabilité de chaque population, par exemple la solitude des personnes âgées, et les possibilités d’y remédier, ne serait ce que par des liens téléphoniques. L’isolement est un vrai danger pour tous.

Lors des débats des deux autres jours nos italiens ont eu, en accord avec Dolorès Torrès, le dernier mot dans notre recherche pour comprendre ce qui se passe avec la psychiatrie française, pourquoi est-elle en miettes alors qu’elle est si riche de compétences, d’idées, de résultats ? Pourquoi sommes nous si éparpillés, si sûrs de nous, si persuadés que la crise de notre psychiatrie est de la faute ‘des autres’ ? de qui d’abord ? mais de l’Etat bien sûr puisque c’est lui qui fait que nous n’avons pas assez de psychiatres (alors que, comme l’a rappelé l’anthropologue Anne Lovell, nous sommes sur ce point le pays le plus riche d’Europe -mais la majorité va dans le privé et abandonne le public-) ! Ne serait ce pas  parce que chaque  psychiatre tient à démontrer que les (ou souvent ‘la’) techniques qu’il utilise pour les soins dans son secteur, et plus souvent dans son ‘intersecteur’, (est) sont les meilleures…. Donc nous comprenons que si nous en sommes là (et ce sont les psychiatres qui s’expriment ici, ce ne sont pas les élus, ni les administrations, ni les familles, ni les malades, ni les infirmiers ni les autres membres des équipes), c’est parce que nous nous faisons une haute idée, très haute vraiment, de la qualité de nos recherches, de ses applications, en gros nous admirons et mettons au pinacle la qualité des techniques que nous pratiquons, nous voulons d’abord défendre nos techniques (‘suivez mon regard’ pour évoquer ceux qui parmi nous ont même des attitudes ‘sacralisantes’ envers leurs théories au point de ne pas supporter la moindre remise en cause des concepts ‘sacrés’) si bien que, à notre corps défendant, et au nom d’une vérité supérieure (laquelle ? y a-t-il une vérité définitive en sciences ?), nous défendons envers et contre tout les qualités de la technique que nous avons adoptée ; celle ci prend toute la place, elle prend la place de l’homme, elle prend la place de l’humain, mais ne repose que sur un acte de foi pseudo scientifique : « hélas la technique prend la place de l’éthique », elle prend la place de l’homme, elle déplace notre responsabilité sur un seul acte de foi. Seule cette réflexion sur l’éthique nous permet de revisiter le discours de Bonnafé et de ses proches, replaçant l’homme malade dans sa société, dans sa citoyenneté, au lieu de toujours le réduire à un fonctionnement physiologique, à une imagerie fut elle cérébrale, à une molécule, à un comportement, à une démarche de connaissance intellectuelle ; ne faut il pas replacer l’homme dans son unité, son intégrité, dans ses liens constants et modelables ? N’est ce pas là que se situe clairement notre « responsabilité » de médecin, de psychiatre, de membre d’une équipe, d’interlocuteur direct avec un patient, avec les siens et avec la conflictualité qui est la sienne. Il n’y a pas une différence de ‘domaine’ entre l’homme, sa vie, les siens, sa cité, sa souffrance, ses troubles et la ‘politique’, c'est-à-dire ‘sa place dans la Cité’. Nous sommes sur le même terrain, avec les mêmes acteurs, avec les mêmes données ; la science doit accepter de se soumettre à …l’homme, et ceci du début à la fin, du moment de la recherche, de la découverte, de la tentative d’application de la découverte, à celui de la rencontre d’homme à homme avec le patient et son groupe, jusqu’aux soins, du plus simple au plus complexe.

Ainsi me voici, bien des années après la fin de ma carrière, enfin soulagé : aucun discours scientifique ou théorique ne me fera plus plier l’échine. Rien ne peut se défendre dans le soin s’il n’a constamment cette perspective : « Est ce que ce que je fais, ce que je dis, respecte l’homme dans son intégralité, dans sa dignité ? ». J’ai donc là une vraie, une lourde responsabilité. Mon objectif premier n’est pas d’affirmer que ce que je fais est en accord avec la théorie que j’admire, mais de savoir si je suis en accord avec l’éthique de l’homme.

