PS. Auparavant, une remarque sur le barbarisme ‘intra-extra’
qui court encore dans les rues. Le mot de la fin ce serait…, Non, il ne saurait
y avoir de mot de la fin.
C’est
une bonne occasion en cette 2ème lettre de souligner que la
psychiatrie de secteur est une démarche, un processus, et qu’il ne saurait y
avoir une étape finale, une réalisation aboutie. L’idée d’un au-delà de ‘intra-extra’,
terme qui n’aurait jamais dû voir le jour, serait qu’il soit remplacé par la
notion de « réflexion d’équipe ». Le barbarisme ‘intra-extra’ a la
bêtise de faire croire qu’il serait une étape dans l’évolution de la
psychiatrie de secteur, il n’en est rien. C’est un cul de sac où des acteurs se
sont ‘plantés’ ! Il vient de cette fâcheuse tendance des psychiatres à
établir des catégories : aigu – chronique, curable – incurable, soignables
– incasables (ce qu’on entend en ce moment ici et là). Au contraire le processus
de la psychiatrie de secteur est une invitation à la continuité d’une
élaboration permettant d’examiner sans cesse les nouvelles situations que
l’équipe de secteur rencontre ; et c’est « la réflexion
d’équipe » analysant cette situation, qui permet d’en comprendre toutes
les facettes, ce qui est stimulant et passionnant : évolution des
patients, évolution des troubles et des pathologies, évolution des structures
de soin, évolution des institutions civiques dans les communes ou les quartiers
du secteur… Nous aurons l’occasion de revenir sur ces notions dans les semaines
à venir. (Ainsi connaissons nous précisément notre secteur, chacun ? les
hommes, leur histoire, leurs constructions dans la cité ? Sinon, ça sert à
quoi le secteur ?)
Aujourd'hui reprenons ce terme fort de « médiation ». Bonnafé
et Mignot, entre autres, avant 1970, en parlaient beaucoup. Notre interrogation
s’impose à la suite du beau travail réalisé par la revue ‘Santé Mentale’, dans
son dernier n°111 d’octobre 2006. Il foisonne d’idées et nous permet de prendre
position. Bonnafé et Mignot (qui avaient
ouvert ensemble le dispensaire de la rue du Figuier près de la Seine au centre
de Paris, et l’hôpital de jour de la rue du Pont au chou), soutenaient
l’intérêt de ce terme pour expliquer comment s’y prendre dans la rencontre avec
les patients réticents, ou n’ayant pas envie de parler, ou simplement mal à
l’aise car peu habitués à parler de leur vie quotidienne. Il est inutile là, d’insister
pour tenter de garder une amorce de dialogue qui tourne vite au monologue et
aux propos abstraits. Pour établir un lien avec les patients, il faut partir
des choses les plus simples de la vie quotidienne, dans lesquelles le patient
se sent ‘chez lui’. C’est en tentant de trouver des réponses à cette question,
qu’au début de ma carrière, je ne sais plus comment, via Hélène Chaigneau, chez
qui j’étais praticien hospitalier, je me suis trouvé en contact avec le
tourbillon foisonnant des animateurs des CEMEA. J’y ai d’abord fait
l’expérience des ‘groupes’ au cours de stages passionnants. Des rencontres près
de Paris de 20 à 50 personnes de professions différentes, infirmiers, médecins,
ergothérapeutes, psycho, venant de différentes équipes, tous au départ accablés
par les conditions de vie effarantes des patients dans les services
hospitaliers. Le simple échange sur ces situations nous permettait de partager
nos réactions, nos volontés de les surmonter, notre intérêt à écouter les
initiatives de certains. Mais déjà l’expérience princeps était très clairement l’enthousiasme qui émergeait
de ce travail de groupe. C’était
inattendu, nous arrivions accablés, et le seul fait de décrire le contexte de
notre travail nous permettait de retrouver du souffle, de comprendre que nous
étions sur le terrain en train de vivre des moments identiques, difficiles,
mais pas insurmontables si nous acceptions d’avoir recours à notre imagination.
