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Toussaint

 

 

Il s’est couché sur le côté, décidé à mourir en ce jour de la Toussaint.

 

Ca l’avait pris le matin, il s’était regardé dans le miroir, s’était trouvé laid, fatigué, et lorsqu’il avait été pris d’une longue quinte de toux grasse qui semblait venir des profondeurs de ses entrailles, il s’était dit que tout cela devait s’arrêter. A quoi bon continuer ? On finira tous dans un cimetière, de toute façon. Ca faisait des années qu’il n’avait pas vécu d’histoire d’amour, juste quelques filles qu’il avait baisées vite fait, mais la solitude qu’il recherchait volontairement, ce matin, lui avait soudain paru insupportable. Il s’était trompé de vie. Il avait tout faux depuis toujours. Il était presque un vieux, maintenant, son corps ne lui obéissait plus comme avant, et il en avait assez de faire semblant, assez de jouer à l’homme heureux, assez de se lever tous les matins pour aller au boulot, assez de toute cette comédie de la vie. Il avait cinquante ans, ses cheveux grisonnants lui filaient la nausée, et ses muscles atrophiés malgré les deux heures de sport qu’il s’infligeait quotidiennement lui rappelaient constamment qu’il avait déjà un pied de l’autre côté.

 

C’était un jour idéal pour arrêter tout ça. La grippe, qu’il avait choppée parmi les premiers, ne le lâchait plus. Il n’arrivait pas à s’en remettre, pas davantage qu’il n’arrivait à se passer de ses cigarettes. Ses poumons produisaient des glaires épaisses, verdâtres, et il les crachait comme un vieux tuberculeux, bruyamment, tous les matins. La déchéance. Oui, c’était un jour idéal pour mourir, le jour de la Toussaint. Pour une fois, il serait en accord avec les autres. Grisaille, maladie, mort. Les cimetières sont remplis de gens indispensables. Qui disait ça, déjà ? Il ne se sentait pas indispensable, lui. A qui manquerait-il ? Depuis le temps qu’il vivait comme un ours solitaire, à personne. A quoi bon continuer de vivre ? Demain, il ne banderait même plus, alors, qu’est-ce qui pourrait bien justifier de poursuivre cette longue agonie qui ressemblait à la vie, mais n’était plus qu’un long et interminable voyage vers la mort…

 

Il se tourne maintenant de l’autre côté du lit. Le soleil s’est levé. Pas vraiment un temps de Toussaint. S’il était en forme, il ferait un jogging le long de la Corniche, et après le théâtre de la mer, monterait jusqu’au cimetière marin pour se reposer sur une tombe. Il ferme les yeux. La main de pierre, dans le cimetière. Cette main qui le touchait, à chaque fois, appel à l’aide, caresse, émotion. Il allait la retrouver, elle saurait le guider vers cet au-delà dont personne ne savait rien. Où reposerait-il, lui ? Qui recueillerait ses cendres, dans l’urne funeste ? Pourrait-il encore voir ce magnifique paysage qu’offrait le cimetière marin, et profiter du calme et de l’apaisement qu’il ressentait dans ce lieu magique ? Qui lui inventerait une histoire, en voyant son nom et l’année de sa naissance, puis de sa mort, en venant comme il avait l’habitude de le faire, se ressourcer au milieu des odeurs de pin ?

 

Un rayon de soleil vient lui chatouiller le visage, se faufilant entre ses volets entrebâillés. C’est doux et chaud comme une caresse. Non, vraiment, ce n’est pas une journée idéale pour mourir. Où est passée la brume, la grisaille qui recouvrait tout ce matin encore ? Les gens se précipiteraient tous au cimetière, aujourd’hui, pour honorer leurs morts. Pire qu’un supermarché la veille de Noël. Ce n’était pas le bon jour, finalement. Et puis, cette promiscuité dans les cimetières, tous ces morts entassés les uns sur les autres, les uns à côté des autres, comme pour se sentir moins seuls, à jamais, pour l’éternité, non, très peu pour lui, l’ours solitaire, il fallait qu’il se trouve un coin pour lui, un petit carré de terre tout près de la main de pierre où personne ne viendrait le déranger, jamais. Il fallait qu’il s’en occupe. Demain, il s’achèterait une concession. Si c’était possible. S’il en avait les moyens.

 

Alors, il se lève. Il ouvre les volets. Le ciel est bleu, et le soleil inonde sa chambre de tous ses rayons, maintenant.

 

Il a raté sa vie. Il ne veut pas rater sa mort. Il attendra.

Ce n’était pas encore son heure.

Même si son heure de gloire est passée.