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LA CHRONIQUE du LUNDI

Guy Baillon





2ème lettre hebdomadaire- 13 novembre 2006.

La médiation par les activités en psychiatrie.



PS. Auparavant, une remarque sur le barbarisme ‘intra-extra’ qui court encore dans les rues. Le mot de la fin ce serait…, Non, il ne saurait y avoir de mot de la fin.

C
’est une bonne occasion en cette 2ème lettre de souligner que la psychiatrie de secteur est une démarche, un processus, et qu’il ne saurait y avoir une étape finale, une réalisation aboutie. L’idée d’un au-delà de ‘intra-extra’, terme qui n’aurait jamais dû voir le jour, serait qu’il soit remplacé par la notion de « réflexion d’équipe ». Le barbarisme ‘intra-extra’ a la bêtise de faire croire qu’il serait une étape dans l’évolution de la psychiatrie de secteur, il n’en est rien. C’est un cul de sac où des acteurs se sont ‘plantés’ ! Il vient de cette fâcheuse tendance des psychiatres à établir des catégories : aigu – chronique, curable – incurable, soignables – incasables (ce qu’on entend en ce moment ici et là). Au contraire le processus de la psychiatrie de secteur est une invitation à la continuité d’une élaboration permettant d’examiner sans cesse les nouvelles situations que l’équipe de secteur rencontre ; et c’est « la réflexion d’équipe » analysant cette situation, qui permet d’en comprendre toutes les facettes, ce qui est stimulant et passionnant : évolution des patients, évolution des troubles et des pathologies, évolution des structures de soin, évolution des institutions civiques dans les communes ou les quartiers du secteur… Nous aurons l’occasion de revenir sur ces notions dans les semaines à venir. (Ainsi connaissons nous précisément notre secteur, chacun ? les hommes, leur histoire, leurs constructions dans la cité ? Sinon, ça sert à quoi le secteur ?)

 

Aujourd'hui reprenons ce terme fort de « médiation ». Bonnafé et Mignot, entre autres, avant 1970, en parlaient beaucoup. Notre interrogation s’impose à la suite du beau travail réalisé par la revue ‘Santé Mentale’, dans son dernier n°111 d’octobre 2006. Il foisonne d’idées et nous permet de prendre position. Bonnafé et Mignot (qui avaient ouvert ensemble le dispensaire de la rue du Figuier près de la Seine au centre de Paris, et l’hôpital de jour de la rue du Pont au chou), soutenaient l’intérêt de ce terme pour expliquer comment s’y prendre dans la rencontre avec les patients réticents, ou n’ayant pas envie de parler, ou simplement mal à l’aise car peu habitués à parler de leur vie quotidienne. Il est inutile là, d’insister pour tenter de garder une amorce de dialogue qui tourne vite au monologue et aux propos abstraits. Pour établir un lien avec les patients, il faut partir des choses les plus simples de la vie quotidienne, dans lesquelles le patient se sent ‘chez lui’. C’est en tentant de trouver des réponses à cette question, qu’au début de ma carrière, je ne sais plus comment, via Hélène Chaigneau, chez qui j’étais praticien hospitalier, je me suis trouvé en contact avec le tourbillon foisonnant des animateurs des CEMEA. J’y ai d’abord fait l’expérience des ‘groupes’ au cours de stages passionnants. Des rencontres près de Paris de 20 à 50 personnes de professions différentes, infirmiers, médecins, ergothérapeutes, psycho, venant de différentes équipes, tous au départ accablés par les conditions de vie effarantes des patients dans les services hospitaliers. Le simple échange sur ces situations nous permettait de partager nos réactions, nos volontés de les surmonter, notre intérêt à écouter les initiatives de certains. Mais déjà l’expérience princeps  était très clairement l’enthousiasme qui émergeait de ce travail de groupe. C’était inattendu, nous arrivions accablés, et le seul fait de décrire le contexte de notre travail nous permettait de retrouver du souffle, de comprendre que nous étions sur le terrain en train de vivre des moments identiques, difficiles, mais pas insurmontables si nous acceptions d’avoir recours à notre imagination. Les concentrations de dizaines de malades ensemble pouvaient être dépassées si nous savions avoir recours à des activités que nous mettions à leur disposition. Donc nous faisions une double découverte : la constitution de petits groupes était primordiale, elle donne l’occasion d’échanges et de distribution de fonctions et de rôles, donc de liens ; l’intérêt que l’on portait à mettre en place une activité précise autour d’objets à confectionner, autour de matériaux simples, papier, crayon, couleurs… éveillant l’intérêt des patients. Certes dans la majorité des services hospitaliers il y avait des ateliers d’ergothérapie. Nous avions constaté que dans beaucoup d’entre eux c’était l’usine, ou une suite de gestes stéréotypés qui ne débouchaient sur rien d’autre que des assemblages à la chaîne sans perspective. Le ‘travail’ avait paru un sauveur pour des générations de psychiatres précédents, mais la plupart du temps tombant dans une routine abrutissante ; la pauvreté de beaucoup de services hospitaliers (de 200 à 600 patients d’un même sexe) faisait qu’aller aux ateliers était une mesure de faveur pour un dixième à un quart des patients ; les autres restaient désoeuvrés dans les grandes salles et dans les cours ; certains bénéficiaient d’un entretien, mais un interne pour 100 patients et un Médecin assistant à mi temps pour 2 à 300 ne permettaient pas un suivi qui ait beaucoup de sens… Ah, mon intention, ici, n’est pas de rappeler l’histoire. C’est pourtant une occasion pour refuser ces images d’Epinal que l’on entend encore sur les bienfaits de l’hospitalisation, hier, c'est-à-dire il y a moins de 40 ans ! La double découverte faite avec les CEMEA reste d’actualité : -la force que représente ‘le groupe’, mais un groupe à dimension humaine de 6 à 15 pour redonner à chacun une possibilité de nouer des relations et de se construire,-et l’autre découverte la médiation de la relation et de l’échange grâce à une activité. Le point de vérité étant autour du plaisir et de l’intérêt partagé dans la découverte d’une activité, et le plaisir pris à apprécier notre propre capacité à réaliser un objet, à maîtriser un matériau ; mais aussi l’intérêt à partager une activité quotidienne.

