Docteur Guy Baillon, Psychiatre des Hôpitaux
CHRONIQUE DU PASSAGE
ENTRE LA PSYCHIATRIE D’HIER ET LA PSYCHIATRIE DE DEMAIN - (novembre 2006 à
Avril 2007).
Entre Lucien Bonnafé
et les jeunes de demain, déjà au travail aujourd’hui.
17ème ‘chronique
du lundi’. Lundi 26février 2007 : -transition, -transmission, -et
après ?
A mi parcours de ce contrat de 6 mois d’échange avec vous par le biais de SERPSY, je m’interroge. Permettez que je vous livre un instant, un témoignage personnel, un vacillement, comme un vertige ? Il m’était arrivé la même chose en 2000-1 lorsque SERPSY m’avait demandé de transmettre sur leur site la lettre hebdomadaire que j’avais l’habitude d’écrire à l’équipe de notre secteur. J’étais soucieux de la continuité du travail de l’équipe. Nous en étions au moment très précis où, au bout de deux ans de travail en commun, je passais définitivement le flambeau de la chefferie à mon successeur, espérant son adoubement par l’équipe ; nous entamions la dernière année de ces trois ans de transmission. En ce début 2001 il avait été nommé chef par le ministre, j’étais redevenu simple PH.
Deux petits évènements surviennent. Le premier jour de ce changement, je parlais avec le nouveau chef dans notre ‘clinique’ à Bondy (nom de notre service hospitalier de 20 lits ouvert depuis un an en ville, le CPBB). Je me retourne et vois entrer notre Directeur (CH Marchandet qui pendant 10 ans nous avait accompagné pour faire éclater Ville-Evrard en une relocalisation totale des services de 8 de ses 17 secteurs en 3 sites : St Denis, Aubervilliers, Bondy, c’est dire mon estime). Je veux lui serrer la main. Il passe à côté de moi (à un mètre) sans me regarder, et va saluer mon successeur, nouveau chef, et parle tranquillement avec lui.
Quelques jours plus tard un lundi matin je vois circuler une lettre ouverte ‘au chef de service’, signée des infirmiers du secteur. Elle attaquait en termes mesurés, mais vifs, l’organisation actuelle du service, donnant entre autre un sérieux coup de pattes à une initiative de votre serviteur mettant en place depuis un mois un ‘stage interne’. Dans notre unité Accueil située à l’entrée du CPBB, notre unité d’hospitalisation installée depuis peu en ville, nous étions en train d’expérimenter une nouvelle forme de travail. Nous avions compris que pour dépasser le ‘choc’ que représente le retour de beaucoup de patients chez eux après une hospitalisation, nous avions en mains un outil remarquable : le ‘travail de crise’ ; le retour à domicile allait être ‘encadré’ par des entretiens intensifs 2 à 4 fois par semaine avec le patient, son entourage pendant 2 à 3 semaines ; cela permettait au patient d’intégrer le souvenir de ses troubles, leur évolution sous l’effet des traitements, sans se sentir morcelé, renouant des liens avec un entourage parfois vécu comme hostile. Les effets de ce travail se sont montrés vite excellents. Mais cela nécessitait de la part de tous les membres de l’équipe une modification des habitudes et une liaison précise entre équipe hospitalière et équipe de crise. J’avais donc imposé un stage de formation interne d’une semaine par petits groupes pour faire l’apprentissage de ces moments de passage associant un infirmier de la clinique, un infirmier de la crise, et le patient, moment de triangulation, à la tenue psychodramatique ; un stage (interne) leur permettrait de faire ce travail avec aisance. La lettre ouverte critiquait vivement cette nouvelle ‘lubie du Dr B’, les infirmiers affirmaient et revendiquaient qu’ils ‘savaient tout cela’ (certes les infirmiers de la Crise savaient, pas ceux de la Clinique, mais il était évident que ce face à face était une ‘épreuve’). De toute façon j’ai pris cette lettre comme une attaque personnelle et une mise en cause de tout le travail du secteur depuis au moins 5 voire 10 ans. Je tournais en rond entre une nouvelle colère, le plaisir de voir que pour une fois les infirmiers s’exprimaient clairement et solidement, et la déprime de voir tout se déglinguer quelques mois avant ma retraite. La paranoïa grondait …Heureusement un ‘choc’ m’a réveillé, je ne sais plus ce que c’était. J’ai alors enfin compris que le Directeur, comme cette lettre des infirmiers… ne s’adressaient plus à moi ! mais au chef de service à peine nommé. Ils voulaient tester sa capacité à dialoguer, et à continuer ou à oublier le travail mis en place jusque là ! J’étais tout de même en miettes. Ici Oury dit : « Mais qu’est ce que je fous là ? »
