Mélancolie
Elle est seule au monde, le regard vide, bleu délavé qui ne
voit plus que du terne, du sombre, du gris, elle traîne sa peine et sa vieille
carcasse dans le service, perdue, quémande un regard, détourne les yeux qui ne
peuvent plus sourire, ni pleurer, elle est vieille, morte, vide, hantée par des
démons qui l’assaillent et gagnent, tous les jours, du terrain de son cœur, ils
l’assaillent, la rongent, la dévorent, la possèdent, elle est hantée comme elle
hante désespérément les couloirs pour trouver la sortie, la délivrance, la
mort, le silence…
Elle hurle encore parfois, seule once de vie qui lui reste,
viens la mort, cherche-moi vite, je n’en peux plus, tuez-moi, euthanasiez-moi,
fouettez-moi, crevez-moi, je ne mérite pas de vivre ni même de survivre,
battez-moi, je suis responsable de tout, tous les maux, les mots de la terre et
de l’enfer, la guerre, la mort du père, de la mère, la vie est amère, je ne
vaux rien, de la bouse, j’ai le blues, le noir, le soir, le jour, toujours,
sans fin, sans faim, juste mourir, pourrir, vomissez-moi, honnissez-moi,
crevez-moi encore, jusqu’à la mort !
Elle crie, prie, ayez pitié, laissez-moi partir rejoindre
Satan, vas-t-en, je ne veux pas manger, pas me laver, pas respirer, pas
t’écouter, ta main tendue je n’en veux pas, je suis indigne, insigne, c’est ma
faute, il faut que j’expie, j’expire, soupirs, fin des désirs, fin du plaisir,
juste mourir, dormir pour toujours, sans plus voir le jour, la tête dans le
four, pendue à la corde du cou de Thanatos, noyée dans l’eau glacée de la
source du non-amour, balle dans la tête qui explose, rasoir qui taillade les
artères d’une route sans retour, saut de l’ange du Pont des Soupirs, écrasée
par un camion, écrabouillée du manque d’amour, juste crevée, bonne à jeter, à larguer,
laissez-moi expirer, je suis périmée, piétinée, pitié !
Cocoonez-la, entourez-la, bichonnez-la, chouchoutez-la,
frictionnez-la, touchez-la, écoutez-la, parlez-lui, ramenez-la à la vie, je
vous en prie ! Escarres, noires, il est trop tard, elle a froid, toujours
froid, froid polaire, bipolaire, la mort gagne, pas à pas, elle va mourir,
emportée par son cafard, pourrir, on a tout fait, elle étouffait, on n’y peut
rien, c’est la fin, Thanatos est fort, très fort, trop fort…elle me regarde,
dans les yeux, s’accroche soudain à mon regard, espoir, elle va mieux !
Arrête d’y croire, de te raconter des histoires, mais si, espoir, espoir, son
œil bleu, venez voir, a accroché le mien !
Elle n’est plus seule au monde, juste touchée, pas coulée,
pas noyée, elle remonte, lentement, avec maladresse, comme un enfant qui
apprend à marcher, fierté, elle trébuche encore, adieu la mort, elle vit,
revit, Eros, beau gosse a vaincu une fois encore Thanatos, le rosse, elle
sourit et moi aussi, merci la vie qui m’a donné ce beau métier qui fait que
parfois, je me crois… le serviteur de Dieu, juste un peu…
La mélancolique est morte…en redonnant vie à une femme,
vivante, charmante, aimante, pétillante… alors moi, soignante des
« fous », je suis contente !
Bretzelde7@orange.fr