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LA CHRONIQUE du LUNDI

Guy Baillon





Docteur Guy Baillon, Psychiatre des Hôpitaux

CHRONIQUE DU PASSAGE ENTRE LA PSYCHIATRIE D’HIER ET LA PSYCHIATRIE DE DEMAIN - (novembre 2006 à Avril 2007).

Entre Lucien Bonnafé et les jeunes de demain, déjà au travail aujourd’hui.

12ème ‘chronique du lundi’. Lundi 22 janvier 2007. Le sel de la terre…

C’est le mot qui m’est venu aux lèvres après une échappée à Nancy cette semaine.

Ce mot reste dans ma mémoire comme porteur d’espoir. A ce que mes proches m’ont dit sa  référence est biblique. Et pourquoi pas après tout !

J’ai goutté à ce sel, et il m’a redonné du goût à vivre, si la bible s’en mêle cela ne me gêne pas. C’est vrai la plupart des psychiatres que je rencontre à Paris, à Lille, à Bordeaux, à Marseille, me disent pis que pendre de la psychiatrie, donc de leur travail ; et voulant fustiger les autres, ils ne perçoivent pas qu’ils s’auto flagellent ! C’est désespérant.

Et voilà qu’allant sur les marges de la psychiatrie, cad dans le monde associatif (et dans la petite foule rencontrée, quelques professionnels de la psychiatrie dont deux psychiatres, tous sont souriants !!) ce que j’ai vu dans ces associations ne manque pas de sel, ni de dynamisme, alors cela m’a permis à nouveau d’espérer. Et je tiens à vous le faire partager.

Cette histoire avait commencé à Marseille l’an dernier ; chaque année se déroule dans cette ville une manifestation passionnante provoquée par ‘Arpsydémio’, association d’acteurs variés de la psychiatrie, sous l’impulsion de l’équipe du Dr Torres ; cette association établit des liens très forts avec de nombreuses associations de la ville autour des différents aspects des soins et des moments de la vie des patients de la psychiatrie en ville ; chaque fois est exploré un des thèmes de la Santé Mentale ; le colloque est scandé par des intermèdes de détente, l’un d’entre eux était un film « Faire refleurir en moi la vie » présenté par les acteurs eux-mêmes habitants de Nancy, parlant de leur parcours de vie passant par la psychiatrie, on y sentait un vrai plaisir de vivre.

La seconde étape c’était en Octobre, cette fois à Nancy, j’ai participé au colloque organisé par l’Association Espoir 54 qui avait soutenu ce film ; cette association affiliée à l’UNAFAM, a créé un SAVS, un dispositif de préparation à l’emploi ainsi que 3 GEM. J’ai été émerveillé de la vitalité de ce colloque où les ‘usagers’ étaient très nombreux et actifs, tant pour témoigner de l’appui trouvé pour les uns dans le Savs, pour d’autres dans le CATTP de l’équipe de soin voisine, que du plaisir pris à être acteurs d’un GEM. Certains étaient ceux qui avaient présenté le film à Marseille.

Du coup, cette semaine, avec des acteurs parisiens de GEM en train de se créer, nous sommes partis les rencontrer dans leurs espaces mêmes.

Le plaisir a été plus grand car nous avons partagé des moments de savs, de cattp et de GEM qu’ils traversent souvent dans la continuité. Cet échange a même été l’occasion de participer à la rencontre des 9 GEM de 3 départements de la Lorraine. Ces GEM ou clubs ont entre deux ans et deux mois d’âge. Ils sont soutenus par l’une ou l’autre des trois associations qui les parrainent sur le plan national (unafam, fnappsy ou fasm). Ils font part d’abord des problèmes considérables qu’ils ont à dépasser : trouver un local, organiser leur budget entre salaires des animateurs, location et ressources pour les activités ; une fois ouverts ils n’en parlent plus et leurs échanges décrivent la vie des GEM, la façon dont ils reçoivent les nouveaux adhérents, l’attention et le temps passés à l’accueil, avec un parrainage par un ou deux ‘anciens’, installant d’emblée le dialogue ; l’intérêt aussi de conventions variées qui déploient leurs moyens très modestes et les enrichissent de contacts variés, sociaux, culturels, facilité d’accès aux soins psychiques et physiques ; l’habitude prise de vivre des moments en commun, donc de prendre des décisions collectives pour orienter leurs choix d’activités…est là toute simple.

