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LA CHRONIQUE du LUNDI

Guy Baillon





Chronique hebdomadaire de la semaine du 6er novembre 2006.

De « l’intra et l’extra »



C’est le 9 novembre 1971 qu’étaient créés à Ville-Evrard en Seine St Denis les 14 secteurs pour le million d’habitants pour lesquels l’hôpital recevait la responsabilité de créer les soins, la prévention et la postcure dans le cadre de la politique de secteur (qui allait être redéfinie dans le beau texte des circulaires des 14 et 15 mars 1972). Le but était de partir de l’hôpital pour réaliser les soins dans le secteur. Bien sûr entre le point de départ et le point d’arrivée il faut passer par des étapes intermédiaires, et Bonnafé avec Le Guillant et Mignot dans leur excellent rapport sur la chronicité de juin 1964 avaient proposé de créer des « structures intermédiaires entre l’hôpital et le dispensaire », juste le temps nécessaire pour que la psychiatrie passe d’une rive à l’autre : ‘de l’hôpital’ si souvent éloigné de la vie des patients et inhumain, ‘au tissu urbain’ où ils vivaient. Et très vite un langage imbécile est venu bloquer ce mouvement et le figer. Bonnafé s’est mis dans une colère meurtrière, il mettait ces mots négatifs en miettes : « l’intra, et, l’extra ! » Pouvait on inventer meilleure façon de vouloir enterrer la politique de secteur si ce n’est en « fixant » par ces mots ce qui ne devait être qu’un moment de passage ? C’était « institutionnaliser » le pire ! C’était oser dire qu’à partir de ce moment là il y aurait deux psychiatries, l’une au contact de la population, vivante sthénique, donc agréable, et l’autre éloignée, bannie, aux prises avec les coups sournois des directeurs. Ce qui a prévalu peu à peu était que le travail le plus gratifiant se développe en « extra », (extra ! ) et que le plus dur et donc à fuir, était le travail « intra », ingrat. Il est sûr que pareille attitude retentit toujours sur les patients. De ce fait, heureusement, de nombreux soignants sont partis en guerre pour revaloriser le travail ‘intra’, et du coup tout un mouvement s’opérait pour souligner l’importance et la qualité indispensable qui devait entourer les soins au cours de toute hospitalisation, Hélène Chaigneau était de ceux là (sans employer ces mots)…, ainsi une dérive infernale s’installait en même temps, qui était bien, comme l’avait dénoncé Bonnafé, une déclaration de guerre à la politique de secteur. Il y a eu en effet les partisans de l’intra contre ceux de l’extra ! et de véritables luttes de clocher se menaient dans les équipes, nourries par bon nombre de directeurs, réconfortés car se sentant tout à fait dépossédés de voir se développer des soins…en dehors de leur fief, l’hôpital.

Cela montre à quel point les générations qui ont précédé l’époque actuelle, en fait n’étaient pas toutes préparées à ce grand chambardement qu’allait être la politique de secteur. Elles continuaient à discutailler autour du nombre de lits, alors que l’essentiel du soin avait à s’imaginer ‘hors les lits’, avec l’appui quotidien de l’entourage relationnel, ET dans la perspective que ‘tous’ les soins seraient déployés en ville, y compris les lits. Non ! la guerre a campé sur… l’hôpital, chacun prenant un malin plaisir à critiquer le directeur, l’hôpital, les contradictions administratives, et ainsi consolidaient les soins dans l’hôpital au lieu de les entraîner avec armes et bagages en ville.

Je laisse chacun retrouver ce qu’a dit Bonnafé. Il a même invité les siens à travailler sans lits, ce qui était un idéal excessif, car impossible en France. Entre temps beaucoup de chefs se sont ‘fixés’ au milieu du gué, et ont créé ainsi pour leur équipe le travail le plus éprouvant qui soit : aujourd'hui les équipes de secteur sont déchirées entre deux pôles lointains, opposés, fonctionnant avec des règles incompatibles entre elles, qui font devenir chèvres les patients, traités de façon si différentes d’un pôle à l’autre du dispositif de secteur et les soignants qui s’opposent en deux groupes armés différents, ou qui s’épuisent lorsqu’ils veulent maintenir ces liens coûte que coûte. Le pire, c’est que les jeunes générations qui n’ont pas vu la lente construction qui nous a amené là, croient que c’est ça la politique de secteur, alors que la situation actuelle n’est qu’une étape, et la plus éprouvante, la plus douloureuse, la plus invivable ; dés lors les jeunes se mettent eux aussi à camper sur place, au lieu de continuer le mouvement de passage, de l’époque « de tous les soins à l’hôpital » avant 70, à l’époque « de tous les soins hors hôpital » qui aurait dû être définie pour aussitôt après 1980, et qui reste ‘en panne’.