Comment se fait il que je dise ‘découvrir’ cela, alors que j’ai eu la chance de rencontrer au début de ma carrière un maitre très modeste qui n’a jamais dit autre chose, n’a jamais fait autrement, Hélène Chaigneau ; elle ne faisait jamais une telle déclaration, car elle savait pertinemment que chacun d’entre nous peut faire lui même cette découverte, mais ne saurait y être ‘obligé’. Combien de ‘gourous’ sillonnent notre profession en clamant le contraire : ils proclament qu’il faut croire d’abord à leur message, scientifique, ou théorique. Elle même a côtoyé de grands gourous, ils ne sont jamais arrivés à la soumettre. Je dois avouer que malgré moi ces gourous m’ont impressionné, je croyais qu’il fallait que je découvre le défaut de leur cuirasse, alors que ce qu’il fallait c’est que, m’appuyant sur mon expérience humaine, j’ose modestement mais avec force affirmer la priorité de l’homme, tout en apprenant mon métier.

Je ne reprends pas l’ensemble des débats, mais je préciserai quel en fut le fil conducteur inhabituel, le fil qui a construit « l’ambiance », mot cher à Hélène Chaigneau pour pointer une donnée forte d’un moment de soin : ce fut la présence des patients usagers et des familles. Leur présence a amené chaque orateur et chaque discutant de la salle à une parole authentique, à une exigence de clarté, chacun s’y est soumis ; ce fut comme si cette présence avait la vertu de dissoudre le bois des langues de bois. La participation ardente et lucide de la présidente de la FNAPpsy, Claude Finkelstein au milieu des usagers et aux côtés des familles y a contribué. Les familles ont pu exprimer une fois de plus leur douleur à ne pouvoir être reçues simplement par les psychiatres pour parler de leur désarroi, de leur désir vain de connaissance des troubles de leur enfant, de la violence de diagnostics assénés sans aucune explication, l’excuse quand elle était donnée par les psychiatres étant le ‘manque de temps’ ; les voilà sans cesse alors obligées d’étouffer leurs souffrances. Comment se fait il donc que les psychiatres d’enfants ne transmettent pas à leurs collègues d’adultes qu’aucun soin ne tient auprès d’un enfant si un travail n’est pas fait auprès de la famille ? En réalité les psychiatres sont en rivalité avec les familles. Comment guérir les psychiatres de cette jalousie, cachée ?

Il y eut trois moments forts au long de ces journées :

Le premier a été de souligner qu’il ne devrait pas y avoir un seul colloque sur la psychiatrie qui ne parle du corps des malades, quand on sait que chaque malade psychiatrique voit son espérance de vie diminuée de dix ans par rapport à la durée de vie moyenne des autres personnes en raison de la fréquence de maladies somatiques associées ! Cela pose bien des questions ! auxquelles notre ami de Ville-Evrard Djéa Saravane interniste a montré depuis 15 ans que nous avions la possibilité de répondre par des actes très ‘simples’ non couteux, que peut faire un médecin généraliste, membre quotidien de chaque équipe de secteur, face à la grande fréquence des risques cardio-respiratoires, aggravés par les neuroleptiques modernes !

Le second point fort fut la séance consacrée à la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, en particulier avec le réseau mis en place autour de la périnatalité et la qualité de la prévention qu’il permet. Non sans avoir mis en évidence le danger de tout réseau, qui est celui de ‘déresponsabiliser’ chaque acteur, il a été évident que le soin et la prévention ne se limitent jamais à une seule génération, mais touchent simultanément plusieurs générations, deux ou trois, c’est évident pour les nouveaux nés comme pour les enfants. C’est toujours caché chez les adultes. L’implication de la famille s’impose alors qu’elle est le plus souvent écartée chez les adultes par les psychiatres. Un trouble psychique survenant chez une personne implique les membres de sa famille, il est indispensable que les soignants soient réceptifs. Evident, n’est ce pas !  (Voici notre réponse à la violente ‘evidence based medecine’ américaine).