Cette année en effet fut un peu difficile, mais surtout passionnante. Elle a permis un vrai ‘passage’ grâce à cette triangulation entre l’Equipe, le nouveau chef et l’ancien. Mais au lendemain de mon réveil, j’ai arrêté « la lettre hebdomadaire » dans le service et à SERPSY : en effet ce n’était plus à l’ancien chef de commenter chaque semaine l’actualité du secteur…
Sans l’avoir prévu les mêmes faits se renouvellent aujourd’hui dans le cours de cette petite série de lettres. Je retrouve ce même vertige, cette même question : « Mais qu’est ce que je fous là ? ». La psychiatrie a changé de mains, parce que la société a changé aussi… et demain les élections vont lui donner une orientation libérale ou sociale ? Je parle de la psychiatrie de service public. Mobilisé par les manifestations de l’an dernier autour du souvenir de Lucien Bonnafé et soutenu par l’expérience clinique du travail de notre équipe de secteur à Bondy prouvant que ses prophéties n’étaient pas utopiques, j’ai voulu continuer à les faire connaître. En effet je vois de loin cette même équipe et son chef mener ce travail de secteur sans bruit, sans attitude dogmatique, mais avec une précision clinique de plus en plus forte grâce à son appui sur l’élaboration renouvelée et continu du tissu relationnel, toute l’équipe réalise là un tissage continu de liens variés avec tous les acteurs sanitaires et sociaux, agrémenté d’un outil supplémentaire affiné, une palette de travail avec les familles. Je voulais continuer à témoigner … mais cela donne plutôt l’allure d’histoires d’anciens combattants, on sait qu’ils deviennent de plus en plus nostalgiques…
Je voulais aussi résister aux attaques multiples contre le secteur, d’abord celles de certains collègues, ceux qui n’ont pas eu la patience de le déployer en le modernisant. Je suis blessé de voir certains de mes meilleurs amis ‘prôner’ le ‘réseau de 600.000 h’ type Yvelines, parce que parcourant la France en mission ils ont jugé que dans beaucoup de secteurs les psychiatres ne faisaient pas du ‘bon travail’ de service public. Ils pensent donc que la mise en place de réseaux va les mettre au pas ! De qui se moquent-ils ? De façons diverses tous attaquent le travail de secteur, comme le fait une partie du ministère, et la direction de l’UNAFAM depuis 15 jours (mais je sais que nombre de familles ne sont pas de son avis). Je sais surtout qu’en fait une grande majorité d’acteurs de terrain des équipes de secteur sont persuadés jusque ‘dans leurs tripes’ de la pertinence et de la qualité du travail de soin dans la continuité. Ce travail de secteur dans la proximité leur a permis de maintenir comme l’a dit avec bonheur Patrick Chaltiel à ce triste colloque de l’UNAFAM, « une continuité d’attention » auprès du patient et de son entourage, ce terme affine l’objectif et les moyens de la psychiatrie de secteur et sa notion centrale de continuité des soins. Continuer mon témoignage provoque des réactions polémiques de collègues… jeunes ou vieux. Bonnafé avait connu cela en 68…
En fait, il ne m’appartient plus de parler en tant que professionnel de la psychiatrie. Je peux seulement parler comme famille, comme usager potentiel, comme citoyen. Il m’appartient d’accepter de ne pouvoir être des deux côtés. Je terminerai ainsi mon contrat avec SERPSY au bout de 6 mois, si l’accord est maintenu.
Cette nouvelle expérience de « passage » montre que c’est un fait très complexe ; en général il n’est pas aisé de passer d’un ‘état’ à un autre.
Il est peut être pertinent de continuer à les explorer et de se demander comment les assumer.
Ainsi les familles sont très préoccupées de la façon dont le ‘passage’ va s’opérer quand elles n’auront plus la force, la solidité pour continuer à soutenir leur enfant patient-usager. Qui va jouer leur rôle ? Et d’ailleurs plus souvent comment une famille peut y voir clair pour juger de la fin de son accompagnement intensif ? Qui les guide là ? « Qu’est ce qui suffit là ? »
Mais du côté du patient qu’est ce que le passage de l’état
de malade à l’état d’usager ayant plus ou moins besoin de la reconnaissance
d’être en situation de handicap ? Est ce facile de passer de l’état de
malade à celui de personne ayant été malade ? Est-ce que le trouble
psychique aux yeux de la société ne nous laisse pas une marque indélébile
(comme le sentiment de culpabilité des familles), nous faisant hésiter pour
savoir si on peut oser réclamer, espérer être comme tout le monde, après avoir
eu des troubles psychiques ?