Elagage
Ca fait des semaines que les jardiniers de l’hôpital ont
élagué les dizaines de mûriers platanes du parc… alors que le mien, seul arbre
de mon petit jardin, attend toujours, misérable, branches à moitié nues,
feuilles mortes pendouillantes et tremblantes, qu’un coiffeur pour arbres digne
de ce nom veuille bien lui faire la coupe mode qui le rajeunira de quelques
années et le rendra à nouveau présentable…
Alors, ce matin, j’ai eu pitié. J’ai enfilé mon vieux
corsaire d’hiver, un pull pourri, relevé mes cheveux, préparé mon sécateur, mon
élagueur et ma scie, si, si, j’ai tout ça chez moi, je me suis équipée, avec
les années, je m’habille en pourri, maintenant, parce que les premières années,
les larmes qui coulent de l’arbre lorsque je le cisaille m’ont fichu en l’air
quelques vêtements avec une sorte de bave laiteuse et collante impossible à
faire partir… Je sors mes deux échelles, aussi, et hop, me voilà prête à
tailler, couper, effiler, cisailler, castrer, clac, clac, salut voisin, t’en
voudrais pas un p’tit coup aussi, ce serait avec plaisir, bon, y’en a qu’un, de
voisin, qui me fait cet effet-là, celui que mon chien déteste aussi parce qu’il
lui lance des cailloux quand je ne suis pas là… je lui taillerais bien… bon, un
costard, à défaut d’autre chose !
J’ai enjambé une branche, et comme chaque année, le
leitmotiv me revient : « Scier la branche sur laquelle on est
assise », jusqu’à ce que j’ai fini, cette phrase ne me lâche plus, elle a
l’air idiote, mais ça a failli m’arriver déjà plusieurs fois, bon, d’accord,
les restes de ma blondeur, sûrement, mais depuis que je fais très
attention, je me prends juste encore
quelques branches sur la tronche, et de temps en temps, je suis à deux doigts
de tomber de l’arbre, ou de l’échelle, je vacille, mais me rattrape toujours
aux branches…une vraie leçon de vie, l’élagage !
Mon apparition tout en haut de l’arbre fait de l’animation
dans le quartier :
-
le facteur : vous savez
élaguer des arbres ? Non, mais je le fais quand même ! (il se dit
« elle est barjot », c’est sûr !)
-
la voisine : vous n’avez pas
peur de tomber, ça fait peur, non ? Non, je préfère ça à faire le
ménage ! (elle se dit « elle est folle », c’est sûr !)
-
le voisin d’en face :
salut ! (tiens, il ne me dit jamais bonjour, d’habitude, ça te plaît, de
me voir chevaucher… une branche ?)
-
un autre voisin : il va faire
beau (ouais, je connais, quand les singes grimpent aux arbres etc…)
Pendant ce temps, je coupe, je scie… une branche sur ma
voiture, zut, j’ai encore oublié de la déplacer…et m…, la scie est tombée,
personne pour me la ramasser, je redescends , allez, j’en profite pour boire un
café et m’en fumer une, ah non zut, j’ai arrêté de fumer, bon allez, juste une
taf, et je remonte !
Tiens, c’est qui celui-là, jamais vu dans le quartier !
-
Bonjour ma petite dame, je vous
admire de grimper ainsi non aux rideaux, ha, ha, mais dans ce magnifique arbre
que vous avez là ! Permettez-moi cependant une petite remarque : vos
outils n’ont pas l’air très efficaces, vous allez vous épuiser, voulez-vous que
je vous prête mon outil ? J’habite juste là-bas, à cinq maisons, vous
voyez ?
-
Non merci, pas besoin de votre
outil…c’est l’huile de coude qui n’est pas très en forme, pour le reste, j’ai
ce qu’il faut…
Bon, ça va, vous n’avez rien d’autre à faire que de regarder
une meuf tailler… un arbre ? Et vous croyez que j’ai que ça à faire, de
tailler en plus, des bavettes à tout le quartier ? Taillez, taillez voir
ailleurs si j’y suis ! Et nom d’une pipe !
Mon mûrier platane est élagué…il paraît tout nu, pas
terrible, ta nouvelle coupe, on dirait Mireille Matthieu alors que tu voulais
ressembler à Lorie…allez, ne m’en veux pas, je ne suis pas une professionnelle,
et puis ça va repousser, d’ici l’été, ta belle chevelure verte et tes fruits
rouges charnus vont cacher les défauts… de taille !
Ah l’élagage, sacrée bataille !
Demain, j’attaque les lauriers roses…qui sont tout
moroses !