Le troisième, le moment le plus fort, fut la présentation par des usagers eux-mêmes, du fonctionnement de plusieurs GEM, groupes d’entraide mutuelle, de Marseille et de St Nazaire, nés depuis un à deux ans : avec d’autres GEM présents dans la salle, les usagers ont exprimé la capacité d’aide et de plaisir trouvée dans ces moments, dans des espaces tout simples, hors lieux de soin, en ville ; comment ils s’y ‘reconstruisaient’, comment ils y pensaient leurs ‘blessures’, comment ils mettaient fin à leur ‘honte d’être malades’, comment ils prenaient du ‘plaisir’ à se voir ensemble ‘autrement’. Les mots étaient forts, parce que tout simples, mais surtout l’authenticité du propos de ces usagers résidait dans le ton calme, mesuré, sans emphase aucune, l’émotion aussi bien sûr, mais tenue. Je n’en dirai pas plus ici, me réservant pour une autre ‘lettre’. Mais c’était comme si nous observions le résultat espéré des efforts conjugués faits pour faire face aux troubles psychiques : nous comprenions avec force que la guérison était possible, que le plaisir était possible, mais hors lieux de soins et hors lieux d’aide sociale, comme s’il fallait des ‘espaces autres’ pour que les usagers ‘vivent’ les bénéfices qu’ils peuvent tirer de toutes leurs expériences thérapeutiques et sociales antérieures. Pour aucun auditeur ceci survenait ‘à la place’ des soins, c’était ‘complémentaire’. Je rapporterai seulement le commentaire conclusif de l’universitaire qui présidait la séance, le professeur Naudin de Marseille :  « Je pense que nous comprenons tous ici aujourd’hui que nous sommes en train d’assister à une nouvelle révolution en psychiatrie après l’apparition des médicaments, après la définition de la psychiatrie de secteur, avec l’expérience de ces GEM, groupes d’entraide mutuelle, rapportée par les intéressés eux-mêmes. Nous constatons que la parole des usagers entre eux a un pouvoir de transformation supplémentaire de leur vie psychique, et que la psychiatrie moderne va avoir à compter avec cela. C’est une ère nouvelle qui s’ouvre avec de nouveaux horizons. Il appartient aux soignants et aux familles de soutenir cette évolution, de les accompagner quand c’est nécessaire ; nous avons vu que c’était possible, continuons à être attentifs et disponibles ».

Il ne reste plus qu’à remercier avec joie les organisateurs, membres de cette Association, Dolorès Torrès, Laurence Kurdjian, Nicole, Pierre, Maité et tous les autres...     


Guy Baillon

PS : Il semble que ce soit là la seule manifestation de ce type à Marseille. Les autres rencontres marseillaises se déroulent à pas feutrés entre professionnels seuls, donc dans des dérives de professionnels (savez vous quelle est la maladie professionnelle la plus fréquente et la plus grave, car la plus longue, chez les psychiatres ? La dérive narcissique. Le gonflement du ‘moi’ solitaire). Pourquoi la majorité des responsables des équipes de Marseille (et de tant d’autres villes) ne développent ils pas sur leur terrain la même dynamique ? J’ai ma petite explication : c’est parce qu’ils se laissent trop envahir par les techniques, même les ‘techniques psychanalytiques’ qui les gonfle, et qu’ils n’ont toujours pas entendu les paroles de Lucien Bonnafé allant sur la place publique (donc hors les murs des hôpitaux et des CMP) pour demander aux citoyens « Qu’y a-t-il pour votre service ? » ; simultanément il affirmait, avec Roger Gentis, que la psychiatrie ne peut être faite que « par tous », c'est-à-dire par tous les acteurs de la Cité, élus et citoyens (pas par les professionnels seuls). Certes il y a dans nombre d’autres villes des expériences du même tonneau, c’est pour cette raison qu’il n’est pas juste de pleurer sur la psychiatrie française aujourd’hui. Il est vrai que les moments forts soulignés ici sont encore trop exceptionnels, mais je suis sûr qu’ils vont se multiplier, car ce n’est pas une révolution locale qu’a annoncé le professeur Naudin, elle est reconnue là, mais comme toute révolution elle a commencé déjà ailleurs aussi, et va se poursuivre partout.

En même temps nous apprenons qu’il y a une opportunité forte, puisque les journées annuelles de la Fédération des Croix Marine vont se développer à Marseille en septembre en 2008 à la demande de son président Bernard Durand s’appuyant en particulier sur Dolorès Torrès, son association et tous ceux de la région qui vont les rejoindre : le thème se situera autour de la ‘liberté’, si sévèrement bafouée par notre société moderne, et particulièrement en psychiatrie (où persiste avec tant de violence la volonté de confirmer ou aggraver les hospitalisations et soins ‘sous contrainte’). Les usagers participeront aux débats. ‘Pour une santé mentale faite par tous’. A chacun de les rejoindre dès maintenant pour s’y préparer.

Ceci m’amène à rapporter qu’un quatrième point fort des débats a été de souligner que la violence dite des malades était en fait moins fréquente que celle de la population dite normale, et surtout que le point de départ en était le plus souvent la « vulnérabilité » des patients : cette vulnérabilité ne laisse personne dans une situation stable, en effet cette vulnérabilité provoque constamment la violence de l’autre, dit normal. La lutte contre la stigmatisation commence dans ce travail pédagogique de base, comme une instruction civique sur la nature humaine de tout citoyen, de tout être vivant : comment résister à la vulnérabilité des autres, de l’autre, de tout être vivant ? Vaste programme pédagogique qui nous attend et qui inclut le respect de la nature auquel nous invite l’écologie. Réflexion philosophique aussi. Ainsi sans le savoir, nous avons vécu à Marseille, modestement, la 1ère  page d’une révolution. Merci.


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