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LA CHRONIQUE du LUNDI

Guy Baillon





Docteur Guy Baillon, Psychiatre des Hôpitaux

CHRONIQUE DU PASSAGE ENTRE LA PSYCHIATRIE D’HIER ET LA PSYCHIATRIE DE DEMAIN - (novembre 2006 à Avril 2007).

Entre Lucien Bonnafé et les jeunes de demain, déjà au travail aujourd’hui.

16ème ‘chronique du lundi’. Lundi 19 février 2007. La victoire sur la loi contre la délinquance est bien modeste au regard des lois qui nous attendent et qui vont faire disparaître la rencontre, l’humain qu’a apporté le secteur, la psychiatrie dans le Cité.

Faire reculer le ministre de l’intérieur sur une proposition de loi qui aggravait le statut des personnes reconnues comme malades mentales, c’est un succès indéniable pour les acteurs associés : familles, usagers, psychiatres de service public.

Cependant il est pertinent d’y regarder de plus près.

D’abord constatons avec plaisir que les mobilisations ne sont pas inutiles, quand elles sont solidaires. C’est une nouvelle leçon de démocratie.

Ensuite il faut tout de même regretter que l’appel à la grève n’ait pas associé les autres professions de la Psychiatrie et de la Santé Mentale, c’est injuste et c’est un appauvrissement pour l’avenir (infirmiers, psychologues, éducateurs, travailleurs sociaux…)

Enfin nous ne pouvons pas être fiers que soit maintenu le reste de la loi sur la délinquance, ceci pour deux raisons au moins :

-d’une part nous pressentons que si les moyens envisagés contre les délinquants persistent dans cette loi ils seront bientôt employés contre les patients à nouveau ; il est insupportable que l’on désigne les maires comme otages de l’Etat, et que l’on cherche à débusquer les délinquants en invitant à une délation collective dont les maires seraient les garants !

-d’autre part la philosophie de cette loi est négative, basée sur la sanction ; -pourquoi ne cherche-t-on pas à créer d’abord des soutiens de proximité pour les jeunes en grande difficulté ? –pourquoi n’instituons pas des mesures les aidant à s’intégrer dans une vie active ? c’est de toute façon cette intégration qu’il faudra réaliser plus tard, surtout après un éventuel passage dans l’institution carcérale ! - enfin pourquoi fait-on peser sur les jeunes la dégradation démocratique actuelle de la vie sociale ? Il est urgent de reprendre une réflexion de fond sur la délinquance, ses origines complexes, les moyens que nous avons d’y faire face. Ce n’est rien moins qu’un projet de société. Nous allons voter quel projet dans deux mois ? 

N’oublions pas que le ministre actuel a voulu s’appuyer sur la psychiatrie pour mieux cerner son ennemi : associer crime et folie a toujours été la tentation de certains régimes, l’étape suivante sera d’amalgamer cet ensemble avec les déviants politiques…l’histoire l’a souvent montré !

Revenons à la psychiatrie.

Prenons garde ! En entrainant cette reculade du ministre de l’intérieur, nous n’avons pas obtenu la moindre assurance sur l’avenir de la psychiatrie. Nous avons suffisamment décrit la dégradation actuelle pour ne pas la détailler (appauvrissement du service public par : -la perte d’attraction du statut des psychiatres et leur hémorragie consécutive vers le privé, -la perte d’identité psychiatrique des infirmiers travaillant en psychiatrie depuis l’annulation de leur diplôme, - l’écrasement absurde des équipes par des mesures de contrôle inadéquates et contraignantes, -l’accroissement constant des hospitalisations sous contrainte auxquelles tout incite, - l’hospitaloncentrisme croissant de la politique de soins, -l’incitation à construire des réseaux pour remplacer les secteurs, -l’absence d’efforts faits pour construire des liens entre les secteurs et le champ social, …la liste s’allonge et s’aggrave).