Certes aujourd’hui le contexte des soins est totalement différent, encore que, parfois… Le temps de séjour hospitalier est très court et ne permet pas aux soignants d’arriver à impliquer les patients dans l’intérêt porté aux échanges autour de la vie quotidienne pendant une hospitalisation : repas, ménage, activités. L’essentiel de ces ‘médiations’ s’est déplacé vers l’hôpital de jour, les CATTP : cependant les points de repère restent les mêmes : la notion de groupe comme lieu de découverte de l’apport des échanges et le lien avec la vie de ce groupe comme élément de réalité d’un côté, de l’autre la recherche d’une activité suffisamment proche de la personne pour ne pas tomber dans l’artifice, ni la routine, ni l’exploit. La recherche de la créativité est là une expérience forte : il ne s’agit pas d’une réalisation artistique nécessairement ; la créativité au cours de la préparation d’un repas dans un simple hôpital de jour est quelque chose de fabuleux (cependant cette réalité simple n’est pas évidente pour tout le monde quand on voit, comme dans l’ancien presbytère de Bondy, un directeur ignorant venant avec violence effacer cette possibilité, pour ‘rentabiliser’ le cuisinier Timothée, le déplaçant dans la grande ‘chaîne froide’ hospitalière !!! Nous en reparlerons).

Certes à partir de là nous savons que nous pouvons accompagner les patients dans la suite de ces découvertes faites dans des activités qui peuvent devenir de plus en plus modernes, de plus en plus ‘artistiques’… Halte ! il y a là une difficulté, celle de savoir quand nous limitons cette exploration de tant d’activités, et quand nous passons du soin… à des activités qui se situent du côté de l’accompagnement et l’exploration de la vie quotidienne ‘sociale’, cad avec d’autres acteurs que les soignants, par exemple dans le cadre de ces SAVS, ou de ces ESAI que la loi sur l’égalité des chances est en train de promouvoir.

Un grand chantier s’ouvre là sur la collaboration entre les soignants et tous ces acteurs sociaux, tout aussi militants que les soignants, et qui sont à la disposition des mêmes patients usagers d’un moment à l’autre de la journée ou de l’année. Même dans l’emploi des mots : nous allons peut être avoir à nous interroger sur la pertinence de termes employés depuis des décennies et qui ne sont plus si bien adaptés à la réalité qu’autrefois. Par exemple nous dirait Bonnafé : « réhabilitation » ? ‘Etre réhabilité’. Est ce que cela est adapté à la psychiatrie ? Pour en avoir besoin il faut avoir été ‘indigne’, coupable. Peut être qu’après la prison cela se justifie, comme autrefois à la sortie de l’asile, mais aujourd’hui ? de même « ré-insertion », « ré-adaptation », tout cela, comme nous l’a fait remarquer une famille, ces mots ont un caractère un peu violent qui ne tient pas compte de la volonté et du désir du patient-usager. En effet aujourd'hui la personne concernée a beaucoup de choses à dire en ce domaine, elle même d’abord. Avons-nous en mains les mots, les outils ?      Au revoir.        Guy Baillon


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