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LA CHRONIQUE du LUNDI

Guy Baillon





Docteur Guy Baillon, Psychiatre des Hôpitaux

CHRONIQUE DU PASSAGE ENTRE LA PSYCHIATRIE D’HIER ET LA PSYCHIATRIE DE DEMAIN - (novembre 2006 à Avril 2007).

Entre Lucien Bonnafé et les jeunes de demain, déjà au travail aujourd’hui.

10ème ‘chronique du lundi’. Lundi 8 janvier 2007 : conte de Noël ? Vœu ? ou Détermination ? La détermination

 « Une nouvelle psychiatrie doit naître grâce à une alliance de tous les acteurs, faisant preuve de lucidité pour dresser le bilan de la réalité et établir les lignes solides de son avenir. »

Il est nécessaire de travailler ensemble non à la refondation, ni à la reconstruction, mais à la « renaissance » de la psychiatrie de secteur. C’est de détermination qu’il s’agit ici.

Une chose est évidente. L’Etat tel qu’il est aujourd’hui n’a rien compris ni à la psychiatrie ni à la politique de secteur, (pas plus que ses conseillers et missionnés). Le domaine de la folie est un domaine suffisamment étrange pour échapper à la compétence de l’Etat ; après l’avoir constaté, il faudra en comprendre les raisons pour les dépasser. Il y a des explications à cela : l’Etat a divisé (en France) la santé mentale entre les soins et l’aide sociale, et ceci dès 1970, de plus à l’intérieur du champ médical il n’a reconnu aucune spécificité à la psychiatrie. De ce fait, et cela a freiné l’évolution, l’Etat n’a reconnu comme soins que l’hôpital, alors qu’en psychiatrie l’hospitalisation isole, enferme, exclut hors des villes, l’Etat n’a pas tiré de conséquences du constat que l’hôpital en psychiatrie n’a plus une place centrale dans les soins où il représente moins du quart des soins dont les patients ont besoin, ( l’essentiel du soin se déploie au contact de l’environnement de la personne malade) ; en psychiatrie l’hôpital ne guérit pas, pire, souvent il fige les troubles, donc les aggrave ; seule la psychothérapie associée ou non aux autres traitements peut guérir ; enfin l’Etat écrase les équipes par des contrôles centrés sur l’hôpital et donc doublement inadaptés. Au total l’Etat à l’égard de la psychiatrie multiplie les erreurs de gestion. L’Etat continue à rester sensible en priorité à l’ancienne image très stigmatisante de la folie ; de ce fait sa préoccupation première est de protéger la société des fous par des mesures répressives, ainsi la loi de 1990, qui n’est qu’un simple toilettage de la loi de1838 sur l’internement, perpétue l’hospitalisation sous contrainte ; de plus aujourd'hui des menaces graves d’atteinte à la liberté individuelle pour les délinquants et bientôt pour d’autres catégories de citoyens, tous associés à une image négative de la folie, sont en préparation. L’hostilité contre la folie est déclarée.

Ainsi à l’égard de cette pluie de contraintes et de méconnaissances les acteurs de la psychiatrie de secteur ne peuvent se reconnaître que dans la résistance.

Mais quelle résistance ?

L’Etat en même temps ne saurait être rendu responsable de tout. Il n’est que le reflet de l’opinion publique.

Il est clair que la psychiatrie de secteur n’a pas encore su mettre fin à la stigmatisation considérable dont la folie est toujours l’objet.

La résistance ne peut donc être qu’une résistance active ayant pour objet premier de tordre le coup à cette stigmatisation. Il faudra du temps. C’est ce que le passé récent nous a appris. L’expérience a montré que c’est aux citoyens, non à l’Etat, de définir les besoins des personnes qui souffrent et les réponses à proposer.

Ce doit être une résistance qui sait faire la part de nos propres responsabilités.

En effet pour être pertinente elle doit être utilisée contre des ennemis bien ciblés :

-il y a l’ennemi extérieur, c’est la méconnaissance par l’Etat et par l’opinion de l’existence de moments de folie chez l’être humain, mais aussi la méconnaissance du fait que lorsqu’un trouble psychique se développe chez une personne, celle ci garde toujours une partie saine et ne devient pas un être ‘aliéné’, un sous homme,

-il y a l’ennemi intérieur qui joue un rôle considérable chez les professionnels : c’est la méconnaissance qu’ils ont du poids gigantesque que joue la stigmatisation de la folie dans l’opinion, et donc dans l’Etat, celle-ci ne peut disparaître d’un coup de baguette magique avec les seules ‘intentions’ des soignants ; l’autre ennemi est le poids considérable de l’idéal qu’ont les soignants voulant faire disparaître toute folie : ces deux raisons s’associent pour entraîner un grand nombre de soignants dans les pleurs et la dépression.

