Coup de coeur en hiver
Il m’arrive une chose incroyable, que je n’aurais même pas
osée imaginer, même dans mes rêves les plus fous, et en rêves, croyez-moi, je
m’y connais… en folie aussi, promis !
Alors que je me morfondais comme tous les débuts d’hiver,
devant mon ordinateur et mon téléviseur, seuls masculins dorénavant autorisés à
me regarder au naturel, comme le thon que je me sens depuis que le dernier
homme de ma vie s’est tiré, non, pas une balle dans la tête, il est juste
rentré au bercail, comme la majorité des hommes mariés après l’été, alors que
donc, disais-je, je pensais que plus rien d’intéressant ne pourrait m’arriver
avant le printemps prochain vu qu’il ne m’est jamais rien arrivé de passionnant
en hiver, la fée Mélusine, en complicité avec l’Eros pour qui à mon avis elle a
le béguin, mais il est trop jeune, attends encore un peu qu’il se développe si
tu veux connaître le Nirvana avec lui, mais pas trop non plus sinon il va se
ramollir, ou au contraire préférer Adriana parce que toi t’es un peu flétrie,
depuis le temps que tu sévis, où donc en étais-je, il faudrait je crois que je
mette un point et que je passe à une autre phrase, qu’est-ce que vous en
pensez ? Vous n’arrivez plus à respirer, moi non plus, alors je continue
après le point et vous raconte ce que donc ce couple infernal et si mal assorti
a osé comploter à mes dépends…
Donc, un beau matin de fin novembre, transie de froid et de
gris sur mon quai de gare garni de chiures d’étourneaux, non, de pigeons et de
goélands, c’est pas pareil, faut pas confondre, les étourneaux chient tout
petit mais comme ils se baladent par milliers, ils en foutent partout,
forcément, alors que les goélands, eux, lâchent des giclées énormes, même s’ils
sont deux ou trois, bien plus impressionnantes que les déjections des pigeons
qui roucoulent comme des cons et proutent mouillé toute la journée ! Quoi,
on s’en fout de la scatologie ornithologique, accouche ? C’est important,
le transit, demandez aux dames des maisons de retraite si c’est pas un sujet
qui mérite qu’on s’y arrête un peu tous les jours…
Soudain, donc, alors que je guettais le lever du soleil,
seule raison valable pour se lever le matin et se geler en attendant le train,
si, je vous jure, ça vaut le coup d’œil, la boule rouge fluo qui déchire le
gris du ciel et qui se reflète ensuite dans la mer, c’est vraiment le
pied ! Soudain, disais-je, un géant brun, ça me change du dernier, mais
c’est vrai, j’aime bien les grands hommes, et quand en plus ils ont un cerveau,
c’est carrément le rêve, mais bon, faut pas en demander trop à mon âge, un
géant brun donc (mais oui, brun, pas gris, pas chauve !), vient regarder
avec moi le spectacle du soleil qui se lève et me dit « C’est encore plus
beau dans vos yeux, tout ce rouge qui se reflète dans ce bleu, c’est
fabuleux ! ». Et tout ça dit avec une voix si tendre, si douce, avec
l’accent du sud, que je fonds immédiatement lorsque mes yeux découvrent en plus
que les siens sont verts, bordés de cils noirs, le coup de foudre en hiver, ça
existe ?
Ben oui, ça existe ! Et qu’est-ce que c’est bon, c’est
chaud, c’est doux, c’est tendre, mieux que mon écharpe, ma couverture et ma
doudoune réunies ! Et à l’aube de mes presque cinquante ans, je me repose
la question balayée depuis si longtemps : et si le Père Noël, finalement,
existait quand même ?
Bretzelde7@orange.fr