 

Pour construire un autre avenir pour la psychiatrie, il faut d’abord provoquer une mobilisation générale des partenaires (familles, usagers, acteurs du champ social) et des différentes catégories professionnelles de chaque champ. Nous venons de voir qu’une mobilisation importante peut être efficace. Quel serait cet avenir ? Précisons au risque de se répéter :

Il est utile, à partir de là, de rassembler les lignes de force d’une réflexion sur l’avenir de la psychiatrie et de la santé mentale et revenir aux sources des propositions de Lucien Bonnafé et ses collègues Mignot, Daumezon… c’était le propos de la dernière séance du club CAPSY.

Il est pertinent de commencer par apprécier les acquis de la psychiatrie de secteur, là un bilan historique de ces 35 années est indispensable.

La pratique de la psychiatrie a permis partout  (même là où les moyens ont gravement manqué) de mettre en évidence la force ‘clinique’ de l’invitation à réaliser une « continuité des soins » : c’est reconnaître le caractère potentiellement continu des troubles psychiques chez toute personne puisqu’ils s’inscrivent sur la permanence de sa personnalité ; dès lors on voit qu’ils nécessitent une « attention » du même ordre chez les soignants, une attention dans la continuité, cela correspond à l’hypothèse soutenue par Bonnafé et ses amis.

Ainsi ce qu’a fait découvrir la pratique de la psychiatrie de secteur est fondamental et doit inspirer toute la suite.

Elle situe la psychiatrie ‘et’ la santé mentale (et il faut affirmer qu’elles sont indissociables, elles associent le soin et l’action sociale en continu chez une même personne ayant des troubles et en situation de handicap) clairement hors champ exclusif de la médecine (la médecine ne reconnaît que des objets partiels, des morceaux de corps, exclut l’importance de l’environnement relationnel et n’a qu’un seul moyen de soin, l’hôpital), et également impliquée dans le champ social. Donc continuer à enfermer, comme actuellement, la psychiatrie dans la seule médecine, ne peut entrainer que des catastrophes.

La première est déjà en train de ‘massacrer’ la politique de santé mentale, le mot n’est pas trop fort. C’est l’hospitalocentrisme.

La seconde est la volonté croissante de contention consacrée par des lois, demande de l’Etat soutenue par certains acteurs professionnels et des familles, pas toutes. Rappelons nous l’opposition de Bonnafé et Mignot à toute loi ‘spécifique’ pour les seuls malades mentaux, pour eux toute modification de la loi de 1838 ne ferait qu’aggraver l’exclusion et le rejet en le rendant à chaque fois un peu plus ‘légal’, la loi de 1990 légalise l’arbitraire de l’atteinte à la liberté et la rend plus ‘accessible’ ! les projets à venir vont faire pire. Un seul article de loi est justifié, un article décidant l’abrogation des lois de 1838 son ombre) et de 1990.

Pour lutter contre ces deux dangers, c’est bien une nouvelle conception du soin qu’il faut défendre :

-échapper à la toute puissance hospitalière inhumaine grâce à l’implantation des lits hors les murs de tout hôpital, dans des bâtiments simples de la ville, et établir des liens entre appareil de soin et structures du champ social grâce à la mise en place des « groupements de coopération sociale et médico-sociale » , décret du  6 avril 2006, présentés par la DGAS ;

cet ensemble installe la psychiatrie sur la base fondamentale de la solidarité, et la continuité entre soin et tissu social (dans sa dimension la plus humaine, la proximité),

-la contention n’est pas le soin, elle nous en éloigne, elle provoque d’emblée chez tout patient révolte et volonté de se défendre de résister, elle inscrit le soin en mode de déclaration de guerre, comme la sanction dans le registre de l’éducation.

Le soin c’est d’abord et toujours « la rencontre avec l’autre qui souffre» ; de même l’éducation du jeune ne saurait se réduire à l’apprentissage, l’obéissance, la sanction. L’éducation comme le soin se fonde au cœur de la rencontre, par le regard, le sourire, l’ouverture dans le mouvement, la poignée de main, l’attention aux traits du visage, un désir d’échange, l’attention à la respiration de l’autre, à ses gestes, à sa recherche, en continu…

 

Enfin il est temps d’affirmer que tout progrès dans l’élaboration d’une politique de santé mentale doit aujourd’hui s’appuyer sur la pertinence et l’expérience des usagers-patients.

 


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