Il se passe là des choses qui ne se passent pas ailleurs, cela ne se passe pas ainsi dans les soins qui sont prescrits, ni dans les espaces d’action sociale qui sont organisés, ni dans la ville indifférente voire hostile ; cela se passe là avec une capacité d’intérêt mutuel, d’enthousiasme simple, d’entraide ; cela peut sembler aller dans tous les sens au premier abord, en fait c’est la créativité spontanée de chacun qui est convoquée et qui se déroule sans heurt ; et lorsque l’occasion est donnée de rencontrer ensemble les acteurs de plusieurs GEM, on découvre qu’il n’y a pas deux GEM pareils. Pourtant on sait qu’ils sont affiliés à trois grandes Fédérations (unafam, fnappsy, fasm), et que les familles comme les soignants auraient envie de les ‘protéger’, donc de les conduire et même de les encadrer, mais l’expérience montre qu’ils ne peuvent plus comme avant ‘parler et désirer à la place des usagers’, ils sont obligés d’évoluer sous la pression des membres du GEM ; les ‘usagers’ ont déjà l’habitude de prendre la parole, et peu à peu là de prendre les choses, cette part de leur vie, en mains. Très vite se perd avec les usagers toute prétention d’avoir des leçons à donner, ou de dogme à suivre. Comme dans toute initiative volontariste, d’aucuns ont parlé de danger de secte, comme on a pu en parler dans les lieux de soin et dans les espaces sociaux où on a l’audace de se montrer enthousiaste…mais comme ces GEM fonctionnent sur l’ouverture à l’environnement, à la ville, avec une habitude désarmante de « portes ouvertes », toute tentative d’embrigadement, de contrôle s’évapore par portes et fenêtres…

J’ai repris cette semaine à Nancy, comme j’avais commencé à m’en rendre compte à Marseille, à Lille, à St Nazaire m’a-t-on dit, à Paris maintenant, à Choisy-le-roi, …du goût à penser à la psychiatrie à venir.

Je me suis dit que tous ces soignants qui se battent aujourd’hui sur tout le territoire contre une administration qui par son refus de prendre en considération le poids de la peur de la folie, se construit une volonté de la nier et le refus qu’elle soit une donnée à part dans la médecine ; cette administration s’acharne à vouloir faire rentrer la psychiatrie dans des organisations ‘managériales’ pour une production de viande consommable, ces soignants aujourd’hui ne peuvent que se réjouir, car la capacité d’épanouissement trouvée dans la vie des GEM non seulement n’est pas en contradiction avec leur travail, elle est l’expression forte de ce à quoi peuvent aboutir les soins (et là nous devons constater que c’est la même administration, -mais pas les mêmes services- qui a inventé avec les GEM un espace où la folie est admise, ‘normale, et où l’on peut évoluer sans être aussitôt ‘contenu’, maintenu, tenu, un espace un peu fou quoi, mais ouvert, grâce à un accompagnement subtil et nuancé ; nous gardons une crainte c’est que le reste de l’administration en prenne ombrage) ; mais c’est un espace qui est situé en dehors des soins, un espace ‘après’, simplement dans le champ de la vie…mais accompagné par une solidarité construite sur une souffrance partagée et donc reconnue par des ‘pairs’. Si les soignants peuvent se sentir fiers de ce qui se déroule là c’est parce qu’il est clair que les adhérents d’un GEM puisent dans leur expérience de soins des outils façonnés peu à peu dans ce parcours, mais là ils s’appuient sur une capacité d’échanger entre pairs avec le désir et la possibilité de partager avec d’autres sans craindre d’être rejetés.

Certes nous savons que cette expérience débute, elle a à peine quelques mois à deux ans, d’une part elle a eu des antécédents dans le soin lors de la guerre qui avaient été déjà une fantastique bouffée d’oxygène du temps de la violence des asiles, d’autre part elle s’invente dans de nombreux espaces simultanément ; nous savons que cette initiative reste très modeste ; le projet prévoit 300 GEM alors qu’il y a 830 secteurs ; son coût n’est qu’une goutte d’eau dans les budgets sociaux, mais il est la preuve de ce que peut produire une complémentarité des efforts entre soins et action sociale, et il est porteur d’un espoir profond.

Ne pourrait il être ce petit grain de sable dans la tête des soignants leur permettant de retrouver un sens du collectif et de la solidarité pour reconstruire une politique de santé mentale digne de l’homme ?

Il se trouve que la FASM des Croix Marine prépare son prochain colloque annuel à Nancy ces jours ci pour septembre, ne pourrait elle accorder une place de choix à cet évènement fragile et lui donner la reconnaissance méritée ? La FASM a le privilège d’associer soin et social. Elle peut aider à consacrer les GEM. L’espoir est là. J’ai retrouvé « le sel de la terre ». gb


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