Les concentrations de dizaines de malades ensemble pouvaient être dépassées si
nous savions avoir recours à des activités
que nous mettions à leur disposition. Donc nous faisions une double
découverte : la constitution de petits groupes était primordiale, elle
donne l’occasion d’échanges et de distribution de fonctions et de rôles, donc
de liens ; l’intérêt que l’on portait à mettre en place une activité
précise autour d’objets à confectionner, autour de matériaux simples, papier,
crayon, couleurs… éveillant l’intérêt des patients. Certes dans la majorité des
services hospitaliers il y avait des ateliers d’ergothérapie. Nous avions
constaté que dans beaucoup d’entre eux c’était l’usine, ou une suite de gestes
stéréotypés qui ne débouchaient sur rien d’autre que des assemblages à la
chaîne sans perspective. Le ‘travail’ avait paru un sauveur pour des
générations de psychiatres précédents, mais la plupart du temps tombant dans
une routine abrutissante ; la pauvreté de beaucoup de services
hospitaliers (de 200 à 600 patients d’un même sexe) faisait qu’aller aux
ateliers était une mesure de faveur pour un dixième à un quart des
patients ; les autres restaient désoeuvrés dans les grandes salles et dans
les cours ; certains bénéficiaient d’un entretien, mais un interne pour
100 patients et un Médecin assistant à mi temps pour 2 à 300 ne permettaient
pas un suivi qui ait beaucoup de sens… Ah, mon intention, ici, n’est pas de
rappeler l’histoire. C’est pourtant une occasion pour refuser ces images
d’Epinal que l’on entend encore sur les bienfaits de l’hospitalisation, hier,
c'est-à-dire il y a moins de 40 ans ! La double découverte faite avec les
CEMEA reste d’actualité : -la force que représente ‘le groupe’,
mais un groupe à dimension humaine de 6 à 15 pour redonner à chacun une
possibilité de nouer des relations et de se construire,-et l’autre découverte la
médiation de la relation et de l’échange grâce à une activité. Le point de
vérité étant autour du plaisir et de l’intérêt partagé dans la découverte d’une
activité, et le plaisir pris à apprécier notre propre capacité à réaliser un
objet, à maîtriser un matériau ; mais aussi l’intérêt à partager une activité
quotidienne.
Certes aujourd’hui le contexte des soins est totalement
différent, encore que, parfois… Le temps de séjour hospitalier est très court
et ne permet pas aux soignants d’arriver à impliquer les patients dans
l’intérêt porté aux échanges autour de la vie quotidienne pendant une
hospitalisation : repas, ménage, activités. L’essentiel de ces ‘médiations’
s’est déplacé vers l’hôpital de jour, les CATTP : cependant les points
de repère restent les mêmes : la notion de groupe comme lieu de
découverte de l’apport des échanges et le lien avec la vie de ce groupe comme
élément de réalité d’un côté, de l’autre la recherche d’une activité
suffisamment proche de la personne pour ne pas tomber dans l’artifice, ni la
routine, ni l’exploit. La recherche de la créativité est là une expérience
forte : il ne s’agit pas d’une réalisation artistique nécessairement ;
la créativité au cours de la préparation d’un repas dans un simple hôpital de
jour est quelque chose de fabuleux (cependant cette réalité simple n’est pas
évidente pour tout le monde quand on voit, comme dans l’ancien presbytère de
Bondy, un directeur ignorant venant avec violence effacer cette possibilité,
pour ‘rentabiliser’ le cuisinier Timothée, le déplaçant dans la grande ‘chaîne
froide’ hospitalière !!! Nous en reparlerons).
Certes à partir de là nous savons que nous pouvons
accompagner les patients dans la suite de ces découvertes faites dans des
activités qui peuvent devenir de plus en plus modernes, de plus en plus
‘artistiques’… Halte ! il y a là une difficulté, celle de savoir quand
nous limitons cette exploration de tant d’activités, et quand nous passons du
soin… à des activités qui se situent du côté de l’accompagnement et
l’exploration de la vie quotidienne ‘sociale’, cad avec d’autres acteurs que
les soignants, par exemple dans le cadre de ces SAVS, ou de ces ESAI que la loi
sur l’égalité des chances est en train de promouvoir.
Un grand chantier s’ouvre là sur la collaboration entre les
soignants et tous ces acteurs sociaux, tout aussi militants que les soignants,
et qui sont à la disposition des mêmes patients usagers d’un moment à l’autre
de la journée ou de l’année. Même dans l’emploi des mots : nous allons
peut être avoir à nous interroger sur la pertinence de termes employés depuis
des décennies et qui ne sont plus si bien adaptés à la réalité qu’autrefois.
Par exemple nous dirait Bonnafé :
« réhabilitation » ? ‘Etre réhabilité’. Est ce que cela est
adapté à la psychiatrie ? Pour en avoir besoin il faut avoir été
‘indigne’, coupable. Peut être qu’après la prison cela se justifie, comme
autrefois à la sortie de l’asile, mais aujourd’hui ? de même
« ré-insertion », « ré-adaptation », tout cela, comme nous
l’a fait remarquer une famille, ces mots ont un caractère un peu violent qui ne
tient pas compte de la volonté et du désir du patient-usager. En effet
aujourd'hui la personne concernée a beaucoup de choses à dire en ce domaine,
elle même d’abord. Avons-nous en mains les mots, les outils ? Au revoir. Guy Baillon