Pourquoi ? Mais tout simplement parce que la politique de secteur, puisqu’il faut le leur expliquer avec attention et enthousiasme, c’est soigner dans la continuité en s’appuyant sur l’environnement relationnel des patients, donc en installant les 20 ou 30 lits, dont a besoin chaque équipe, dans le secteur même ou le secteur voisin, au milieu des autres espaces de soin, et surtout en s’appuyant sur la solidarité de la population du secteur. A partir de là, la fatigue des familles, celle des soignants, diminuent considérablement, les problèmes de sécurité s’évanouissent, la violence diminue. La dimension humaine des liens et des espaces devient un levier considérable pour travailler les liens et permettre le soin de secteur. Contrairement à ce que semble croire une majorité de personnes, cela n’est pas impossible. C’est même déjà réalisé dans la moitié du 93, de Paris, du Nord… (plus d’une cinquantaine de secteurs).

Dans ces secteurs là, il en est fini de l’intra et de l’extra, termes qui accompagnent l’exclusion !!! Les lits d’hospitalisation sont en ville, hors hôpital psychiatrique et pour beaucoup d’entre eux, même en dehors de tout hôpital général.

Pourquoi pas ailleurs ? Eh bien par simple frilosité de l’Etat, des médecins chefs des équipes de secteur et des directeurs d’hôpitaux.

Une telle évolution est elle hors d’atteinte ?

Peut être qu’aujourd'hui un acte permettrait de réamorcer ce mouvement ? Souvenez vous de ce qu’a fait un directeur, qui malheureusement pour lui a été très décrié. Monsieur Mordelet, directeur de Maison-Blanche, à Neuilly sur Marne recevant les patients des secteurs du nord-est de Paris. Il était convaincu que l’éloignement des services d’hospitalisation loin des villes était une honte et était inhumain, il a cru que cette opinion était celle de la majorité des médecins et des soignants, et son erreur a été de croire naïvement qu’un changement aussi important pourrait ne reposer que sur la volonté de sa seule personne, alors que ce ne peut être que l’acte commun d’une communauté entière, la communauté des soignants associée aux usagers et aux politiques. Du coup il a été ‘déplacé’. Mais reconnaissons qu’actuellement les services hospitaliers de Maison-Blanche quittent l’hôpital sans lui, grâce à l’ensemble des acteurs. il serait juste de reconnaître aussi que l’un des atouts qui a certainement fait évoluer ainsi les idées a été un acte impératif initial, sur un ‘détail’ : il a décidé ‘d’abord’ de déplacer toute la direction hors de son hôpital et de l’installer en plein Paris. Le reste a suivi ! ‘Après’ !

Alors aujourd'hui si tous les directeurs d’hôpital avaient le désir de se montrer humains et avaient la volonté de faire évoluer la psychiatrie, ils pourraient eux aussi décider dans l’année d’installer leur bureau dans la ville.

Dès lors les responsables, comme toutes les instances de direction, travailleraient immédiatement avec un autre état d’esprit ; ils n’auraient plus sous les yeux la grande étendue protégée et artificielle de leur hôpital avec leurs jardins à la Versailles, mais les quartiers de leur ville et leurs ressources humaines variées, ainsi que leur solidarité concrète. Cela leur permettrait de trouver l’intérêt qu’il y aurait à déplacer les lits dans les villes au lieu de les laisser ‘exclus’. Ils mettraient fin à cette terminologie absurde, car elle marque le blocage total de la psychiatrie de secteur : « l’intra et l’extra » !

Il est urgent et possible d’y mettre fin. Il suffit de comprendre la portée d’une telle décision et de se souvenir que Bonnafé en avait saisi l’importance dès le début de la psychiatrie de secteur, même s’il n’a pas su en définir toutes les étapes. De son temps la psychiatrie de secteur n’était qu’une hypothèse. Depuis elle a fait les preuves de sa qualité et de son efficacité. Pourquoi faudrait il hésiter encore ? Faudra t il attendre que les usagers l’exigent ?

Guy Baillon

PS : Savons nous que personne n’interdit à un médecin chef d’installer son bureau de chef dans le lieu qui lui plait ? un CMP, un centre d’Accueil, ou le service d’hospitalisation, quand il est hors hôpital. Cette installation lui revient et donne le sens de son regard… ‘Suivez mon regard’. Si c’est dans le secteur peut être qu’ils amorceraient le mouvement !


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