Reconnaissons que ceux qui parmi nous choisissent les pleurs et les plaintes pour ‘résister’ jouent en fait le même jeu destructeur que les persécutions dont la psychiatrie est l’objet.

La psychiatrie de secteur se doit d’avoir un message plus clair et plus simple :

-peut être faudrait-il reconnaître que le terme de ‘secteur’ qui a été choisi en utilisant les armes de l’adversaire voici 50 ans comme un terme de combat, est obscur ; il a bien joué son rôle, mais aujourd’hui il n’est absolument pas compris par les citoyens et doit être remplacé par un terme plus précis : « La psychiatrie dans la Cité », c'est-à-dire celle qui se construit autour du fait humain central qu’est la construction et la vie de la Cité, celle qui permet à l’homme de retrouver l’estime de soi et celle des autres.

Rangeons donc le terme de ‘secteur’ dans nos souvenirs de guerre, et soyons présents à la société d’aujourd’hui. Je ne crois pas trahir Lucien Bonnafé en affirmant qu’il se reconnaîtrait tout à fait dans cette locution « Psychiatrie dans la Cité », d’autant que le terme de ‘secteur’ avait perverti souvent le sens de notre travail, en le laissant réduire à un cadrage cadastral et il se donnait bonne conscience en l’étendant et en incluant les lits enfermés dans l’asile lointain. Avec ‘la psychiatrie dans la Cité’, la localisation des lits sera aussitôt reconnue comme devant être la Cité…et non la campagne, et la fuite vers ‘l’intersectorialité’ jugulée.

Le lien du soin avec la citoyenneté sera évident, et ainsi nous pourrons accepter qu’en psychiatrie les soins et l’action sociale soient constamment mêlés, au lieu d’être soigneusement séparés.

De ce fait aussi la ‘solidarité’ entre les citoyens, et d’abord le lien avec la famille, seront reconnus comme des appuis constants, diminuant considérablement l’utilité de recours à des mesures de contrainte lorsqu’à certains moments des patients méconnaissent l’existence et la nature psychique de leurs souffrances.

C’est une résistance active, car ce que nous affirmons sur la psychiatrie de secteur n’est plus de l’ordre imaginaire, n’est plus une pure incantation pour l’avenir, c’est maintenant un témoignage, centré sur l’expérience de ce qu’apporte d’impérissable la ‘continuité des soins’, même réalisée de façon fragile ; elle est devenue le fil conducteur de la construction de la psychiatrie, à chaque fois qu’il y a eu une élaboration de liens suivis entre les acteurs participant aux différents soins d’une même personne.

Enfin elle a mis en évidence que cette résistance ne pouvait être que collective. Les résistances individuelles sont souvent masochiques donc dangereuses et inutiles, la résistance des catégories professionnelles n’est que corporatiste, la résistance d’une seule structure de soin est la pure reconstitution de l’asile, la résistance d’une seule équipe ne mène pas loin. La vraie résistance est d’abord un travail d’union avec les autres et s’appuie sur des alliances

Une renaissance de la psychiatrie de secteur en ‘psychiatrie de la Cité’ doit jaillir aujourd’hui de cette résistance active et collective autour et de la solidarité citoyenne s’inspirant des leçons du secteur et des usagers.

Ceci n’est possible qu’avec l’appui de l’élu. Mais l’élu dans toute démocratie a deux responsabilités. L’une est d’être membre d’un parti, convaincu que le pouvoir est nécessaire pour réaliser le projet de société que défend son parti, la folie met en cause l’ordre de la cité et n’a pas droit de cité. L’autre est de se vouloir un homme, sensible aux peines et aux joies des hommes de sa Cité, attentif à ses besoins et ses désirs, il sait que la folie fait partie de tout homme, il la respecte et cherche à soutenir ceux dont la folie dépasse leurs capacité à la contenir, il établit des liens avec lui ; pour lui la folie a sa place dans la cité. Tout dépend de la sensibilité de l’élu lui permettant d’être d’abord l’homme avant de se vouloir partisan. La renaissance de la psychiatrie dépend de notre détermination à rencontrer l’élu-‘homme’.


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